A la redécouverte du Minervois (premier épisode)

Après une interminable période de confinements successifs qui ne se prêtait guère aux rencontres et à la dégustation, il était plus que temps de tomber le masque et d’enfin reprendre le chemin des vignes. Celui du goût, du plaisir, de la curiosité et de la convivialité.

En vacances du côté de Carcassonne (Aude), j’en ai donc profité pour pousser 25 kilomètres plus à l’est et rendre visite, sur son domaine de Trausse-Minervois, à Jean-Baptiste Sénat, l’un des meilleurs vignerons bio du Minervois. Il y a encore vingt ou trente ans, cette région (mais aussi les Corbières, toutes proches) trainait une mauvaise réputation. Celle héritée des temps anciens où, dans le Languedoc, on faisait « pisser » la vigne pour produire à la chaine et en immenses quantités des vins de médiocre qualité.

Jean-Baptiste, qui, enfant, venait en vacances dans la propriété viticole familiale, celle-là même qu’il a reprise en 1995, se souvient : « Ici, autrefois, c’était un pays de vigne, pas de vin. Une monoculture et une mono activité, un peu comme la mine dans le Nord. Les journaliers avaient droit à trois litres de rouge par jour. Pour eux, le vin était un aliment au même titre que le pain. Personne ne mettait en bouteille et on envoyait les raisins à la coopérative sans se soucier de la qualité. »

 

De l’Assemblée nationale à la vigne

Depuis, bien de l’eau a coulé sous les ponts de l’Aude, mais si la qualité de la production s’est beaucoup améliorée, la majorité des vins locaux reste fabriquée de manière industrielle, mécanisée. La commercialisation, en quantités astronomiques, est à l’avenant. Seule une poignée de vignerons passionnés – dont pas mal de néoruraux – résiste à la standardisation et tente de montrer un visage plus humain, plus artisanal, plus personnel de cette superbe région viticole qui mérite d’être redécouverte.

Jean-Baptiste Sénat, dans son domaine de Trausse-Minervois.

« Tout quitter pour se reconvertir dans la vigne est devenu assez courant dans cette région où le prix de la terre reste abordable, explique Jean-Baptiste. Aujourd’hui, les jeunes qui viennent s’installer savent dès le départ le modèle qu’ils veulent suivre et n’hésitent pas à prendre des risques ; ce sont de vrais skatteurs ! ” Mais il y a vingt-six ans, lorsque sa femme Charlotte et lui ont fait le grand saut, ils étaient un peu des pionniers, et il fallait se débrouiller seuls ou presque. ” Nous qui voulions un changement de vie radical, on a été servis ! “, s’amuse aujourd’hui Jean-Baptiste, un grand costaud barbu qui, même la cinquantaine venue, ne déparerait pas dans l’équipe de rugby locale.

Difficile de croire, quand on le voit dans son chai en short et tee-shirt, que ce gaillard-là habitait voilà un peu plus d’un quart de siècle dans les beaux quartiers de Paris, travaillait à l’Assemblée nationale, et que Charlotte, qui gère la partie administrative et commerciale de l’entreprise, se destinait à une carrière juridique après ses études de Droit à Assas.

Lorsqu’à l’approche de la trentaine, tous deux ont eu envie d’autre chose, Jean-Baptiste a annoncé à ses parents – purs produits de la bourgeoisie parisienne – qu’il souhaitait exploiter lui-même la propriété familiale de Trausse-Minervois. C’est peu dire qu’ils n’ont pas sauté de joie. Les voisins du cru non plus, en voyant débarquer ces nouveaux venus. Ils ne se doutaient pas à l’époque que le domaine Jean-Baptiste Sénat deviendrait plus tard une référence dans la région.

 

Une vision affective du métier de vigneron

« Dès le départ Charlotte et moi avons eu une vision affective du métier de vigneron, explique Jean-Baptiste. Nous savions que nous voulions rester petits – nous ne possédons que 16 hectares ! – et produire des vins les plus proches possible de la nature et de l’expression du terroir. Lorsqu’on est passés en bio en 2005, cela s’est fait comme une évidence. Mais le plus dur pour moi a été de trouver mon style. »

Lui qui pensait connaitre le métier a dû tout réapprendre. Dans cette région marquée par la violence des paysages, du vent et de l’ensoleillement, sur cette terre où l’on produit traditionnellement des vins « virils », corsés et forts en alcool, Jean-Baptiste a vite choisi, lui, « d’appuyer sur le frein plutôt que sur l’accélérateur ». Autrement dit d’éviter les maturités excessives, les arômes trop boisés, pour élaborer des vins reflétant bien sûr le caractère local, mais plus en légèreté, en authenticité et en finesse.

Pour cela, plutôt que la syrah, un peu trop puissante à son goût, il préfère travailler les grenaches locaux pour leur côté floral, fruité, et les vieux carignans qui apportent fraîcheur et acidité. Dans le même esprit, Jean-Baptiste cultive ses sols en souplesse, travaille des vignes en gobelet pour bénéficier sur chaque cep d’un petit microclimat favorable. Avec son équipe de cinq personnes, il veille aussi à vendanger pile à maturité (et à la main !),  sans jamais égrapper afin de conserver un caractère végétal à son vin, et d’éviter qu’un trop fort degré d’alcool ne vienne masquer la subtilité des arômes.

 

Boire un vin comme un fleuve va à la mer

Le résultat de tout cela se retrouve dans le verre, au moment de la dégustation. De la plus modeste de ses cuvées (Arbalète et Coquelicots, aux notes de griotte, 10 euros) à la plus prestigieuse (Le Bois des Merveilles 2019, aux arômes de fleurs séchées, 25 euros), en passant par La Nine (15 euros), Ornicar (16 euros) ou bien son unique et joli blanc (Aux amis de ma sœur, 16 euros, où une touche de Chenin accompagne le grenache gris et le grenache blanc), les vins de Jean-Baptiste Sénat sont reconnaissables. Qu’ils soient élevés en fût ou en cuve, tous ont en commun cette finesse, cette sapidité et cette buvabilité qui font la différence avec les vins du sud ordinaires, qui trop souvent se ressemblent.

Dans le caveau de dégustation, les principales cuvée du domaine.

« Boire un vin comme un fleuve va à la mer » : cette devise qui guide Jean-Baptiste dans son métier de vigneron depuis plus de vingt-cinq ans ne figure pas par hasard sur chacune des bouteilles qui sortent de sa cave.

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Olivier Le Naire

Olivier Le Naire, journaliste et écrivain, ancien rédacteur en chef adjoint du magazine français L’Express, est passionné par l’univers du vin et des spiritueux. Auteur de nombreux livres, dont "Découvrir lez vins bio et nature" publié chez Actes Sud, il est diplômé du fameux Wine & Spirit Education Trust (WSET). Juré de concours vinicoles, il anime aussi les formations de L’Atelier des Dégustateurs.