Le revenu universel: une vraie chance, une véritable évolution humaine

Il est de la responsabilité des universitaires, des chercheurs mais également de n'importe quel citoyen ou citoyenne ayant connaissance et idées de les partager, de les développer, de les confronter à la critique et ainsi de les faire murir. Peut être donneront-elles des fleurs.
Dieu sait si nous en avons besoin aujourd'hui. Crise financière dont on ne voit pas la fin, crise énergétique, crise de l'agriculture, crise politique, guerres, misère, pollution, famine et dégradation générale de nos environnements de vie.
A cette échelle, le crime organisé tout comme la corruption représentent des épiphénomènes certes dangereux, mais qui apportent sans relâche leur coup de boulet à un édifice utopique en pleine déconstruction: la liberté, la paix, le respect de la vie et de l'autre pour n'en nommer que quelque uns.

Revenu de citoyenneté ?

C'est pour cela que j'ai choisi d'explorer l'idée du revenu de citoyenneté. J’entends pas là un revenu identique versé à chaque citoyen et citoyenne de chaque Etat et ce depuis le jour de leur naissance jusqu'à leur mort. Ce n'est pas le revenu minimal, ce n'est pas non plus un revenu universel ni une rente humanitaire.
Pour l'instant, l'état des critiques contre cette idée du revenu citoyen me laisse à penser qu'il s'agit d'une bonne idée, en plus d'être réalisable. Mais comme il faut plus que jamais douter de ses propres certitudes, je serais ravi d'avoir des contradicteurs et des critiques.

Ce que j'appelle revenu de citoyenneté est parfois appelé revenu universel, revenu de base ou allocation universelle. Le concept dans ses grandes lignes possède de nombreux noms et vocables. Il est également débattu, puisque nombre de critiques lui sont adressés, tant sur le concept même que sur son applicabilité, sa faisabilité et ses effets directs ou indirects sur les multiples composantes de nos sociétés et sur les temps différents, le court, le moyen ou le long terme.

Plusieurs questions se posent à ce niveau conceptuel déjà : s’agit-il d’une rente fixe ou variable ? Comment est-elle calculée ? A qui est-elle versée ?

Plusieurs conceptions s’affrontent sur ces différentes questions. Nous n’allons pas toutes les passer en revue, ce serait un peu déplacé dans ce format, mais nous pouvons renvoyer les lecteurs intéressés à une innombrable et foisonnante littérature plus ou moins bien construite. Pour cela, il suffit de choisir les bons mots-clés : revenu de citoyenneté, revenu universel, allocation universelle, etc. sur n’importe quel moteur de recherche internet ou sur Google Scholar, la plateforme spécialisée de Google qui regroupe les études universitaires dans le monde (malheureusement principalement anglo-saxon).

Nous pensons que le revenu de citoyenneté doit être un revenu variable, versé à tout membre d’une communauté et calculée selon une méthodologie qui repose sur sa conception même.

En premier lieu, la conception du revenu universel comme discutée ici n’est pas une rente servant à remplacer d’autres rentes, comme le chômage ou l’AVS (rente vieillesse). Elle n’est pas non plus une allocation de sang ou de nationalité et n’est pas basée sur la volonté de garantir à l’ensemble des récipiendaires une couverture de leurs besoins de base (se nourrir, se vêtir, se loger).

La conception que je propose ici est légèrement différente. Un revenu universel devrait être compris comme un outil de financement d’une communauté pour elle même, dans le présent mais en visant le futur. Qu’est ce que cela signifie ? Cela signifie que dans une communauté, il y a des éléments qui sont individuels, et d’autres qui sont collectifs ou collectivisés, et ce pour plusieurs raisons, qui ne sont pas idéologiques : soit parce que le bien en soit est indivisible (par exemple l’air, l’eau ou la qualité générale de la nourriture) soit parce que leur gestion est plus efficiente de manière collective que de manière individuelle (par exemple la santé, l’éducation, la recherche, le droit, etc.) soit encore parce que les investissements nécessaires sont très importants et que leurs effets dépassent la vie d’un individu (p.ex. les infrastructures de transport, gestion des déchets, énergie, stockage, communication, etc.). Ces éléments fluctuent au fil du temps et des nouvelles technologies qui apparaissent, comme les réseaux téléphoniques étatiques ont étés supplantés par des réseaux de communication mobiles et décentralisés. Le revenu universel est donc une allocation versée par la communauté pour la communauté afin que cette dernière puisse exprimer ses potentialités de manière toujours plus efficace et innovante.

Cette conception du revenu universel à pour but d’un côté de libérer les membres d’une communauté des soucis liés à la satisfaction des besoins de base exprimés en son temps par Maslow (se nourrir, se loger, se vêtir) et de l’autre de responsabiliser chaque membre de la communauté sur la question de ce qu’il peut y apporter, en terme de création et d’efficacité afin que chaque membre de la communauté puisse également en bénéficier. Cette conception repose sur un rapport individu-communauté qui n’est pas un rapport de délégation de la gestion des besoins de la communauté vers un ensemble de personnes, ce qui était fort convenable dans les années 1800, mais vers une expression plus mature de la conception même d’individu social qui doit et peut s’exprimer dans un monde moderne, hyperconnecté et globalisé. Au travers de critères stricts et transparents, qui, pour l’être nécessitent l’adhésion et une partie de l’énergie de chaque membre de ladite communauté, il ne s’agit pas non plus d’un système collectiviste, communiste ou dieu sait quoi de la même veine. Chaque individu garde son individualité. Chaque individu garde la possibilité de générer autant de revenu qu’il lui est possible. Mais chaque individu devient ainsi responsable de son propre bien être comme il est responsable du bien être des autres.
Il ne s’agit pas non plus de la « main invisible » qui n’existe pas. Il s’agit d’une autre organisation de la communauté par et pour la communauté, de la part de membres individuels qui conservent de plein droit leur individualité.

Cette conception du revenu universel a cela d’enthousiasmant qu’elle s’affranchi des positions idéologiques d’une part et qu’elle ambitionne d’impliquer chaque membre d’une même communauté dans la gestion de cette dernière et des orientations et des retours sous forme de bien être qu’elle impliquera. Ainsi, le revenu universel ne doit pas être compris comme la distribution uniforme d’une allocation numéraire, mais bien d’un nouveau mode de gestion des actifs d’une communauté par elle même, y compris son actif humain, afin de mettre en place les conditions cadres qui permettent à ce potentiel humain de donner le meilleur de lui même, à la fois pour lui individuellement et pour la communauté dans la quelle il vit. C’est ce que toute organisation démocratique tente de faire, avec plus ou moins de succès.

Concept et limitations

Le concept même pose plusieurs limitations. En premier lieu, il s'agit d'une rente versée par un Etat, ce qui suppose qu'il en existe bel et bien un et qu'on sache le définir. Le second élément est pourquoi serait-ce l'Etat qui devrait être en charge de ce paiement et en a-t-il les capacités. Enfin, la question du calcul du montant de la rente est également laissé ouvert à dessein, mais cela suppose qu'une méthodologie de calcul qui puisse être définie.

