L’industrie horlogère aligne encore une année 2022 record et semble repartie pour la prochaine

La Wonder Week horlogère genevoise vient de débuter et son tourbillon de nouveautés sera le sujet de toutes les conversations de l’industrie dans les jours à venir. L’autre sujet sera le rapport annuel de Morgan Stanley co-rédigé par LuxeConsult 1).

Les exportations horlogères suisses ont une nouvelle fois battu des records en 2022 avec CHF 23,7 milliards, ce qui représente un record historique et une croissance de +11,6% par rapport à l’année précédente. La croissance est encore plus impressionnante par rapport à l’année pré-Covid 2019 avec +15,5% ou CHF 3,2 milliards d’exportations supplémentaires.

#1 La polarisation et la premiumisation se poursuivent sans relâche

Les “Big 4” – Rolex, Audemars Piguet, Patek Philippe et Richard Mille – continuent de surperformer et ont conquis une part de marché consolidée de 41,7 % l’année dernière (contre 36,7 % en 2019 pré-Covid).
Il semble que la vision à long terme des marques privées soit l’ingrédient clé pour assurer une croissance durable, mais toujours impressionnante. Audemars Piguet a par exemple réalisé une croissance de 27% et a franchi le seuil des 2 milliards de francs suisses pour la première fois de son histoire.

Ce sont presque exclusivement des marques haut de gamme qui performent nettement mieux que le marché. Et une fois qu’une marque a passé la vitesse supérieure dans une dynamique vertueuse, l’accélération de la rentabilité devient fulgurante et croît plus vite que les ventes. Même s’il existe des exceptions, ce sont principalement des marques premium et de luxe qui accroissent leurs positions dominantes.

#2 La valeur moyenne des ventes continue d’augmenter, mais les volumes diminuent… à l’exception d’une “anomalie”

Après une baisse constante des volumes au cours des 20 dernières années et un record historique de 13,8 millions de montres-bracelets exportées en 2020, les volumes ne se redressent pas. L’industrie n’a exporté que 15,8 millions de montres – ce qui ne représente que 49’000 unités ou 0,3% de plus qu’en 2021, alors qu’en 2000 nous exportions encore 30 millions de montres par an.
Pire encore : si l’on retire les volumes de la MoonSwatch, estimés à ~ 950’000 unités exportées et 1’000’000 unités vendues dans le monde, on peut en déduire que nous aurions eu un déficit de ~ 900’000 unités par rapport à 2021 !
Swatch a retrouvé sa place de numéro un en tant que principal contributeur en volume de l’industrie horlogère suisse, avec une estimation de 4,9 millions d’unités vendues l’année dernière.
En fait, Swatch et Rolex sont les principaux contributeurs en termes de croissance du volume pour 2022, Rolex ajoutant environ 150’000 unités.

Hormis l'”anomalie” que constitue l’énorme succès de la MoonSwatch, l’entrée de gamme des montres suisses est soumise à une pression constante de la part des smartwatches, en particulier de l’Apple Watch.

© LuxeConsult Sàrl, chiffres FHS/exportations douanières & Counterpoint

 

Lire aussi : https://wp.me/padoQP-hr

Le prix moyen a augmenté en moyenne de 51% par rapport à 2019, passant de CHF 993 à l’exportation ~CHF 2’000 prix public à CHF 3’000 prix public en 2022. L’industrie horlogère suisse confirme la règle de Pareto (80/20) avec seulement 17% des unités générant 83% de la valeur des ventes. Les montres les plus chères illustrent ce phénomène de la manière la plus extrême :
~ 25’000 montres d’un prix public supérieur à CHF 100’000 sur 15,8 millions (0,2%) génèrent ~ CHF 3 milliards d’exportations totales (12,5%) !

© LuxeConsult Sàrl

#3 Les pertes de volumes seront – à terme – un problème existentiel pour beaucoup de marques

En lisant et en entendant certains commentaires qui banalisent la chute des volumes ou qui pensent que c’est une bonne chose que toute une industrie se positionne dans le haut de gamme, je m’inquiète. Ce ne sont pas les marques fortement verticalisées en amont et disposant de leur propre outil de fabrication en interne comme le Swatch Group, Richemont, Patek Philippe, Rolex, Audemars Piguet ou encore Chopard pour lesquelles il faut se faire du souci. Ce sont les marques de niche et les marques intermédiaires avec un certain volume et qui dépendent à des degrés divers presque exclusivement de fournisseurs tiers. Ces fournisseurs qui continuent de travailler pour les marques qui possèdent leurs propres outils de fabrication, mais qui recourent à leurs services pour des produits pointus, deviennent rares et inaccessibles. Certains pensent que l’achat d’une CNC ou d’une décolleteuse va résoudre leurs problèmes d’approvisionnements, mais ils ne réalisent pas que le chemin critique est la main d’oeuvre qui devient extrêmement rare.

69% du volume de l’industrie horlogère suisse sont générés par le Swatch Group, si l’on ajoute Rolex et Tudor on arrive à presque 80% !

#4 Qui sont les gagnants et qui sont les perdants ?

Les quatre premières places restent inchangées, mais une marque quitte le top 10 – Tissot, en grande partie à cause de sa dépendance au faible marché chinois et pour la même raison, la marque sœur Longines perd deux rangs. Breitling et Vacheron Constantin sont les nouveaux venus et aucun d’entre eux n’est une surprise. Breitling a enregistré d’excellentes performances sous l’égide de ses nouveaux propriétaires – le fonds d’investissement privé CVC, récemment rejoint par Partners Group, un autre fonds – et surtout sous la direction de Georges Kern. Ses résultats sont la conséquence logique d’un repositionnement de marque soigneusement planifié et exécuté. Et celle-ci a encore un énorme potentiel à exploiter, avec seulement 5 % de ses ventes réalisées en Chine.
Vacheron Constantin surfe sur la vague de la rareté des montres sport chic – avec sa propre ligne de produits Overseas – qui constituent une part importante des rares montres trophées. Après une période de trop forte dépendance vis-à-vis du marché chinois, le PDG, Louis Ferla, a réussi à se diversifier géographiquement et à attirer une population plus jeune.

©Morgan Stanley x LuxeConsult

 

Rolex a largement surperformé le marché et consolide sa suprématie en tant que première marque de montres de luxe au monde avec une croissance en valeur estimée à 21 % – dont 13 % sont organiques et 8 % dus à deux augmentations de prix – et une croissance en volume de 14 % à 1,2 million d’unités. Le prochain seuil sera le chiffre d’affaires magique de 10 milliards de francs suisses, qui placera la marque au niveau des “überbrands” de luxe tels que Gucci (10,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022), mais avec une offre mono-produit.

Audemars Piguet a bénéficié du 50e anniversaire de son emblématique Royal Oak (> 90 % des ventes), qui a permis à la marque d’atteindre le seuil des 2 milliards de francs suisses pour la première fois de son histoire, triplant ainsi ses ventes en une décennie. Le défi pour le nouveau PDG après le mandat de François-Henri Bennahmias sera de dompter les chevaux plutôt que d’accélérer. À un moment donné, une marque a besoin d’être stabilisée après une période de croissance importante.

Patek Philippe et Richard Mille réalisent également une performance exceptionnelle avec des stratégies de vente au détail opposées : la première s’appuie presque entièrement sur des tiers, tandis que la seconde contrôle ses ventes au détail à 100 %, soit en possédant les boutiques monomarques, soit en s’appuyant sur des joint-ventures.

Swatch Group perd une marque du top 10, Tissot perdant 12% de ses ventes en raison de la mauvaise performance du marché chinois. Omega (3e inchangée) et Longines (de 5e à 7e ) défendent encore la bannière du Swatch Group. Avec un tiers des ventes du groupe, mais deux tiers de son bénéfice opérationnel, OMEGA est le joyau de la couronne.

Vacheron Constantin est le troisième Richemont à entrer dans le top 10 avec IWC et Cartier. IWC et Vacheron seront probablement les prochains membres du club des milliardaires avec… Breitling qui entre également dans le top 10 avec une croissance ininterrompue de +25%. La performance de Breitling doit être mise en perspective avec le fait qu’ils ont un très faible pourcentage de leurs ventes provenant du marché chinois, que nous estimons à env. 5%. L’autre facteur de croissance potentiel pourrait provenir des montres pour dames, qui représentent moins d’un quart des ventes de la marque, ce qui est nettement inférieur à ses concurrents directs.

Hermès continue de se concentrer avec succès sur les montres mécaniques et réussit le grand écart entre les montres Apple accessibles – avec des bracelets en cuir Hermès et vendues au détail à ~CHF 1’300,00 – et les montres haut de gamme vendues à plus de CHF 300’000. Cela montre l’incroyable capital de la marque pour conserver sa crédibilité et s’adresser ainsi à deux segments de prix totalement différents dans la même catégorie de produits. Avec une augmentation de valeur de +43%, Hermès a dépassé Chopard, qui est une marque de joaillerie et d’horlogerie (55% du caf) pure, alors que les montres ne représentent que 4,5% des ventes totales d’Hermès.

