“La poésie est politique”, Amanda Gorman et Nabina Das

Nous avons toutes et tous pu assister à la performance poétique d’Amanda Gorman lors de l’investiture américaine le 21 janvier dernier.

Sa prestation a fait l’unanimité. Depuis, elle a été l’invitée de tous les talk-shows américains et elle a fait la une de Time Magazine. Elle y prend la pose comme une reine et est interviewée par la non moins adulée Michelle Obama. Son attitude, ses vêtements, son serre-tête (“sa couronne?”, se demande le New York Times), sa scansion, son engagement politique, sa jeunesse, son sexe, sa couleur de peau, tout a fait l’objet de commentaires.

Cette jeune femme a dignement relevé le défi et a démontré à ceux qui l’auraient oublié combien la poésie est puissante et combien elle est moderne. Amanda Gorman, avec son poème The Hill We Climb, a aussi défendu sa position d’écrire et de déclamer une poésie aux tonalités politiques, parce que pour elle “Tout art est politique. La décision de créer, le choix artistique d’avoir une voix, le choix d’être entendu est l’acte le plus politique qui soit.” (TED-Ed Student Talks “Using your voice is a political choice”).

Nabina Das

La prestation de la jeune femme et la question du lien entre poésie et politique m’ont fait penser à un texte que je suis en train de traduire: un essai d’une poétesse assamaise, Nabina Das. Il s’agit d’un texte qui parle de la violence de l’isolement et qui sera publié dans un ouvrage collectif aux éditions Banyan. Il réunit des écrivains indiens s’exprimant sur la pandémie que nous traversons.

Nabina Das, elle aussi, exprime ses idées (féministes, en faveur des minorités, contre le gouvernement actuel) et lie la poésie à la politique. Dans un article qu’elle a écrit pour Scroll.in en 2017 sur les nouvelles voix de la poésie indienne, elle relève combien la poésie d’aujourd’hui en Inde est emplie d’une intense conscience historique et politique. Elle défend l’idée que la poésie a un impact social, qu’elle constitue un projet social qui fait sens. Pour elle, tout ce qu’on exprime de personnel dans la poésie est également politique (voir aussi cette interview).

Comme pour Amanda Gorman, le fait d’utiliser sa voix est un acte politique. Elle lit son poème Sanskarnama ici:

Sanskarnama

In this land dreams invite slaughter. I can see
how we want to meet in the city of hearts. But we
walk like Atwood’s women. All draped, face-shut.
Blank eyes digging holes in the stark ground.
What does a colour mean for us? What warmth it
brings I wonder. The skin of our wishes blue.
The eyes always mint-coin flicker. Hands ashen.
A woman’s body is not a scripture. Hence, shades
are brighter here. It’s about desires, demands
and blood-red hearts that arteries want. No giving up
to fate lines. How can we not see — one by one
the bodies stir in light. Up, up and about they go.

All about they go
and see the girdles strip off
breasts become waves. The women
take off their underwear too.
It’s time for a dip in the senses.
Bystanders aim their lenses
henchmen train their whiplashes
The fearful think witches have come.

In this land, praises are only for goddesses
sanskar only for the pious. No scope for flesh
to speak. No sidelining the defining rekha
that poor boy Lakshman drew. So let’s fold up
the saffron janeus and let the rivers be open
to only gurgles where you hear women rushing out
women with thighs slapping against the rude tide
women who bite the poison ivy to spit honey
on to the air. Women being women for they don’t
have to be rule-bred, nothing sacred, no ties at all.

Then a thousand years pass by our arteries’ throb:
In this scripture, the women rewrite the lines and shloks.

 

Nadia Cattoni

Nadia Cattoni est titulaire d'un doctorat ès Lettres de l'Université de Lausanne, qu'elle a poursuivi par des recherches postdoctorales à Paris et Venise. Ses publications portent principalement sur les langues et littératures indiennes. Ses nombreux voyages en Inde et ses intérêts personnels la poussent également à explorer d'autres formes d'art et à s'investir dans des projets culturels. www.tchatak.com