La sagesse de l’initiative populaire

Les résultats des votations de ce weekend sont conformes à ce que prédisaient les sondages. Est-ce là que se calfeutre le miracle des résultats enregistrés ? Loin de là, évidemment. Mais miracle il y a quand même lorsque l’on examine les objets qui étaient soumis à la sagacité du citoyen électeur.

Trois objets au programme, tous susceptibles de prêter le flanc à des réactions émotionnelles ravageuses : qui peut décemment s’opposer à une transition des processus économiques vers une compatibilité plus forte avec les exigences d’un environnement climatique dégradé ? Qui peut s’horrifier d’une augmentation du revenu des personnes vivant de l’AVS ? Qui, enfin, peut accepter sans rechigner que l’Etat, au nom de la chasse aux brigands en tous genres qui hantent note planète, s’autorisent d’audacieuses intrusions dans les vie privée des honnêtes gens ?

Et pourtant le peuple a répondu qu’il n’était pas intéressé aux cadeaux ques initiants et référendaires, en général issus du même camp lui offraient. En aucun cas saisi d’une nouvelle crise de masochisme, ce masochisme que d’aucuns croient déceler lorsqu’il refuse le salaire minimum ou la baisse du temps de travail, il ne s’est tout simplement pas laissé duper par des promesses lancées à la légère…

Alors que l’initiative AVS+ tissait des plans sur une comète fort filante en snobant allègrement les réalités chiffrées d’un inexorable vieillissement démographique, l’initiative en faveur d’une économie verte proposait exactement ce que le référendum contre la loi sur le renseignement entendait proscire… et quand bien même les partisans d’un économie « écologisée » se trouvaient en général parmi les adversaires les plus résolus de l’Etat « fouineur » : organiser une intervention accrue de l’Etat dans la sphère privée.

Comment en effet réclamer une bureaucratie renforcée pour imposer un radicale réorientation des modes production industriels en vigueur en Suisse et en même temps s’offusquer de mesures pourtant entourées de multiples cautèles qui permettaient à la police d’améliorer une action sécuritaire que nombre de personnes reprochent aux autorités d’avoir trop longtemps négligée ? Comment enfin vouloir imposer de nouvelles taxes aux entreprises, demandées par les écologistes, et simultanément augmenter les rentes vieillesse, exigées par les syndicats ?

Le peuple a refusé de se laisser piéger par tant de contradictions. Mais cette sagesse constitue surtout un nouveau plaidoyer en faveur de la démocratie semi-directe telle qu’elle est pratiquée en Suisse et qui est si souvent priée de se présenter sur le banc des accusés. Voilà le « miracle » de ce weekend de votation ! La capacité du peuple suisse à trier dans des propositions certes toutes plus alléchantes les unes que les autres, mais peut-être redoutables dans leurs effets à long terme, doit faire réfléchir.

Il est toujours confortable de crier au populisme ou à l’immaturité d’un peuple qui se laisserait si facilement abusé lorsque les résultats ne correspondent pas à nos attentes. Les récentes, et réellement malheureuses, initiatives relatives à l’immigration ou aux relations avec l’étranger ont souvent susciter des réactions désespérées de la part de maints observateurs de la scène politique suisse.

Mais les résultats de ce weekend nous obligent une fois de plus à un exercie très peu prisé en réalité : accepter de renverser la question et ausculter la volonté populaire jaillissant de scrutins contestés pour ce qu’elle dit. Au-delà de jugements de valeur régulièrement assénés mais révélant sutrout  une certaine paresse intellectuelle, les résultats même déplaisants dévoilent une logique qui, refoulée dans les zones scabreuses d’un « populisme » privé de définition cohérente, ne reste que plus opaque.

Les votations soulèvent toutes de vrais problèmes, qu’il convient d’aborder frontalement sans se réfugier derrière quelques idées trop vite reçues et trop vite digérées… Surtout que le système dispose de mécanismes d’auto-régulation. Ce qui sort des urnes constitue à des signaux dont le monde politique doit s’emparer. Ce qu’il fait bien, par le truchement de l’organe parlementaire, quoi qu’en disent ceux qui croient opportun de toiser des partis politique accusés de vivre reclus dans un univers hors-temps.

La vie politique suisse vit au rythme des impulsions que lui donne le peuple à travers les instruments de la démocratie semi-directe. Et si le « peuple » s’estime trahi, il possède les moyens de revenir à la charge. Dans ce sens, à propos de la si délicate initiative dite contre l’immigration de masse, tant le Parlement que le Conseil fédéral ont raison d’oser des solutions peut-être hardies au regard strict du texte de la Constitution.

