Taux plancher: la BNS massacre les PME?

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Alerte au tsunami en Suisse. C'est un comble. Lorsque la BNS lâche le taux plancher de 1,20 CHF pour 1 EUR, entraînant du même coup le dollars et d'autres monnaies, c'est la consternation. Et les explications, justifications, analyses et commentaires vont bon train. Mais il ne s'agit pas d'un "machin" irréel. Pour une entreprise suisse qui facture des clients étrangers, la perte est réelle et douloureuse. On se rend compte de l'iniquité des systèmes de changes dans toute leur opacité et leur brutalité lorsque d'un coup, d'un seul, sans que l'on ait rien demandé, on voit la valeur de ses avoirs et de ses factures diminuer de 20%. On ne dira rien par rapport à l'indépendance de la BNS et de son statut…ce n'est pas ici le propos. Deux question se posent toutefois par rapport à cette décision et les réponses sont absentes: pourquoi la BNS abandonne-t-elle le taux plancher? Et pourquoi l'a-t-elle fait de cette manière?

En rapport à la première question, les explications vont bon train mais ne sont pas forcément satisfaisantes. La première explication, rapportée par "Le Monde" dans son édition d'aujourd'hui, est que la BNS pensait que le cours EUR/CHF s'était stabilisé et n'avait plus besoin du support de la banque centrale. Cette explication contredit les propos du Directeur de la BNS lui-même indiquant que la situation n'était plus "tenable" face à des menaces de chute de l'euro en prévision d'une série de grands emprunts d'Etats européens. Il a aussi été mentionné que "les entreprises suisses avaient eu le temps de se préparer"…de se préparer à quoi?

L'abandon du soutien de la BNS au taux plancher est toutefois une énigme: lorsqu'en 2011, l'euro atteignait la valeur de 1 franc, la BNS avait décidé de sa politique de soutien pour des raisons très concrète, et parce que l'économie exportatrice principalement ne pouvait pas tenir vis-à-vis de la concurrence étrangère et que la valeur du franc suisse était victime du succès de la stabilité et des performances économiques de ses gestionnaires et politiques, petits et grands. C'était une décision normale d'un organe suisse qui se préoccupe du bien-être de sa population, de son industrie mais également de sa capacité d'intervenir sur le monde.

L'abandon du taux plancher est salué ce matin par la presse étrangère et notamment économique comme un coup malheureux d'apprenti sorcier… Une erreur qu'il conviendrait de corriger. Dire que la BNS ne peut plus "tenir" le taux plancher est incompréhensible. Si des étrangers souhaitent acheter du franc suisse, le rôle de la BNS est de créer autant de monnaie que la demande le souhaite, dans le cadre de sa politique. Ou alors y aurait-il eu des attaques frontales de grands opérateurs, hedges funds ou autres, jouant sur cette "sécurité" pour faire "sauter la banque" comme l'avait fait Georges Soros avec la Banque d'Angleterre il y a quelques années? Si cela est le cas, pourquoi ne le dit-on pas? Où est la transparence qu'on cherche par tous les moyens à imposer aux instituts financiers, aux entreprises et aux simples citoyens?

Les réserves en euro de la BNS ont bondi à des sommets, nous dit-on, qui menacent la stabilité de la Suisse elle-même. Il est clair que perdre d'un coup 20% de plus de 450 milliards d'euros de réserve représente une sacrée perte. Mais la somme n'a rien d'extraordinaire étant donné que cela fait plus de dezx ans que la BNS soutient le taux plancher. Et qu'elle n'a toujours pas trouvé le moyen de faire quelque chose de ces euros à part peut être les placer sur des marchés forex. Une telle politique devrait être, comme beaucoup en Suisse l'ont demandé depuis que le taux plancher existait, réalisée aux deux bouts de la chaîne: émettre du franc suisse pour acheter de l'Euro d'une part mais également investir ces euros dans les économies européennes, augmentant leur productivité, leurs débouchés, diffusant ainsi le "savoir-faire suisse" dans nos marchés d'exportation, et nous rendant du coup moins vulnérables à des décisions prises à Berlin, Paris, Londres, Madrid ou Rome. 

La manière ensuite est brutale: en secret…(cela m'étonnerais qu'une telle décision soit restée un secret pour certains qui ont dû se goberger de notre pouvoir d'achat dans les premières heures de l'annonce…). Pourquoi ce secret? La BNS pense… L'économie pense… Nous croyons…. Nom d'un chien, serais-je tenté de dire, mais lorsqu'on est aux commandes de manettes pareilles, on ne prends pas des décisions sur des pensées ni des croyances! Nous ne sommes pas à l'église.

La brutalité de la décision a affolé tout le monde, elle a paniqué l'économie suisse toute entière depuis les titres SMI jusqu'aux PME et aux citoyens. Est-ce là une manière de gérer une politique monétaire qui a des répercussions concrètes et immédiates sur le pays? Messieurs, votre position impose, dans le monde hypercommunicant d'aujourd'hui, d'agir de manière plus transparente que les autres. La prochaine fois, s'il y en a une, communiquez, préparez le terrain et anticipez les anticipations des acteurs économiques. La politique des petits pas permet d'éviter des erreurs que créent des décisions brutales. 

Même si le franc suisse vient à remonter parce que la monnaie de nos partenaires européens se "casse la figure", cela ne sera pas réjouissant pour nous non plus. Anticiper cette dégringolade est un coup de poker perdu d'avance puisque, dans les deux cas, la Suisse perd.

Alors s'il vous plait, Messieurs les grands prêtres de la monnaie suisse, remettez ce taux plancher et investissez vos euros dans les marchés européens qui sont chers à la Suisse. Cela fera du bien à tout le monde.

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Nicolas Giannakopoulos

Nicolas Giannakopoulos est un des spécialistes reconnu internationalement dans le domaine des organisations et autres structures criminelles. Au travers des recherches qu’il mène depuis 1991, il a apporté le soin de concilier recherche et pratique, développant ainsi des compétences scientifiques dont l’utilité pratique est quasi immédiate.