Etre stoïque sans être stoïcien peut être mortel

Kelly Catlin, triple championne du monde cycliste de 23 ans, a mis fin à ses jours le 7 mars 2019. Emploi du temps dément. Sport d’élite et études de haut vol. Pas de temps à soi. Elle a comparé l’exercice de compatibilité entre tant d’activités exigeantes comme du jonglage avec des couteaux. Douée pour tout. Mémoire d’éléphant. Elle a laissé une lettre en guise d’adieu. Elle y fait un bilan, y donne des conseils :

La plus grande force que vous développerez est la capacité de reconnaître vos propres faiblesses et d’apprendre à demander de l’aide. C’est une leçon que je ne fais que découvrir, lentement et douloureusement. J’échoue toujours. En tant qu’athlètes, nous sommes tous socialement programmés pour être stoïques avec notre douleur, pour porter nos fardeaux et ne pas nous plaindre. Ce sont des habitudes difficiles à briser”.

Et encore :

“ Tout comme vos muscles, votre esprit ne peut se réparer et devenir plus fort qu’avec le repos. Demandez une journée de repos, ou, si vous avez la chance d’être votre propre coach, accordez-vous une journée de repos. Contrairement à tout le reste dans la vie, cela ne peut pas vous faire de mal”.

Poignant.

On aurait voulu être là.

Sentir ce qui se préparait.

Lui apprendre la patience.

Lui permettre de mettre en pratique le conseil qu’elle a donné mais n’a pas été à même de suivre.

Kelly Catlin a été stoïque sans pouvoir être stoïcienne.

C’est un crime que d’encourager les gens à être stoïques, sans leur donner les moyens d’être stoïciens. L’origine commune des termes (la langue anglaise utilise le même terme pour désigner les deux états), le fait que les Stoïciens aient généralement été stoïques, ne permet pas d’inférer que les gens stoïques sont aussi stoïciens. Avoir appris à être courageux, à supporter la peur, la privation, les duretés et les aléas de la vie sans se laisser troubler est une chose. Faire preuve de ces qualités au prix de l’oubli de soi en est une autre. Le courage, la résistance et la sérénité face à la douleur ne valent pas grand-chose si elles s’acquièrent au prix de l’abnégation, de l’oubli de soi : il n’y a là rien, mais vraiment rien de stoïcien. Ce que nous enseignent Zénon de Kition, Epictète, Marc-Aurèle et Sénèque, précisément, c’est que, s’il faut supporter ce qui ne dépend pas de nous, il s’agit, en revanche, d’agir sur ce qui dépend de nous, essentiellement nos sentiments et nos émotions. Faire la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas est une habitude salutaire. On évite de se charger de ce sur qui on n’a pas prise (quel meilleur remède contre l’anxiété, presque toujours inutile ?) et on agit là où on a prise (quel meilleur remède contre le défaitisme et la procrastination ?)

Mais le culte de l’effort et de l’art de tout supporter sans renoncer à soi présente, pour ceux qui subordonnent et commandent, un avantage immédiat certain. Cultiver le stoïcisme chez les autres, c’est s’assurer un gouvernement facile, s’attacher leur obéissance : les stoïques prennent sur eux toutes les difficultés, font preuve d’héroïsme, se montrent fidèles jusqu’à la mort parce qu’ils ont intégré ce qu’on attend d’eux. Ils voient une valeur dans cette abnégation, la valeur suprême, même parfois, sans avoir les moyens de l’assumer au long cours. C’est que la qualité d’être stoïque ne repose pas sur un choix individuel, sur la responsabilité et le choix autonome. Elle n’est pas liberté. Elle est esclavage, un esclavage mortel s’il devient la source unique de la confiance en soi et de l’estime de soi.

Chez Kelly Catlin, la gloire, les victoires, la notoriété, la reconnaissance qu’elle a reçue de son environnement, la peur de décevoir sans doute, ont constitué autant de pièges qui l’ont empêchée de se poser les questions qui l’auraient peut-être sauvée : Où est-ce que je puise la validation de mes actions ? A quoi est-ce que j’obéis dans mon existence ? Qu’est-ce qui dépend de moi et qu’est-ce qui n’en dépend pas ? C’est la clé de voûte de toute la philosophie stoïcienne. Nous sommes maîtres de ce qui dépend de nous, c’est-à-dire en priorité et presque exclusivement de nos idées, de nos sentiments et de nos émotions. Le reste de notre existence est soumis à des influences qui nous échappent. Cela, il s’agit simplement de le supporter.

Mais ce qui dépend de nous peut être le fruit de notre travail : nous pouvons nous interroger sur nos représentations, débusquer celles qui sont erronées, passer au crible nos conditionnements, nos désirs et nos aversions pour voir en quoi elles entravent (inutilement) notre existence, en quoi elles sont contraires à notre nature, à la nature. Le stoïcisme est une éthique en acte, une éthique exigeante qui ne nous laisse pas nous endormir sur nos lauriers certes, mais qui nous protège aussi, qui prend soin de nous en ne nous laissant pas nous soumettre de nous-mêmes à des injonctions qui ne sont pas les nôtres.

On comprend pourquoi Kelly Catlin a mis fin à ses jours et on voit aussi comment il aurait été possible qu’elle ne se résolve pas à cette extrémité.

Si nous devions prendre son exemple comme guide éducatif, il me semble que nous devrions mettre en place dans les écoles les éléments de construction de la confiance en soi, qui comprend l’acceptation bienveillante de ses limites comme terrain fertile pour se trouver soi-même et coller véritablement à ce à quoi on se dédie. Le frère de Kelly Catlin, qui a fait découvrir le cyclisme à sa soeur, formule une hypothèse éclairante : “elle n’aimait pas vraiment le vélo, mais elle a commencé à gagner et elle aimait gagner”. Validation par les pairs, par la gloire. Fausse route si c’est la seule, car cette gloire-là ne dépend pas de nous, et elle nous affaiblit lorsqu’elle vient à manquer si on l’a cru nôtre.

Paix à ton âme, Kelly.

Références :

Diogène Laërce : Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, livre VII

Epictète : Manuel / Entretiens

Sénèque : Fragments, Consolations, Entretiens

Marc-Aurèle : Pensées pour moi-même

Illustration : Nelly Damas pour Foliosophy

(Texte paru sur le site https://www.foliosophy.com/ où je me réjouis de vous retrouver dès le mois de juillet 2023)

Eduquer et épanouir. Dialogue avec Delia Mamon, fondatrice de Graines de Paix

 

Marie-Claude Sawerschel (MCS) : Nous nous sommes rencontrées, chère Delia, via les réseaux, parce que tu as commenté un débat télévisé sur l’école auquel je participais. Dans ton commentaire, tu remerciais les participants tout en déplorant que les questions essentielles n’aient pas été abordées et j’étais bien d’accord avec ta remarque.

J’ai découvert ensuite que tu es la fondatrice de Graines de Paix, une fondation qui se donne pour mission de « servir la transformation de l’éducation en faveur d’une pleine réussite scolaire en y intégrant l’épanouissement, la prévention des violences et la paix (scolaire, sociétale, avec la nature) » ce qui est un programme on ne peut plus urgent !

Dis-nous tout d’abord qui tu es Delia, d’où tu viens et comment tu en es venue à t’engager activement sur les questions d’éducation.

 

Les débuts : deux systèmes scolaires et mai 68

Delia Mamon (DM) : J’ai effectué la première partie de mes études primaires et secondaires aux Etats-Unis, où mes parents avaient choisi de vivre. Cependant, à mes 8-9 ans, ma famille m’a scolarisée en France et j’ai pu ainsi observer à quel point les deux systèmes scolaires étaient opposés, l’un valorisant et humain, l’autre dévalorisant et sans humanité. De l’école publique américaine, je ne garde que de bons souvenirs, non seulement pour moi-même mais pour tous mes camarades. L’enseignement y était très vivant, ludique. Nous étions actifs, responsabilisés, et j’insiste sur le fait qu’aucun élève n’était rabaissé par les enseignants. En France, c’était tout le contraire. Ça s’est si mal passé pour moi que mes parents ont dû me ramener aux Etats-Unis après quelques mois.

Puis mes parents se sont définitivement établis en France quand j’avais douze ans. Je me souviens avoir été totalement révoltée au lycée par l’esprit punitif qui y régnait. Les élèves, même les filles les plus douées (les classes n’étaient pas encore mixtes), étaient terrorisées durant les cours. De plus, les enseignants dénigraient les élèves en public. J’ai eu des notes épouvantables, des 0 injustifiés, simplement parce que curieuse, je posais des questions. Je n’ai pas compris tout de suite qu’en France, poser une question pouvait être très mal vécu par les enseignants puisqu’aux Etats-Unis nous étions au contraire encouragé∙es à en poser.

J’ai fini par m’adapter, c’est-à-dire par cesser de poser des questions. Mais si on ne peut pas poser de questions, à quoi ça sert d’écouter ? Comment les élèves peuvent-ils maintenir leur concentration, le désir d’apprendre ?

MCS : Le constat est sans appel : aux Etats-Unis, l’éducation était positive alors qu’en France, elle était punitive, donc négative ?

DM : Oui, c’est cela. Et c’est toujours le cas aujourd’hui. Je ne peux pas parler des Etats-Unis actuels. Je ne peux d’ailleurs parler que de l’expérience que j’ai vécue comme élève dans l’école publique où j’étais. Était-ce le reflet de l’enseignement américain en général ? Il semble que oui car d’autres personnes qui ont accompli une partie de leur scolarité aux Etats-Unis, m’ont dit avoir vécu ce même contraste.

MCS : Et ensuite?

DM : J’ai vécu Mai 68, à Paris, à 14 ans, comme une fenêtre d’opportunité pour une école plus humaine. Avec deux autres camarades, qui avaient elles aussi l’expérience d’une scolarisation hors de l’hexagone, nous avions contribué activement à la fermeture du Lycée Victor Duruy dès les débuts de la contestation.

MCS : Vous meniez le mouvement pour votre classe parce que vous saviez qu’un autre enseignement était possible ?

DM : Oui, nous en étions convaincues.

MCS : En quoi ce parcours scolaire personnel a-t-il été fondateur pour toi ?

DM : Le modèle scolaire m’avait transformée en une élève très moyenne qui peinait. Mais au Bac, à ma grande stupéfaction, j’ai eu quelques excellentes notes, ce qui a provoqué chez moi un immense déclic – somme toute, « je n’étais pas si nulle que ça ». J’ai alors compris que l’estime de soi était la clé pour déverrouiller les blocages des élèves dans les apprentissages..

MCS : Est-ce que tu défendrais l’idée que c’est par la note chiffrée que l’estime de soi se construit ou par une approche valorisante ?

 

Développer l’estime de soi et la confiance en soi

DM : Tout dépend comment les notes sont utilisées : si elles ont pour but de distinguer 2 ou 3 élèves et de rabaisser tous les autres, elles tuent dans l’œuf l’estime de soi de la grande majorité, baissant par-là le niveau de la classe. Si elles servent à mesurer les progrès de chacun, les élèves se sentent aidé∙es et non plus dévalorisé∙es, les comportements deviennent positifs. Une notation des progrès donne à l’élève des repères pour mieux progresser. Toute la classe réussit mieux, ce qui permet aussi à l’enseignant de se sentir mieux et d’aller plus vite. L’estime de soi se construit tout d’abord à la maison, à partir de la toute petite enfance. Je me souviens comment mon père nous parlait déjà d’études universitaires alors qu’on savait à peine parler. Puis elle se construit tout au long de la scolarité. Mais l’estime de soi peut s’effondrer en cas de remarques dévalorisantes à répétition, de notes punitives, ou un manque d’occasions pour se valoriser. Il en résulte un fort sentiment d’injustice. C’est de tout cela dont se plaignent les élèves en primaire et au cycle.