Jacob&Co. est entré dans le classement publié à la 32e place après une croissance fulgurante et 130 millions de francs suisses de chiffre d’affaires pour les montres. Ce succès est dû à une stratégie à long terme consistant à créer un univers de marque composé de merveilles mécaniques tridimensionnelles vendues à des prix à six chiffres et à maintenir une activité de base à un niveau de prix inférieur.

Ulysse Nardin et Girard-Perregaux – les deux marques vendues par Kering à la direction – sont en train de rebondir après une longue période de nettoyage des canaux de vente des activités substantielles du marché gris qui nuisaient à la crédibilité des marques. La Laureato de GP est le principal moteur de croissance et profite de la rareté de la Nautilus de PP ou de la Royal Oak d’AP.

Et quelle a été la performance du Swatch Group par rapport au reste de l’industrie horlogère ?

Même si le Swatch Group est le plus important contributeur en volume avec environ 69% du volume total de l’industrie horlogère suisse, ses marques ne se développent pas au même rythme que l’industrie. En annonçant une croissance de ses ventes* de +4,6% par an (à taux de change constants), comparée à la moyenne de +11,6% de l’industrie horlogère suisse, on comprend instantanément que la plupart des 17 marques détenues par le groupe sont plutôt dans un mouvement inverse. C’est encore plus évident si l’on estime que la marque no. 1 du groupe – Omega – a connu une année de croissance très réussie, supérieure à la moyenne de l’industrie, dans les segments de prix de sa gamme de base. En fait, nous estimons qu’OMEGA est le principal contributeur aux ventes, à la croissance et à la marge de Swatch, générant 2/3 de l’EBIT total du groupe. En conclusion, on peut s’interroger sur la pertinence de conserver un portefeuille de marques aussi étendu, sachant la complexité de la gestion de tous ces territoires de marques différents.

Le Swatch Group invoque les blocages en Chine liés à Covid et estime le manque à gagner à CHF 700 millions…. C’est une façon de voir les choses ou l’on pourrait dire que le Swatch Group dépend beaucoup trop d’un seul marché, la Chine. La seule exception à cette observation est encore une fois OMEGA qui a diversifié avec succès ses ventes et a par exemple gagné des parts de marché substantielles sur le marché américain.

Les perspectives pour 2023 sont mitigées, mais globalement positives

Avec la réouverture du marché chinois, les perspectives pour l’industrie du luxe et l’horlogerie suisse sont très prometteuses, mais la situation sur les autres marchés, dont les USA (marché n°1 en 2022 avec un taux de croissance de +26%), sera probablement plus compliquée. Au final, 2023 devrait être à nouveau une année record, avec une croissance plus modeste (~ +5% en valeur) et encore moins bien répartie entre les marques qui surperforment et celles qui auront plus de peine à compenser le recul que connaîtront les marchés porteurs de 2022. Le Swatch Group devrait être le principal bénéficiaire de cette tendance positive en Chine puisque ses deux marques phares – Omega et Longines – sont respectivement les marques n° 1 et n° 2 sur ce marché et que Tissot est également un acteur majeur en Chine.
Il s’agit d’un marché extrêmement polarisé – 5 marques représentent 50 % des ventes – avec quelques marques de niche parmi les indépendants (< 1 % des exportations totales) qui s’en sortent très bien et une marque qui sauve les volumes de toute une industrie, Swatch.

1)Le but de ce rapport est de comparer les marques sur une même base de comparaison qui est le prix public hors taxes. Notre méthodologie est de convertir les chiffres ex-usines (EXW) en prix publics hors taxes en tenant compte notamment du degré d’intégration du réseau de détaillant.

OMEGA met la barre de la chronométrie encore un cran plus haut

La marque phare du Swatch Group, Omega, annonce qu’elle met la barre encore plus haut en termes de chronométrie[1] avec une tolérance de 0/+2 secondes par jour sur ses mouvements mécaniques équipés de l’échappement co-axial[2]. Ce tour de force en termes de précision est réalisé grâce à un nouveau système de réglage du spiral en silicium et qui porte le nom de « Spirate ». Ce dispositif permet un réglage diaboliquement performant – permettant à l’horloger de régler le point d’attache du spiral sur le pont de balancier – du cœur de la montre permettant d’obtenir une précision de marche jamais atteinte pour un mouvement de série industrialisé.

Pour situer le débat, cette tolérance de déviation de marche de 2 secondes par jour est deux fois plus précise que celle admise par Rolex – +2/-2 secondes par jour = 4 secondes d’écart journalier – qui revendique pourtant un label « superlative chronometer officially certified ». Ce label qui est plus un terme marketing, car le « officially » fait référence uniquement à la certification du mouvement et non pas la double certification (mouvement et tête de montre) qui elle est faite en interne, est une valeur cardinale de la marque à la couronne.

Et par ailleurs il faut comparer les 2 secondes d’écart revendiquées par Omega avec les 10 secondes par jour admises par la norme ISO 3159 que le COSC (bureau officiel suisse des chronomètres) certifie.

Balancier spiral “Spirate” avec un spiral en Si14 et un système excentrique de réglage du point d’attache du spiral

 

Pourquoi la chronométrie devrait être un sujet pour les marques horlogères

La précision de marche d’une montre mécanique n’est certainement plus un sujet d’une importance absolue depuis 1969, année de lancement de la première montre bracelet quartz par Seiko. Le quartz a permis de supplanter la précision du mouvement mécanique le plus précis par un facteur d’au moins 10[3].

Autrefois les concours de chronométrie permettaient aux marques horlogères de prouver leur maîtrise de la mesure du temps et pour certaines de se déclarer « maître chronométrier ». Aujourd’hui ce sont quelques rares marques – et pas forcément uniquement celles que l’on attendrait sur ce terrain – qui se positionnent dans ce domaine d’excellence mécanique.

Beaucoup de prétendants peu de certifiés

Beaucoup de marques prétendent à l’excellence chronométrique peu le prouvent au-travers d’une certification officielle comme le COSC (contrôle officiel suisse des chronomètres) qui certifie uniquement le mouvement ou d’autres instances comme par exemple l’Observatoire Chronométrique de Genève ou l’Obervatoire de Besançon qui certifient la précision de marche d’une tête de montre (mouvement emboîté) et non plus uniquement le mouvement. La plus-value de ces tests – à part le fait de prouver que vous faites réellement de la chronométrie et pas seulement du marketing – est un joli fascicule qui est un bulletin de marche de chronométrie calligraphié qui accompagnera la montre.

Bulletin de marche de chronométrie de l’Observatoire de Besançon pour un tourbillon de la maison Laurent Ferrier

On peut donner du crédit à des petites marques de niches comme Laurent Ferrier ou Akrivia qui ne font certes pas certifier l’entier de leur production, mais qui se donnent les moyens d’obtenir des bulletins de marche de chronométrie à l’Observatoire de Besançon si le client le souhaite.

On peut déplorer le fait que le terme de « Chronomètre » n’est pas protégeable légalement – car générique – et que certaines marques abusent de ce label. Zenith – qui se revendique championne historique de la chronométrie – a par exemple commercialisé une montre avec la maison de ventes aux enchères Phillips qui bien qu’étant dépourvue de tout certificat de chronométrie mentionnait sur le cadran « Chronomètre » et « Observatoire ». Pour essayer de lui donner une caution morale on a associé l’artisan horloger Kari Voutilainen qui en a décoré le mouvement.

Ou encore un grand prix d’horlogerie de Genève 2022 décerné dans la catégorie « Chronométrie » à un tourbillon Grand Seiko (par ailleurs magnifique et techniquement abouti) dépourvu lui aussi de tout certificat officiel de chronométrie.

Une certification d’excellence manufacturière et de tradition horlogère : le poinçon de Genève

Timelab à Genève propose une certification qui mélange des aspects de bienfacture (la décoration des mouvements), l’origine des composants (le canton de Genève) et le respect de certains principes de construction des mouvements mécaniques horlogers. Les têtes de montres sont aussi testées par rapport à leur précision de marche et la déviation ne doit pas dépasser la minute en 7 jours soit 8,5 secondes par jour ce qui est plus exigeant que la norme du COSC.

On peut déplorer le fait que très peu de manufactures se donnent la peine de se conformer à cette procédure assez contraignante : Chopard pour ses montres L.U.C, Roger Dubuis ou encore Vacheron Constantin. Elles ont d’autant plus de mérite de le faire qu’elle permette de maintenir une tradition porteuse d’excellence dans le monde en acceptant de produire, assembler et régler les gardes-temps certifiés dans le canton de Genève.