Le terme d’Etat revêt des réalités et des compréhensions bien différentes selon les pays. Cela est du à la culture politique propre de chaque pays, laquelle dérive de sa propre histoire et de la manière dont cette histoire est racontée. Demandez dans la rue à 10 individus différents de définir le mot « Etat » et vous aurez au mieux 8 réponses différentes, au pire 10 réponses différentes.
Mais comme il faut bien un outils commun pour commencer, l’Etat semble le plus adapté. Cela inclus naturellement toutes les acceptations du concept, et sa déclinaison régionale et locale, comme, en Suisse, les cantons et les communes.

Lorsque nous parlons d'une rente versée, certains désaccords subsistent en ce qui concerne les bénéficiaires. Le texte soumis a votation en Suisse en juin 2016 indique l’ensemble des résidents. D’autres textes n’y incluent que les citoyennes et citoyens, donc les nationaux. D’autres encore posent des limitations en terme de résidence. Si l’on parles uniquement des citoyennes et citoyens, cela exclu donc en premier lieu les personnes qui vivent sur un territoire dont l'autorité est confiée à un Etat qui n'est pas le même que celui dont ils sont citoyens. Cela pose également un problème en cas de multi-citoyenneté puisque cela impliquerait que la même personne toucherait des rentes de plusieurs pays en même temps alors qu’il n’en habite qu’un seul. Cela revient également à discuter de la notion de "citoyenneté" puisque cette dernière recouvre des notions très différentes d'un Etat à l'autre. Toujours est-il que chaque personne est née quelque part, de parents qui eux-mêmes sont nés quelque part, ce qui défini tant sa citoyenneté sur le plan légal que sur le plan personnel, rappelant du même coup les composantes de définitions psychologiques du soi, à savoir la culture, l'histoire et le vécu référentiel.
En bref, à quel titre pouvons nous exclure du champ de versement de ladite rente les expatriés, les immigrés de toutes sortes et de toutes extractions, alors qu'ils contribuent pour leur grande majorité au développement social, économique et politique des communautés dans lesquelles ils vivent.

Pour répondre de la manière la plus objective à la question des bénéficiaires, il faut revenir au fondement de la conception de ladite rente universelle. Si il s’agit d’un « retour sur investissement » des efforts d’une communauté vers elle même, cela suppose en premier lieu que les bénéficiaires de cette rente contribuent eux-mêmes à la richesse de cette même communauté. D’un autre côté, la richesse future d’une communauté se construit sur certaines valeurs et certaines cultures qui sont des éléments qui sont hérités d’un passé en constant mouvement. Il y a donc besoin d’intégration tant sur le côté de la productivité, l’innovation et la création que sur la participation de ces individus dans les processus de décisions qui permettent d’allouer telles ou telles ressources sur tel ou tel projet afin d’augmenter la valeur même de la communauté.

Comme d’habitude, les problèmes se situent à la marge. Des citoyens expatriés ne devraient pas toucher de rente puisqu’ils ne travaillent ni n’habitent sur le territoire duquel est issu la rente. D’un autre côté, les résidents non-nationaux ne devraient pas avoir de droit à la rente sauf en cas de résidence prolongée. Dans ce cas, on pourrait aussi se demander pourquoi ils ne prennent pas la nationalité du pays qui leur verse la rente puisque non seulement ils contribuent à sa richesse dont ils bénéficient directement et indirectement, mais qu’en plus ils seraient appelés à participer aux décisions concernant les améliorations continues de leur cadre de vie, de travail et sur leur cadre financier.

La nationalité donne toutefois, et dans l’ordre juridique actuel, un droit à la rente qui implique également des devoirs, notamment vis-à-vis des structures qui sont chargées de gérer et réguler les communautés dont les citoyennes et citoyens font partie: ce que nous appelons l'Etat. Ainsi, les processus d'acquisition de la citoyenneté ne se font pas automatiquement mais graduellement, et cette prise en compte permet d'intégrer l'incroyable diversité des processus d'acquisition de la citoyenneté qui existent partout dans le monde.

La différence entre être citoyenne ou citoyen et être membre ou pas d’une communauté, est plus une question formelle que réelle. La véritable question réelle derrière cette différenciation entre le groupe des bénéficiaires et le groupe des non-bénéficiaires et l’implication dans la gestion de la communauté, gestion qui peut se réaliser de manière plus simple et directe que les innombrables débats parlés qui rythme le quotidien de n’importe quel élu, permettant l’expression des différents points de vues et les débats jusqu’à l’adoption d’un compromis entre représentants desdits citoyennes et citoyens.
 

Critiques connues

Le revenu de citoyenneté est la cible de plusieurs critiques depuis que le sujet vient (et revient devrions nous dire) sur la place publique. Ces critiques peuvent se regrouper en deux catégories qui impliquent chacune deux éléments fondamentaux de la question.

Financement

a première critique la plus utilisée est, pour la faire courte : « Comment l’Etat va payer tout cela ? », sous entendant que l’Etat n’a pas les moyens financiers de verser une allocation, rente ou revenu de cette ampleur.
Cette première critique pose la question des moyens financiers ou plutôt des moyens de financer une telle mesure de la part de l’Etat. Elle fait l’objet de débats (en Suisse comme en Europe) concernant la répartition des allocations étatiques comme le chômage, les aides directes, les subventionnements privés ou aux entreprises, les aides sociales, les retraites etc. La discussion tourne donc sur la répartition des moyens, avec force calculs, entre ce que l’on gagne ou ce que l’on perd en allouant différemment les aides directes et indirectes de l’Etat aux particuliers et aux entreprises. Le débat ne touche par exemple pas le fait que les bénéficiaires d’allocations diverses comme le chômage ou les allocations familiales ne sont pas forcément tous des citoyens du pays qui les verse mais peuvent être des résidents, des bi-nationaux etc.

Le débat sur les moyens est également faussé par plusieurs biais. Certes, de manière purement comptable, on peut argumenter qu’un revenu de citoyenneté rendrait inutile d’autres types d’aides ciblées comme le chômage, les retraites ou les allocations de famille puisque chacune et chacun bénéficierait d’une prestation unique, bien que variable, durant toute la durée de sa vie dans un Etat donné. Les contradicteurs argumentent le fait que même si ces transferts pourraient raisonnablement s’effectuer, les gains sur les structures d’allocation existantes ne compenseraient pas les pertes d’une allocation généralisée. De plus, cette compensation ne saurait être que partielle puisque si le revenu de citoyenneté bénéficierait aux citoyennes et citoyens, il ne saurait s’appliquer aux autres personnes vivant et travaillant dans un Etat sans en être citoyen. Le même raisonnement s’applique si l’on élargi le cercle des bénéficiaires aux résidents.

