Nos jeunes vont très bien… Vraiment ?

Ce dimanche 10 octobre marque la journée mondiale de la santé mentale. L’occasion de se pencher sur le bien-être de nos jeunes, après les vagues successives d’isolement et de corona-restrictions. Mais aussi de s’interroger sur la publication récente d’études de complaisance, qui questionne sur la volonté (ou non) de nos autorités de traiter certaines urgences – et d’abord de les considérer comme telles !

A défaut de chiffres récents, on se rappellera qu’il y a bientôt une année, la presse relayait le constat alarmant que les consultations en pédopsychiatrie auprès des hôpitaux universitaires de Berne et de Lausanne avaient augmenté de 40%. Entre juin et septembre 2020, le service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Supea) du CHUV enregistrait une augmentation de 50% des demandes d’hospitalisation motivée par des crises d’angoisse, des troubles de l’humeur ou des tendances suicidaires. (sources: Avec le Covid-19, les consultations en pédopsychiatrie bondissent de 40% – rts.ch – Suisse – Enfants et ados, victimes silencieuses de la crise sanitaire – Le Temps)

En décembre 2020, la Swiss Corona Stress Study de l’Université de Bâle constatait une augmentation de 57% des gens souffrant de symptômes dépressifs, avec 18% de Suisses présentant des symptômes sévères en novembre, contre 9% lors du premier lockdown du mois d’avril. Et à y regarder de plus près, les jeunes semblaient payer un très lourd tribu :

(sources: Universität Basel | Coronastress.ch | Schweiz – INFOGRAPHIE – Santé mentale et Covid-19 – fait et chiffres_v4_web_ok (minds-ge.ch))

Et ailleurs ? En France, Angèle Consoli, pédopsychiatre et membre du Conseil scientifique, déclarait en mars 2021 que les hospitalisations des jeunes de moins de 15 ans pour motif psychiatrique étaient en hausse de 80% depuis le début de l’épidémie de coronavirus. Au Canada, le nombre de jeunes Québécois de 12 à 17 ans admis à l’hôpital pour des raisons de santé mentale à la suite d’une visite aux services d’urgence a augmenté de 40% en janvier et février 2021, par rapport à la même période de l’année précédente, selon des statistiques de l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME).

 

Chez nous, tout va bien !

Tournons-nous maintenant vers deux publications récentes de nos autorités helvétiques, qui tentent de nous rassurer :

Selon les chiffres de l’Office Fédéral du Sport (OFSPO), le volume d’activité sportive pratiquée par les enfants et adolescents vivant en Suisse a « nettement » progressé depuis 2014.  En effet, les jeunes de 10 à 19 ans en Suisse font à nouveau davantage de sport. Après des chiffres en baisse entre 2008 et 2014, ils ont accru leur activité physique entre 2014 et 2020.

Lors de sa conférence de presse du 6 septembre 2021, la conseillère fédérale Viola Amherd a souligné que les conclusions du rapport (Les enfants et adolescents suisses font plus de sport (admin.ch) sur les enfants et adolescents confirmaient clairement l’efficacité des mesures d’encouragement engagées par la Confédération. Comme pour notre formidable système J+S, le monde entier nous envie ! Par contre, rien n’est dit sur la perte de jeunes membres ou la grosse fatigue de nombreux bénévoles dans nos clubs sportifs…

Deux semaines plus tard, au tour de Promotion Santé Suisse de nous apprendre qu’en Suisse, la proportion d’enfants en surpoids diminue légèrement depuis 10 ans. Globalement, 17.2% de l’ensemble des enfants et adolescent-e-s restaient toutefois en surpoids – moins pire que chez la plupart de nos voisins ! La proportion d’élèves en surpoids reste élevée – Promotion Santé Suisse (promotionsante.ch)

Les experts de Promotion Santé Suisse relèvent toutefois que la proportion d’élèves en surpoids au niveau du troisième cycle stagne à un niveau élevé. Plus inquiétant, les différences relevant de la nationalité et de l’origine sociale sont significatives : près d’un enfant étranger sur quatre (24,3%) est en surpoids ou obèse, tandis que chez les enfants suisses, cette proportion est d’un sur sept (14,1%). En outre, un enfant sur trois de parents sans formation postobligatoire est en surpoids ou obèse (29,9%). Et de conclure (contre toutes attentes !) : « Même s’il n’est pas possible d’affirmer une corrélation fiable entre les interventions et la prévalence du surpoids, les résultats disponibles indiquent que l’ ’épidémie de surpoids’ en Suisse a été enrayée, mais est loin d’être terminée. Il a été possible de contrer la forte augmentation de la proportion d’enfants et d’adolescent-e-s en surpoids, mais un peu plus d’un sixième des enfants et des adolescent-e-s continue de présenter un IMC élevé. »

 

Mais quand ces données ont-elles été collectées ?