Le graal de la précision chronométrique : une double certification le « master chronometer »

La certification ultime étant celle où l’on certifie le mouvement par le COSC, puis la tête de montre. Et là les marques ne sont plus qu’au nombre de deux à passer une procédure de certification contrôlée par un organe officiel qui est le METAS (Institut fédéral de métrologie) : OMEGA et Tudor (marque sœur de Rolex) et qui leur décerne le label « master chronometer » après une procédure de tests suivant un protocole et des normes techniques et qui concernent :

  • La certification du mouvement du mouvement par le COSC

Puis une batterie de 8 tests – selon un protocole établi par le METAS – qui vont faire subir à la montre une multitude de chocs magnétiques (le magnétisme est présent partout à travers nos portables, etc.), de changements de positions pour simuler le porté de la montre au poignet (la gravité terrestre a une incidence négative sur la précision de marche) et de changements de températures. Pour finalement vérifier son étanchéité et certifier la précision de marche.

Une marque a toujours revendiqué l’excellence chronométrique

Rolex a eu très tôt l’intelligence marketing d’inscrire le terme « superlative chronometer officially certified » qui en soit constitue déjà un concept marketing plus qu’un label officiellement certifié. En effet chaque mouvement Rolex – la marque fabrique exclusivement des mouvement mécaniques – passe la certification de chronométrie auprès du COSC*. Chaque montre subit en interne une deuxième certification de chronométrie qui atteste de la précision de marche sur la tête de montre et non plus du seul mouvement. En soi ceci représente une exigence déjà nettement plus élevée que la seule certification du mouvement en instaurant une double certification.

Les critères de certification retenus par Rolex sont beaucoup plus exigeants que celles du COSC avec une déviation de marche de maximum +2/-2 secondes par jour ce qui fait 4 secondes d’amplitude maximale. Le COSC admet +6/-4 secondes – équivalents à 10 secondes par jour – selon une norme ISO 3159 qui définit très précisément les mesures et les résultats à atteindre pour obtenir le sésame de « chronomètre ».

Seul petit bémol : Rolex soumet uniquement le mouvement à un organe de contrôle officiel qui est le COSC, mais procède aux autres tests – qui sont calqués sur la procédure de contrôle mise au point par Omega avec le METAS – en interne. Ce qui lui enlève une légitimité officialisée par une instance étatique.

Nouvel enjeu pour Rolex face à Omega

 Dans une démarche très provocatrice, Rolex avait lancé en mai 2021 – longtemps après Omega en 2015 – la certification « master chronometer », mais uniquement pour Tudor, sa marque B. Ce qui peut sembler banal était en fait une provocation destinée à l’attention d’Omega et du Swatch group qui voulait dire : Rolex n’a pas besoin d’un sceau officiel pour prouver sa suprématie revendiquée – mais non officialisée – la certification du Master Chronometer étant déjà à la portée de la petite sœur.

Presque deux ans plus tard il n’y a qu’un seul modèle de Tudor qui est certifié Master Chronometer et on peut se demander si cette certification n’avait pour but unique de vouloir prouver à la marque concurrente de Rolex que son excellence chronométrique officiellement certifiée n’était pas aussi exceptionnelle. Sauf que … OMEGA fait certifier 95% de ses mouvements mécaniques (dont 99% sont équipés d’un échappement co-axial) soit 500’000 montres labelisées « Master Chronometer » et le solde étant certifié COSC. Ce qui représente une tout autre performance horlogère et industrielle que les quelques milliers (est. < 5’000 pièces) de montres certifiées par Tudor.

Le défi est lancé et il sera intéressant de voir comment la marque à la couronne va le relever !

 

Speedmaster Super Racing dotée du calibre co-axial master chronometer 9920. Prix public CHF 11’000

 

For the english version : https://watchesbysjx.com/2023/01/omega-spirate-hairspring.html

[1] Pour éluder tout malentendu, un chronomètre est selon le Larousse une « montre de précision réglée dans différentes positions et sous des températures variées, et ayant obtenu un bulletin officiel de marche ». Un chronographe est une « montre de précision, munie d’un compteur qui permet de mesurer et d’afficher des intervalles de temps ». Et pour compliquer le tout un chronographe peut être chronomètre, mais un chronomètre n’est pas forcément un chronographe.

[2] Echappement inventé par l’horloger anglais Georges Daniels et breveté en 1980 et mis au point puis industrialisé par Swatch Group pour sa marque OMEGA et présenté à Baselworld en 1999.

[3] la certification de chronométrie – selon la norme ISO 3159 – par le bureau officiel suisse des chronomètres (COSC) exige des mouvement quartz une déviation maximale de 0,14 s/jour, alors qu’un mouvement mécanique peut se permettre 10 s/jour (+6/-4 sec. /Jour) de déviation, soit un facteur 70.

 

Une année 2022 record pour l’industrie horlogère Suisse

Les exportations horlogères suisses ont une fois encore « explosé les compteurs » en 2022 à CHF 23,7 milliards ce qui représente un record historique et une croissance de 11,6% par rapport à 2021. La croissance est encore plus impressionnante en comparaison de l’année pré-Covid 2019 avec un +15,5% ou CHF 3,2 milliards d’exportations supplémentaires.

Une valeur de vente moyenne qui ne cesse d’augmenter, mais des volumes en chute libre

 Après une chute continue des volumes depuis 20 ans et un plus bas historique à 13,8 millions de montres bracelets exportées en 2020, les volumes ne remontent pas. L’industrie a exporté seulement 15,8 millions de montres – ce qui représente que 49’000 unités ou 0,3% de plus qu’en 2021 – et n’atteint même pas les 16 millions de pièces en 2022, alors qu’en 2000 nous exportions encore 30 millions de montres par année.

Et pire que ça : si on enlevait les volumes de la MoonSwatch qui sont estimés à ~950’000 unités exportées et 1’000’000 d’unités vendues globalement, on peut déduire que nous aurions un déficit de ~900’000 unités par rapport à 2021 !

Lire aussi : LinkedIn : Nick Hayek annonce 1 million de MoonSwatch vendues

Une montre renait de ses cendres grâce à un magnifique coup de pub

 

Une pyramide inversée entre volumes et valeurs exportés

L’industrie horlogère suisse confirme la règle de Pareto (80/20) avec seulement 17% des unités qui engrangent 83% de la valeur des ventes. Ce sont les montres les plus chères qui illustrent ceci de la façon la plus extrême :

  • ~25’000 montres d’un prix public supérieur à CHF 100’000 sur 15,8m (0,2%) génèrent ~CHF 3 milliards du total des exportations (12,5%) !

 

Exportations horlogères en unités par gammes de prix > CHF 2’000 Prix public
© LuxeConsult 2023

 Rien de nouveau sous le soleil, ce sont les marques championnes comme Rolex, Audemars Piguet (record historique des ventes en 2022 grâce au jubilé de son  icône la «Royal Oak »), Patek Philippe, Richard Mille, Tudor, Breitling, Omega et Cartier qui contribuent à la croissance avec « l’anomalie » Swatch et sa MoonSwatch que personne n’attendait.

La seule conclusion à en retirer :

  • À l’exception du phénomène de la MoonSwatch et du Swatch Group au global, le marché de l’horlogerie Suisse est concentré sur une niche avec un prix moyen en constante augmentation depuis 20 ans !

 

Les perspectives 2023 sont contrastée, mais globalement positives

 Avec la réouverture du marché chinois les perspectives de l’industrie du luxe et de l’horlogerie suisse sont portées par beaucoup d’espoir, mais la situation des autres marchés, dont les USA (marché no. 1 en 2022 avec un +26%), va probablement se compliquer. Au final, 2023 devrait être à nouveau une année record avec une croissance qui sera plus modeste (+3-4% en valeur) et encore moins équitablement répartie entre les marques qui surperforment et celles qui auront plus de peine à compenser la baisse que les marchés porteurs en 2022 vont subir. A priori le Swatch Group sera le principal bénéficiaire de cette tendance positive en Chine (-22,5%), car ses deux marques leaders – Omega et Longines – sont les marques no. 1 et 2 respectivement sur ce marché.

Un marché polarisé à l’extrême – 5 marques font 50% des ventes – avec quelques marques de niche parmi les indépendants (< 1% des exportations totales) qui se portent très bien et une marque qui sauve les volumes de toute une industrie, Swatch.

 

Construire et pérenniser une marque de luxe : cas d’étude de marques horlogères suisses (2ème partie)

L’original de cet article a été corédigé avec le professeur Jonathan Zhang de la Colorado State University aux USA et a été publié en anglais sur le site de la Rutgers Business School le 29 novembre 2022[1]. Le texte original en anglais et cette traduction sont soumis au droit d’auteur. Pour en faciliter la lecture la version française sera publiée en plusieurs parties.