L’approche financière du débat, on le voit, pose la question non seulement sur la capacité de financement dans le système actuel de comptabilisation des finances étatiques mais également sur des questions très pratiques sur les bénéficiaires et les conditions qu’il faut réunir pour être bénéficiaire. Enfin, ce débat tout en surface et en idées reçue ne pose pas la question non plus des bénéfices et coûts, apparents et cachés, d’un transfert de la gestion de masses d’argent d’une administration complexe à l’autre, sans compter sur les véritables bénéficiaires publics et privés des réserves de liquidités des assurances sociales d’une part et des effets sur les budgets des collectivités locales et de leur capacité d’emprunt sur des marchés financiers internes et externes d’autre part.

C’est pour cela que le débat sur les moyens financiers, pour important qu’il soit, est aujourd’hui dans l’impasse d’une bagarre de chiffres qui est sans issue. En effet, les chiffres sont baisés de part et d’autre et les conséquences et pré-requis d’une telle réforme étatique sont largement sous-évalués ou balayés d’un revers de la main idéologique permettant de s’éviter des débats de fond sur des questions complexes concernant l’évolution de nos sociétés. Ces questions sont pourtant fondamentales. Le revenu universel de base n’est pas une politique de gauche, et elle n’est pas une politique de droite non plus. On pourrait argumenter que ce revenu universel est tous les deux à la fois puisque d’un côté il affranchi la pauvreté sous ses formes les plus extrêmes et que de l’autre, il responsabilise et conscientise le bénéficiaire en exigeant de lui une implication citoyenne plus grande.

Au niveau des chiffres, le comité référendaire avance les chiffres suivants :
« En chiffres (statistiques 2012, OFS) : si l’on part de l’hypothèse d’un RBI (Revenu de Base Inconditionnel ; ndr) de Fr. 2’500.- pour les adultes et de Fr. 625.- pour les mineurs, la somme totale du RBI distribué à l’ensemble de la population est de 208 milliards. Le montant financé par le transfert du coût des prestations sociales remplacées est dans les 62 milliards. Le transfert de la part de la valeur produite est de 128 milliards. Le solde à financer s’élève à 18 milliards, soit seulement 3% du PIB de la Suisse » (http://initiative-revenudebase.ch/revenu-de-base-inconditionnel/)

Ces chiffres semblent corrects mais ne prennent pas en compte les dynamiques d’évolutions de la population. D’autre part, le Comité référendaire suisse propose une allocation à l’ensemble des résidents et non pas seulement des citoyens et citoyennes. Enfin, le revenu est sensé remplacer les autres prestations d’allocations sociales comme la retraite, les allocations pour enfants et l’assurance chômage.

Les critiques associées à ce revenu de base sont nombreuses, tant sur ses effets individuels que sur les effets macroéconomiques. Nous y reviendrons ci-après. Au niveau individuel, les critiques mentionnent que le financement de telles mesures et les restructurations nécessaires s’accompagneront inévitablement d’une augmentation de la ponction fiscale, ce qui est d’ailleurs proposé par les initiants suisses : « Ce solde peut aisément être couvert de multiples façons, comme un ajustement de la TVA, de la fiscalité directe, une taxe sur la production automatisée, sur l’empreinte écologique, etc. (…) D’autres méthodes de financement du RBI entrent dans le débat aujourd’hui, comme le financement par l’introduction d’une micro taxe sur toutes les transactions (Chesney/Bolliger) ou par le bénéfice de la création monétaire nationale (initiative fédérale pour la monnaie pleine). » (http://initiative-revenudebase.ch/revenu-de-base-inconditionnel/).

Une autre critique qui est plus discutée porte sur l’adaptation des rémunérations en Suisse. En effet, si chaque personne perçoit d’un coup la somme de CHF 2'500 par mois en plus de son revenu, 3 scénarios sont envisagés dans la relation employé-employeur : (1) l’employé conserve sa rémunération et ajoute le revenu de base à son revenu mensuel (+2'500 CHF), (2) l’employé et l’employeur s’arrange pour une baisse du revenu mensuel du travail moindre que le montant de l’allocation (< 2'500 CHF) et (3) le revenu de l’employé est amputé du montant de l’allocation, ce qui est bénéfique pour l’employeur et indolore sur l’employé (=0 CHF).

Ni les opposants ni le comité référendaire en Suisse ne s’emploient à répondre aux question du paiement des cotisations sociales qui seraient également, selon ces modèles de financement, appelés à financer l’allocation. En effet, si un employé voit son salaire diminué de CHF 2'500 CHF par mois, montant compensé par l’allocation universel, cela signifie-t’il qu’il doit payer sa part de charges sociales sur l’ensemble de son revenu (salaire + allocation) ou uniquement sur le revenu de son travail (salaire ?). Pour l’employeur, cela signifierait-il une baisse de la charge salariale puisque calculée sur le salaire – l’allocation ? Ces questions restent encore sans réponse mais doivent être encouragées à être débattues et discutées.

Au niveau macro économique, le fait « d’arroser » les résidents avec une allocation fixe (ou variable) fait dire à certain que cela augmentera inévitablement les prix et donc l’inflation. Etant donné que l’on distribue à toutes et tous la somme de CHF 2'500 (selon la proposition du comité référendaire suisse), le risque est que les prix s’ajustent et augmentent en rapport avec la somme de l’allocation. Cette critique est mal ajustée. Que certains prix de certains biens ou services s’ajustent à la hausse, cela est possible mais loin d’être certain. La hausse des prix des biens et services de consommation n’a depuis longtemps plus rien à faire avec la masse monétaire en circulation, mais bien sur le coût de revient des produits ou services. On pourra objecter que la mesure contribuera à créer de l’inflation mais selon le modèle proposé, il n’y aura aucune augmentation de la masse monétaire (ou en si faible proportion qu’elle serait insignifiante, surtout en regard des effets quasi nuls sur l’inflation de la création de CHF de la part de la banque nationale pour soutenir le franc suisse vis-à-vis de l’Euro à l’époque). L’effet de cette allocation n’aurait donc aucun effet sur l’inflation.

Une autre critique associée au financement de cette mesure serait de sous-estimer le coût de la réorganisation des services d’allocation qui ne seraient pas compris dans les arguments du Comité Référendaire. En effet, ce coût serait loin d’être nul puisqu’il s’agirait de construire une nouvelle « caisse d’allocation universelle » en remplacement de plusieurs dizaines voire centaines de caisses diverses (AVS, chômage, AI, etc.). Ce coût devrait également contenir le coût des effets induits, personnes se retrouvant au chômage, où en réaffectation ailleurs.

