François-Henri Bennahmias annonce son départ d’Audemars Piguet pour fin 2023 après un règne couronné de succès

François-Henri Bennahmias quittera son poste de CEO d’Audemars Piguet à la fin de 2023 après un règne de 11 ans en tant que CEO. Electron libre dans l’industrie qui a osé dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, il a mis le turbo à une marque qui sommeillait un peu et se faisait bousculer par des concurrents plus agressifs.

En 10 ans, la marque a plus que doublé son chiffre d’affaires et sa marge de rentabilité opérationnelle, tout en maintenant la marque rare et attractive pour les clients et les collectionneurs. Le plan marketing et commercial de F-H. Bennahmias ne doit rien au génie, mais tout au bon sens et à sa capacité à fédérer les équipes. Souvent critiquée pour sa dépendance à une seule famille de produits – la légendaire Royal Oak – qui contribue pour plus de 90% à son chiffre d’affaires et encore plus à sa rentabilité, la marque du Brassus a su réinventer un produit phare qui est aujourd’hui une icône dans le monde de l’horlogerie.

A lire : Le Temps Interview de Jasmine Audemars & FH Bennahmias par F. Noghero “François-Henry Bennahmias, l’enfant terrible de l’horlogerie, quittera Audemars Piguet fin 2023”

Les marques sont faites par des humains

Le chemin du succès et les ingrédients clés d’un tel (re)lancement turbo d’une icône horlogère du monde de l’horlogerie sont nombreux mais ils sont tous liés à des facteurs humains. J’aime à dire que les marques sont faites par des humains, et non par des tableurs excel. Dans une marque de luxe, la personnalité du CEO ou du directeur de la création est essentielle pour la promotion de ses valeurs. Bennahmias – une forte personnalité avec des traits de caractère qui pourraient convenir à un boxeur – possède un fort charisme qui lui permet de motiver ses troupes et de montrer la voie. Il a réussi à constituer une équipe de spécialistes de haut niveau dans tous les domaines d’excellence nécessaires pour obtenir le succès que la marque a rencontré. Plutôt enclin à être un showman qu’un manager discret, Bennahmias a parfois surjoué son rôle, mais toujours pour le bien de la marque… du moins dans son propre entendement.

Oser une collaboration entre Marvel et AP, tout en étant une institution datant de 1875 n’aurait pas été mon premier choix pour être franc. Mais le succès et le buzz créés surtout aux USA coupent court à toute discussion sur la pertinence de cette collaboration. La première pièce a été vendue aux enchères pour 5,2 millions de dollars (pour une charité) et les 250 pièces de l’édition limitée dont le prix avait été fixé à 165 000 dollars ont été vendues rapidement.

ROYAL OAK CONCEPT “BLACK PANTHER” FLYING TOURBILLON

 

Un projet avec des fondamentaux sains et solides

Les principaux axes de la reconstruction de la marque depuis 2012 ont été :

une forte poussée sur les ventes avec moins de détaillants et une meilleure disponibilité des produits dans les magasins, tout en gardant une ” rareté raisonnable ” sur les marchés. En quelques années, la marque est passée de 30’000 pièces à 45’000 en 2021 avec l’objectif d’atteindre 65’000 dans les cinq ans (2022 amènera une augmentation à 50’000 montres vendues).

Gérer la rareté sans frustrer vos clients existants est probablement l’exercice le plus difficile à réussir. Lorsque l’on dit aux gens que la liste d’attente n’existe même plus et qu’ils devront attendre probablement des années pour obtenir leur graal, une Royal Oak, la frustration pointe immanquablement …. à moins d’accepter de mettre 3 x le prix retail recommandé.

  • F-H. Bennahmias a récemment déclaré que son objectif était d’allouer au moins 35% aux clients existants de la marque. C’est un objectif noble, mais qui va s’assurer qu’il est atteint ?

un nettoyage de la collection avec l’élimination progressive des collections Millenary et Jules Audemars, qui n’étaient pas de grands succès commerciaux et qui dataient d’une époque où AP cherchait à diversifier son offre de produits.