Lire également : Construire et pérenniser une marque de luxe (1ère partie)

Pour les marques patrimoniales : trouver des inspirations dans le passé

Alors, comment les marques doivent-elles développer le code et la valeur de la marque ? Une marque qui a une longue histoire peut fouiller dans ses archives et identifier la valeur de la marque et le code de conception qui l’inspirent, peut-être à l’époque de sa création. Cette approche permet à la marque de tirer parti du romantisme d’une époque révolue, puis d’adapter la valeur et le design à l’ère moderne. Par exemple, des marques comme Breguet et Leroy ont eu une histoire illustre en fabriquant des horloges et des montres de poche pour les cours royales et des chronomètres de pont de navire de la fin du XVIIIe siècle aux années 1800. Une histoire aussi riche leur permet de s’inspirer de ce patrimoine pour développer leurs produits actuels – les collections actuelles Marine et Classique de Breguet rappellent en effet le code de conception de la marque dans les années 1800, créant ainsi un lien entre le passé et le présent.

Pour les nouvelles marques, développez un récit avant de vous lancer dans le prototypage !

 Si les marques historiques ont l’avantage de l’histoire, elles peuvent aussi être liées et limitées par leur héritage. En revanche, les marques nouvellement créées ont la liberté de créer leur propre récit, leur valeur et leur code de conception à partir d’une feuille blanche. Pour les propriétaires de marques en phase de démarrage, avant de se lancer dans le prototypage de produits, il est impératif de bien réfléchir à la niche que vous souhaitez occuper, ainsi qu’à la valeur de la marque et au code de conception que vous souhaitez que les consommateurs associent instantanément. Une telle clarté augmentera non seulement les chances de réussite du lancement, mais pourra également guider les stratégies de produit, de communication et d’investissement de l’entreprise pour les années à venir. Dans cet esprit, Richard Mille, une marque lancée il y a seulement 20 ans, a suivi une approche claire avec son thème F1 et s’est ensuite étendue aux thèmes des sports de performance.

En interrogeant des professionnels du secteur, des consommateurs chevronnés et novices, ainsi que d’autres parties prenantes telles que les fournisseurs, les détaillants et la presse, on peut identifier et développer une valeur et un code de marque convaincants. On peut également s’inspirer de catégories adjacentes pertinentes pour la vie des clients cibles, comme les arts, les voyages, les sports et les activités épicuriennes. Ces efforts de préparation peuvent prendre des mois, mais le résultat permettra à l’entrepreneur d’évaluer plus précisément où se trouvent les espaces vierges de la concurrence et la possibilité d’occuper ces espaces à long terme en termes d’investissements nécessaires, de capacités de l’entrepreneur et de réponses potentielles de la concurrence.

D’après nos expériences, trop d’entrepreneurs sont trop pressés de produire un prototype de produit sans faire les devoirs ci-dessus au préalable. Cet état d’esprit “produit d’abord, stratégie ensuite” est l’une des principales causes de l’échec des start-ups, et l’absence d’une stratégie de marque cohérente à long terme peut être particulièrement fatale pour l’industrie du luxe “lourde en capital de marque”.

Dans le cadre de mon activité de conseil pour des marques en devenir, 99% de mes clients sont déjà allés voir un designer pour faire dessiner la montre de leurs rêves. Parfois, le coup de crayon peut se révéler génial, mais dans la grande majorité des cas il faudra inventer des codes et un territoire autour d’un produit et la cohérence de la marque en pâtira ,malheureusement, grandement. Le succès d’une marque récente – lancée en 2001 – et ayant connu un succès phénoménal comme Richard Mille vient à l’appui de ce précepte qui consiste à établir les fondations de la marque avant de réfléchir à la couleur du cadran. Dans cette marque tout – du produit au positionnement prix en passant par son réseau de vente et sa communication (les fameux 4P du marketing, dont nous parlerons dans le prochain chapitre) – a été fait avec une cohérence et une consistance absolue.

[1] RUTGERS BUSINESS REVIEW (2022), VOL. 7, NO. 3, PP- 250-266 https://rbr.business.rutgers.edu/article/building-and-sustaining-luxury-brands-reflections-swiss-watch-industry 

François-Henri Bennahmias annonce son départ d’Audemars Piguet pour fin 2023 après un règne couronné de succès

François-Henri Bennahmias quittera son poste de CEO d’Audemars Piguet à la fin de 2023 après un règne de 11 ans en tant que CEO. Electron libre dans l’industrie qui a osé dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, il a mis le turbo à une marque qui sommeillait un peu et se faisait bousculer par des concurrents plus agressifs.

En 10 ans, la marque a plus que doublé son chiffre d’affaires et sa marge de rentabilité opérationnelle, tout en maintenant la marque rare et attractive pour les clients et les collectionneurs. Le plan marketing et commercial de F-H. Bennahmias ne doit rien au génie, mais tout au bon sens et à sa capacité à fédérer les équipes. Souvent critiquée pour sa dépendance à une seule famille de produits – la légendaire Royal Oak – qui contribue pour plus de 90% à son chiffre d’affaires et encore plus à sa rentabilité, la marque du Brassus a su réinventer un produit phare qui est aujourd’hui une icône dans le monde de l’horlogerie.

A lire : Le Temps Interview de Jasmine Audemars & FH Bennahmias par F. Noghero “François-Henry Bennahmias, l’enfant terrible de l’horlogerie, quittera Audemars Piguet fin 2023”

Les marques sont faites par des humains

Le chemin du succès et les ingrédients clés d’un tel (re)lancement turbo d’une icône horlogère du monde de l’horlogerie sont nombreux mais ils sont tous liés à des facteurs humains. J’aime à dire que les marques sont faites par des humains, et non par des tableurs excel. Dans une marque de luxe, la personnalité du CEO ou du directeur de la création est essentielle pour la promotion de ses valeurs. Bennahmias – une forte personnalité avec des traits de caractère qui pourraient convenir à un boxeur – possède un fort charisme qui lui permet de motiver ses troupes et de montrer la voie. Il a réussi à constituer une équipe de spécialistes de haut niveau dans tous les domaines d’excellence nécessaires pour obtenir le succès que la marque a rencontré. Plutôt enclin à être un showman qu’un manager discret, Bennahmias a parfois surjoué son rôle, mais toujours pour le bien de la marque… du moins dans son propre entendement.

Oser une collaboration entre Marvel et AP, tout en étant une institution datant de 1875 n’aurait pas été mon premier choix pour être franc. Mais le succès et le buzz créés surtout aux USA coupent court à toute discussion sur la pertinence de cette collaboration. La première pièce a été vendue aux enchères pour 5,2 millions de dollars (pour une charité) et les 250 pièces de l’édition limitée dont le prix avait été fixé à 165 000 dollars ont été vendues rapidement.

ROYAL OAK CONCEPT “BLACK PANTHER” FLYING TOURBILLON

 

Un projet avec des fondamentaux sains et solides

Les principaux axes de la reconstruction de la marque depuis 2012 ont été :

une forte poussée sur les ventes avec moins de détaillants et une meilleure disponibilité des produits dans les magasins, tout en gardant une ” rareté raisonnable ” sur les marchés. En quelques années, la marque est passée de 30’000 pièces à 45’000 en 2021 avec l’objectif d’atteindre 65’000 dans les cinq ans (2022 amènera une augmentation à 50’000 montres vendues).

Gérer la rareté sans frustrer vos clients existants est probablement l’exercice le plus difficile à réussir. Lorsque l’on dit aux gens que la liste d’attente n’existe même plus et qu’ils devront attendre probablement des années pour obtenir leur graal, une Royal Oak, la frustration pointe immanquablement …. à moins d’accepter de mettre 3 x le prix retail recommandé.

  • F-H. Bennahmias a récemment déclaré que son objectif était d’allouer au moins 35% aux clients existants de la marque. C’est un objectif noble, mais qui va s’assurer qu’il est atteint ?

un nettoyage de la collection avec l’élimination progressive des collections Millenary et Jules Audemars, qui n’étaient pas de grands succès commerciaux et qui dataient d’une époque où AP cherchait à diversifier son offre de produits.

– la concentration de la famille Royal Oak elle-même – lancée en 1972 avec un concept marketing totalement disruptif (une montre en acier plus chère que l’or) – avec une montée en gamme vers des modèles à plus forte valeur ajoutée.

– une réduction de sa distribution de 75% en moins de 10 ans, passant de 470 détaillants à 120 en 2021. L’objectif est de compter 80 portes dans le monde d’ici 2026, dont environ la moitié seront des magasins appartenant à la marque.