MCS :  Quelles composantes précises vois-tu dans ce que tu appelles « l’estime de soi » ? On devine, en t’entendant, qu’elle relève du courage face aux défis qui nous attendent, de la confiance dans l’avenir, de la capacité d’adaptation, de la capacité à analyser ses émotions…

J’insiste là-dessus parce que, dans l’école genevoise, la « confiance en soi » est identifiée comme centrale dans le dispositif FO18, la formation obligatoire jusqu’à 18 ans inscrite dans la nouvelle Constitution. La confiance en soi est le premier élément que l’institution s’emploie à reconstruire chez les élèves qui portent le qualificatif de « décrocheurs ». « Retrouver la confiance en soi » est un des premiers ateliers par lequel passent ces élèves. Et la question se pose véritablement de savoir pourquoi on ne se préoccupe pas, dans l’ensemble du parcours scolaire, de renforcer et de développer la confiance que les élèves ont en eux-mêmes si on admet que rien n’est possible sans cette composante.

DM : L’estime de soi des élèves est l’image qu’ils se font de leur propre valeur, tandis que la confiance en soi des élèves est leur perception de leurs capacités pour penser, apprendre, réussir, mais aussi se connaître, maîtriser leurs émotions, socialiser, se défendre… Je suis d’accord avec toi que la confiance en soi et l’estime de soi doivent se cultiver dès le début de la scolarité et tout au long, c’est central pour réussir les apprentissages ! C’est pourquoi il est important de féliciter les élèves pour les progrès qu’ils font, c’est-à-dire de se focaliser non pas sur le résultat mais sur les progrès. C’est ce que chaque adulte fait spontanément face à des petits qui apprennent à marcher : est-ce qu’il viendrait à l’idée de quiconque de reprocher à un enfant qui apprend à marcher d’avoir raté une marche et d’être tombé ?

 

L’estime de soi des élèves est l’image qu’ils se font de leur propre valeur, tandis que la confiance en soi des élèves est leur perception de leurs capacités pour penser, apprendre, réussir, mais aussi se connaître, maîtriser leurs émotions, socialiser, se défendre…

 

MCS : Dans tout apprentissage, c’est la progression qui compte, et non l’objectif qui serait la maîtrise totale ?

DM : Oui. L’encouragement est un ingrédient clé de la réussite scolaire. Nous savons encourager les enfants de manière spontanée en dehors d’enjeux scolaires, mais tout se passe comme si l’encouragement était perçu comme inapproprié en classe. Aider les enseignants à développer des postures qui encouragent les élèves et les stimulent serait vraiment bénéfique pour tous les élèves.

Le deuxième élément à mieux prendre en compte est que chaque enfant se développe à son rythme. Ce rythme va s’accélérer ou ralentir selon le climat d’apprentissage : si les activités d’apprentissage stimulent les élèves, les mettent en interaction, les amusent, les testent sous forme de jeu, le rythme d’apprentissage sera plus élevé pour l’ensemble des élèves. S’il est demandé aux élèves d’être passifs, de ne pas bouger ou de ne pas faire de bruit, alors ils s’ennuient et leurs pensées vagabondent ailleurs ralentissant le rythme d’apprentissage.

MCS : L’estime de soi se construit dans l’interaction…

DM : Oui, dans l’interaction : avec l’enseignant d’une part, et avec ses pairs dans les apprentissages. D’où l’intérêt de donner aux élèves des activités d’apprentissage collaboratives, c’est-à-dire qui permettent aux élèves de dialoguer, apprendre, résoudre à plusieurs. Ils peuvent développer ainsi leur confiance et leur estime de soi d’autant plus qu’ils apprennent à se considérer mutuellement.

MCS : L’enfant se construit, intérieurement et extérieurement sous le regard de l’adulte…

DM : Oui, l’élève se construit et grandit dans le regard de l’autre. C’est par le regard que l’enfant se sent valorisé, par là qu’il comprend qu’on l’estime, qu’on croit en lui, ou pas. Le regard dit tout. Le regard peut exprimer par exemple l’enthousiasme, l’admiration, la bienveillance, la tendresse, ou la réprobation, le mépris, la colère ou l’ennui. Le regard est signifiant pour les enfants comme pour les adultes. L’enfant y est particulièrement sensible puisque c’est son premier mode de communication, avant la parole.

L’enseignant a tout intérêt aussi à développer le regard positif des élèves les uns envers les autres : par le biais d’activités collectives qui amènent les élèves à prendre conscience de leurs qualités aux yeux de leurs pairs et réciproquement. C’est certainement l’un des grands objectifs des ressources scolaires de Graines de Paix, notamment les guides d’activité Grandir en paix.

 

L’élève se construit et grandit dans le regard de l’autre.

 

MCS : Qualités qui ne sont pas du seul ressort des disciplines scolaires…

DM : (sourire) Cela va sans dire… L’apprentissage des disciplines scolaires se fait plus aisément lorsque les qualités personnelles des élèves sont développées. Développer en classe leurs valeurs humaines, leurs compétences émotionnelles et sociales, leur capacité à réfléchir et discerner permet de renforcer leur sentiment de sécurité psychologique face aux apprentissages et entre eux. Chaque élève a besoin de sécurité psychologique pour apprendre, c’est-à-dire de respect, de considération, d’appréciation, de bienveillance, de ne pas être rabaissé, ni insulté ou harcelé. D’où l’intérêt de développer ces valeurs humaines en classe dans la réciprocité.

MCS : C’est une critique qu’on fait facilement à l’école traditionnelle : on lui reproche d’accueillir les élèves comme s’ils ne savaient rien…

DM : Oui, dans la recherche de l’égalité pour tous les élèves, on a longtemps pensé que les élèves devaient démarrer tous au même niveau pour ne pas défavoriser les élèves qui arrivent sans rudiments en classe. Cependant, il y a plusieurs manières d’assurer l’égalité des chances, par exemple en donnant autant de chances d’interaction aux élèves du fond qu’aux élèves devant. C’est un des grands points forts des pédagogies collaboratives. On sait aussi que les classes ayant des élèves de plusieurs niveaux fonctionnent bien précisément parce que les élèves peuvent alors s’entraider, être utiles les uns aux autres. Je l’ai vécu aux Etats-Unis où nos classes étaient hétérogènes et que nous étions invités à nous entraider pour apprendre. Et on apprenait par ce biais la considération mutuelle.

 

Dans la recherche de l’égalité pour tous les élèves, on a longtemps pensé que les élèves devaient démarrer tous au même niveau pour ne pas défavoriser les élèves qui arrivent sans rudiments en classe. Cependant, il y a plusieurs manières d’assurer l’égalité des chances, par exemple en donnant autant de chances d’interaction aux élèves du fond qu’aux élèves devant. C’est un des grands points forts des pédagogies collaboratives.

 

MCS : C’est un peu ce que j’ai appris dans ma petite école de campagne, où trois degrés étaient rassemblés et où, pour des raisons pratiques, nous nous trouvions régulièrement dans des situations où les plus grands expliquaient aux plus petits. Je garde un vif souvenir de ces moments et de ce que j’ai appris à ces occasions. D’ailleurs dans des sociétés plus traditionnelles où l’école n’est pas aussi structurée que chez nous, chacun apprend de chacun.

DM : La fragmentation des familles accroît l’isolement des enfants. Ils ont moins d’occasions de se frotter les uns aux autres pour apprendre à bien vivre ensemble. C’est pourquoi le Plan d’Etudes Romand met l’accent sur les compétences à développer tout en enseignant les disciplines. Sans l’apprentissage de ces compétences pour bien vivre ensemble, la frustration des élèves peut enfler au point de perturber le climat de classe et affecter les apprentissages.

MCS : On trouve dans certains métiers des personnes qui ont souvent eu un parcours chaotique où l’école les a disqualifiés en permanence.

DM : Certains métiers sont mal valorisés par la société. Les couturières comme les ouvriers en bâtiment par exemple ont un sens de l’espace tridimensionnel extrêmement développé, c’est-à-dire une aptitude mathématique, qui n’est pas reconnue. J’ai récemment rencontré un jeune homme qui a monté son entreprise et qui m’a confié que son parcours scolaire avait été épouvantable. Puis, il a compris que, s’il devait réussir, ce serait « malgré l’école ». Ces exemples de parcours scolaires brisés sont malheureusement trop fréquents, mais on peut y remédier par un changement de regard, afin de voir en chaque élève une perle précieuse qui nous est confiée.

MCS : Peut-être connais-tu Bertrand Ogilvie, un philosophe et psychanalyste français qui fait l’hypothèse, dans un de ces ouvrages récents, La légende dorée de l’école émancipée, que l’école est une machine à produire une fracture sociale pour reproduire des élites. Et pour qu’il y ait une élite, il faut que certains en soient exclus.

DM : Il y a une grande différence entre la France et la Suisse sur le sujet de l’école élitiste. Et pour revenir au livre précité, il semble que l’auteur se soucie comme vous et moi de l’effet brise-élan de l’éducation actuelle, qui empêche les élèves de s’épanouir.

 

Une éducation pour la paix

MCS : Pour en venir à la Fondation Graines de Paix, comment Graines de Paix a-t-elle commencé ?

DM : Le déclencheur a été la guerre d’Irak en 2003. Une énième guerre, malgré tous les systèmes érigés pour les prévenir : la justice, les lois, les constitutions, la diplomatie, l’ONU, les religions, l’éducation (…). Même au 21e siècle, malgré une hausse remarquable du niveau scolaire autour du monde. J’avais un pressentiment très négatif que le monde allait revivre de grandes violences. Puis un matin de 2004, je me suis réveillée en sursaut, avec la prise de conscience qu’il fallait créer un projet pour y répondre. Un projet qui permette de repenser l’éducation en élargissant son champ aux grands enjeux sociétaux, en organisant les apprentissages de manière à servir ces enjeux.

Le déclencheur a été la guerre d’Irak en 2003.

 

A partir de là, il s’agissait d’identifier les domaines qui manquaient dans les programmes scolaires qui permettraient de prévenir la violence – relationnelle, scolaire, interculturelle, sociétale, … De cette réflexion est ressorti qu’il fallait développer les valeurs humaines en classe, celles axées sur le ressenti mutuel, en plus des valeurs morales, lesquelles sont de l’ordre du devoir et qui s’avèrent inefficaces pour prévenir les violences, même scolaires, contre les enfants.

MCS : Comment les définis-tu ?

DM : Les valeurs humaines sont celles qui nous lient les uns aux autres, qui produisent du lien et qui sont ressenties ainsi. D’abord, il y a le respect, qui est la première marche sur l’échelle des valeurs humaines : il est cependant neutre, en ce sens qu’il demande peu d’affect. Puis il y a la considération : si nous « considérons » l’élève, il peut grandir comme le fait une plante que l’on soigne. L’éducation prend tout son sens lorsque l’enseignant vit son rôle comme le ferait un jardinier. C’est la perspective la plus riche qu’on puisse avoir de l’enseignement, où chaque activité devient une nourriture pour l’élève et non pas un poison.

