A la découverte du Moutai : Episode 3 L’or blanc du baiju

 

 

Et si, pour régler la guerre commerciale avec les Etats-Unis, Xi Jinping invitait Donald Trump à prendre le verre de la réconciliation ? L’idée est séduisante, mais pas sûr que cela marche quand, dans ce domaine aussi, la Chine affiche une insolente réussite. Valorisé en bourse autour de 130 milliards d’euros, le groupe Kweichow Moutai pèse à lui seul plus que LVMH, pourtant numéro 1 mondial du luxe. Et figure parmi les plus grosses entreprises de la planète. Pas étonnant que les ouvriers de base du groupe soient quelques uns des mieux payés et des mieux traités de Chine, atteignant pas loin de l’équivalent d’un smic français de salaire mensuel, ce qui représente une petite rente pour un employé asiatique.

 

 

Plus spéculatif que les grands Bordeaux

Même si, officiellement, le flacon d’un demi-litre de Moutai est mis en vente autour de 200 euros lorsqu’il sort des chaines d’emballage de l’entreprise d’Etat, n’espérez pas en trouver à ce prix-là en Chine, y compris chez les revendeurs officiels. Si vous n’acceptez pas de payer plus, le commerçant invoquera une rupture de stock imaginaire. Dans ce contexte, tout ce qui touche au Moutai se transforme en or, puisque cet alcool est devenu autant, voire plus spéculatif, que les grands Bordeaux. Sous le sceau de l’anonymat, un revendeur confie : « Le simple fait de stocker plusieurs années des flacons, parfois obtenus par des filières parallèles ou grâce à des réseaux officieux, peut créer rapidement des fortunes personnelles. Rien d’étonnant à cela quand certaines cuvées collectors atteignent très vite des milliers d’euros. Donc moins on écoule de marchandise, plus on est potentiellement riche ». Si l’on ajoute à Moutai tous les autres baijiu vendus dans le monde, l’ensemble du marché représente à lui seul un chiffre d’affaire de 60 milliards d’euros par an. A comparer avec les 3 malheureux milliards que pèse notre cognac national.

L’or vert du tourisme

Paysage de la province très touristique de Guizhou, où est fabriqué le Moutai.

Or blanc du baijiu, mais aussi or vert du tourisme qu’il commence à drainer. Richissime, la petite cité de Maotai, avec seulement 30 000 âmes, vient d’inaugurer son propre aéroport et son immense palace un peu tape-à-l’œil au cœur de la ville. Objectif : accueillir une clientèle riche et huppée, aussi bien nationale qu’internationale, curieuse de mieux connaitre le Moutai, ses processus de fabrication, ses musées, ses producteurs ou ses boutiques nichées dans le dédale des belles maisons traditionnelles en bois et en pierre de la vieille ville. Mais ces touristes viennent aussi dans la région pour y prendre le bon air. Dans une Chine dévorée par la pollution, les montagnes de la province de Guizhou, à moins de trois heures d’avion de Shanghaï, attirent un public de plus en plus avide de nature et d’authenticité. Des valeurs sur lesquelles Moutai, à rebours du modèle capitalistique chinois, a bâti son succès, puisque la qualité de son alcool est le fruit d’un savoir-faire artisanal, d’un climat spécifique, d’un terroir préservé. Et de la lente action du temps.

A voir la mine grave et satisfaite de M. Wang, vice-président du groupe, lorsqu’il porte un toast et trinque avec moi avant de vider son verre cul sec, lon comprend que la longue marche de Moutai vers la gloire  – et les profits qui vont avec! – ne fait que commencer.

 

Olivier Le Naire

Olivier Le Naire, journaliste et écrivain, ancien rédacteur en chef adjoint du magazine français L’Express, est passionné par l’univers du vin et des spiritueux. Auteur de nombreux livres, dont "Découvrir lez vins bio et nature" publié chez Actes Sud, il est diplômé du fameux Wine & Spirit Education Trust (WSET). Juré de concours vinicoles, il anime aussi les formations de L’Atelier des Dégustateurs.

2 réponses à “A la découverte du Moutai : Episode 3 L’or blanc du baiju

  1. Super intéressant votre trilogie.
    Mais ça paie lobbyiste chinois?
    Rien contre l’alcool chinois, au contraire, vous avez un fin nez, bravo 🙂

    1. Si ça payait (ce qui n’est pas le cas puisque cet article ne m’a pas rapporté un centime, ni du Temps, ni de Moutai), je n’aurais pas fait mon papier de cette manière. Je n’aurais pas émis de réserves sur le caractère vraiment bio du Moutai, qui est invérifiable, comme beaucoup de choses en Chine. J’aurais expliqué à quel point cet alcool est délicieux alors qu’il est avant tout déroutant (la preuve, on cherche à l’adapter en cocktails en Europe). Et je n’aurais pas montré que Moutai est autant un business d’Etat qu’une boisson ancestrale méconnue du grand public. Faire découvrir Moutai, est-ce inéluctablement en faire la promo ? Méditons sur ces fortes paroles et trinquons ! :)))

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