– la création d’un concept de boutiques – les maisons AP – où le visiteur vient non seulement en tant que client, mais surtout en tant qu’invité de la Maison pour prendre un verre, rencontrer d’autres passionnés et pour devenir un ambassadeur de la marque.

– Une communication beaucoup plus claire et pointue sur les valeurs de l’entreprise liées à l’un des berceaux de l’horlogerie, la Vallée de Joux et sa tradition de haute horlogerie. La dernière campagne, avec son slogan ” De l’iconoclaste à l’icône “, résume le chemin parcouru depuis 1972 et le lancement de la Royal Oak jusqu’à son élévation au rang d’icône pour une montre qui – à l’époque – avait osé casser les codes de la haute horlogerie.

des investissements massifs dans les moyens de production, non seulement pour revendiquer le label de manufacture, mais surtout pour renforcer sa légitimité à faire de la haute horlogerie.

– la construction d’un nouveau musée avec une approche totalement moderne, non seulement par son architecture, mais surtout par une scénographie présentant les pièces non pas par quantité, mais montrant l’évolution d’une Maison qui fabriquait surtout des pièces en séries limitées sans volonté de construire une collection, pour devenir finalement une marque mono-produit. (Je recommande vivement le musée AP qui donne le sentiment d’être reçu dans une maison privée, plutôt que dans un musée, en très petit groupe accompagné de guides très compétents https://www.museeatelier-audemarspiguet.com/fr/home.html ).

L’héritage d’un mandat de 11 ans

Le développement de la marque sur 11 ans (jusqu’à fin 2023) fera certainement partie des ” case studies ” dans les écoles de marketing pour illustrer la capacité d’une marque à tout réinventer sans rien changer. Et même si les esprits chagrins évoqueront le lancement quelque peu controversé de la famille de produits Code 11:59, destinée à réduire la dépendance de la marque à sa famille de produits Royal Oak, ils n’auront pas compris que l’effet collatéral aura été d’introduire une toute nouvelle famille de calibres totalement conçus et fabriqués en interne. Le Code 11:59 et ses faibles quantités ont permis à la marque de lancer les 3 nouveaux calibres (six nouvelles références de montres) de manière contrôlée, ce qui n’aurait pas été possible si cela avait été fait avec la famille Royal Oak et ses volumes nettement plus élevés. Les calibres son dorénavant communs aux deux familles de produits.

CODE 11.59 BY AUDEMARS PIGUET PERPETUAL CALENDAR

 

Les ventes de la Code 11:59 ne sont pas encore substantielles, mais certainement substantiellement plus importantes que ses critiques – nombreux et virulents sur les réseaux sociaux lors du lancement – l’envisageaient. Il a fallut revoir la copie sur certains produits, mais AP a démontré sa capacité à s’adapter et son CEO à faire profil bas quand cela s’est avéré nécessaire.

Passer de 630 millions de chiffre d’affaires en 2012 à 2 milliards de francs suisses cette année tout en maintenant la rareté du marché, en renforçant le capital de la marque et en dégageant davantage de marges est un exploit que de nombreux CEO de marques horlogères rêveraient d’accomplir.

Quand les casseurs de codes inventent un nouvel objet horloger

Code41 est le Petit Nicolas de l’horlogerie, en somme le cancre qui vient questionner les bonnes, mais surtout les mauvaises habitudes de l’industrie horlogère. En s’érigeant « briseur de codes » – le concepteur horloger – est souvent perçu par les autres acteurs de l’horlogerie comme un « empêcheur de tourner en rond ».

En lançant d’abord des montres avec des composants asiatiques, afin de pouvoir offrir un beau produit à un prix très accessible, mais surtout en orchestrant une campagne de communication virale, les agitateurs de Code41 ont tout de suite marqué leur terrain. Le concept totalement numérisé a été précurseur dans le monde de l’horlogerie en créant un nouveau business modèle de distribution qui réunit le crowdfunding* et le crowdsourcing**. Plus d’intermédiaires, donc des prix plus intéressants pour le client final et surtout une participation aux choix de design par une communauté composée de 530’000 passionnés après seulement 5 ans d’existence.

Plutôt que de cacher l’origine des composants asiatiques, tout a été déclaré en bonne et due forme lors de la levée de fonds qui a eu lieu sur Kickstarter. Le concept ambitieux de créer une charte de transparence nommée TTO pour « total transparency on origin » (transparence totale sur la provenance) s’est révélé payant. Ce label détaille l’origine et le coût de chaque composant sans rien cacher et visiblement cette transparence est très bien perçue par une communauté de gens à la recherche d’un produit, plutôt que de la valeur statutaire d’une marque.

copyright Code41 : structure de marges habituelles dans l’industrie horlogère

 

copyright Code41 : structure de marges selon Code41

 

Fait en Suisse, mais pas Swiss made

 

X41 avec mouvement automatique masse périphérique Swiss made manufacturé par Timeless Manufacture

Par la suite Code41 s’est aventuré dans la fabrication suisse, mais en renonçant au très controversé Swiss made, en lançant une nouvelle montre, la X41. Motorisée par un mouvement mécanique 100% fait en Suisse par une manufacture indépendante Timeless, dont les composants sont fabriqués à Genève et les mouvements assemblés dans le Jura. Une offre digne de la haute horlogerie avec un remontage par masse périphérique sur un système de roulement à billes unique, et le tout offert à un prix défiant toute concurrence par rapport à un produit comparable…. Et non pas une ébauche fabriquée en Chine et terminée en Suisse pour acquérir légalement – mais pas moralement – le label Swiss made. Les composants fabriqués ailleurs qu’en Suisse sont déclarés en toute transparence. Une façon de faire un pied de nez à un label mal né et qui a ouvert une boîte de Pandore à toutes sortes d’abus.

Lire également : https://blogs.letemps.ch/olivier-muller/2018/04/26/pour-un-swiss-made-horloger-credible-et-honnete/

 

copyright Code41. Détail des coûts et provenance des composants

 

Le Mecascape : une révolution horlogère ?

 

Le Mecascape comme pendulette de bureau
Le Mecascape se glisse dans la poche

Aujourd’hui Code41 lance un nouvel objet qui va détonner dans le monde horloger, car il crée une nouvelle catégorie de produit. Son MECASCAPE, contraction de « mechanical landscape », soit paysage mécanique pour illustrer le fait que le mouvement mécanique par remontage automatique à micro-rotor est décomposé et étiré….. et surtout l’objet ne se met pas au poignet ! Le mecascape se glisse dans une poche ou se pose sur un bureau ou une table de nuit.

Vidéo de la présentation du Mecascape

Est-ce qu’il arrivera à créer une nouvelle catégorie d’objet horloger mécanique comme ses créateurs le revendiquent ? Même si le fait de décomposer et étirer un mouvement a déjà été réalisé par l’horloger indépendant Vincent Calabrese en 1977 et que la marque Corum continue d’exploiter, on peut relever l’audace de Code 41 de réinventer un objet de mesure du temps, plus accessoire qu’instrument. Le design du mecascape est extrêmement plaisant et le choix d’un mouvement mécanique automatique manufacturé en Suisse, comme d’ailleurs l’ensemble des composants, est audacieux. Un ovni horloger conçu comme une œuvre mécanique tridimensionnelle, le mecascape trouvera ses fans.

Son prix n’est pas encore définitif, car le vote de la communauté, qui a pu découvrir cet OVNI horloger lors d’un livestream hier soir, interviendra ultérieurement. On peut estimer qu’il se situera en-dessous de CHF 9’000 pour un objet mécanique 100% Swiss made et dont le design est très disruptif.

Lire également : https://www.letemps.ch/economie/claudio-damore-poignets-aujourdhui-surcharges-tres-convoites

 

* crowdfunding = financement participatif

**crowdsourcing = achat collectif

 

www.mecascape.com

 

La renaissance de Baselworld a été annoncée, mais est-ce une bonne nouvelle ?

Pour commencer par les bonnes nouvelles, les propriétaires de Baselworld, la société MCH, a finalement compris que ce n’était pas une bonne idée d’enterrer une marque forte. Il abandonne donc le nom de HourUniverse, qui était par essence une mauvaise idée, et lance un nouvel événement sous l’ancien nom de BASELWORLD.
MCH a annoncé aujourd’hui que Baselworld serait relancé dans un nouveau format en 2022 et que les dates seraient alignées sur celles de Watches and Wonders (du 30 mars au 5 avril) et se déroulera du 31 mars au 4 avril 2022.