MCS : Et les autres valeurs humaines ?

 

 

DM : Au-dessus de la considération, en imaginant toujours une échelle avec des marches qui montent, il y a l’appréciation, puis la bienveillance, puis l’empathie, et enfin la fraternité. En groupe, les valeurs humaines qui comptent sont l’acceptation de la différence et l’ouverture aux autres. Ce sont toutes ces valeurs qui permettent des interactions réussies, c’est-à-dire sereines.

Au début de Graines de Paix, la transmission de ces idées se faisait par notre site web, qui était notre premier investissement. Rapidement, le site nous avait permis de toucher un public large – plus de 100’000 visiteurs par an venant des 5 continents. Au début de 2008, le Comité de l’association, convaincu par l’importance d’intégrer ces valeurs et compétences en classe, a requis qu’un manuel scolaire soit rédigé. Après un an de réflexions, j’ai pu présenter un projet de manuel comprenant une douzaine d’activités pédagogiques à Éducation 21 (à l’époque Fondation Éducation et Développement). M. Charlie Maurer, directeur romand de l’époque, avait été impressionné par la forte corrélation entre le dispositif pédagogique de ce projet de manuel et celui du futur Plan d’Études romand (PER), non encore publié. Il m’a alors donné trois jours pour établir les correspondances entre les compétences promues par Graines de Paix et celles du PER en me disant que, si j’y parvenais dans ce délai, Graines de Paix serait soutenu financièrement. C’est ce qui s’est passé.

En effectuant ce travail de correspondance, j’ai été amusée de constater que les compétences émotionnelles, si importantes pour réussir les apprentissages, étaient « cachées » dans la catégorie « Pensée créatrice » du PER. Il fallait croire que la notion de pensée créatrice passerait mieux selon ses auteurs. Cela dit, c’était stimulant d’être si en phase avec les objectifs du futur PER.

MCS : Est-ce à dire que Graines de Paix n’est, dans le fond, pas nécessaire ?

 

Convergences avec le Plan d’Etudes Romand

DM : (Sourire) Le PER structure les objectifs éducatifs et les savoirs associés en trois dimensions – les disciplines, les capacités transversales et la formation générale. Il laisse la liberté aux enseignants de choisir comment ils enseignent ces disciplines, compétences et savoirs. Les activités conçues par Graines de Paix concrétisent ces trois dimensions. Ce sont des activités clés en main qui permettent aux enseignants de mettre en œuvre le PER, de le faire de manière vivante et interactive et d’établir un climat de classe harmonieux ce faisant.

MCS : L’objectif de conjugaison entre les compétences figure bien dans la pédagogie du PER. Mais j’avoue trouver surprenante la liste des moyens d’enseignement catalogués sur le site internet du plan d’études romand : ils demeurent tous strictement liés à des domaines disciplinaires bien spécifiques. Donc, dans les faits, si ce mariage des compétences se fait, c’est sur la seule initiative de l’enseignant. D’où l’importance qu’une vision comme celle de Graines de Paix, ses ressources, ses formations, puissent être accueillies dans les classes.

DM : Ce mariage entre disciplines et compétences de vie est difficile à faire pour les enseignants tant qu’ils ne sont pas formés à le faire, ni sensibilisés à la manière dont cela va leur faciliter la gestion de la classe. Les formations continues se focalisent sur les symptômes tels que le harcèlement, et non sur les causes. Les enjeux sociaux y sont peu mis en valeur. La durée est de quelques jours par an pour tous les domaines de formation continue. D’où la grande souffrance actuelle des enseignants et des élèves. Le problème est là : un Plan d’études excellent, mais qui n’est pas mis en œuvre dans les classes faute d’une formation de plusieurs jours permettant aux enseignants de transformer leurs pratiques et en finir avec cette souffrance. L’argument du coût ne tient pas : les coûts d’absentéisme, de frais de santé, de médicalisation des élèves, de sécurité, de réparations sont sûrement plus élevés.

MCS : Je me souviens d’un séminaire destiné à des enseignants dispensé par un sociologue de l’éducation qui voulait nous rendre attentifs au fait qu’on peut facilement stigmatiser un élève, ou le mettre à ban, sans même s’en apercevoir. « Je vais d’ailleurs le faire maintenant » avait-il annoncé. « Vous, Madame, vous allez être celle que je stigmatise ». Et effectivement, après une heure de travail collectif, cette collègue était complètement lâchée, même par le groupe. La mise à ban avait pourtant été très discrète. L’animateur s’était contenté de l’oublier dans le tour de présentation, il n’avait pas du tout commenté une intervention qu’elle avait faite ensuite alors qu’il donnait quittance aux autres. Et comme personne dans le groupe ne réagissait, elle s’était trouvée écartée sans que personne ne le veuille. Nous avions pris conscience de la violence muette qu’il peut y avoir dans cette négation de l’existence de quelqu’un.

DM : J’ai observé cela dans une classe au Liban : un élève réfugié, qui essayait de s’intégrer avec enthousiasme, était ignoré de l’enseignant. Il n’avait pas le temps de l’aider à comprendre m’avait-il expliqué. Le risque, en frustrant ainsi des élèves, est de provoquer plus tard des comportements violents, voire terroristes. Il est encore et toujours question d’émotions.

 

Il est encore et toujours question d’émotions.

 

MCS : L’émotion est ce qui nous meut, nous met en marche, nous met en branle. Pas d’action sans émotion. Et l’action a un lien direct avec l’émotion vécue.

DM : Oui. C’est pourquoi enseigner demande une attention et une fermeté bienveillantes. On accepte l’erreur, tout en explicitant à l’élève les efforts à entreprendre et les limites à respecter. En cela, la bienveillance n’est ni indulgence, ni tolérance. La tolérance évoque de fait quelque chose d’à peine tolérable (!) et éveille des émotions négatives, que l’élève va ressentir. La bienveillance au contraire permettra de susciter des émotions positives chez l’élève, ce qui facilite l’enseignement. C’est ce qui apparaît dans ton passionnant dialogue avec le médaillé Fields, Hugo Duminil Copin, publié sur ton blog. Dans son travail et son attitude face aux mathématiques, il adopte une posture enthousiaste…

MCS : … généreuse et joyeuse…

DM : … C’est un mathématicien joyeux, curieux et créatif, qualités qui sont à développer absolument chez les enfants.

MCS : Oui, un grand monsieur, très concerné par les questions d’éducation.

Dans quels pays Graines de Paix intervient-elle ?

DM : Notamment en Suisse romande, en Côte d’Ivoire et au Bénin. Il nous est arrivé de travailler au Sénégal dans des classes, en Tunisie et au Liban avec des inspecteurs et des conseillers pédagogiques. Certains projets sont freinés parce que les fonds pour les réaliser sont parfois difficiles à trouver.

MCS : Par qui Graines de Paix est-il financé ?

DM : Nous sommes financés par la DDC (Centre de compétences de la Confédération chargé de la coopération internationale ainsi que de l’aide humanitaire), l’UNICEF, l’UNESCO, FedPol, l’Etat de Vaud, la Ville de Genève, des fondations privées, des dons. Dont un mandat de l’UNESCO sur les révisions à apporter aux curricula de trois pays du Sahel afin d’y intégrer la lutte contre la violence et la radicalisation. C’est passionnant. Nous avons également reçu, en 2022 le prestigieux « Prix UNESCO-Hamdan pour le développement des enseignants », un prix de 100’000 USD qui récompense les approches novatrices dans la refonte des formations d’enseignants.

MCS : En quoi consiste exactement le prix UNESCO-Hamdan ?

DM : Le prix UNESCO-Hamdan a été fondé en 2008 « pour soutenir l’amélioration de la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage ».

 

Et les notes dans tout ça ?

MCS : Nous avons tout à l’heure un peu abordé la question de l’évaluation, mais j’aimerais y revenir pour entendre ta position sur l’évaluation chiffrée, qui devient parfois un but en soi puisque c’est en fonction de ces notes que la progression des élèves se joue. Promu, pas promu. Suivant la manière dont l’évaluation est pratiquée, elle peut générer (et elle le fait trop souvent) une anxiété qui va à rebours de ce qu’on professe en matière de développement de « toutes les compétences ».

Je suis souvent navrée en entendant des élèves, dans les transports publics ou au sortir des classes, parler de leurs notes, avec une fébrilité angoissée ou une vanité mal placée, et se définir par-là. Ils semblent construire leur identité non pas seulement d’étudiant, mais d’être humain tout court, par les notes que leurs prestations scolaires se voient décerner.

DM : Que le focus soit exagérément mis sur les notes, c’est certain. Mais le paysage n’est pas noir et blanc. Les notes bien utilisées permettent aux élèves de vérifier qu’ils progressent. Une note insuffisante est le signal pour l’enseignant qu’il doit mieux accompagner l’élève. A terme, tous les élèves devraient avoir de bonnes notes, puisque le but, c’est d’apprendre.

MCS : On voit malheureusement trop souvent les notes utilisées comme des jugements tombés du ciel, qui laissent les élèves démunis sur les pistes à suivre pour s’améliorer. La note n’est plus ici un indicateur utile, partagé entre l’enseignant et l’élève pour favoriser l’apprentissage. Il est l’outil de la mise à ban, alors que la note doit être utilisée comme outil qui permet peu à peu à l’élève de devenir son propre coach.

DM : Bien d’accord. Cependant, lorsque les apprentissages se font dans la considération et la bienveillance de chaque élève, par l’éveil de toutes les facultés, il n’y a plus de mises au ban, les angoisses se dissipent.

MCS : …Dans la Joie, aurait dit Spinoza. Il est, à ma connaissance, le philosophe le plus important et le plus influent sur la question des émotions (qu’il nomme les affects), et le premier, sans doute, à ne pas les disqualifier comme étant contraires à la noblissime raison.

DM : Oui, les objectifs éducatifs sont enfin en voie d’intégrer à parts égales la démarche réflexive et les compétences pour vivre ensemble, afin de ne plus se limiter aux savoirs de base. Avec une attention particulière aux compétences émotionnelles puisqu’elles impactent la réussite scolaire. De plus, lorsque les émotions des élèves sont apaisées, on peut quasi tout leur apprendre plus aisément. Par exemple, l’arithmétique. Les opérations arithmétiques pourraient s’apprendre comme un tout dès l’entrée à l’école. Après tout, les animaux eux-mêmes savent compter leurs nouveaux nés et savent s’il en manque un ! Les élèves peuvent les apprendre sous forme de jeux avec des billes, des parts d’oranges, des noix, et avec des jeux de rôle joyeux et valorisants comme vendeurs et acheteurs. Les enfants aidaient bien leurs parents à vendre au marché, encore tout jeunes, et cela se voit toujours en Afrique.

 

Graines de paix : la méthode

MCS : Venons-en maintenant à la méthode de Graines de Paix. Tu as expliqué qu’elle permet aux enseignants de mettre en œuvre le Plan d’Études romand avec des activités réunissant les compétences disciplinaires, les compétences transversales et la formation générale. Explique-nous comment Graines de Paix et sa méthode, « Grandir en Paix » est conçue.