On sait que les objectifs de ce texte ne sont pas exempts de contradictions, le chemin à emprunter ne peut être que tortueux. Mais il est erroné de crier au mépris du peuple : celui-ci pourra recourir au référendum. Cette procédure aurait assurément le mérite de clarifier la situation !

Olivier Meuwly

Docteur en droit et ès lettres, Olivier Meuwly est auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'histoire suisse, l'histoire des partis politiques et l'histoire des idées. Auteur notamment d'une biographie du Conseiller fédéral Louis Ruchonnet (1824-1893) et de l'ouvrage: «La droite et la gauche: Hier, aujourd'hui, demain». Essai historique sur une nécessité structurante (2016). Son dernier livre: "Une histoire de la démocratie directe en Suisse" (2018).

3 réponses à “La sagesse de l’initiative populaire

  1. Vous avez proposez que, en cas de conflit entre une initiative et un accord international, la loi qui concrétise l’initiative soit soumise au référendum obligatoire. C’est une piste intéressante. Que penseriez-vous de la compléter en autorisant le comité de l’initiative à proposer un contreprojet citoyen? Davantage de détails sont disponibles sur ma vidéo Youtube “Trois propositions pour empêcher les élus de faire ce qu’ils veulent à Berne” (lien: https://www.youtube.com/watch?v=x0qC__slF6E).

    NB: j’ai aussi publié une vidéo sur votre livre intitulé “Une histoire politique de la démocratie directe en Suisse” (le titre de ma vidéo est “D’où vient la démocratie suisse? “, lien: https://www.youtube.com/watch?v=NtZ3bhYHyNg)

    1. Bonjour Monsieur,
      Je vous remercie de votre message et de la vidéo que vous avez publiée sur youtube à propos de mon ouvrage. Je suis plutôt sceptique par apport au pouvoir dont vous souhaiteriez investir le comité d’initiative. Voudiez-vous que le comité lance de fait deux textes: une initiative et sa propre contre-proposition au cas où le texte principal ne recevrait pas l’onction du Parlement et/ou du peuple? Le peuple se prononcerait donc sur l’initiative, l’éventuel contre-projet des Chambres et celui des initiants eux-mêmes? Techniquement, pourquoi pas, en effet! Mais cela compliquerait la procédure alors que le contre projet des Chambres prend forcément en compte l’avis des initiants dans ses propres réflexions, surtout si elles aboutissent à un contre-projet. Se pose de plus une question de légitimité: les citoyens devraient signer également pour le contre projet car s’ils signent pour une initiative, ils n’approuvent pas forcément la contre-proposition. Le comité d’initiative jouit déjà d’un pouvoir considérable en pouvant décider de son propre chef de retirer une initiative sans en référer aux 50’00 citoyens qui ont soutenu son texte. Lui permettre de négocier un nouveau texte dans son coin me paraît exagéré alors que le Parlement est élu pour faire ce boulot. Avec mes cordiales salutations.

  2. Bonjour Monsieur,

    Merci pour votre réponse.

    L’idée est que ça ce joue en deux phases. 1) Phase constitutionnelle: votation sur l’initiative et le cas échéant le contre-projet du Parlement. 2) Phase législative (si l’initiative est acceptée): référendum obligatoire sur la loi d’application du Parlement (votre proposition) et le cas échéant un contreprojet citoyen (mon ajout). Votre argument concernant le pouvoir exagéré accordé au comité plaide pour que le contre-projet citoyen ne soit soumis en votation que s’il réunit 50’000 signatures en trois mois (je réfléchirai là-dessus).

    Il n’y a pas toujours un contre-projet du Parlement dans la phase 1. Par ailleurs, je crains que la loi d’application du Parlement dans la phase 2 consiste souvent à ne faire qu’un petit pas dans la direction voulue par l’initiative. La majorité de citoyens ayant accepté l’initiative risque de se trouver devant un dilemme: refuser la loi parce que ce n’est pas la destination voulue par l’initiative ou l’accepter parce que c’est mieux que rien? Et le résultat sera difficile à interpréter: quoique votent les citoyens, les élus peuvent interpréter le vote pour dire que le peuple ne veut pas mettre pleinement en œuvre l’initiative (qu’il a pourtant adopté): s’il vote oui c’est que le peuple est satisfait de la loi d’application du Parlement, s’il vote non c’est qu’il ne veut même pas faire ce petit pas. Notons que la menace d’un contre-projet citoyen pourrait parfois (souvent?) suffire pour inciter le Parlement à proposer une loi d’application plus équilibrée.

    Savez-vous pourquoi le Parlement n’a pas repris votre proposition comme contre-projet à l’initiative pour l’autodétermination? Il me semble que les élus auraient mieux fait de proposer une solution alternative plutôt que de suggérer qu’ils ne perçoivent pas que la situation actuelle est problématique.

    Cordialement.

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