Problème : ces deux études publiées en septembre 2021 se basent essentiellement sur des données pré-COVID. Circulez, y’a rien à voir ! Un peu comme si nous n’étions pas passés par un tsunami sanitaire, social et économique, financier ou encore psychologique…

Or, on sait que la diminution de l’activité physique et sportive, et l’augmentation des comportements sédentaires observés pendant cette crise sanitaire sont fortement associés à la dépression, à l’anxiété, au stress et au bien-être en général. En France par exemple, l’ONAPS (Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité, lancé en 2015) a observé une augmentation significative du temps passé par les jeunes assis et devant leurs écrans. Les études qui arrivent semblent confirmer une prise significative de poids chez les enfants et les ados, de même qu’une augmentation des consultations en pédopsychologie. En France, une étude de la même institution relève également une baisse des capacités cognitives chez les enfants de 40%. En Suisse, selon une étude récente de l’Université de Saint-Gall (août 2021), la pandémie de Covid-19 a fait prendre, en moyenne, plus de 3 kg à chaque habitant ! Il n’est pas rare d’observer des cas d’enfants ayant pris 6 à 10 kilos pendant la pandémie. Une étude publiée en mars 2021 dans la Revue Médicale Suisse concluait en ces termes : « Il y a de plus en plus de preuves de l’impact néfaste de la pandémie et des mesures restrictives sur les comportements de vie, favorisant l’augmentation des taux de surpoids et d’obésité. Au vu de la persistance de cette situation qui, selon toute vraisemblance, va encore perdurer, des mesures de santé publique sont nécessaires pour contrecarrer à long terme ces comportements liés à l’obésité, afin de prévenir les complications de santé. » (Correia, Golay et Pataky – Double pandémie : impact des mesures anti-Covid-19 sur l’obésité (revmed.ch)  

 

Reconnaître l’urgence et agir en conséquence

Face à ce que d’aucun appelle une véritable catastrophe sanitaire pour les jeunes ou même une triple pandémie de COVID-19, d’obésité et de maladies mentales, il est surprenant, voire choquant, de découvrir ces deux études publiées en septembre 2021 par l’OFSPO et Promotion Santé Suisse.

Cette capacité hors du commun à s’auto-féliciter et à s’auto-satisfaire des politiques en place et des mesures prises laisse perplexe. Comme citoyen suisse qui paie scrupuleusement ses impôts et ses primes maladie, je n’ai pas besoin d’être rassuré par ces études décalées, voire même indécentes. Au lieu de s’appuyer sur des données d’avant pandémie et de publier de tels contentements, il serait peut-être sage d’interroger quelques pédiatres, pédopsychiatres et professeurs d’éducation physique et sportives… Au front tous les jours, ce sont eux qui constatent les dégâts !

Ce dont nous avons besoin, ce sont des chiffres plus récents qui tiennent compte de la gravité probable des impacts d’une crise sanitaire sans précédent. Et d’un plan d’action courageux pour faire face au dépit et au désenchantement dans lequel se trouvent de trop nombreuses jeunes personnes dans notre pays. Un plan qui aura la sagesse d’aller au-delà de la prise en charge et du « simple » traitement des symptômes pour aller vers des actions préventives et interdisciplinaires, s’appuyant sur les nombreux bienfaits individuels et collectifs des activités physiques et sportives, inclusives et adaptées, parfois soigneusement combinées à d’autres interventions culturelles et artistiques. A ce titre, on peut féliciter l’Etat de Vaud, qui par une action commune de ses départements de la jeunesse et de la santé, vient de débloquer une enveloppe urgente de 5 millions de francs pour intensifier ses actions en matière de santé mentale chez les jeunes vaudoises et vaudois.

Philippe Furrer

Philippe Furrer a passé l’essentiel de sa carrière comme cadre dans le monde du sport international. Géographe de formation, il se passionne d’interdisciplinarité, car les problèmes de notre monde contemporain sont si complexes qu’ils exigent de nouveaux paradigmes.

Une réponse à “Nos jeunes vont très bien… Vraiment ?

  1. Merci pour votre billet.

    “Cette capacité hors du commun à s’auto-féliciter et à s’auto-satisfaire des politiques en place et des mesures prises laisse perplexe.”
    Peut-être une piste : ce pourrait-il que ce soit parce que les personnes qui écrivent ou valident ces rapports sont les mêmes qui risquent d’être sanctionnées d’une façon ou d’une autre si les objectifs ne sont que partiellement remplis ? (Ou possibilité d’avancement dans le cas contraire.)
    Sans porter d’accusations, car au fond c’est assez naturel.

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