DM : Grandir en paix est un set de 4 guides d’activités conçus pour développer ces compétences tout en consolidant les savoirs. Chaque activité met en œuvre une leçon, par exemple sur les sciences de la nature (la discipline). Elle développe en même temps des connaissances en termes de formation générale, telles que la démocratie ou la santé, ainsi qu’un ensemble de capacités transversales (émotionnelles, collaboratives, réflexives,…).

MCS : Une démarche éducative très holistique. Dans chaque activité, l’élève apprend, il apprend à être et apprend à interagir avec ses pairs.

DM : Oui, et dans la réciprocité. Cette notion est centrale dans la pédagogie Graines de Paix. Par exemple, plusieurs activités favorisent l’apprentissages des limites : les élèves s’exercent à expliciter leurs limites et à accepter aussi celles des autres.

MCS : Donne-nous un exemple précis d’activité qui met en œuvre une palette de compétences.

DM : L’activité « La fourmilière » (Grandir en paix, volume 3, 8-10 ans, activité 20) est un bon exemple.

1 : Les élèves commencent par l’observation du travail des fourmis et la répartition des rôles via une vidéo, puis répondent à des questions sur ces rôles (Sciences de la nature, MSN 28).

2 : Puis les élèves jouent les uns les nourricières qui transportent les œufs d’une caisse à une autre, les autres les ouvrières qui vont construire les galeries pour les nourrices à l’aide de plots. Les deux groupes doivent communiquer pour se synchroniser (Corps et mouvement, CM24, Vivre ensemble et exercice de la démocratie, FG 24). Puis échange des rôles et complexification en ajoutant des instructions pour freiner ou faciliter la progression dans le même temps de 10 minutes.

3 : Ensuite les élèves dressent individuellement le bilan dans leur cahier en faisant un schéma (Art, A23) et en décrivant les rôles qu’ils ont joués dans leur cahier (Langues, L1-22). Puis ils s’expriment sur les émotions ressenties (Pensée créatrice, compétences émotionnelles), et les compétences des fourmis pour réussir (Collaboration, Communication).

4 : La classe dialogue et réfléchit : sur l’utilité de la coopération – à l’école, à la maison, dans la société, sur la planète – et sur des cas concrets où la coopération leur paraît indispensable. Enfin, ils indiquent comment ils pourraient mieux coopérer (en classe, en famille, en société, pour la planète) (Expression orale L1-24, Démarche réflexive).

MCS : Comment en es-tu arrivée à l’appellation de « Graines de Paix » pour l’organisation ?

DM : Je voulais un nom poétique, allégorique qui puisse inspirer tous âges en tous continents, qui puisse faire sens pour la mère aux champs en Afrique comme pour une entrepreneuse en Suisse. La graine exprime l’enfant qui contient un trésor de paix en lui, l’enfant qui va grandir, mûrir, nourrir et produire à son tour de multiples graines, symbolisant ainsi le rôle de l’éducation.

MCS : Qu’est-ce qui manque dans la formation de nos enseignants aujourd’hui ?

DM : Ce qui manque dans les formations est tout d’abord la prise en compte des besoins des enseignants, des élèves, de nos sociétés. Ensuite, comment faciliter l’enseignement des disciplines, des compétences de vie et des sujets de réflexion de manière à ce que chaque élève s’investisse avec aisance et enthousiasme, sans angoisses dans ses apprentissages. Ce qui manque enfin est comment développer les capacités des élèves afin qu’ils et elles puissent s’impliquer pour le devenir du monde. Au vu de ces manques, un projet pilote avec suivi-évaluation permettrait de tester comment les combler de la manière la plus efficiente.

MCS : Ce serait une façon d’enrichir la méthode de séquences pédagogiques nouvelles, imaginées par les enseignants…

DM : Oui ! C’est certainement un de nos buts avec Grandir en paix. Que les activités servent de modèle pour développer les élèves en êtres humains confiants en leurs capacités, attentifs entre eux et au monde, responsables et proactifs pour apporter des solutions.

MCS : Est-ce que tu es optimiste, en ce début d’année 2023, sur notre capacité à favoriser la paix dans le monde par l’éducation ?

DM : Je suis d’avis que c’est l’unique manière d’y arriver. Nous voyons bien à quel point les compétences pour dialoguer, coopérer, résoudre, manquent pour prévenir les violences, la radicalisation, l’abus de pouvoir, les désastres écologiques. L’éducation se doit de former dès le plus jeune âge ceux qui vont devenir les futurs leaders – acteurs et actrices politiques, économiques, financiers, éducatifs, … tout comme l’ensemble des futurs citoyens, aux compétences de vie.

 

Entretien avec Hugo Duminil-Copin, médaille Fields 2022

 

Un échange sur les mathématiques, leur apprentissage et leur statut épistémologique

 

Grâce à lui, notre université brille maintenant au firmament au niveau mondial.

Yves Flückiger, recteur de l’Université de Genève à propos de Hugo Duminil Copin, médaillé Fields 2022 lors du Dies Academicus du 14 octobre 2022

 

Marie-Claude Sawerschel (mcs) : Je ne crois pas nécessaire de te présenter, Hugo : ton nom a fait le tour de la planète le 5 juillet 2022 lorsque tu as reçu la prestigieuse médaille Fields pour tes travaux sur les transitions de phase, par lesquels tu expliques comment on peut modéliser les situations dans lesquelles un système ou un matériau change d’état. On imagine mal le nombre d’applications possibles grâce à tes travaux.

Tous ceux qui t’ont entendu parler ne peuvent qu’être frappés par ton extraordinaire dynamisme et la rapidité hors pair de ton intelligence. Mais surtout, tu irradies la joie quand tu parles des mathématiques et tu insistes toujours pour rappeler que l’imagination et la créativité jouent un rôle primordial dans ta pratique.

Alors, deux types de questions me sont venues à l’esprit en t’écoutant, l’une relative au statut épistémologique des mathématiques (C’est quoi, au fond, le type de connaissance que les mathématiques construisent ?), l’autre à l’enseignement des mathématiques. Je propose que nous commencions par cette dernière.

 

L’apprentissage des mathématiques : une difficulté mythique

Hugo Duminil-Copin (HDC) : (Sourire amusé) : D’accord. J’ai des idées là-dessus, bien sûr. Mais je précise que je ne suis pas enseignant et que je ne connais pas grand-chose sur la manière dont les enseignements s’implémentent. Mais les questions d’enseignement des mathématiques m’intéressent beaucoup.

mcs : Tu fais volontiers des allusions humoristiques sur la difficulté des mathématiques pour les élèves, les étudiants et le public en général au début de tes conférences, allusions que tout le monde comprend au quart de tour. C’est le signe d’un lieu commun qui a une gigantesque part de vérité.

A ce propos, je repense à ces deux collégiens qui, dans le bus tôt le matin, révisaient vite fait avant une épreuve qui les attendait : 

L’un, désignant des lignes absconses griffonnées sur une page : comment tu passes de ça à ça ? 

L’autre : Tu prends cette formule. (Il la montre) 

L’un : Ah bon ! Pourquoi ?  

L’autre : J’sais pas, mais l’prof y fait comme ça, pis ça marche. 

Une autre histoire encore, que j’adore tant elle en dit long sur la difficulté à conjuguer les formes de la rationalité et la nature du sens pour chacun de nous. Un collègue de maths déboule, dépité, à la salle des maîtres après un cours, s’épanche au milieu des collègues que nous sommes : 

“J’arrive au début du cours et j’annonce aux élèves que je vais leur démontrer le théorème (…) Alors, j’entends un élève qui, du fond de la classe me lance :

– Pas la peine, M’sieur : on vous croit.” 

 J’ai connu des personnes excellemment formées qui rêvaient encore, des décennies après leur bac ou leur maturité qu’elles devaient repasser l’examen oral de démonstration de théorèmes. Je ne vois pas d’autre discipline scolaire qui ait ce statut terrifiant. Pourquoi, à ton avis ? Pourquoi les mathématiques constituent-elles un tel écueil pour tant de personnes ? 

HDC : Encore une fois, je n’ai aucune expertise autre que mon expérience personnelle de pratique des mathématiques et d’enseignement à l’université, donc je ne peux que faire des parallèles à prendre avec des pincettes car certaines choses ne sont peut-être pas du tout adaptées à l’École. À mon sens, les directives données aux enseignants favorisent la pratique d’un formalisme mathématique alors qu’on gagnerait à laisser les élèves expérimenter, à les faire travailler en groupes pour formuler des hypothèses, jouer avec les problèmes.  Les moteurs principaux en mathématique sont la curiosité et la créativité. Ces facultés ne sont pas stimulées par le simple fait d’appliquer des formules et de faire du formalisme mathématique.

 

« La curiosité et la créativité ne sont pas stimulées par le simple fait d’appliquer des formules et de faire du formalisme mathématique. »

 

Idéalement, il faudrait plutôt que les élèves aient l’occasion de travailler sur des problèmes, d’envisager des solutions, de faire preuve d’inventivité, et pourquoi pas même parfois de penser dans un espace de jeu mathématique. Mais cela requiert du temps, des moyens, qui ne sont pas toujours donnés à nos enseignants.

En plus, il faut dire qu’il y a des difficultés particulières pour le prof de maths, que je vois à mon niveau et qui à mon avis peuvent se retrouver aussi chez les enseignants du primaire et secondaire.

D’abord, je n’ai pas conscience d’enseigner quelque chose de compliqué. C’est un biais naturel qui vient du fait qu’une fois assimilé, le savoir mathématique semble infiniment simple. C’est d’ailleurs le signe que le concept, l’idée, le théorème, a été proprement compris. Je dois donc toujours faire attention à me rappeler que la personne à qui j’enseigne n’a, par définition, pas encore acquis le savoir complètement. Ce phénomène est vrai dans n’importe quel enseignement, mais il prend une dimension immense lorsque l’on parle de mathématiques, car l’apprentissage requiert un long processus d’appropriation, qui passe par un dépassement de soi, de ses limites. L’élève est donc particulièrement fragile et sensible à ce décalage entre l’aisance des personnes qui ont déjà compris, et la difficulté qu’il peut rencontrer dans l’apprentissage. Ajouter à cela les fantasmes selon lesquels on naît doué ou non en maths, et on obtient un cocktail explosif.

 

Différence d’aptitude entre les genres : un regrettable a priori

J’en profite pour faire une digression. Les personnes les plus impactées par ce type de préjugés sont les jeunes filles et les personnes issues de milieux défavorisés. C’est vraiment triste qu’elles paient le prix fort de cette vision bien trop partagée et totalement erronée des mathématiques et de leur apprentissage. Je souhaite donc fortement insister sur le fait qu’il n’existe aucune bosse des maths, au même titre qu’il n’existe aucun avantage pour les hommes vis-à-vis des femmes. Comme toutes les formes de savoir, le travail et la pratique est ce qui permet à quelqu’un de réussir en mathématique. Si un ou une élève est bon en travaillant dur, c’est parfait. N’allons pas détruire sa confiance en soulignant que son voisin ou sa voisine est plus « doué », car il ou elle semble y arriver en travaillant moins. Trop d’enfants sont découragés à tort et j’entends trop souvent des gens me dire qu’ils étaient mauvais en mathématiques, alors qu’après une brève discussion, je me rends compte qu’ils n’étaient absolument pas en échec avec les mathématiques, mais seulement qu’il existait des élèves meilleurs qu’eux dans leur classe.

