Fairy Dust ou comment on crée de la monnaie à partir de rien

La période semble bonne. Matteo Renzi, le plus jeune de la "bande à Davos" l'avait même déclaré ces derniers jours que "du chaos doivent sortir de nouvelles directions". La BNS abandonne son taux plancher, la BCE rachéte de la dette, les USA se porte à ravir malgré un taux d'endettement public et privé jamais atteint sur cette planète et le tsunami Syriza emporte tout sur son passage lors des législatives grecques en cours à l'heure ou j'écris.

L'ensemble de ces éléments à un point commun: la dette publique et son effet sur les populations, directement comme indirectement. Et qui dit dette publique dit politique monétaire, dit aussi crise financière (depuis 2008 tout de même) et crise d'austérité. On sait que la question est d'importance. D'abord parce qu'elle impacte citoyens et entreprises directement et parfois très violemment, sur la durée, mais également qu'elle met en balance un modèle d'organisation financière avec lequel les systèmes démocratiques ou non, européens ou non ont choisi de composer, de travailler, de co-gérer et de s'assembler. Finalement, la question de la monnaie n'est rien d'autre que LA grande question sur laquelle repose notre avenir, notre système démocratique, notre qualité de vie et notre futur. Il mérite donc un peu de notre intérêt.

Bizarrement toutefois, le domaine reste l'apanage d'un petit cercle d'illuminés, composé de manière très sectorisée d'économistes de haut vol, de prédicateurs gauchisants ou extrême-droitisants, et de vidéos partielles, éducatives ou propagandistes sur YouTube, Facebook, Tweeter, etc.

Je m'arrête donc ici pour signaler quelques éléments et recherches que personne ne pourra me taxer plus tard d'être partisanes, propagandistes, illuminées ou quoi que ce soit. Ce billet à un but uniquement informatif.

Dans son édition de Décembre 2014, la International Review of Financial Analysis publiait un article de finance empirique du Prof. Richard A. Werner (ici). Ce dernier mettait d'abord en lumière les différentes hypothèses sur la question de savoir si les banques créaient effectivement de la monnaie (de l'argent) à partir de rien. Selon la "financial intermediation theory of banking", la banque est un simple interrmédiaire de dépôt et de prêt de ces derniers, comme n'importe quelle autre institution pourrait le faire et donc ne crée pas de monnaie. Selon la "fractional reserve theory of banking", les banques individuelles ne crèent pas de monnaie singulièrement, mais leurs intéractions systémiques font qu'il en résulte de la création de monnaie. Enfin, selon la "credit creation theory of banking", la banque est un organisme individuel qui possède le pouvoir, conféré par le Droit, de créer de la monnaie à partir de rien du tout. L'auteur s'étonne qu'une question d'une telle importance n'aie jamais fait l'objet d'une étude empirique à proprement parler. Ainsi, avec la complicité d'une banque, il a réalisé cette étude empirique.

Au final, il apparaît formellement que la banque crée de la monnaie à partir de rien du tout, d'oû l'expression de "fairy dust", de la poussière de fée créée par chaque banque individuelle, "out of thin air" comme disent les anglais, c'est à dire à partir de rien du tout.

L'expérience qui a consisté à suivre simultanément les opérations d'écriture, les opérations comptables et les opération en monnaie scripturale lors de l'octroi, l'utilisation et le remboursement d'un crédit montre que clairement que ladite opération de crédit résulte dans un création monétaire pure et simple. Mais plus encore: elle montre que comptablement, l'argent ainsi créé n'est attribué nulle part mais qu'il est bien réel. Dans plusieurs articles, le Prof. Marco Saba du Centre d'Etudes Monétaires de Modena (ici) qui étudie ces questions depuis plus de 10 ans constate que les banques qui créent ainsi de l'argent, de la monnaie, ne paient aucun impôt sur ces valeurs puisqu'elles ne sont comptabilisées nulle part, mais qu'elles sont pourtant bien réelles et permettent d'acheter des choses tangibles (si vous avez une carte de crédit, vous savez de quoi je parle).

Ainsi, non seulement il apparaît impensable qu'un organisme qui possède un droit de convention pour créer de la monnaie fasse faillite, mais qu'en plus, selon les calculs du CSM, les impôts de seulement 3 ans de cette manne bancaire non déclarée permettrait de résorber complètement le déficit public italien (sic !) et une comptabilisation correcte permettrait un véritable révolution monétaire qui permettrait à tout individu ou de toute entreprise d'un certain pays de ne plus jamais payer d'impôt pour autant que la monnaie dudit pays soit gérée et générée de manière transparente (la base des études du CSM sont les normes comptables GAAP).

Il ne s'agit pas ici d'utiliser ces informations, comme trop l'ont fait, pour attaquer les banques, pour déclarer qu'elles ne sont que des instances criminelles ou des vautours quise nourissent des dépouilles d'une population exangue à force de payer des dettes trop élevées. Les crédits sont nécessaires. Ils sont des paris sur l'avenir qui ont autant de tangibilité que les idées: certaines sont bonnes, d'autres moins. Sans le crédit et la réserve fractionnaire (inscrite par exemple dans la Loi sur la Banque Nationale Suisse (section 2 – réserves minimales)), nous en serions encore au Moyen Age voire à l'Age de la Pierre (puisque la réserve fractionnaire était déjà pratiquée par les empereurs romains).

Mais il convient de savoir que les systèmes de la création de la monnaie, pour complexe qu'ils soient, ne sont pas compliqués. Tant la théorie quantitative de la monnaie que les formules prudentielles de multiplication qui fondent les réglementations nationales ou internationales (p.ex. le ratio McDonough dans le traité Bâle II) tentent de mettre des limites à l'expansion indéfinie de la monnaie par des institutions privées dans des buts particuliers voire sectoriels. Mais il en reste que la dette publique est avant tout une situation scripturale qui peut se régler en une seule décision.

Pourquoi personne ne prends alors cette décision me direz vous. Parce que la valeur d'une monnaie est avant tout fonction de la psychologie des consommateurs se projetant dans le futur (individus et entreprises). Comme personne n'a de boule de cristal et qu'un futur connu modifie le futur lui-même, une telle décision n'est pas facile à prendre ni à gérer. Mais cela nous invite à réfléchir sur plusieurs éléments: les conséquences que ce système fait porter à court et moyen termes sur notre niveau de vie et notre civilisation d'une part, et sur le fait que baser l'anticipation de son futur sur des éléments secrets autant qu'abscons ne saurait être une solution pour gérer des communautés mondialisées, hyperconnectées et face à des défis qui requiertent à la fois vision, courage et anticipations de long terme. N'aurions nous pas à y gagner si nous discutions de ce que nous voulons de notre futur plutôt que de chercher à anticiper un écheveau de possibilités techniquement inextricable ? Les grandes réalisations humaines qui font notre bien être d'aujourd'hui sont oeuvre de populations qui ont décidé un jour d'être ce qu'elles voulaient être et s'en donnèrent les moyens, établissant de grands résultats sans pour autant qu'ils soient exactement ce qu'ils avaient prévus. Savons nous, nous mêmes, ce que nous voudrons être, en terme de civilisation, dans 100 ou 200 ans ?

 

Nicolas Giannakopoulos

Nicolas Giannakopoulos est un des spécialistes reconnu internationalement dans le domaine des organisations et autres structures criminelles. Au travers des recherches qu’il mène depuis 1991, il a apporté le soin de concilier recherche et pratique, développant ainsi des compétences scientifiques dont l’utilité pratique est quasi immédiate.