Ce qui me passionne le plus avec le petit monde de l’horlogerie est l’incroyable capacité d’adaptation du discours dans un temps record. Il y encore quelques semaines beaucoup de visiteurs et exposants de Baselworld se préparaient à aller à Bâle une dernière fois avant le tomber de rideau final sur un salon dont plus personne ne comprenait l’utilité. Puis – et là j’anticipe déjà l’épilogue – tout s’est passé différemment que prévu…. Les exposants sont sortis pour certains avec un grand sourire, les “influenceurs” étaient contents de se photographier mutuellement pour leurs stories Instagram (les montres ne sont qu’un prétexte pour se retrouver !) et la direction du salon était soulagée d’avoir sauvé les meubles.
Baselworld 2019 et le récit du sauvetage d’une tradition devenue ringarde
Je ne vais pas refaire la chronologie de la descente aux enfers d’un salon qui s’est cru tout permis pendant des années en considérant ses clients/exposants comme un marché captif en leur imposant des prix en aucune commune mesure avec les prestations offertes et les traitant avec dédain. Ni relever les prix de la saucisse à rôtir la plus chère au monde et encore moins parler d’un espresso à CHF 5,50 pris dans les courants d’air sous le fameux “t… de Bâle” de Herzog&de Meeuron et éluder le scandale de la chambre de l’hôtel 1* à CHF 200 la nuit.
Lire aussi : https://blogs.letemps.ch/olivier-muller/2018/10/18/comment-tuer-la-poule-aux-oeufs-dor-ou-la-fin-de-baselworld/
Parlons plutôt de la “vision” du nouveau management de la foire qui se projette dans l’ère digitale et qui annonce un Baselworld 2020 avec un format totalement novateur. Avec des animations, des discussions et des présentations pour offrir autre chose aux visiteurs que des stands “bunkerisés” totalement fermés pour le quidam lambda et avec des vitrines qui présentent à peu près la même chose que la vitrine d’un détaillant multi-marques quelque part dans le monde.
Donc Baselworld 2.0 qui cette année a osé l’audace de créer un incubator (“Watch Incubator”) aussi vivant et animé (…) que les stands du salon des inventions de Genève avec quelques tables posées dans un couloir menant aux WC (paramètre potentiellement porteur de trafic visiteurs !). Bien sûr sans aucune signalétique pour le visiteur pour que celui-ci ait la motivation de faire un jeu de pistes ou une escape game en devinant le parcours lui-même !
J’ai même eu de la compassion pour certains exposants, majoritairement asiatiques, qui se sont retrouvés “parqués” dans une halle 4.0 aussi morne qu’une salle des fêtes un lundi matin.
Mais relevons aussi les points positifs : la disparition de l’immense stand de Swatch Group dans la halle 1 a permis aux organisateurs d’exprimer tous leurs talents d’habilleurs de l’espace. Le centre de presse était gigantesque et très bien équipé, bordé d’une allée d’arbres ! J’aimerais proposer aux organisateurs d’ajouter une piste de pétanque et éventuellement un bassin pour en faire réellement une belle place à vivre.
Plus sérieusement la dégringolade du nombre d’exposants de 2’500 à 500 (avec le stand qui vend les Läckerli à la sortie ?) a fait que la visite du salon était plus agréable avec beaucoup moins de monde. Et ceux qui se réjouissaient de l’affluence de la halle 1 n’ont probablement pas compris qu’avec la fermeture de la halle 2 la concentration était plus importante à certains endroits à certaines heures.
Baselworld 2020 et une nouvelle conception d’un salon 4.0
Je rejoins entièrement certaines critiques formulées avant et après Bâle qui critiquent notamment:
- le timing : un salon fin avril, début mai fait-il sens ? Tout le monde sait que les pics de ventes dans l’année sont en fin d’année et pendant le nouvel an chinois, donc contrairement à l’avis de certains journalistes ou observateurs je ne pense pas que janvier soit le meilleur moment dans l’année. Pourquoi ne pas profiter de la trêve des confiseurs pendant les vacances horlogères en été ? Ah oui….. les détaillants et les journalistes sont à la plage.
- le format : mercredi à mardi ? Je n’ai jamais compris pourquoi à Bâle le calendrier hebdomadaire occidental n’était pas respecté. Et si on faisait lundi à vendredi pour les professionnels pour ouvrir le salon au public pendant le weekend ? Et offrir des tickets à CHF 10 par adulte et gratuits pour les enfants ? Finalement ce sont des clients potentiels ou futurs.
- le concept : j’espère vraiment que Baselworld a compris qu’il faut segmenter l’offre et offrir un contenu intéressant aux nouveaux consommateurs. Quand ils auront compris que les artisans horlogers, les micro-marques et les indépendants font partie du même microcosme, alors les visiteurs pourront comprendre qui est qui. Cette année encore il fallait chercher entre la halle “Les Ateliers”, l’AHCI (tribu de créateurs horlogers indépendants parfois plus intéressés à échanger entre eux qu’avec des intrus) et la ruche incubatrice de micro-marques qui est en soi une bonne idée.
Lire également : https://www.letemps.ch/economie/baselworld-se-meurt-vive-baselworld
Lire également : Businessmontres.com / G. Pons / 30.03.19
Un futur pour un lieu d’échange et de communication comme Baselworld ?
J’en suis convaincu, même si Baselworld me fait peur lorsqu’elle essaie de faire du mimétisme sur des salons de high-tech. J’ai eu la chance cette année de me balader avec deux jeunes entrepreneurs de la génération millennials, chacun suffisamment fortunés pour acquérir des montres à des prix à 6 chiffres, qui me faisaient part de leur crainte de voir Baselworld devenir un nouveau CES (salon de l’électronique à Las Vegas) ! Oui, et ça c’est la bonne nouvelle du jour à part les magnifiques montres que nous avons vues chez les uns et les autres (n’en déplaisent aux rabats-joies qui vous disent 15 minutes après l’ouverture du salon qu’il n’y a rien à voir !) : la jeune génération de clients de l’horlogerie suisse a les mêmes attentes que la génération précédente. Elle est en quête d’authenticité, de créativité et de savoir-faire ! J’ai vu sur le visage de mes deux accompagnateurs du bonheur lorsque Kari Voutilainen ou Romain Gauthier leur expliquaient la naissance d’une montre dans un atelier d’horlogerie.
Lire également : https://www.letemps.ch/opinions/baselworld-sest-offert-patience-marques
Intéressant. Il manque peut-être aux horlogers le talent de Porsche 911 pour faire évoluer leurs modèles amiraux dans le (garde)-temps, plus qu’un salon?