 

« Je souhaite fortement insister sur le fait qu’il n’existe aucune bosse des maths.»

 

Pour revenir à l’appropriation, on tombe sur une deuxième difficulté de l’enseignement mathématique : contrairement à beaucoup d’autres disciplines, on ne fait pas beaucoup appel à la mémoire. Ça peut être déconcertant. L’essentiel tient dans une certaine manière d’aborder les problèmes et cette approche peut être très personnelle. Certains font des détours étonnants pour arriver à des résultats qu’on obtiendrait facilement par une voie beaucoup plus rapide. Est-ce que c’est faux pour autant ? Non, car il n’y a pas une seule manière de résoudre un problème. On ne fait pas assez attention à cette dimension des maths et l’on apprend trop souvent une manière imposée de parvenir à un résultat.

En fait, contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord, les mathématiques gagnent à être apprises de façon plus individualisée, car chaque personne a sa propre intuition, qui mérite d’être encouragée le plus possible.

mcs: Est-ce que la formation initiale et continue des maîtres ne devrait pas se faire un peu plus dans la proximité des facultés spécifiques, pour que l’interaction entre universitaires, chercheurs et enseignants soit permanente ?

HDC : Oui, bien sûr. Cela dit, l’université de Genève, dans le cadre de Sciences scope offre des activités de découvertes en sciences et en maths pour les classes. Ces activités sont très prisées par les enseignants et elles ont énormément de succès. On espère seulement qu’elles pourront durer. La question financière est toujours une inconnue. Dans le contexte actuel où l’espace informationnel se cloisonne et se fragmente de plus en plus, il est important que l’université favorise l’interaction entre collègues de tous horizons et qu’elle assure la transmission aux plus jeunes, quelles que soient leurs conditions.

mcs : J’en reviens à ton propre parcours, pour essayer de comprendre ce qui fait qu’on se met à aimer les mathématiques. Tu parles régulièrement des mathématiques comme d’un « espace de jeu”, ce qui doit faire rêver pas mal d’élèves. Tu dis : pour faire des maths, il faut un cerveau et une ou deux personnes avec lesquelles réfléchir. Comment faire pour qu’un maximum d’élèves goûtent aux plaisirs du jeu ? Toi-même, l’as-tu toujours eu ?

HDC : je ne m’en souviens pas vraiment, mais comme on me pose souvent la question depuis que j’ai eu la médaille Fields (sourire), j’ai demandé à mon père quel enfant j’étais. Il semble que j’aie toujours été curieux de tout et que j’avais besoin d’arriver à une réponse qui apaise le cerveau.  C’est peut-être pour ça que j’ai choisi d’étudier les mathématiques plutôt que la physique qui était une option possible : parce qu’il y a des moments où les maths apportent une espèce de sérénité, un grand sentiment de sécurité.

 

« Il y a des moments où les maths apportent une espèce de sérénité, un grand sentiment de sécurité. »

 

mcs : Tu veux parler de ce sentiment qui nous remplit quand, comme dans la résolution d’un problème de logique, on trouve brusquement la solution et qu’on est sûrs, indépendamment de toute évaluation ou confirmation extérieures, que c’est juste ?

HDC : Oui, c’est ça.

 

Apprendre les mathématiques : c’est quoi ?

mcs : Au fond, “apprendre les mathématiques”, c’est quoi ?

HDC : À mon avis, l’enseignement des mathématiques comportent trois aspects différents qui se complètent. Faire des mathématiques, c’est d’abord apprendre à calculer. J’entends “calculer” au sens large, c’est-à-dire “dompter les nombres, apprendre à jongler avec eux. Apprendre les produits en croix, les multiplications. Ce travail s’assimile un peu, sur le plan de la langue, à éviter une espèce de dyslexie des nombres ou en tout cas un illettrisme mathématique. C’est apprendre à “lire” les nombres en fait.

Faire des mathématiques, c’est, en second lieu, l’équivalent lettré de l’écriture elle-même, c’est-à-dire produire des raisonnements : apprentissage de la logique, apprentissage de ce qui est une preuve, de ce qui n’en est pas une. C’est évidemment quelque chose de très utile pour le citoyen de pouvoir discerner un raisonnement logique rigoureux et de ce qui n’en relève pas.

La troisième dimension de l’apprentissage des mathématiques, et c’est à mon sens un point parfois négligé de l’enseignement, ce sont les mathématiques conçues comme culture : place des mathématiques dans l’histoire, place des mathématiques dans la société. Il y a des enseignants qui le font, comme Estelle Kollar, la “Wonderwomaths”, qui produit des vidéos sur TikTok et qui a toujours le souci de replacer les connaissances mathématiques dans un contexte historique, pour montrer à quel moment ces connaissances ont pris place dans l’histoire, ce qu’elles ont créé, quels ont été les progrès sociaux et sociétaux qui en ont découlé. Cette dimension des mathématiques me paraît importante également parce qu’elle est de nature à rassurer les gens qui pensent que les mathématiques sont quelque chose de très difficile. Par exemple, il y a moins de 200 ans, la notion de nombre négatif était une notion comprise par à peu près personne dans la population en général, ça n’était pas du tout quelque chose de naturel. C’était un peu comme si on parlait maintenant de nombres imaginaires aux gens de la rue : les gens se diraient : “Mais c’est complètement hors sol, totalement déconnecté de ma vie !”

Mais aujourd’hui, la notion de “nombre négatif” est devenue totalement naturelle. Quand on parle du solde d’un compte en banque, on comprend très facilement ce que signifie un nombre négatif…

mcs : Ou un thermomètre…

HDC : Oui, exactement. Il y a de nombreux exemples d’utilisation de ces nombres négatifs. Il y a une foule de connaissances qu’on apprend à nos enfants qui, à une époque pas si reculée de notre histoire, étaient complètement inconnues. Ces connaissances, sans qu’on s’en aperçoive, ont changé peu à peu toutes nos représentations. Les notions de x,y,z, les variables muettes comme on les appelle, n’existaient pas au moyen-âge,

mcs : Il a fallu attendre Descartes ?

HDC : Oui et Viète. Il y a des tonnes d’exemples de ce qu’on demande à nos jeunes de manipuler qui étaient totalement inconnus il n’y a pas si longtemps.

Les sept ponts de Königsberg

J’aime beaucoup, par exemple, le problème des “sept ponts de Königsberg”, qui est l’un des premiers problèmes de la théorie des graphes. C’est un problème que Leonhard Euler a résolu à son époque, il y a trois cents ans. On peut travailler ce problème avec des collégiens par exemple, intéressés par les questions mathématiques. Je donne cet exercice dans mes exposés “grand public”. Il se présente sous la forme d’un plan de ville avec ses sept ponts, et la question consiste à se demander s’il existe un chemin qui permette de se promener dans cette ville en passant par tous les ponts exactement une fois. En fait, il se trouve qu’il n’en existe pas.

Les gens trouvent souvent assez facilement la preuve qu’en effet ce trajet n’existe pas et ils considèrent que l’exercice n’est pas aussi compliqué que ça, somme toute. Et ce que j’aime leur dire, c’est que Euler, le grand Euler, un des plus grands mathématiciens de tous les temps, a longuement planché dessus et que 100 ans de recherches mathématiques ont été nécessaires pour trouver la solution qui est aujourd’hui à la portée de qui a fait un peu de mathématiques.

C’est assez fascinant de constater que le bain conceptuel dans lequel on baigne aujourd’hui a un niveau qui n’était pas naturel même pour les grands mathématiciens d’époques antérieures.

mcs : Est-ce qu’un collégien aujourd’hui est équipé pour comprendre cette démonstration ou bien est-ce qu’avec le bagage mathématique dont il dispose, il est capable d’effectuer la démonstration par lui-même ?

HDC : Un élève de maths avancées du collège est parfaitement capable d’en faire la démonstration, parce que les élèves connaissent un peu de combinatoire et parce que le formalisme logique enseigné est beaucoup plus rigoureux aujourd’hui.

Par ailleurs, nous sommes sans cesse, par tout ce que nous voyons autour de nous (et Internet a accéléré les choses), en contact avec ce que l’on appelle des graphes. Ces « rencontres conceptuelles » permanentes préparent nos cerveaux à aborder les problèmes avec un niveau de complexité qui était complètement absent des siècles précédents, où les mathématiciens devaient tout construire par eux-mêmes.

Nous maîtrisons aujourd’hui sans nous en rendre compte des notions qui n’étaient pas naturelles du tout pour ceux qui nous ont précédés.

 

« Nous maîtrisons aujourd’hui sans nous en rendre compte des notions qui n’étaient pas naturelles du tout pour ceux qui nous ont précédés. »

 

mcs : C’est fascinant. Nous avons en effet peu à l’esprit que ce qui nous paraît naturel est le fruit d’un long travail des générations précédentes. Nous n’avons pas vraiment conscience du fait que nos enfants comprennent aisément des notions qui étaient inaccessibles aux plus grands cerveaux de l’histoire.

HDC : Oui et il y a, dans ce registre, un mathématicien que je recommande vivement. Il s’agit de David Bessis. Ses interventions médiatiques sont excellentes. Il s’intéresse à la capacité d’abstraction, de représentation, d’intuition.  Il a écrit un ouvrage, intitulé “Mathematica” qui mérite le détour. Il soutient l’idée qu’on progresse dans notre intuition. Il montre que ce qui nous paraît trivial n’est souvent que le signe de la maîtrise d’un processus dont on a oublié l’effort de construction.

mcs : Si je te comprends bien, cette dimension du progrès collectif, progrès épistémologique qui a des conséquences sur le plan social et sociétal mériterait d’être enseigné en tant que tel. Je souscris mille fois à cette idée.

HDC : Oui ! L’enseignement de l’épistémologie des sciences permettrait de raccrocher ceux qui seraient peut-être moins intéressés par le côté utilitaire des mathématiques. La dimension historique de nos progrès épistémologiques est loin d’être négligeable.

mcs : Oui, c’est important pour mieux comprendre l’évolution de ce que nous sommes en tant qu’humains. Du point de vue pédagogique, le fait d’aborder les sciences et les mathématiques par ce biais-là crée par ailleurs une émotion qui favorise l’apprentissage parce qu’elle donne du sens, d’un autre point de vue, à ce qui est appris. Cette transversalité manque dans les apprentissages, et pas seulement en sciences.

HDC : Si on regarde ce qui se passe avec la chimie, la physique ou la biologie, on a plus facilement en tête les progrès techniques associés.  C’est évidemment beaucoup plus difficile en mathématiques, alors que ces progrès sont aussi importants. Il y a un grand travail de reconnexion à faire aux mathématiques vues comme bien commun.

 

Les mathématiques : un savoir à nul autre pareil ?

mcs : Le fait que ce soit plus difficile avec les mathématiques en raison de leur grand niveau d’abstraction et parce que les changements qu’elles induisent ne sont pas aussi apparents que des découvertes en physique ou en chimie nous amène au deuxième sujet sur lequel j’aimerais beaucoup t’entendre, celui du statut épistémologique des mathématiques, sur le type de connaissances que les mathématiques construisent.