Un des risque que personne ne prends en compte est l’effet financier d’une allocation tant sur les personnes que sur le système bancaire.
En ce qui concerne les personnes, un revenu garanti à vie ouvre des possibilités de crédit importants. En effet, il serait possible pour une personne, sans gardes fous nécessaires, d’hypothéquer 10 ou 20 ans de revenus garantis contre un crédit hypothécaire, à la consommation, un leasing ou autre chose. Un crédit basé sur le revenu garanti aurait pour effet de ne plus garantir à la personne la capacité d’obtenir ce revenu ce qui, dans certains cas, pourrait faire rater sa cible à la mesure dans des cas particuliers.
Au niveau bancaire, cette augmentation de revenu (versé et transféré via les institutions bancaires) ajoutée à la possibilité de crédit offerte par un revenu garanti par l’Etat à vie aurait pour effet indirect de favoriser l’augmentation de la masse de crédit proposés puisque les liquidités à dispositions augmenteraient la capacité de création de « fiat money » de la part des banques. Leurs réserves s’en trouveraient augmentées et la masse monétaire en crédit en circulation s’en trouveraient multipliée par 10, 20 ou 30, comme le permet la Loi sur la Banque Nationale. Là aussi, des gardes-fous seraient à prévoir. Nous ajoutons toutefois que le retour à une monnaie pleine ne serait selon nous pas une solution viable ni souhaitable et que la capacité de crédit des institutions bancaires, si elle se trouve bien cadrée légalement, serait un plus plutôt qu’un handicap pour l’ensemble de l’économie.

Enfin, la véritable question est : comment arrive t’on à ces CHF 2'500 ?

Le Comité Référendaire arrive à cette somme ainsi : « Le revenu de base inconditionnel (RBI) est une rente mensuelle suffisante pour vivre. » (http://initiative-revenudebase.ch/#summary)

Pour ce Comité, la rente n’est pas fixée de manière indépendante mais par rapport à un certain besoin en revenus pour pouvoir payer les services et biens de base en Suisse (et en moyenne). Il ne s’agit ni d’une allocation variable (sauf pour les enfants dont le montant de l’allocation est différents des adultes), adaptable dans le temps, ni d’un montant calculé selon des critères de productivité présente et future.

Une prime à ne rien faire

L’autre critique concerne le principe du subventionnement direct et unique lui même. On peut la résumer dans cette question : « N’encourage t’on pas la fainéantise en payant ainsi des gens à ne rien faire ? ». Il y a deux manières de lire une telle critique. La première, visiblement directement issue d’une idéologie protesto-capitalistique (je renvoie principalement à l’ouvrage de Max Weber intitulé « L’éthique protestante et le capitalisme ») suppose un mécanisme bien ancré dans la culture occidentale. Selon cette dernière, il apparaît que la richesse provient du travail et que seul la vertu du travail peut augmenter la richesse. Dans une vision a posteriori de plusieurs siècles, compte tenu du contexte notamment de la Réforme et de la relation unilatérale et personnelle à Dieu qu’elle a introduite, elle a replacé tous les individus sur un même plan d’égalité vis-à-vis dudit Dieu, en opposition avec le catholicisme. Dans cette volonté d’égalité de la relation humaine à Dieu, il s’agissait de trouver un moyen de concilier un état de fait qui était foncièrement inégalitaire, tant par le sang (ancien-régime et féodalité) que par la richesse (bourgeoisie) avec un idéal d’égalité des riches et puissants avec le 90% de la population qui vivaient dans un état de pauvreté extrême depuis la nuit des temps. Le travail comme source de vertu devenait également source de richesses. Le travail étant nécessairement pénible, la souffrance du riche, qui avait travaillé plus puisqu’il était riche et avait donc travaillé plus, devenait immédiatement une vertu non seulement vis-à-vis de Dieu mais également vis-à-vis des hommes. L’équation travail = souffrance = vertu = richesse est profondément ancrée dans nos cultures occidentales et à largement contribué au développement de la richesse occidentale vis-à-vis du reste du monde. Malheureusement, on sait que cela n’est pas foncièrement vrai. Plus de travail n’est pas synonyme automatique de plus de richesse. De même travail n’est pas forcément synonyme de souffrance et richesse n’est pas toujours synonyme de vertu.
Toutefois, en donnant accès à une richesse commune et partagée sans n’avoir d’autre vertu que d’être là et de participer à la gestion de la chose publique, le revenu universel est immédiatement assimilé à une « prime aux faignants », chose qui, selon l’imaginaire occidental est assimilé à tous les mots et totalement contraire à la « vertu ». Rien n’est plus faux.

Le présupposé selon lequel des gens qui reçoivent une allocation leur permettant de vivre leur ôte toute motivation d’agir est effectivement erroné. On peut démontrer cela sur deux plans : le plan conceptuel et logique d’abord, et le plan réel et expérimental ensuite.
Sur le plan conceptuel, cela signifie qu’une telle allocation ôterais à chaque individu la motivation principale pour travailler et donc créerait des vides économiques tout en créant une population assistée sans réelle motivation ni de travailler, ni de s’instruire, ni d’innover, ni de faire quoi que ce soit. Il s’agit d’une vision très dure de l’être humain mais qui est malheureusement en droite ligne de tout ce que l’humanité aura pu produire comme société jusqu’à présent. Sur le plan conceptuel, cette vision est toutefois fausse car peu d’individus ne restent sans rien faire. Une représentation d’une population donnée selon une courbe de Gauss (80% au centre, 10% et 10% aux marges) montre qu’une marge de n’importe quelle population est considérée comme ne « faisant rien ». Mais si une population ne « fait rien », elle disparaît à la moindre secousse économique, naturelle ou violente. Cette population aurait donc du disparaître depuis bien longtemps mais elle est toujours là. Ce qui montre qu’elle est loin de « ne rien faire », mais que son utilité dans le cadre reconnu par le 80% de la population « normale » (selon la courbe de Gauss) est inexistante.
D’autre part, la vision selon laquelle la nécessité pousse la créature vivante végétale ou animale à s’adapter pour sa survie découle du Darwinisme appliqué à l’être humain. Dans certaines sociétés, nous sommes loin du monde où les conditions du darwinisme peuvent s’appliquer. Dans d’autre, nous y sommes toujours. La vision qui prévaut donc est une analogie avec le monde végétal et animal, dans lesquels les plus forts survivent et les plus faibles meurent et disparaissent. Etant donné que les « non-productifs » sont toujours présents dans nos sociétés, est-ce qu’il nous est possible de choisir une vision selon laquelle le monde humain serait orchestré par un sous-tendu darwiniste ? Même si certaines idéologies le prônent, il est en contradiction avec la réalité puisque ce n’est pas la non-activité ou la non-productivité qui disparaît mais qu’elle semble même encouragée et supportée par un ensemble de mesures d’allocations qui sont proposées par cette même culture occidentale qui oscille entre cruauté et compassion sans décider sur quel pied elle va se tenir.
Enfin, une vision qui baserait la capacité de création de l’humain sur son degré de nécessité et donc rejetterais cette même capacité aux populations bénéficiant de droits acquis n’est pas soutenable. Non seulement cette vision procède de la différenciation de l’être humain du reste du règne du vivant (ce qui est loin d’être acquis) mais se base sur une vision extrêmement idéologique de l’humain relayé par des proverbes bons-ton du genre « pas de bras, pas de chocolat » ou « la paresse est mère de tous les vices ». Il en existe des milliers d’autres du même acabit et chacun pourra y aller de son refrain. Mais cette vision ne repose sur rien d’autre qu’un a priori de la compréhension de l’humain qu'on suppose complète alors qu’on commence seulement à pouvoir comprendre quelques minuscules fonctionnements de notre organe le plus central : le cerveau. Une telle supposition prend pour base une connaissance complète de l’être humain alors que ce n’est absolument pas le cas.