– la concentration de la famille Royal Oak elle-même – lancée en 1972 avec un concept marketing totalement disruptif (une montre en acier plus chère que l’or) – avec une montée en gamme vers des modèles à plus forte valeur ajoutée.

– une réduction de sa distribution de 75% en moins de 10 ans, passant de 470 détaillants à 120 en 2021. L’objectif est de compter 80 portes dans le monde d’ici 2026, dont environ la moitié seront des magasins appartenant à la marque.

– la création d’un concept de boutiques – les maisons AP – où le visiteur vient non seulement en tant que client, mais surtout en tant qu’invité de la Maison pour prendre un verre, rencontrer d’autres passionnés et pour devenir un ambassadeur de la marque.

– Une communication beaucoup plus claire et pointue sur les valeurs de l’entreprise liées à l’un des berceaux de l’horlogerie, la Vallée de Joux et sa tradition de haute horlogerie. La dernière campagne, avec son slogan ” De l’iconoclaste à l’icône “, résume le chemin parcouru depuis 1972 et le lancement de la Royal Oak jusqu’à son élévation au rang d’icône pour une montre qui – à l’époque – avait osé casser les codes de la haute horlogerie.

des investissements massifs dans les moyens de production, non seulement pour revendiquer le label de manufacture, mais surtout pour renforcer sa légitimité à faire de la haute horlogerie.

– la construction d’un nouveau musée avec une approche totalement moderne, non seulement par son architecture, mais surtout par une scénographie présentant les pièces non pas par quantité, mais montrant l’évolution d’une Maison qui fabriquait surtout des pièces en séries limitées sans volonté de construire une collection, pour devenir finalement une marque mono-produit. (Je recommande vivement le musée AP qui donne le sentiment d’être reçu dans une maison privée, plutôt que dans un musée, en très petit groupe accompagné de guides très compétents https://www.museeatelier-audemarspiguet.com/fr/home.html ).

L’héritage d’un mandat de 11 ans

Le développement de la marque sur 11 ans (jusqu’à fin 2023) fera certainement partie des ” case studies ” dans les écoles de marketing pour illustrer la capacité d’une marque à tout réinventer sans rien changer. Et même si les esprits chagrins évoqueront le lancement quelque peu controversé de la famille de produits Code 11:59, destinée à réduire la dépendance de la marque à sa famille de produits Royal Oak, ils n’auront pas compris que l’effet collatéral aura été d’introduire une toute nouvelle famille de calibres totalement conçus et fabriqués en interne. Le Code 11:59 et ses faibles quantités ont permis à la marque de lancer les 3 nouveaux calibres (six nouvelles références de montres) de manière contrôlée, ce qui n’aurait pas été possible si cela avait été fait avec la famille Royal Oak et ses volumes nettement plus élevés. Les calibres son dorénavant communs aux deux familles de produits.

CODE 11.59 BY AUDEMARS PIGUET PERPETUAL CALENDAR

 

Les ventes de la Code 11:59 ne sont pas encore substantielles, mais certainement substantiellement plus importantes que ses critiques – nombreux et virulents sur les réseaux sociaux lors du lancement – l’envisageaient. Il a fallut revoir la copie sur certains produits, mais AP a démontré sa capacité à s’adapter et son CEO à faire profil bas quand cela s’est avéré nécessaire.

Passer de 630 millions de chiffre d’affaires en 2012 à 2 milliards de francs suisses cette année tout en maintenant la rareté du marché, en renforçant le capital de la marque et en dégageant davantage de marges est un exploit que de nombreux CEO de marques horlogères rêveraient d’accomplir.

Olivier R. Müller

Passionné de mécanique et de design, Olivier R. Müller évolue dans le monde de la haute horlogerie depuis 25 ans. Au fil de son parcours, il a acquis de solides compétences en management et en développement de produit auprès de prestigieuses maisons horlogères suisses en évoluant à des postes clés. Aujourd’hui il conseille dans le cadre de LuxeConsult des marques horlogères institutionnelles ou niches dans leur stratégie marketing.