C’est en faisant la queue à la librairie que mes yeux sont tombés sur la photographie d’un élégant prince indien à moustache. Sur fond noir, encadré par un titre de couleur jaune (Les princes de Sambalpur), ce prince qui me regardait fixement dans les yeux ne pouvait être que la victime d’un polar.
Lisant le quart de couverture, j’apprends que l’histoire se déroule dans l’Inde des années 20. Un officier britannique, le capitaine Wyndham et son acolyte, le sergent Banerjee de la police de Calcutta sont chargés d’élucider un meurtre qui se déroule devant leurs yeux, celui du yuvraj, le prince héritier de Sambalpur, un royaume qui vit grâce à ses mines de diamants.
Une fois n’est pas coutume, j’ai acheté ce roman policier d’Abir Mukherjee et grand bien m’en a pris! Il contient tous les éléments du genre: un détective tourmenté (par une femme et par sa consommation d’opium), un duo (qu’il forme avec son sergent) efficace et drôle, des intrigues royales, de l’argent (des diamants), des femmes (notamment celles du zenana). Le tout sur fond de conflit politique indo-britannique et de culte religieux, celui de Jagannath. L’ensemble est léger, précis, intelligent, parsemé d’une bonne dose d’ironie. Le contexte historique est extrêmement bien construit et on ressent une grande sensibilité aux enjeux de l’époque qui sont décryptés de manière pertinente.
Abir Mukherjee, né dans une famille d’immigrés indiens en Grande-Bretagne, écrit de manière avertie et se retrouver dans la tête de son personnage principal est très divertissant: “On ne voit pas souvent un homme avec un diamant dans la barbe. Mais quand un prince ne trouve plus de place sur ses oreilles, ses doigts et ses vêtements, je suppose que les poils de son menton conviennent tout aussi bien.” (p. 9)
L’incompréhension des Britanniques pour la culture indienne et la difficulté ou l’impossibilité de co-exister sur un même territoire sont au cœur du roman: “C’est l’Inde, capitaine. Voyez-la telle qu’elle est, pas telle que vos apologistes de l’Empire et vos professeurs d’orientalisme voudraient que vous la croyiez. Faute de quoi vous ne nous comprendrez jamais.” (p. 210).
L’intrigue est passionnante, nous mène de palais en palais, et nous permet de connaître de mieux en mieux le personnage du capitaine Wyndham et son humour grinçant, où même les Suisses trouvent une place: “L’entrée du zenana est gardée par deux guerriers qui semblent avoir été sculptés dans une carrière, probablement quelque part dans les déserts du Rajasthan. Les militaires rajputs proposent traditionnellement leurs services à des princes de toute l’Inde, comme les Suisses en Europe.” (p. 235)
Les princes de Sambalpur (2020) est le deuxième tome d’une série débutée avec L’Attaque du Calcutta-Darjeeling (2019), qui a valu à Abir Mukherjee le Prix du polar européen.