De manière générale, la vision de la « prime à la fainéantise » est élaborée sur un monde de pénurie et de crise. La motivation première est donc la survie au travers du travail, l’argent était le moyen d’échange et de valorisation de ce dernier. Ceci est fort connu, enseigné dans toutes les écoles et universités, et théorisé jusqu’à l’absurde. D’un autre côté, les réflexions et analyses économiques des XIX et du XXème siècles qui ont donné lieu à la pensée économique communiste proposaient un mode de répartition des richesses plus équitable, suite aux différentiels créés conjointement par la révolution industrielle et la massification du travail et de la production de richesses et de la création d’une conscience nationale voire communautaire fondée sur le partage du pouvoir qui faisaient suite aux révolutions anglaise, française et américaine. C’est la conjonction des deux éléments qui ont finalement déclenché cet énorme bouleversement qui a vu des élites millénaires basées sur le droit du sang et la noblesse basculer convulsivement vers une société occidentale basée sur une structuration plus technocratique et démocratique des élites. Mais il aura fallu passer par deux guerres mondiales pour que l’Europe puisse bénéficier du « prix de l’horreur ».
Si nos systèmes sont basés sur une gestion de la pénurie, ils sont en revanche assez inadaptés pour gérer des situations d’abondance. Alors que la majorité de la population mondiale vit dans un système de pénurie, le choix du système s’oriente vers deux directions antagonistes : soit conserver des situations de pénurie, soit évoluer vers une gestion de l’abondance qui puisse, sans violences, faire passer l’humanité vers une gestion de ses besoins un peu plus élaborée que « qu’est ce que je vais bouffer ce soir ».

L’analyse des effets d’un revenu universel de base doit aussi et d’abord se pencher sur les effets individuels. Est-il correct d’affirmer qu’une personne ayant juste le nécessaire pour vivre (c’est à dire satisfaire ses besoins fondamentaux que sont se nourrir, se vêtir et se loger) au travers d’un revenu universel serait enclin à ne pas vouloir se réaliser et se projeter dans le futur ? Est-ce correct de soutenir qu’en payant des individus à ne rien faire, ils ne rapporteraient rien à la société, ils renonceraient à s’instruire, à inventer, à innover, à travailler ?

Nous avons quelques exemples existants sur lesquels fonder une analyse, pour partielle et inexacte qu’elle soit, mais c’est ce que nous avons. La plupart des pays du Golfe ont mis en œuvre depuis longtemps ce que nous appelons le « revenu de citoyenneté ». Ce revenu, tiré des rentes énergétiques (pétrole et/ou gaz) est redistribué aux citoyennes et citoyens des ces pays selon des mécanismes complexes de rétributions principalement basés sur les liens familiaux et l’exercice du pouvoir. Est-ce que ce système empêche les citoyens de ces pays à s’instruire et à travailler alors qu’ils n’en auraient pas besoin ? Non bien sur, même si des exceptions existent et nous choquent.
Est-ce que le fait de ne rien avoir empêche les gens de se projeter dans un futur plus confortable et d’agir en conséquence ? Les millions de réfugiés qui frappent aux portes de l’Europe sont le démenti le plus massif à cette proposition.
Est-ce que les rentes d’allocation de chômage quasiment « à vie » qui existent en Belgique empêchent les bénéficiaires, ces « fainéants » de se projeter dans le futur et d’agir en conséquence ? Bien sur que non, même si cela débouche parfois sur des bains de sang et des actes terroristes, sans doute par « manque de sens » comme disent les experts.
Est-ce que la retraite qui ruine la planète par la voracité des fonds de pensions et de la proportion toujours plus faible d’actif rend les retraités incapables d’agir puisqu’ils ne sont plus productifs ? Parlez-en à vos parents ou grands parents !!!
Ce petit exemple montre que même dans le cas où les régimes sont tout sauf démocratiques et qu’il existe des revenus « universels » pour les citoyens, cela ne les empêchent pas de vouloir à tout prix se réaliser d’une manière ou d’une autre.

On peut également rechercher des exemples dans des pays très généreux en aide sociale, comme les pays scandinaves, la France ou même la Suisse. Le principe est de ne jamais laisser un citoyen dans la rue. Malheureusement, le principe est maintes fois bafoué par d’autres intérêts et d’autres logiques concurrentes, faisant partie d’un même système. Mais cela n’empêche jamais un individu de vouloir se réaliser au travers d’actions, d’innovations ou même d’une quelconque activité, fut-elle insignifiante, inutile voire nuisible au regard de la majorité des citoyens et citoyennes.

On peut comprendre ces deux principales critiques au revenu universel ou de citoyenneté de manière étroite ou de manière élargies à un environnement complexe mais pas si compliqué que cela. En suivant la première option, on enterre les débats dans des questions qui n’ont aucun sens ni aucune utilité et qui, au final, se trompent de cible. On peut par contre élaborer une vision plus large qui tienne compte des arrières plans que ces critiques induisent pour élaborer non seulement un véritable système et en évaluer les conséquences tant au niveau social d’individuel et imaginer sous quelle forme pourrait se présenter un tel monde et le passage de l’un, le notre, à celui que nous pourrions désirer. Les critiques les plus connues sont d’ailleurs présentées et discutées sur le site de l’initiative http://rbi-oui.ch/reponses-aux-objections-courantes/.


Une vision à créer

L’élaboration d’une telle vision doit s’affranchir des idéologies et doit prendre en considération plusieurs éléments : (1) le fait que des structures existantes possèdent leur propre inertie et qu’on ne peux changer un des éléments d’un système d’un coup sans détruire un système entier ce qui serait catastrophique, (2) qu’un revenu de citoyenneté ou universel ne peut se faire « en soit »  et indépendamment d’autres éléments de gestion sociétale comme la monnaie et la représentation démocratique des intérêts de ladite société et (3) qu’il ne sert à rien d’avoir une vision aussi idyllique ou idéalisée qu’elle soit d’une humanité sans avoir d’une part examiné les tréfonds des conséquences d’une telle transformation ni sans avoir réfléchi à l’élaboration d’une transition d’une système vers un autre dans un environnement multiforme, conflictuel et incertain.

