Le sol, grand absent des discussions concernant notre alimentation ?

Alors que les débats en lien avec les prochaines votations fédérales s’enflamment pour savoir s’il faut manger bio, sans viande, avec quinoa, local ou fait maison, la thématique du sol est souvent oubliée. Et pourtant, le sol, ce substrat sur lequel poussent nos carottes, notre blé, et où paissent nos vaches qui nous fournissent viande et lait aurait sa place au cœur du débat. Les sols ont de nombreuses fonctions, souvent oubliées, comme celle d’être filtrants, notamment pour les eaux souterraines. Une eau qui irriguera nos champs ou que l’on retrouvera à notre robinet. Mais les sols font aussi office de tampons en présence de certaines substances, ils stockent les nutriments et le CO2, ils servent enfin de support pour la production de biomasse, à commencer par les denrées alimentaires au cœur des débats de cette fin d’été.

Malgré ces fonctions essentielles, le sol a subi et subit encore nombre d’attaques, de dégradation, toutes liées à des utilisations peu reluisantes. Ainsi, lorsqu’il se trouve aux abords d’une route, d’un ancien site industriel, ou s’il supporte une agriculture intensive utilisant pesticides et autres produits de synthèse, le sol voit des substances telles que métaux lourds et autres polluants nocifs pour la santé s’accumuler et le dégrader.

Actuellement, lorsqu’une pollution est constatée, la seule solution consiste à purement et simplement retirer le sol touché pour l’éliminer (principalement en décharge) avant finalement de le remplacer par un autre. Un système qui connait des limites car, là où il faut quelques années à anéantir un sol de notre plateau, il a fallu des milliers d’années à le former.

Autant de considérations qui échappent à la majorité de la Commission de l’environnement du Conseil national. Celle-ci, au lieu de prendre des mesures pour limiter voire supprimer tout apport de pollution et ainsi préserver la qualité des sols, n’a rien trouvé de plus ridicule que de se tirer une balle dans le pied et de faire une fleur… aux fusils. La commission a, en effet, choisi de proposer la suppression du délai, fixé actuellement à 2020, à partir duquel les assainissements de sols ne sont plus subventionnés par la manne publique si les sols ont été pollués par des tirs. Ainsi, l’assainissement des sols pollués par le tir en campagne et les tirs historiques sera toujours soutenu par des subventions fédérales. Par cette démarche à la virilité et au courage que je vous laisse apprécier, la commission attribue un permis de polluer sans limite à la pratique du tir en campagne. Le tir en campagne qui, juste en passant, provoque en une journée une pollution équivalente à celle l’activité annuelle d’un stand de tir. La pollution au plomb, dont la toxicité n’est plus à démontrer, perdurera ainsi des milliers d’années dans le sol.

Anecdotique pour certain, cet exemple parmi tant d’autres, témoigne de la non-volonté, pour ne pas dire de l’obstructionnisme, dont fait preuve l’actuelle majorité à mener une politique de réelle protection des sols, de l’environnement et donc de la santé. Alors qu’une densification du territoire devrait encourager à trouver des solutions pour préserver les sols dont la qualité est reconnue, le Conseil fédéral fait la sourde oreille aux interpellations et postulats demandant de tendre à une gestion durable des sols. Il invoque le manque de données à disposition. Soit, mais que fait-il pour dépasser cet écueil. Le manque de données disponibles ne devrait-il pas interpeller pour agir concrètement et rapidement ?

La nécessité de préserver, voire améliorer, la qualité des sols est impérative. Une détérioration continue de leur qualité ne permettra plus de maintenir les fonctions essentielles des sols, cette détérioration étant de surcroît rarement réversible. Quand bien même les surfaces cultivables actuelles permettraient de garantir de vivre en autarcie, moyennant certes des changements dans nos habitudes alimentaires, faudrait-il encore que la qualité du sol le permette. De quoi regretter que le sol, cet essentiel substrat à la vie, soit si peu abordé dans les discussions en cours sur notre alimentation.

 

 

Martine Docourt

Députée au Grand Conseil neuchâtelois depuis 2009, Martine Docourt a présidé le groupe socialiste de 2013 à 2017. Depuis 2017, elle copréside les Femmes socialistes suisses. En tant que géologue de l’environnement, elle a eu plusieurs expériences dans l’administration publique cantonale et fédérale. Depuis 2020, elle est responsable nationale du Département politique du syndicat Unia. Elle vit à Neuchâtel avec ses deux jeunes enfants et son mari.

4 réponses à “Le sol, grand absent des discussions concernant notre alimentation ?

  1. Excellent de justesse.
    Mais on peut comprendre le Conseil fédéral qui repousse l’interdiction des “pesticides” (la liste est longue et jusqu’à la semence protégée).
    Novartis ne vient-il.pas de vendre (sentant le vent tourner) Syngenta à un groupe chinois!!!!

  2. Vous avez très bien résumé la situation. Un sol est vivant, il contient une grande quantité d’êtres vivants et est aussi riches en diverses substances nécessaires à la vie. Pendant des décennies les instituts agronomiques suisses n’ont plus enseigné la biologie des sols (dixit un ingénieur agronome romand) et plutôt suivi les recommandations désuètes de grosses sociétés actives dans l’agriculture productiviste (engrais, machines agricoles, pesticides, etc.). Au niveau des diverses instances fédérales en charge de cet aspect de la protection du territoire et des citoyens, il semble y avoir de sacrés carences en la matière. A qui la faute ? Un up grade des logiciels est urgente.

  3. Le sol est effectivement le grand absent de ces discussions. On l’a vu récemment avec l’article aberrant du Temps sur l’effroyable projet de troisième correction des eaux du Jura. Comment un ingénieur peut-il affirmer “les quantités d’eau sont pourtant infinies”, et comment un média qui dit s’engager pour l’écologie peut-il publier cette bêtise en encadré rouge en première page (Le Temps 17.8.18). Le problème de la région des trois lacs, par exemple, n’est pas un manque d’eau, mais bien l’épuisement des sols, qu’on a labouré à 2 mètres depuis plus de trois décennies. On peut irriguer tant qu’on veut, il ne poussera rien de plus, ces sols sont épuisés, et seules de longues années en agriculture bio ou en biodynamie leur permettront peut-être de se régénérer.

  4. Pesticides et engrais chimiques – solubles – modifient les constituants de la terre : humus et organismes du sol, éléments nutritifs pour les plantes, soit des dizaines de minéraux et oligo-éléments différents. Induisant carences, excès, déséquilibres nutritifs et maladies des récoltes. De plus : perturbations du climat car ces produits de synthèses portent atteintes aux humus + organismes du sol . Sans compter les pollutions des eaux.
    Les pollutions chimiques (pesticides de synthèse) contaminent très souvent ce que nous ingérons après avoir empoisonné sols, eaux, flore, faune, environnement. Et l’air que nous respirons…

    Voir Ministère agricole France http://agriculture.gouv.fr/4-pour-1000-et-si-la-solution-climat-passait-par-les-sols-0  
    et « Initiative internationale 4 pour 1000 » (augmentation de carbone-humus-végétaux) : https://www.4p1000.org/fr

    Voir Recherche suisse PNR68 : http://www.pnr68.ch/fr/projets/synteses-thematiques/sol-et-environnement

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