Vous, mathématiciens, lorsque vous formulez des hypothèses, on peut considérer que vous inventez, en quelque sorte. Mais curieusement lorsque vous trouvez un résultat, une équation, on n’a pas l’impression que c’est une invention que vous faites, mais quelque chose comme une découverte. Alors ma question est la suivante : est-ce que ce que vous trouvez – quelque chose comme une loi de la nature cachée aux yeux des mortels – est objectivement dans la nature, comme indépendamment de nous ou est-ce que vous avez simplement élaboré quelque chose que notre cerveau, aussi loin qu’il est capable, permet d’élaborer ?

HDC : Oui. Je pense qu’on a affaire à un type de connaissances bien particulier, qui peut se construire sans recours à l’expérience ni à la préoccupation d’une application quelconque.

Les mathématiciens se divisent en deux groupes : le premier, nettement majoritaire, se range dans ta première catégorie : les mathématiciens et mathématiciennes découvrent quelque chose qui existe indépendamment d’eux. Mais moi, je me range plutôt dans la deuxième catégorie, très minoritaire, qui considère que, somme toute, nos axiomatiques sont assez imparfaites et qu’elles rendent plutôt compte de ce que nous sommes capables de faire. Il est vrai que certains résultats sont si fondamentaux que l’on peut clairement penser que n’importe quelle créature intelligente serait naturellement menée à développer des mathématiques les incluant, mais il reste toute une autre partie des mathématiques où je pense que la sensibilité humaine joue un rôle primordial. En plus, je n’aime pas réduire les mathématiques aux résultats et leurs preuves. Je pense personnellement que le processus qui mène à une solution est tout aussi important que la solution elle-même, et ce cheminement est éminemment subjectif.

mcs : Il y a tout une tradition de penseurs, de philosophes et mathématiciens, pour défendre l’idée que les mathématiques constituent une catégorie complètement à part dans la connaissance. Kant, par exemple, qui est un représentant emblématique de cette tradition et qui a beaucoup été suivi, construit sa Critique de la Raison pure sur l’idée que la plupart des sciences expérimentales avancent par confrontation au réel : elles s’élaborent en ajoutant de la compréhension (elles sont “synthétiques” dans le vocabulaire de Kant) après avoir été en contact avec le monde par le biais de nos capacités de perceptions, nos capacités empiriques. La chimie ou la physique sont par conséquent pour Kant des “connaissances synthétiques a posteriori”, c’est-à-dire qu’elles se forment après qu’on a rencontré le réel et qu’on est défié par une certaine forme de résistance que le réel nous oppose. On a pu découvrir la pénicilline en oubliant une boîte de pétri quelque part, par exemple, nous obligeant à nous demander ce qu’était ce truc-là, parce qu’il a provoqué notre étonnement.

A l’inverse, les mathématiques constituent pour lui un type de connaissance qui ajoute de la compréhension sans avoir besoin du réel. Il y voit le seul exemple de “connaissance synthétique a priori”, ce qui fait des mathématiques une maîtresse absolue, à nulle autre pareille dans le panorama de nos connaissances. Est-ce qu’il n’y a pas dans l’histoire des mathématiques de nombreux exemples de théorèmes qui ne trouvent leur justification empirique qu’après coup ? Quel est ton avis là-dessus ?

HDC : C’est vrai, ça arrive. Mais les mathématiques sont similaires aux sciences expérimentales aussi dans la mesure où elles génèrent elles-mêmes des situations où notre étonnement est éveillé. L’étonnement ne vient peut-être pas de quelque chose d’extérieur aux mathématiques, en effet, mais il y a quand même ce processus de compréhension de quelque chose qui est “donné” qui est déjà là. C’est assez rare que les mathématiques s’auto-entretiennent de manière quasi automatique. Il y a toujours cet étonnement éveillé par ce que les mathématiques ont généré précédemment, et cet émerveillement pour ce qui existe déjà est le départ d’une nouvelle découverte.

Évidemment, la vraie question est de savoir ce qu’on appelle la réalité elle-même, ou la nature. Est-ce que ce qui est produit par les mathématiques est en dehors de ce réel, de cette réalité qu’on rencontre ? Est-ce que les mathématiques comme connaissances sont vraiment distinctes de la nature ?

Personnellement, je ne vois pas de distinction forte entre ces types de connaissances, entre les mathématiques ou la physique. Pour moi, les mathématiques sont, comme la physique, des lois de la nature…

Les mathématiques créent un monde qui existe, qui a ses objets, qui a ses propriétés. C’est comme un “monde parallèle”, mais qui a aussi son existence. Ce n’est pas juste un langage, pas juste une logique. Et ce monde, il se trouve que, dans son existence, il n’est quand même pas si loin de celui dans lequel on vit. Il y est connecté. Il permet de se raccrocher de temps en temps à ce réel (empirique), de se reconnecter au monde de la physique, par exemple.

mcs : “Reconnexion au réel “ parce que, ce qu’on a découvert dans ce monde parallèle, “ça marche” ?

HDC : Est-ce que ça marche parce que c’est un fruit de notre capacité de raisonnement en tant qu’humain, et que c’est cette capacité qui nous permet de décrire le monde ou est-ce que c’est quelque chose de plus profond, ancré dans les lois de l’univers et que justement on découvre, mais qui serait quand même en dehors de l’humain ? Je ne sais pas.

J’en reviens à cette catégorie de personnes qui pensent que les mathématiques existent indépendamment de l’humain. Un argument très fort dans cette direction est que certaines lois mathématiques correspondent si bien au fonctionnement de notre réalité que ce serait étonnant d’imaginer que ces lois n’y sont pas inscrites.

J’adore donner cet exemple de l’abeille, qui reste toutefois à vérifier. Il semble que l’abeille fonctionne en 3D, pas en 4D : elle n’a pas trois dimensions spatiales et une dimension temporelle. Elle a deux dimensions spatiales et une dimension temporelle. Donc la profondeur, pour elle, c’est simplement un temps. Si on demandait à une abeille de décrire le monde, la notion de la 3e dimension spatiale ne lui viendrait pas.

C’est donc peut-être présomptueux de notre part d’imaginer que ce qu’on comprend du réel est vraiment universel. Il est vrai que l’on challenge de nous-mêmes notre représentation de trois dimensions spatiales de l’univers avec la théorie des cordes par exemple. Mais d’un certain point de vue, qu’est-ce qui nous permet vraiment de penser que ce qu’on prouve à travers notre système de pensée est universel ?

 

« Qu’est-ce qui nous permet vraiment de penser que ce qu’on prouve à travers notre système de pensée est universel ? »

 

mcs : Ça n’est pas parce que, par définition, il est impossible de penser ce qui est en dehors de notre système de pensée que nous pouvons avoir la prétention d’avoir fait le tour de la question…

HDC : Je suis essentiellement d’accord que les nombres premiers, c’est fondamental, et que d’autres civilisations ou d’autres espèces puissent y avoir accès, mais, à travers des exemples, on ne couvre pas l’entièreté des mathématiques, donc cela me semble un débat extrêmement difficile à trancher.

mcs : C’est même possible que ce débat soit complètement vain…

HDC : Oui !!!!

mcsJ’aime ton adjectif de “présomptueux”. Il y a effectivement toute une tradition de la pensée qui fait de l’humain un être radicalement différent de tout le reste de la création. Je le crois faux. Il me semble que nous sommes, comme n’importe quelle créature, “équipés” pour comprendre et effectuer un certain nombre de tâches. En tant qu’humains, nous sommes incapables de nous indiquer la distance d’un chant de colza par une danse, par exemple.

Le réel est plus grand que ce que la tradition nous en dit et cette prétendue suprématie n’est peut-être bien que la représentation d’un autre temps. D’ailleurs, chez Kant non plus nous n’avons pas accès à la chose en soi. Nous avons accès à la chose par le biais de notre représentation.

HDC : Je suis bien d’accord avec ça. Et souvent les scientifiques n’aident pas beaucoup non plus sur ces questions. Ils sont souvent assez péremptoires dans leur façon de donner une valeur universelle à ce qu’ils produisent, surtout en raison, notamment, du caractère prédictif de leurs découvertes. On est parfois capables de prédire comment un phénomène se comporte alors qu’il faut attendre des dizaines ou des centaines d’années pour prouver expérimentalement que c’est bien comme ça que ça se passe. C’est vraiment spectaculaire. Mais est-ce que ça n’est pas simplement le signe que l’humain est capable de trouver des règles simples et naturelles ? Ce n’est pas tellement étonnant que l’univers fonctionne selon des règles et que, de temps en temps, l’humain tombe dessus.

Sans compter qu’il y a toujours ce qu’on appelle le “biais cognitif” qui fait qu’on se souvient surtout de ce qui a marché.

Mais quand j’avance dans ma compréhension, je suis toujours amené à aller plus loin, à me poser de nouvelles questions. Par exemple entre les mathématiques et la physique, il y a toujours comme une espèce de stimulation commune. Heureusement ! C’est ce qui nous permet d’avancer. Quand une équation mathématique fonctionne en physique, le mathématicien est poussé à aller plus loin dans sa compréhension mathématique, offrant ainsi des hypothèses qui vont permettre aux physiciens d’aller plus loin. C’est ce va et vient, comme une course de voitures qui se dépassent l’une l’autre en permanence, qui mène aux grands développements.

mcs : Le savoir génère le savoir et plus on en sait, plus les champs de ce qui est à savoir s’ouvrent., dans une course à laquelle toutes les sciences participent de concert.

HDC : Oui, c’est un non-sens de considérer qu’il y a la pratique d’un côté et la théorie de l’autre. On voit que l’une ne marche pas sans l’autre. Même au sein des mathématiques, c’est ce qui se passe : on développe un nouvel outil pour comprendre quelque chose et cet outil dépasse le problème lui-même, dépasse l’utilité, le champ d’action, l’intérêt, la beauté du problème pour lequel on a développé cet outil.

Ce nouvel outil provoque de nouveaux problèmes pour lesquels il faut de nouveaux outils. Il n’y a pas d’adéquation parfaite entre l’outil et le problème qu’il est censé résoudre. C’est ce qui permet d’avancer. C’est une dimension importante du progrès scientifique à laquelle la science actuelle doit faire attention : l’exigence faite aux chercheurs en matière de publications scientifiques pousse à la surenchère. Qui dit surenchère en matière de publications dit réduction de la profondeur, de la réflexion, de la preuve.  On risque de faire le “minimum syndical”, ce qui fera peu avancer la science.

 

« Il n’y a pas d’adéquation parfaite entre l’outil et le problème qu’il est censé résoudre. C’est ce qui permet d’avancer. »

 

Le 5e postulat d’Euclide : un casse-tête pour 2000 ans de mathématiciens

mcs : Lors de ta prise de parole lors du Dies Academicus d’octobre 2022, tu as joliment parlé de ce fameux 5e postulat d’Euclide sur lequel 21 siècles de chercheurs, de mathématiciens et de penseurs se sont cassé la tête pour finir par démontrer, au XIXe siècle, qu’on ne pouvait pas le prouver à partir des autres, ouvrant ainsi sur ce nouveau domaine que sont les géométries non euclidiennes. Tu as parlé du vertige que tu ressens à l’idée de cette formidable chaîne de fourmis, de mathématiciens et mathématiciennes parfois inconnus, qui ont contribué à faire avancer les mathématiques, que tu conçois comme l’archétype du développement de la connaissance.

Cet exemple était un moment très fort, de la cérémonie, qui unissait des générations de chercheurs et ce que nous sommes tous devenus au XXIe siècle.