La première condition qu’une telle vision doit remplir est celle d’universalité, dans le sens qu’elle doit pouvoir être applicable partout. Ceci pour deux raisons : en premier lieu nous sommes immergés dans un monde multipolaire et interdépendant qui doit constamment tenir compte de la volonté de l’autre dans ses propres choix. En second lieu, si le critère d’universalité signifie une applicabilité universelle, cela ne signifie pas que ses effets seront les mêmes partout mais que dans leur entier, elles doivent participer à une amélioration de la condition humaine. Or, cela n’est possible qu’au travers d’une vision universelle compte tenu de la globalisation actuelle des échanges et des mouvements de population.

Quand à l’allocation elle-même, la logique voudrait qu’elle soit basée sur des indicateurs plutôt que fixe sur le long terme. De plus, la même logique d’un revenu de base fondé sur la capacité des bénéficiaires à produire mieux (et à créer) ne doit pas être basée sur une fonction de besoin direct, mais sur une fonction de besoins actuels rapportés aux capacités futures.

Ainsi, s’il on considère un revenu, pour un bénéficiaire Suisse, de CHF 2'500, cela signifie que son apport individuel au bien être collectif va être supérieur à CHF 2'500 CHF en moyenne. Cela signifie deux choses : premièrement, que l’organisation de la communauté qui distribue une telle allocation de ce montant précis se base sur une série de critères qui en justifie le montant. Deuxièmement, cela signifie que l’organisation de la communauté permette de gérer de manière collective les fluctuations vers le haut ou vers le bas de ce même montant de rente suivant les fluctuations de critères qui permettent d’en déterminer le montant. Ces deux éléments supposent de pouvoir suivre de manière rapide l’évolution de ces critères, ce qui suppose à son tour les outils pour collecter les données nécessaires, les agréger et les rendre publiques et compréhensibles pour tous les bénéficiaires.
Cela n’est malheureusement pas encore tout à fait existant, même en Suisse, où les statistiques fédérales, pourtant considérées comme le « haut du panier » dans le monde en terme de qualité, manque de réactivité. Les recensements ne sont effectués que tous les 10 ans, et encore, sur la base de sondages. Les études sur les salaires ainsi que les calculs de PIB sont effectués avec au moins un an voir généralement deux ans de retard et ils ne se basent que sur une partie et non la totalité des chiffres, lesquels sont également en grande partie biaisés.
Une variabilité de l’allocation universelle supposerait donc une disponibilité plus grande en terme d’informations et surtout collectée de manière plus rapide, tout en conservant la « privacy » des individus, ce qui est techniquement possible grâce aux outils informatiques actuels, mais culturellement difficile à faire admettre et à réaliser.
Le financement de cette mesure devrait aussi passer par une innovation et une modification de la manière de comptabiliser la valeur d’une production par pays (PIB). En effet, s’il on considère que la population composant une communauté est un actif de cette communauté, la création de monnaie correspondant à cette valeur, basée sur des variables établies et transparentes, serait le moyen de financement parfait et indolore financièrement pour le budget étatique. Il s’agirait juste à la banque nationale de créer les liquidités suffisantes pour assurer les besoins de sa population, laquelle crèe, par la bonne tenue de ses variables qui composent le montant de l’allocation, ainsi que par sa capacité productive, la valeur même de la monnaie ainsi créée.
Nous reviendrons sur ce sujet ci-après. Mais en avant goût de ces critères qui fondent la « valeur » d’une monnaie, à ces critères ou ces variables qui font que la monnaie suisse est très appréciée et qu’elle sert depuis plus de 20 ans de valeur refuge au même titre que l’or. Pourquoi ? Quel est ce bien commun Suisse (en l’occurrence mais nous pourrions faire le même exercice pour le Dollars US ou l’Euro) qui crée la valeur respectivement à d’autres valeurs et d’autres monnaies sur le marché globalisé ?

Passé, présent, futur

Le bien commun n’est pas seulement défini par les éléments indivisibles qui profitent à tous sans appartenir à une seule personne physique ou morale, tel que l’air ou l’eau. Il s’agit également des éléments qui font qu’une population dans son ensemble possède telles ou telles capacités dans le moment présent et dans le futur.
L’anticipation des capacités est le mouvement même des populations et doit être le mouvement des communautés regroupées ou non sous des systèmes étatiques à fonctionnement rétroactifs (systémiques). L’anticipation provient de l’histoire passée et des réalisations présentes. L’anticipation est également contradictoire et remplie d’incertitude car une anticipation claire reviendrait à un contrôle total de ce qui s’est passé et de ce qui se passe dans le présent, contrôle qui est en réalité impossible car il se heurte à un niveau de probabilité quantique lorsqu’on approche des niveaux d’anticipations collectifs sur des grands nombres. Pourtant, ce qu’avais pressenti Adam Smith et sa « main invisible », indiquant que la poursuite du bien être individuel générait le bien être collectif par effet agrégé est une des tentatives que l’être humain à eu de contourner cette incertitude individuelle rapportée aux comportements socialement agrégés. Même si certains dogmatiques se raccrochent encore aujourd’hui à cette « main invisible » qui visiblement n’existe pas (sauf peut être pour donner de grosses claques de manière indifférenciée) ou alors de manière assez dogmatique, il serait également folie que de nier l’importance de l’anticipation dans le fonctionnement des sociétés humaines, depuis son niveau individuel jusqu’à son niveau agrégé à l’humanité toute entière, en passant par l’ensemble des branches d’activités économiques. Toute direction est dans l’anticipation.

Au niveau d’un pays, les anticipations se basent principalement sur des données disponibles (parfois très restreintes) que sont les indicateurs économiques et démographiques : croissance de la population et produit intérieur brut (PIB). Ces 10 dernières années se sont greffés à ces indicateurs très basiques (chômage, niveaux d’emprunts publics et privés, fluctuation des masses monétaires ainsi que d’autres plus élaborés et plus diversifiés comme les Objectifs du Millenium de l’ONU, le Corruption Perception Index de Transparency International, etc. Ces nouveaux indicateurs ont la claire volonté de briser le monopole du PIB pour introduire des indicateurs plus variés afin de mieux décrire les évolutions des pays et surtout de leurs populations.

Une anticipation se fonde plus sur les évolutions que sur les données « photographiques » à un temps donné, même si ces dernières sont des indicateurs intéressants pour déceler les tendances pouvant s’amorcer sur le court ou le moyen terme. Toutefois, une chose est sure : certains éléments font que la capacité productive d’une population augmente ou diminue dans le futur. Outre les indicateurs de production à un temps présent, on sait que la qualité des infrastructure, de la communication, de l’éducation et de la santé d’une population sont des facteurs qui augmentent sa future productivité potentielle, tant en terme de production « classique » que de production innovantes ou inventives (la différence entre l’innovation et l’invention pourrait se résumer comme suit : la première améliore des choses existantes, la seconde en invente de nouvelles).
La manière dont une population se gère au travers de ses institutions est également un facteur important dans l’anticipation. Notre pays en est un formidable exemple qui se démontre chaque jour par l’attractivité qu’il exerce sur les investissements étrangers : stabilité et gestion participative (démocratie directe) sont les concepts-maîtres d’une institution qui s’adapte à la réalité dans une continuité évolutives et non par un système de ruptures.