Lire également : https://www.letemps.ch/economie/baselworld-renait-cendres

Les enjeux liés au relancement d’un événement qui a déjà été enterré une fois

Je ne suis pas tout à fait sûr que le management du salon ait enfin compris pourquoi Baselworld s’est arrêté après plus de cent ans d’existence et le dernier salon de 2019. Probablement un mélange d’arrogance et de manque de connexion avec les nouveaux clients qui sont beaucoup plus à la recherche d’une expérience plutôt que d’un salon tape-à-l’œil où les marques se présenteraient comme des icônes de luxe inaccessibles. Une bonne idée pourrait être de se reconnecter avec les vrais clients, les C après les B comme business.

Lire également : https://blogs.letemps.ch/olivier-muller/2019/04/03/baselworld-et-lequation-impossible/

Ce qui a immédiatement retenu mon attention, est le fait que le nouveau Baselworld se positionne comme un salon pour les marques de milieu de gamme et avant tout un salon B2B. La tendance actuelle n’est-elle pas à la vente directe au consommateur (DTC), qui vise à éliminer les trop nombreux intermédiaires qui n’apportent rien – ou pas grand chose – à la table et augmentent les prix de détail ? Sans aucun doute, les ventes de produits de luxe sont liées aux émotions créées par les rencontres avec les gens et les histoires qu’ils ont à vous raconter sur le produit qu’ils vendent. Alors pourquoi limiter l’accès aux nouveautés de la marque aux détaillants plutôt que de laisser le consommateur final – du moins certains d’entre eux – exprimer ses critiques et ses réactions ?

De nouvelles idées pourraient insuffler l’énergie nécessaire à la création d’un nouveau classique annuel.

D’un autre côté, BASELWORLD promet d’être le premier salon à proposer un mélange d’initiatives numériques tout au long de l’année et un roadshow ponctuel dans les points névralgiques à travers le monde. C’est une idée très intéressante que de rapprocher le salon des marchés et de maintenir un certain niveau sonore tout au long de l’année, plutôt que d’essayer de surcharger l’attention une fois par an.

Un autre aspect positif de ce nouveau concept est que la direction du salon a enfin compris qu’une marque “normale” n’a pas les moyens financiers de financer un stand coûtant des centaines de milliers de francs suisses une fois par an. Pour mémoire, les budgets de Baselworld au bon vieux temps se chiffraient en dizaines de millions de francs suisses pour une marque institutionnelle établie…

Est-ce que quelqu’un a encore besoin de rencontres physiques à l’ère des happenings numériques et des réunions quotidiennes de Zoom ?

Oui, nous en avons tous besoin. Si l’on observe des “über marques” comme Apple ou Tesla, on comprend que leurs lancements de produits ou leurs rassemblements annuels sont L’occasion de créer des liens uniques et émotionnels avec leurs fans. Aucun spectacle numérique, virtuel ou de réalité augmentée ne remplacera jamais le caractère unique de la rencontre avec le créateur d’un produit unique tel qu’une montre ou un bijou d’une marque de niche. Tout le reste, vous pouvez l’obtenir avec une carte de crédit comme le disait une célèbre campagne publicitaire ! Les émotions ne peuvent pas être virtuelles et même si l’IA nous guidera de plus en plus vers des campagnes et des expériences clients plus ciblées, les rencontres humaines seront toujours la référence.

Quelles marques et quels publics sont visés par le pas si nouveau Baselworld ?

Sur le terrain des marques horlogères, les intéressés se limiteront aux marques de taille moyenne qui ont besoin de plus d’exposition et de notoriété. Des expositions de ce type, préparées et réalisées de manière professionnelle, peuvent vous faire économiser beaucoup d’argent et de temps que vous passeriez à voyager dans le monde entier, surtout maintenant avec la pandémie de Covid. Le gouvernement chinois vient d’annoncer qu’il allait étendre ses restrictions de voyage pour au moins une année supplémentaire. C’est pourquoi l’idée de Baselworld – qu’elle partage avec le salon genevois Watches and Wonder – d’organiser le salon autour du monde dans des lieux sélectionnés est intelligente. Viser 300 marques – horlogères et joaillières – est un objectif raisonnable pour Baselworld après le pic de plus de 1’500 marques de l’édition 2015.

À côté des marques de luxe du groupe Richemont et des quelques indépendants qui exposent à Watches and Wonders (38 au total pour l’édition 2020), il y a pas mal de marques qui tentent de profiter de la lumière de ce salon. Mais pour trop de marques, principalement les petites, la concurrence est fixée à un niveau inatteignable autour du salon de Genève.

Lire également : https://www.wsj.com/articles/china-to-keep-covid-19-border-restrictions-for-another-year-11624361777

Ma grande interrogation concerne le format d’un salon B2B….. Pourquoi restreindre l’accès de tant de marques et de leurs nouveautés à une foule de professionnels qui sont de moins en moins pertinents pour l’ensemble de l’industrie ? Les détaillants multimarques sont toujours nécessaires, tout comme les journalistes spécialisés “traditionnels” et encore plus les blogueurs et les influenceurs. Mais au bout du compte, nous devons vendre toutes ces montres et pourquoi empêcher ces clients d’accéder à un salon où ils pourraient voir et toucher toutes ces merveilles ?

Osons espérer que Baselworld réussisse sa renaissance en se réinventant comme un pont entre l’ancien et le nouveau monde, offrant aux marques indépendantes une scène décente pour se présenter et se vendre.

 

Hereunder the english version at watchesbysjx.com

Analysis: Baselworld – Back from the Dead

Rolex reste le roi incontesté de l’horlogerie Suisse

 La banque d’affaires Morgan Stanley a publié ce matin son rapport annuel sur l’industrie horlogère et son titre est programme : « King Rolex »*. La marque à la couronne est non seulement la première marque en termes de chiffres d’affaires, mais ensemble avec sa marque sœur Tudor, elle est devenue en 2020 le leader du marché horloger suisse**. Malgré un recul de son chiffre d’affaires de l’ordre de 15% Rolex reste le leader incontesté des montres suisses.

Les exportations horlogères suisses en 2020 ont globalement baissé de 21% en valeur et de 33% en unités.

Quoi de nouveau en 6 points dans un marché en pleine reconfiguration ?

#1 : La polarisation du marché s’est encore accentuée avec quelques marques fortes qui ont réussi à limiter les dégâts, malgré un premier trimestre catastrophique et un mois d’avril à -81% pour les exportations horlogères.

  • Les marques en mains privées ont dans l’ensemble mieux performé que la moyenne du marché avec notamment Audemars Piguet qui enregistre une baisse de 9% de son chiffre d’affaires, mais qui selon CEO a enregistré le meilleur mois de son histoire en octobre 2020 !
  • Tudor a été l’une des rares marques Swiss made à progresser en 2020 et prend des parts de marché à ses concurrents directs, dont TAG Heuer qui a enregistré une baisse 31%.

#2 : la premiumisation*** du marché avec le segment des montres d’un prix public supérieur à CHF 7’000 (CHF 3’000 prix export) qui compte pour 70% de la valeur exportée, mais seulement 10% du volume.

#3 : l’entrée de gamme continue de subir les assauts des montres connectées : en 2020 l’industrie horlogère suisse aura vendu 13,7 millions de montres contre 75 millions de montres connectées. En 2016 la Suisse vendait encore 25 millions de montres, alors que les montres connectées totalisaient 22 millions d’unités.

#4 : deux marques du TOP 50 ont réussi à croître en 2020 : Tudor et Dior. La marque sœur de Rolex récolte les fruits d’une stratégie produits et marque très cohérente. Alors que les montres Dior profitent d’une dynamique de la marque dans le domaine de la maroquinerie tout comme les montres Hermès qui maintient pratiquement ses chiffres par rapport à 2019. Hermès a non seulement nettoyé sa collection et est montée en gamme, mais elle réussit également à vendre de la haute horlogerie à des prix dépassant les CHF 300’000 avec par exemple une montre tourbillon, répétition minutes.

  • Rolex, Audemars Piguet, Cartier, Richard Mille et Breitling réussissent à faire mieux que la moyenne du marché

#5 : le roi incontesté s’appelle ROLEX. Malgré une demande qui ne se dément pas et des primes « coupes files » de 50% à 100% sur le marché gris, la marque à la couronne a décidé l’année passée de réduire sa production de pratiquement 20%. Les clés du succès de Rolex s’expliquent par quelques recettes qui n’ont rien de magique, mais qui sont appliquées avec une consistance et cohérence depuis la naissance de la marque en 1908.