HDC : (rires) Merci ! J’aime cette accumulation de petits pas. On a trop tendance à mettre en valeur les héros de la recherche alors que c’est l’apport cumulé de tous qui permet aux “sauts” plus visibles d’avoir lieu.

D’ailleurs, pour en revenir à la cérémonie, c’était vraiment très sympa, ce Dies Academicus, très intéressant.

mcsC’est une cérémonie que j’aime beaucoup. C’est un moment que je trouve important symboliquement. C’est un pont entre la cité qui accueille et honore les scientifiques qui ont travaillé pour les humains que nous sommes et pour enrichir cette aventure collective. C’est très profondément émouvant.

HDC : Oui, c’est exactement ce que tu décris.

mcs: Alors, ce 5e postulat ?

HDC : Ce 5e postulat montre toute la fragilité du savoir humain, mais aussi ce qui en fait la richesse. On y voit toute la ténacité d’une communauté, d’une société, de générations qui s’attellent à résoudre un problème qui survit à la mort des chercheurs. On a mis deux mille ans pour montrer que le 5e postulat d’Euclide ne pouvait pas être démontré, et que, du coup, si on s’affranchit de ce postulat (puisqu’il est indémontrable) on découvre toutes sortes d’autres géométries, tout à fait raisonnables et qui décrivent notre monde, contre toute attente : le monde suit une géométrie non-euclidienne.

mcs : On a découvert les géométries non-euclidiennes en prouvant que le 5e postulat d’Euclide était indémontrable et qu’il y avait toutes les raisons de ne pas s’y soumettre, c’est ça ? C’est totalement fascinant !

HDC : Oui, ça a permis toute la compréhension du monde qu’Einstein a développée.

Ça montre la relativité de notre compréhension et la beauté des choses abstraites ! On pourrait penser que c’est “bidon” de passer son temps à essayer de montrer qu’un postulat ne peut être prouvé à partir des autres axiomes d’Euclide. Mais c’est cette réflexion même qui a permis de faire évoluer notre compréhension du monde.

Aujourd’hui, pour des chercheurs, les géométries non-euclidiennes sont tout à fait naturelles.

mcs : Ce qu’Euclide ne pouvait pas savoir…

HDC : Oui ! Et pourtant, c’était là, sous ses yeux ! Les Grecs savaient que la terre était ronde. La rotondité de la terre permet de violer le 5e postulat.

Le 5e postulat d’Euclide se prête joliment à l’enseignement. C’est un exemple concret où l’exigence d’axiomatique a des résultats spectaculaires sur notre compréhension du monde. L’enseignement peut se saisir de ces exemples pour réfléchir à la valeur des mathématiques dans un panorama historique.

 

Ubuntu et droits politiques

Illustration : Nelly Damas pour Foliosophy

Recueillir des signatures dans la rue pour une initiative ou un référendum est un exercice que je recommande à tout citoyen. Il y a une beauté (j’ai réfléchi au terme) à constater en acte, sur son temps libre, les pieds gelés, que notre démocratie peut tenir à ce petit geste élémentaire qui consiste à aborder un passant pour lui demander s’il est d’accord avec telle ou telle idée et lui proposer de la soutenir. 

Que cet embryon d’association puisse constituer un levier de changement dans un pays tout entier est un joyau politique que nous devons chérir, cultiver, protéger. 

Et pratiquer.

♠♠♠

Il y a le passant fermé qui ne vous voit pas, qui se protège pour ne pas entrer en matière (Le Suisse est un être plutôt discret, pas facilement enclin à la discussion de rue, état de fait qui rend d’autant plus fascinant notre système de démocratie directe) et qui ne tourne même pas la tête en entendant le son de votre voix. 

Il y a la passante qui vous dit qu’elle est pressée, qu’elle n’a pas le temps. 

Il y a la passante accorte qui se dit très intéressée, mais qui n’a pas le droit de vote. 

Il y a la retraitée qui se dit contre votre initiative, qui vous raconte sa vie pour vous expliquer les raisons de son désaccord, qui signe enfin, reconnaissant que votre projet serait une solution pour empêcher que ce qu’elle a vécu d’abominable puisse se reproduire pour les nouvelles générations. 

Il y a celui qui vous dit que “ça ne l’intéresse pas” (comme si l’essentiel était là). 

Il y a celle qui s’arrête pour en débattre, hésitante (pendant que vous calculez le nombre de signatures potentielles perdues  en enregistrant malgré vous le nombre de piétons qui se sont faufilés à vos côtés) et qui finit par vous dire qu’elle va y réfléchir. 

Il y a celui qui ne sait pas ce qu’est un référendum, qui trouve le dispositif magnifique lorsque vous le lui expliquez et qui s’indigne illico alors qu’en général les lois puissent être votées sans que les citoyens soient consultés. 

Il y a ceux qui pensent devoir consulter leur employeur avant de signer, comme si leur emploi en dépendait. 

Il y a celui à qui on doit apprendre que sa signature n’est pas valable. 

Il y a celui qui vous propose d’autres sujets d’initiatives (il en a à l’esprit une liste longue comme le bras). 

Il y a celle qui cherche du regard l’approbation de son mari avant de signer. 

Il y a celui qui, par principe, ne signe jamais rien dans la rue. 

Il y a celui qui en a entendu parler et qui est très content d’avoir l’occasion de signer. 

Il y a celui qui essaie de vous faire croire qu’il ira regarder sur le site internet pour s’informer plus en profondeur. 

Il y a celle qui a un témoignage à vous faire, lequel vous donne à comprendre mieux encore l’importance de ce que vous êtes en train de faire signer. 

Il y a tous ceux qui ne savent pas qu’en signant une initiative, ils ne sont pas en train de décider la mise en application de ladite. 

Il y a celui qui vous demande de quelle obédience vous êtes et qui signe (ou pas) pour cette raison seule. 

Il y a ceux qui vous disent qu’ils ne sont pas personnellement concernés par le sujet, mais qui signent quand même. Ou pas. 

Il y a celui qui vous dit qu’il a déjà signé. 

Il y a celle qui ne se souvient pas si elle a déjà signé. 

 Il y a celui qui vous demande d’entrée si vous allez lui demander de l’argent et qui signe ensuite les yeux fermés quand il sait que ce n’est pas le cas. 

Il y a celui qui vous dit qu’il n’est pas du tout d’accord avec le projet mais qui signe immédiatement par solidarité parce qu’il a, par le passé, lui aussi recueilli des signatures dans la rue et qu’il sait à quel point ça peut être ingrat. 

Il y ceux qui vous remercient de vous geler dans le froid pour un sujet aussi important. 

Il y a celle qui se retourne encore une fois après avoir signé et vous souhaite “bonne chance” avec un grand sourire. 

♠♠♠ 

Au fil des heures et des jours, je me dis que notre système de démocratie directe exemplifie les thèses UBUNTU des Bantous : je suis ce que je suis parce que nous sommes. Ou « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous » Si les signatures se succèdent rapidement, je sens mon pays changer. Si les passants se renfrognent et ignorent ma présence, je sens que je dois abandonner le rêve que j’avais.  

La première forme d’initiative populaire en Suisse remonte à 1793 et c‘est le canton de Vaud qui connaît le premier, en 1845, le principe de l’initiative populaire qui donne alors à 8 000 citoyens la possibilité de faire soumettre au peuple “toute proposition”. 

C’était il y a longtemps. Mais pas tant que ça. Les modifications apportées au sytème des intitiatives et des référendums ont été nombreuses depuis. Ces structures changeront encore. Elles ne datent pas de Moïse et ne sont pas garanties jusqu’à la fin des temps.

Ayons de l’intérêt pour elles.

Pratiquons-les.

Protégeons-les.

Tu es parce que nous sommes.

A l’ami parti

Illustration : Nelly Damas pour Foliosophy

A l’ami parti

C’était possible, hélas, puisque cela était“.

Boulgakov : Le Maître et Marguerite

 

Voilà ce qui surprend : que l’inconcevable, avant ta disparition comme avant celle de n’importe qui d’autre, apparaisse comme allant de soi, après. 

Quelque chose comme : “Tout est dit”. 

 

C’était impossible de le penser avant. 

Ça s’impose comme incontestable, ensuite. 

 

Cette réalité bicéphale de l’avant-et-de-l’après n’a rien à voir avec la tristesse. Elle s’impose, nue, brutale. 

On sent que la tristesse, le chagrin ou la douleur, lorsqu’ils s’en mêlent, lorsque le défunt est un proche ou que sa disparition est abrupte, se surajoutent à ce constat simple mais dont la simplicité, lorsqu’on essaie d’en comprendre la texture, sidère :

Il était. Il n’est plus”. 

 

Même lorsque la tristesse est mesurée, parce que le défunt était âgé ou malade et que sa disparition était attendue autrement que théoriquement, comme nécessitée par les circonstances, la netteté du couperet pétrifie : “Il était. Il n’est plus”. 

 

On peut le répéter encore. Ce sont comme des plaques tectoniques ébranlées qui glissent les unes sur les autres dans des directions opposées, soudain disjointes. 

On croyait le sol stable sous nos pieds. Il n’avait pourtant cessé de bouger à notre insu, jusqu’à la rupture, maintenant impossible à nier. 

 

C’est ce que ma douleur à la mort de G. m’avait empêchée de voir : c’est que j’étais moi-même déchirée par la séparation des plaques. 

 

Notre réalité est imbriquée dans celle des autres, dans celle de ceux que nous aimons. 

Ils emportent de nous en partant 

 

Et nous retenons d’eux en nous souvenant. 

 

Le souvenir du mot “PESSE”, d’abord, que j’apprends par toi, que je trouve sous ta plume et que je vois pour la première fois, que je n’ai jamais jusque-là ni vu ni entendu alors que j’ai grandi au milieu d’eux, avec eux pour seul horizon, me demandant si, vraiment, il pouvait y avoir autre chose que des sapins à perte de vue. 

Les pesses au milieu desquelles, de l’autre côté de la frontière, tu as grandi toi aussi. 

Tu glisses dans ma boîte à lettres, le matin de l’enterrement de G., voici plus de vingt ans, ce message qui me remue jusqu’aux tréfonds. Que je n’attendais pas. Que tu es venu déposer toi-même. Deux raisons suffisantes pour être remuée. Mais cette troisième encore, cette phrase que je cite de mémoire : “ Nous sommes tous deux faits du bois de ces pesses sombres et solides…”.  

Et tu me donnes un courage que je ne pensais pas avoir. 

 

Le souvenir me remue aujourd’hui comme alors. 

 

PESSE, n.f 

Nom vulgaire du sapin

Le pices, nommé aussi pesse, ou pecepiceaserente, faux sapin.

Etymologie :

Lat. Picea, de pix, poix.

 

 

J’ai trouvé le principe un peu bizarre”, te dis-je alors que tu t’étonnes, comme le doyen que tu es, qu’un enseignant plus expérimenté que moi se soit autorisé à mettre de lui-même en œuvre une procédure qui est de la prérogative de la responsable de classe que je suis. 

Tu rectifies avec une grande élégance : 

Oui, le procédé est cavalier”. 

 

Cette précision, cette élégance, c’était toi. 

 

Cette malice et cette attention totale de ton regard. 

Et cette manière de ne jamais en dire trop. 

Typique du pays des pesses. 