Ainsi, le revenu de citoyenneté au niveau international devrait être basé sur les capacités de chaque couple Etat/Population à se projeter dans un futur plus prometteur qu’aujourd’hui, réel et non pas seulement ressenti ou « marketé ». Le système monétaire fonctionne d’ailleurs déjà comme cela : les décisions présentes se projetant dans le futur, celles destinées à régler un problème (comme la dette publique p.ex.) ou celles destinées à « redonner confiance » (plans d’investissements p.ex.) doivent proposer des contreparties pour être crédibles, et donc asseoir leur action sur une certaine forme de légitimité qui avant d’être démocratique, technocratique ou administrative, doit être « marketique », soit bien vendue à son public (citoyens, investisseurs, partenaires étatiques etc.).

A force de « jouer » avec ces concepts et d’abuser des arguments chiffrés qui sont eux-mêmes parfois contradictoires, le PIB reste la seule donnée véritablement utilisée pour calculer les anticipations économiques ou politiques, tant par les Etats eux-mêmes que pour les différents groupes, observatoires, et institutions supra-nationales (OCDE, Banque Mondiale et FMI). Pour partiel et aléatoire que reste le PIB comme outil d’anticipation, il est sans doute plus solide que les autres car il indique plus la capacité de l’Etat de prélever l’impôt sur les activités économiques qui se déroulent sur son territoire que ce que la production est réellement et dans quelle direction elle va aller. Personne ne connaît cette dernière mais le PIB apparaît comme l’indicateur principal d’anticipation parce qu’il est dans une certaine mesure « auto-predictif ».

L’anticipation est fondamentale notamment pour l’émission de monnaie. Le rôle des banques nationales est effectivement « d’assurer la liquidité suffisante pour répondre aux besoins économiques de la population (d’un pays) ».  Cette mission a un corollaire principal, celui de la stabilité des prix : si la liquidité vient à manquer, les prix diminuent, et si la liquidité augmente, les prix augmentent. Ca c’est de la théorie classique qui traite la monnaie comme une marchandise, ce qui est partiellement vrai, mais seulement partiellement. L’autre aspect n’est pas forcément le « droit de seigneuriage » qui est mentionné comme un moyen de financement de la mesure (lequel serait tout à fait idoine mais malheureusement un peu trop révolutionnaire pour le moment étant donné les inerties (et parfois les inepties) d’un système économique et financier) mais la raison même selon laquelle les banques nationales peuvent ou ne peuvent pas augmenter la liquidité en circulation dans zone monétaire. Comme nous l’avons mentionné plus haut, il faut toujours une contrepartie. Cette fois, la contrepartie n’est pas une quelconque ressource naturelle ou une augmentation des investissements étrangers, une baisse du taux d’intérêt, mais une véritable contrepartie réelle, basée sur des relevés fiables : la capacité de production future d’une population calculée sur la base d’indicateurs stables, transparents, fiables et publics.

Si cette anticipation peut être construite sur la base de relevés fiables et réguliers (dont les éléments en Suisse existent déjà en termes statistiques), alors il suffit de considérer la capacité de la population pour financer cette anticipation par une création de liquidité correspondante qui sera cadrée par un indice de développement incluant production passée et actuelle, éducation, taux d’innovation, santé, infrastructures, ressources naturelles (y compris l’eau, l’air et les sols) et la qualité des communication, pour ensuite y ajouter les éléments de gestion comme l’inclusivité et la participation, les systèmes de renouvellement des élites et les processus participatifs aux décisions publiques.
Si un pays dans le monde peut donner l’exemple en matière de revenu de base, c’est bien la Suisse.

Le rôle de l'Etat

Dans une optique de réforme et non de rupture, un système de ce type doit s’appuyer sur des infrastructures organisationnelles existantes. L’une d’elle est justement l’Etat, lequel est à la fois un facteur de stabilité et d’incertitude. Dans le cadre d’un revenu de citoyenneté, l’Etat tient un rôle essentiel.
Seconde question : pourquoi utiliser l’Etat ? Lorsque nous parlons de communautés, les collectivités locales – communes, cantons, oblasts, counties, etc. – seraient mieux à même d'être les artisans d'un tel revenu universel ? Cela n'est pas de notre avis sauf si le revenu universel ou citoyen était calculé sur des bases de territoires communaux ou équivalents (comme base de calcul, peut être pas comme base de gestion). Mais comme nous parlons d'un revenu alloué à la population qui possède des droits et devoirs vis-à-vis d’un Etat qui revient à sa fonction « d’Agora », il convient que ce soit l'Etat qui s'occupe tant du recensement que des procédures d'allocation. Cela empêcherait également d'avoir des trop grandes disparités à l'intérieur d'un Etat, disparités qui certes existent mais doivent être réglées autrement puisque nous partons de l'idée qu'une communauté étatique partage des valeurs semblables et lie son destin d'une manière plus large que la simple communauté locale qui est plus l'expression d'une volonté de gestion rapprochée du citoyen que d'une véritable communauté autonome.
D'autre part, l'Etat sous sa forme actuelle est encore ce que l'on a trouvé de mieux, ou de moins pire pour paraphraser Churchill, pour gérer des communautés établies sur des territoires définis. Il y a fort à parier que le jour où l'humanité aura des colonies dans l'espace ou sur d'autres planètes, le concept même d'Etat deviendra assez obsolète et ce sera tant mieux. Enfin, l'Etat à la mérite d'exister à peut près partout, ce qui simplifie grandement les choses, même si certaines révisions de frontières et créations de nouveaux Etats semble inéluctable à court ou moyen terme. Mais là n'est pas la question. Le fait d’utiliser l’Etat comme base d’application permet une comparaison entre systèmes comparables.

En tant que tel, le rôle de l'Etat est d'organiser au mieux la vie et le développement des communautés qui vivent sur le territoire dont il a la charge et de développer ce niveau de vie de ces dites communautés ou populations. L'Etat ne possède aucun autre sens en soi, et encore moins pour soi. C'est pour cela que les populations ont le rôle prédominant dans le choix de la gestion de leur Etat. En soit, l'Etat n'est qu'une machine, un "truc" qu'il convient de diriger au mieux. Si les pilotes sont hors de contrôle de leur population, l'Etat comme "machine" n'a plus aucun sens fonctionnel. Il devient un outil d'oppression qu’il convient de réformer au plus vite pour le remplacer par une institution, une "machine" qui fonctionne. Ainsi, si le rôle d'un Etat, en tant qu'institution, est de gérer au mieux et de développer le niveau de vie de ses populations installées sur son territoire du mieux qu'il le peut, cela signifie qu'il doit organiser ses "rouages" afin qu'ils assurent à la population un niveau de vie décent, un développement harmonieux de ce niveau de vie dans un contexte national, régional et international et qu’il offre des garanties à la population qu’il administre sur son future.