  • Une qualité produit sans cesse améliorée et sans compromis.
  • Le but ultime est la perfection et non pas d’arriver premier. « Don’t be first, but be the best ! ».
  • La communication est toujours restée focalisée sur l’excellence produit.
    • Les sponsorings sportifs sont des animations ponctuelles pour la marque, mais jamais le centre de sa communication. Les ambassadeurs de la marque doivent servir les valeurs de celle-ci.
  • La continuité : le produit évolue, mais pas son identité. Comme Porsche avec sa 911, Rolex sait faire évoluer ses classiques sans jamais les dénaturer.
  • La gestion de la rareté dans l’offre crée la désirabilité. Rolex est l’une des rares marques horlogères à pouvoir se payer le luxe d’avoir des listes d’attente qui se chiffrent en années.
copyright site https://www.chrono24.com

#6 : les marques de niche tirent leur épingle du jeu. H. Moser & Cie avec ses produits et sa communication qui osent la provocation sont un exemple positif des « petits » qui s’en sortent plutôt bien avec une offre originale. Moser a connu la croissance dans un marché en plein marasme en jouant sur l’audace que des groupes cotés en bourse ne peuvent se permettre.

Moser Swiss Alp Watch montre mécanique qui ressemble furieusement à une montre connectée. Le symbole “loading” est en fait une indication des secondes.
  • On pourrait aussi parler de la folie qui s’est emparée de la communauté horlogère après l’annonce de la dernière série des montres Simplicity de l’horloger Philippe Dufour où l’on parle de 4’000 acheteurs pour …. les 10 dernières montres qui se vendront pour un prix dépassant largement le demi-million de francs pour une montre vendue pour CHF 34’000 à ses débuts en 2000 !
Philippe Dufour “Simplicity”. Copyright monochrome-watches.com

 

Mais ceci sont des épiphénomènes – certes réjouissants – à l’échelle d’une industrie qui a perdu la moitié de ses volumes en l’espace de 6 ans !

 

Rolex s’impose comme leader du marché

 Avec une part de marché équivalente au quart du total**, Rolex est le leader incontesté devant Omega qui comptabilise “seulement” un tiers de la valeur de son concurrent direct.

  • les 5 plus grandes marques trustent plus de 50% du marché de la montre suisse
  • 14 marques détiennent les trois-quarts (77%) du marché

 

Lire également : https://www.letemps.ch/economie/rolex-detrone-swatch-group

 

 

 

 

*  Rapport Morgan Stanley (Edouard Aubin, equity analyst, Luxury industry) x Luxeconsult 08.03.2021 basé sur les chiffres d’exportations 2020 « King Rolex ». Ce rapport est destiné aux clients de la banque Morgan Stanley et peut être cité avec les sources correspondantes.

 

** les données du rapport Morgan Stanley sont basés sur les chiffres d’exportations fournis par la fédération horlogère Suisse qui collectent elle-même ces chiffres de l’administration fédérale des douanes. Morgan Stanley calcule les parts de marché en valeur retail (prix de vente public HT) et non pas en chiffres d’affaires ex-usine, car les marques ont des degrés d’intégration de leur retail très divers. Rolex possède une seule boutique dans le monde à Genève, alors que Richard Mille contrôle le 100% de sa vente au détail par des boutiques qu’elle possède en propre ou par joint-venture avec un détaillant.

 

*** la premiumisation est un anglicisme qui consiste à décrire l’effet de levier obtenu par un positionnement prix plus élevé donnant un avantage concurrentiel pour des produits de luxe.

 

2020 une année à oublier pour l’horlogerie Suisse

La polarisation du marché horloger se confirme avec des chiffres d’exportations globalement en baisse et des volumes en chute libre

La fédération de l’industrie horlogère suisse annonce ce matin des chiffes pour 2020 qui sont mauvais, voire catastrophiques concernant le nombre de montres exportées. Avec 13,7 millions de montres exportées (- 33%) et 2,8 millions de mouvements, nous sommes descendus à un volume inégalé depuis 1939 ! Le chiffre d’affaires est certes en forte baisse à CHF 16,9 milliards ( – 21,8%), mais à mettre en perspective avec les CHF 10,2 milliards de 2000.

Personne ne s’attendait à un miracle, mais 2020 a été une rude épreuve pour les économies avec des fermetures de magasins, des arrêts d’activités complets et une remise en question de certains modèles économiques. L’horlogerie suisse a souffert avec une dégringolade des chiffres des ventes dans le premier semestre avec son marché le plus important – la Chine – confiné et des ventes quasiment inexistantes. Dès mi-mars les ventes sur le marché chinois ont inversé la tendance, mais ce sont les autres marchés qui ont commencé à plonger.Le fond a été atteint en avril avec – 81% par rapport à l’année précédente.

Moyenne mobile 12 mois.
Copyright Fédération de l’industrie horlogère Suisse FH, 01.2021

 

Des inégalités géographiques….

 Tout le monde sait que le marché du luxe dans sa globalité dépend de façon sur proportionnelle des marchés asiatiques et en premier lieu de la Chine. L’horlogerie ne fait pas exception dans ce tableau et dépend même plus du marché chinois que les autres segments du luxe avec 14%, voire 24% en incluant Hong-Kong. Un quart de nos ventes d’horlogerie sont faites à des clients chinois et 54% au total à des clients asiatiques. A ce titre l’année 2020 est un bon indicateur avec des ventes quasi inexistantes à des touristes asiatiques – qui Covid oblige – restent dans leur pays. Le marché chinois a été quasiment le seul marché de croissance pour l’horlogerie suisse* avec un plus de 20% par rapport à 2019 et même de + 39% comparativement à 2018.

La société de conseil Bain & Co. prédit que 90% de la croissance de l’industrie du luxe viendront de la Chine dans les 5 à 10 ans à venir ! On peut donc comprendre que les marques horlogères suisses soient particulièrement actives et présentes sur ce marché. Les deux marques les plus importantes du Swatch Group – Omega et Longines – sont d’ailleurs leaders sur ce marché depuis bientôt 25 ans. A l’inverse Patek Philippe – 5ème marque horlogère Suisse selon le classement annuel publié par Morgan Stanley** et surtout la plus prestigieuse – ne possède que deux points de ventes en Chine continentale. Ceci peut paraître curieux, mais dénote d’une grande prudence dans la pondération du risque face à des marchés qui peuvent parfois se montrer volatils.

Copyright Fédération de l’industrie horlogère Suisse FH, 01.2021

 

 … et des fortes inégalités entre marques

 Le luxe en général, mais l’horlogerie suisse de façon extrême, est un marché fortement polarisé. Peu de marques occupent une place prépondérante dans l’industrie horlogère et elles sont caractérisées par les paramètres suivants** :

  • Les marques à forte notoriété bénéficient d’une croissance exponentielle dans un marché haussier due à leur capacité d’investissement dans leur communication, le développement de nouveaux produits et de nouveaux marchés. Mais également dans un marché baissier où elles profitent d’un repli des marchés sur des marques institutionnelles, considérées comme moins risquées par les détaillants et les clients finaux. Quand l’avenir est incertain on préfère les valeurs sûres.
  • Les marques fortes possèdent une position dominante avec 5 marques (sur approx. 300 marques Swiss made actives) qui trustent 50% du marché horlogers et seulement 28 marques pour 90% du marché.
  • Les leaders génèrent une rentabilité avec un taux de croissance plus important que celui de leur chiffre d’affaires : non seulement elles grandissent plus vite, mais elles deviennent de plus en plus rentables.
  • Et fait unique dans l’industrie du luxe, les marques horlogères en mains privées sont plus rentables que celles détenues par des groupes cotés en bourse ! Quatre marques : Rolex (fondation Wilsdorf), Patek Philippe (famille Stern), Audemars Piguet (3 familles détiennent la majorité) et Richard Mille (Audemars Piguet et deux associés, dont M. Mille) détiennent 35% des ventes, mais surtout 59% des bénéfices réalisés par l’industrie!

 Les marques fortes ont probablement mieux résisté à la baisse généralisée du marché l’année passée avec le CEO d’Audemars Piguet qui annonçait une baisse pour 2020 contenue entre 8 et 9%. Et ce comparé avec une année 2019 record à CHF 1,235 milliards. Par ailleurs le mois d’octobre 2020 – en pleine pandémie, mais aidé par un effet de rattrapage a été le meilleur mois de l’histoire de la marque !

On peut supposer que Rolex (malgré une réduction substantielle de sa production), Patek Philippe, Omega, Tudor et Richard Mille ont mieux performé que la moyenne du marché.

 

L’exception des marques de niches

Les grands « clusters « de marques fortes créent aussi des appels d’air pour des marques avec des positionnements de niches dans tous les segments de prix. Ceci sont les exceptions à la règle édictée ci-dessus qui dit que les champions ramassent tout (« the winner takes it all ! »). Les artisans horlogers tels que Kari Voutilainen, Philippe Dufour, le duo Petermann Bédat et les marques de niche comme De Béthune, H. Moser ou MB&F ont de belles perspectives dans un marché de collectionneurs et de passionnés d’horlogerie.