L’Etat est essentiel non seulement comme outils de gestion des communautés qui le légitimisent, mais également parce que dans l’état actuel, entendu comme point de départ d’une situation, il est celui qui entre autre défini et administre le bien public. Ensemble, la gestion et la définition du ou des biens publics et leur qualité font que l’Etat est un outil correct pour gérer sa population. Cette dernière doit pourtant lui octroyer sa légitimité afin que cette gestion et ces définitions de bien commun ou public soient acceptées par ladite population.

Legitimité, monnaie, valeurs et attributions

L’inclusion de la population est la condition sine qua non d’une telle mesure. Elle sert à la fois de gage de stabilité mais également de fiabilité des indices produits, lesquels servent à calculer les montants de la rente universelle.
Cette inclusion passe par un système qui, en échange de droits accordés aux citoyens, leurs réclame des devoirs supplémentaires, notamment en matière de gestion de la chose publique et de ce qui est reconnu comme le bien commun. Cela peu passer au travers d’un système démocratique qui intègre enfin les nouvelles technologies, et qui, avec ou sans représentativité parlementaire, puisse permettre aux citoyennes et citoyens d’intervenir directement dans les débats concernant la gestion des affaires publiques.
Cela signifie également que les citoyens doivent faire l’effort de s’y intéresser et donc de s’informer, de s’éduquer et d’apporter leur idées, leurs façons et leurs arguments dans les débats démocratiques.
Un système de contre-pouvoirs est, depuis Tocqueville, au centre de l’exercice des pouvoirs des systèmes démocratiques occidentaux. Le gain de légitimité nécessaire à une réalisation effective de la rente universelle est donc un élément primordial. On pourrait donc, sur différents niveaux étatiques (locaux ou régionaux), imaginer des fonctions qui remplacent la représentativité par élections et qui forcent tout citoyen à se mettre, temporairement, au service de la chose publique, en passant à un système de tirage au sort sur des périodes plus courtes de 1 ou 2 mois qui intégreraient les nouvelles technologie au lieu de rester jusqu’à trois heures du matin à débattre avec effets de manches que personne ne regarde sur les subventions à octroyer au club d’échec du coin. Cela permettrait, couplé à l’allocation, à augmenter la représentativité et la légitimité des décisions publiques tout en gagnant en inclusivité des besoins et des innovations, des populations et des nouvelles visions qui sauraient faire en sorte d’augmenter indirectement, par une capacité plus grande, le montant de l’allocation elle-même.

Un changement de paradigme

Le mode de gestion étatique et international tant au niveau économique qu’au niveau politique est moyenâgeux. La véritable innovation de ce système de revenu de base est qu’il puisse être appliqué, réellement ou fictivement à chaque pays suivant les mêmes critères et indicateurs afin de pousser les pays qui ne l’ont pas à l’adopter.
On parle par exemple d’un revenu de base en Suisse de CHF 2'500 par individu, lequels serait de ¼ pour les enfants. Si on considère ce revenu comme base internationale, on pourrait par exemple calculer que la France serait sur un revenu de 70 ou de 80, les Etats Unis de 80-85 et l’Inde de 30 à 40. Plus le système serait bien géré, plus le revenu de base augmenterait, et plus la valeur de la monnaie nationale augmenterait d’autant.

La Suisse est certainement le pays le plus prêt, structurellement et culturellement à pouvoir effectivement mettre en œuvre une telle mesure. Idéologiquement, elle ne l’est pas notamment à cause des inerties structurelles existantes et du manque de vision, de courage et souvent, malheureusement, d’imagination de principaux responsables politiques.
Contrairement à ce que l’on entends souvent, on ne gère pas un Etat comme on gère un ménage…. Il n’y a qu’une ménagère souabe ou un comptable appenzellois pour croire à de telles inepties.
Pour modifier de manière aussi importante un système existant qui, tout usé jusqu’à la corde qu’il est, fonctionne encore tant bien que mal, il faut de la vision pour voir plus loin que le bout de son nez, et du courage pour imaginer, débattre et se confronter sans idéologies et sans dogmatisme, de manière intellectuellement honnête, aux différents scénarios. Personne ne dit que le revenu de citoyenneté est un remède miracle à tous les maux existants. Je ne suis moi même pas d’accord avec plusieurs aspects et justifications du comité référendaire que je trouve beaucoup trop étriqués et dogmatiques. Poser le revenu universel comme un choix de société est trop limité. Ce n’est pas un choix de société mais un choix de gestion de société. Il ne suffit pas de dire que le revenu de base profitera aux revenus les plus faibles pour en faire un succès. C’est du point de vue de l’évolution d’une société que le concept du revenu de base est important : libéré des contraires basiques de l’existences, j’imagine à peine le foisonnement de talents et de possibilités qui pourront enfin donner toutes leurs mesures. Nous ne sommes pas là pour éviter un désastre. Nous sommes là pour évoluer et nous donner toujours plus de chances : combien de génies sont morts noyés dans la méditerranée en migrant l’année passée parce qu’il n’avaient pas cette capacité de subvenir à leurs besoins primaires ? L’Einstein du XXIème siècle est-il mort dans un bombardement en Syrie ? Ou travaille t’il à la Migros faute de mieux ? Sommes nous vraiment près à affronter les conséquences d’un tel gâchis de talents humains ? Le revenu de base n’est pas un choix entre la société actuelle et une société plus égalitaire et plus juste. C’est un petit pas responsable et évolutif (pour une fois sans morts et sans révolution), qui démontre la maturité d’un peuple, vers une gestion permettant l’expression plus complète de ses capacités.

Il est extraordinaire que malgré une histoire chaotique et des compréhensions du monde aussi limitées que nous avons, une telle opportunité réelle puisse s’offrir à nous. Il est tant que la Suisse ose et redevienne l’initiatrice de ce souffle modeste mais puissant qui inspira aussi largement les Lumières pour enfin changer le Monde.

 

Merci à toutes celles et ceux qui m'ont aidé à préparer ce texte: Yves, Alexandre, Nada, Joel, Marco, etc.

 

 

 

Nicolas Giannakopoulos

Nicolas Giannakopoulos est un des spécialistes reconnu internationalement dans le domaine des organisations et autres structures criminelles. Au travers des recherches qu’il mène depuis 1991, il a apporté le soin de concilier recherche et pratique, développant ainsi des compétences scientifiques dont l’utilité pratique est quasi immédiate.