 

Décrochage de l’entrée de gamme

 Et au risque de me répéter : l’industrie horlogère suisse a raté le marché des montres connectées dominé par Apple (55% de parts de marché estimées), Samsung et quelques fabricants chinois. Ceci a conduit à une forte baisse des volumes de montres vendues dans l’entrée de gamme jusqu’au milieu de gamme inférieur (de CHF 50 à CHF 1’000 prix publics). On peut voir sur le graphique ci-dessous que les gammes de prix allant de CHF 50 à CHF 1’000 francs (prix exports à multiplier par un facteur de 2,5 x pour arriver au prix publics) ont largement plus souffert que les gammes de prix entre CHF 4’000 et CHF 20’000 et entre CHF 40’000 et CHF 100’000.

La suisse est non seulement en train de perdre la guerre des poignets de l’entrée de gamme, mais en plus sa sous-traitance horlogère est mise à rude épreuve avec une dégringolade des volumes de composants fabriqués. 30 millions de montre exportées en 2000, 20 millions en 2019  ( – 3,1 millions vs. 2018) et 13,7 millions l’année passée.

 

*les deux autre marchés ayant connu une croissance sont l’Irlande (+611%) pour des raisons fiscales qui n’ont rien à voir avec une croissance réelle du marché local et Oman (+73%) pour d’autres raisons.

** Rapport Morgan Stanley (Edouard Aubin, equity analyst, Luxury industry) x Luxeconsult 12.03.2020 basé sur les chiffres d’exportations 2019 « Swiss watches : Polarisation accelerates further »

 

Hereunder for the English version :

State of the Industry: A Year to Forget for Swiss Watchmaking

Quand la montre la plus désirée du marché devient une icône inaccessible

Lorsque le patron de Patek Philippe – Thierry Stern – évoquait pour la première fois dans une interview – la sortie de collection de sa meilleure vente j’ai cru à une intox. Même si la marque ne l’a pas encore officiellement confirmé, le modèle mythique Nautilus 5711/1A-10 (les collectionneurs raffolent de références qu’ils vous récitent comme un mantra) va disparaître de la collection malgré des listes d’attente longues de … 12 ans !

Ceci dit M. Stern ne prend pas un risque hors normes, car cette référence sera très probablement remplacée rapidement par une nouvelle qui gommera les quelques « désavantages » du modèle existant.  Un bracelet et une boucle perfectibles pour une montre de ce prix avec peut-être aussi un stop-secondes que l’on trouve sur des montres de marques plus accessibles. Et une taille éventuellement légèrement agrandie serait plus dans l’air du temps.

 

La naissance d’une icône à contre-courant de la tendance

 La Nautilus a été dessinée par le designer de légende – Gerald Genta – qui est également le père d’une autre montre mythique, la Royal Oak d’Audemars Piguet. Ce qui est très intéressant à relever est le fait que ces deux références étaient totalement à contre-courant d’une horlogerie plutôt portée sur des canons esthétiques très classiques et qui privilégiait l’or pour légitimer le produit. Or en 1972 quand la Royak Oak est lancée c’est un pari esthétique et commercial, car elle censée conquérir un nouveau marché dans le haut de gamme : une montre sportive en acier au design reconnaissable à dix mètres avec une lunette octogonale avec des vis apparentes. Chez Patek Philippe on comprend très vite que malgré le démarrage commercial plutôt lent de la Royal Oak, ce segment prend rapidement de l’importance et en 1976 Patek lance sa Nautilus.

Un design tranchant avec également une lunette octogonale et un bracelet acier intégré, mais un peu plus de rondeur pour la Nautilus. Le design qui reprend tous les codes des années 1970 avec notamment un magnifique cadran texturé de lignes horizontales qui permet à la couleur bleue de prendre des reflets dégradés selon la prise de lumière au gré de la position du poignet du porteur.

Pour faire court, les deux montres concurrentes sont devenues des objets mythiques et inspirent encore aujourd’hui les grandes tendances esthétiques. Nous avons pu voir ces deux dernières années un florilège de montres fortement inspirées des deux produits leaders avec un bracelet métal intégré, un cadran bleu et une esthétique de boîtier assez tranchante.

Une prise de valeur impressionnante….

 Le prix de vente officielle d’une Nautilus en acier est de CHF 28’500, alors que son prix de revente sur le marché secondaire était de CHF 70’000 soit 2,5 fois ! Depuis la confirmation officieuse de la sortie de collection de cette Nautilus les prix se sont envolés à plus de CHF 100’000 soit 50% d’augmentation ou une plus-value de 250% par rapport au « prix de vente officiellement recommandé (SRP) » !

Les experts s’accordent sur une estimation d’une fourchette de prix entre CHF 130’000 à 150’000 (+425% vs. SRP) à court et moyen terme ! Ce n’est pas encore le bitcoin, mais admettez qu’il est plus probable que vous trouviez un acheteur pour votre Patek Philippe Nautilus 5711-A dans 5 ans que pour vos bitcoins … à la valorisation actuelle !

Pour rebondir sur l’exemple de mon article en référence ci-dessous et datant de 2019, la double signature Tiffany sur une Patek Philippe est devenue encore plus désiré avec des prix qui s’envolent. Une montre qui se vendait encore USD 75’000 sur le marché secondaire (SRP USD 30’000) vaut désormais plus de USD 250’000 soit plus de 8 x le prix public recommandé.

Lire également : https://blogs.letemps.ch/olivier-muller/2019/10/28/11-ans-pour-obtenir-sa-montre-de-reve-est-ce-bien-raisonnable/

 

Source site www.chrono24.com données du 25.01.2021; évolution du prix de revente Patek Philippe Nautilus en acier réf. 5711/1A-010. Période mai 2013 – janvier 2021

 

Evolution du prix période 25 décembre 2020 au 25 janvier 2021

 

…. et beaucoup d’acheteurs potentiels frustrés

 

Je me suis posé la question pour ces milliers d’acheteurs potentiels d’une Nautilus qui garnissent les carnets de commandes de la marque pour les prochains 12 ans et à qui on a dit, après par exemple 6 ans d’attente, « Circulez, il n’y a rien à voir ! » …. Comment vont-ils réagir ? Se fâcher avec une marque qu’ils considèrent – à juste titre comme la Rolls de l’horlogerie – et se tourner vers une marque concurrente, à toute hasard, Audemars Piguet ? Ou attendre la nouvelle Nautilus qui portera très probablement la référence 6711 ?

 

Ce qui m’a le plus intrigué dans cette histoire n’est pas le fait que Patek Philippe décide de sortir son produit phare (elle en a certes d’autres !) de sa collection, mais le fait que la communication autour de cette décision assez téméraire soit entièrement assurée par les réseaux sociaux et non par la marque elle-même. Certes les premières rumeurs datent d’une interview donnée par M. Stern en décembre 2019 au magazine GQ dans laquelle il constatait – à juste titre – que le succès d’une marque ne pouvait pas reposer sur un seul modèle et que la Nautilus avait été suffisamment vendue pour pouvoir passer à autre chose. En répondant à la question si la marque ne perdait pas des clients en limitant la quantité de montres produites, le CEO de Patek répond avec franchise. « Je ne pourrai jamais être Rolex, en produisant de plus grandes quantités, et je ne le veux pas. Nous aurions du succès, mais nous ne serions pas Patek Philippe. »

Mais de là à entretenir une complète opacité sur la suite il y a une marge d’amélioration de la communication de la marque qui est substantielle et potentiellement bénéfique. Je pense qu’à l’époque des réseaux sociaux et de leur capacité à lancer des rumeurs infondées (ex. le rachat maintes fois annoncé de Patek Philippe), il vaut mieux qu’une maison de luxe reste maître des messages qu’elle souhaite faire passer.

Un nouveau « case study » pour les écoles de marketing

 J’ai le privilège d’enseigner ponctuellement quelques règles de marketing à de jeunes étudiants et je suis ravi de pouvoir ajouter ce cas de « phase-out » sans annoncer le lancement (phase-in) du modèle de substitution. Non seulement la marque réussit à créer le buzz chez tous les collectionneurs de montres, mais elle garde le statut d’une marque de luxe absolu qui peut se permettre de choisir ses clients.

 

Remarque : l’augmentation phénoménale des prix de vente sur la Nautilus ne profite aucunement – en termes de chiffre d’affaires – à Patek Philippe qui continue de vendre au prix public de CHF 28’500 ce qui permet déjà de générer une marge très confortable. Mais l’augmentation phénoménale de la demande profite bien sûr de l’augmentation de la « brand equity » : « la capacité future d’une marque à générer un surplus de bénéfices du seul fait de son nom… dans l’esprit du client »*

*Les marques « Capital de l’entreprise » par Jean-Noël Kapferer, Ed. Eyrolles, 2007, p. 276 et ss.

 

Hereunder for the English version :

Editorial: When the Most Desirable Watch Become an Inaccessible Icon