 

L’oeil précis derrière les verres épais 

Le sourcil broussailleux de ceux qui ne s’en laissent pas conter 

La lèvre inférieure un peu proéminente 

La voix volontairement un peu lente, un peu rocailleuse, humide avant que le son ne sorte. 

 

Je vois ton regard et j’entends ta voix. 

 

La meilleure défense, c’est l’attaque”, me lâches-tu en amont d’une soirée des parents que nous pressentons houleuse. 

 

Ta silhouette mince, bien prise. 

Ta démarche qui laisse l’ensemble du corps presque immobile, mystérieusement maîtrisé. 

 

Les voyages d’études avec les élèves. Ta connivence avec eux. Le jeu du chat et des souris pour les prendre sur le fait lorsqu’ils essaient de faire le mur, la nuit. 

 

 Arles en plein soleil. 

 

Les travaux dans ta maison, que je ne comprends pas toujours. Le morcellement d’une pièce immense en petites pièces dont je devine qu’elles parlent de toi. 

 

Ton histoire s’est refermée sur toi. 

Il nous est donné de le voir. Nous en sommes les témoins. Nous sommes les témoins de ce fait qui, à toi, t’échappe. 

J’en éprouve comme un scandale dont je sens dans le même mouvement qu’il n’est pas le mien, mais qu’il m’est insufflé par ce que nous avons fait de la mort. 

 

On sait depuis Philippe Ariès que les attitudes des vivants face à la mort, même si elles diffèrent en fonction des époques, ne sont pas légion.  

Les Romains de l’Antiquité reléguaient les défunts, considérés comme impurs, dans des cimetières hors de la ville. Puis, sans doute sous l’influence du christianisme, le domaine des vivants et celui des morts se sont un peu confondus et les cimetières sont entrés dans les villes. Nouvel éloignement de ces espaces, dès la fin du XIXe sous nos latitudes. Le rationalisme scientifique et les progrès de la technique font de nouveau de la mort une scandaleuse étrangère, non pas parce qu’elle est impure, mais parce qu’elle sonne comme un échec. 

Est-ce là aussi la racine de mon impression de scandale à l’idée que nous pouvons aujourd’hui, sans toi, comme dans ton dos, parler de ton existence désormais close, de ton existence qui s’est refermée sur toi et qui t’enveloppe dans nos mémoires ? 

 

Comme il est embarrassant de parler de quelqu’un en son absence ; 

Comme il est grossier d’utiliser la 3e personne pour parler de quelqu’un, pourtant présent, qu’on nie par le choix du pronom ;

Si j’ai l’impression de te nier en parlant de ta mort, de ta vie accomplie, en ton absence, c’est peut-être que je baigne, à mon corps défendant, dans cette représentation qui fait de la mort, non seulement un échec, mais depuis peu, l’ennemie de la vie, une ennemie à laquelle un président, de l’autre côté de la même frontière, sans sourciller et sans provoquer de contestations véritables, a pu “déclarer la guerre”. 

 

Kant faisait du temps une représentation nécessaire qui sert de fondement à toutes nos intuitions. C’est en lui seul que toute réalité des phénomènes est possible pour nous. Et comme notre intuition est toujours sensible, jamais il ne nous est donné, dans l’expérience, d’objet qui ne soit soumis à la condition du temps.

Là aussi le scandale. Nous ne sommes pas câblés pour comprendre ce qui s’est mis à échapper au temps. Toi, par exemple.

 

Ce n’est pas le virus qui a eu raison de toi, même si, curieusement, c’est le souffle qui t’a manqué, malgré la machine qui, depuis de longs mois, te rattachait à la vie. 

Mort de ta propre maladie par manque d’air au milieu de tous ceux qui, collectivement, meurent par manque d’air sous le coup de l’épidémie. 

 

Pourrons-nous nous rassembler pour te dire au revoir ? 

Les rituels relient la vie à la mort. Déjà réduits comme peaux de chagrin dans notre modernité, ils ont été soudain frappés d’interdit, mis au secret, parce qu’il en va de la vie… 

 

Ce lien est essentiel. 

 

Des morts, en ce moment, on publie les chiffres. On comptabilise les “partis avant l’heure”. On traduit en colonnes comparatives et en tableaux les décès qui auraient pu “être évités”. 

 

L’évitement supposé de la mort, la proclamation de son caractère évitable, renforcent son déni en lui donnant une force nouvelle.” 

 Catherine Hass, anthropologue 

 

La tienne ne pouvait pas être évitée. Maintenant ou plus tard. Comme la mienne à venir, même si quelque chose en moi se refuse à y croire. Est-ce parce que me demeure scellé à jamais ce moment où, pour moi, “tout sera dit” et sur lequel quelques vivants parleront ? 

 

Serons-nous privés d’hommages, privés de ce moment qui inscrit la mort dans nos vies ? En serons-nous alors plus encore réduits au “deuil personnel”, pudique et un peu étriqué, que l’on finit parfois par faire dans un cabinet de psychologue comme s’il était un désordre psychique ? 

 

Non, l’ami. Ta disparition, ton départ, ton décès, ta mort, n’est pas un tabou. Elle est la coda d’un temps où nos vies se sont, pour un moment, un peu confondues, où il m’a été donné la chance inestimable de te connaître, toi qui viens à nouveau de prendre une longueur d’avance.

Adieu l’ami. 

Adieu 

Quand la pandémie questionne le système scolaire (1) : Les modes mentaux

Quand la pandémie questionne le système scolaire : nos modes mentaux.

Faire bouger le monde ! n°1

Marie-Claude Sawerschel : Après une carrière de bonheur passée dans l’éducation, j’ai eu envie, par Foliosophy, de laisser une place majeure à la philosophie, pour favoriser le dialogue entre les savoirs, comprendre ce que nous faisons là, imaginer ensemble comment faire mieux, réconcilier le corps et l’esprit, l’espace et la pensée. J’éprouve une vraie joie à partager dans ces billets, avec la lumineuse Chantal Vander Vorst, les deux passions qui auront parcouru mon existence.

Chantal Vander Vorst : Faire bouger le monde est la vision de mon entreprise, au travers de la formation, de l’accompagnement, et des arts martiaux. La mise en mouvement me passionne et le questionnement tout autant. Ces billets commencés lors du confinement avec Marie-Claude sont une source de réflexion et un moment de partage magique, que nous sommes heureuses de diffuser.

Marie-Claude Sawerschel : La fermeture des écoles pour cause de pandémie, un peu partout dans le monde, a eu un effet révélateur sur un grand nombre des dimensions de l’école et avant tout sur la place et la valeur accordées au système d’évaluation en période normale et de certification en fin d’études.

Je prends pour exemple ce qui se passe en France, avec la décision de supprimer les examens de baccalauréat. Le bachot, en France, c’est peu dire que c’est une institution. C’est un rite de passage fort, qui met les lycéens et leur famille pendant des mois sur les charbons ardents depuis des générations, ce qui a fait dire au magazine Elle : «On ne verra plus le bachot comme on l’a connu. Le coronavirus aura eu la peau de ce fétiche français».

«On ne verra plus le bachot comme on l’a connu. Le coronavirus aura eu la peau de ce fétiche français».

En Belgique comme en Suisse, certains responsables du système éducatif ont prêché pour la suppression des examens finaux pour préserver “l’égalité (ou l’équité) de traitement”. Et il se passe quelque chose de tout à fait saisissant, à mon sens : alors que le formalisme de l’examen était jusqu’ici incontournable (et générateur autant de valeur que de stress), on assure (et on pense nous rassurer ! Ce serait là un autre thème) en disant aujourd’hui que «tout est sous contrôle, on a déjà fait les ¾ de l’année, donc on peut parfaitement se dispenser des examens finaux parce qu’on sait que nos élèves ont “des compétences”». C’est un peu comme si on disait : «La formalisation par la certification est ultra importante, c’est pour cela qu’on l’a faite jusqu’ici, mais en fait, en ce moment, ça n’est pas important du tout parce qu’on peut déjà donner toutes les garanties sur le niveau de nos élèves, mais on s’empressera de retourner à ce formalisme dès que la pandémie sera passée».

On a l’impression, en conclusion de tout ce flou rhétorique, que l’évaluation et la certification sont importantes aux yeux de la société, à l’instar des “dogmes imaginaires” de Noah Yuval Harari, certes, mais manifestement pas uniquement pour mesurer le niveau des élèves. Alors, à quoi est-elle servent-elles ?

Chantal Vander Vorst : Pour répondre à cela, il nous faut voyager au cœur de l’humain, car la signification que l’on porte à l’évaluation et à la certification dépend de la paire de lunettes choisie.

Les modes mentaux

Ce voyage au cœur de l’humain nous permettra de comprendre notre fonctionnement cérébral, et au besoin… de se remonter à l’endroit, voire, de remonter le système scolaire à l’endroit ! Selon l’Approche NeuroCognitive et Comportementale développée par l’Institut de Médecine Environnementale à Paris, nous avons toutes et tous deux façons d’appréhender les situations, ces deux façons étant sous-tendues par des structures cérébrales différentes :

L’une, Automatique, adaptée aux situations routinières, simples et connues, telles : s’habiller, se laver, effectuer une tâche habituelle, … Elle contient un grand nombre d’informations et les norme, les catégorise. Elle va donc analyser en comparant de façon binaire.

L’autre, Adaptative ou Pré­frontale, parfaite pour aborder de façon optimale les situations difficiles, complexes et inconnues, telles : gérer un nouveau projet, faire face à un changement, avoir une vue globale sur une problématique … Elle permet une remise en question, elle ne norme pas, elle cherche et propose.

Notre hypothèse est que le Mode Mental Automatique prend souvent, trop souvent la main, car il est plus rapide et plus “bruyant” que le Mode Mental Adaptatif. Concrètement, cela signifie que nous avons tendance à d’abord nous raccrocher à ce que nous connaissons, à ce qui nous est familier, à notre bibliothèque d’expériences.

Nous pourrions illustrer cela par une image : nous avons deux chaises dans notre cerveau. En principe, l’une est prévue pour le Mode Mental Automatique, et l’autre pour le Mode Mental Adaptatif. Mais… le Mode Mental Automatique a tendance à s’asseoir sur les deux chaises, à se référer immédiatement à des normes, des schémas connus et simples. Par exemple, l’enseignement prévu à l’école est très souvent “automatisé”, dans le sens où les matières, la pédagogie et l’aménagement de l’espace sont presque toujours les mêmes que ceux que l’on voyait il y a plus de 50 ans, alors que le monde évolue en permanence. L’école semble donc décalée et non adaptée aux réalités actuelles.

La réussite et l’échec

L’évaluation et la certification, vues par le Mode Mental Automatique, servent à “normer” et à catégoriser, et elles donnent donc naissance aux “bons élèves”, aux “moins bons élèves”, aux “mauvais élèves”, et aux notions de réussite et d’échec.

Cette même évaluation/certification, lorsqu’elle est vue par le Mode Mental Adaptatif, sert à se questionner, à avancer, à révéler. Est-ce vraiment cette vision qui est actuellement présente dans les systèmes d’enseignements ? Beaucoup trop peu à mon sens.

La suppression de l’évaluation et de la certification à l’heure actuelle, en pleine crise de coronavirus, semble émaner du Mode Mental Automatique, qui lâche temporairement ce qu’il ne peut de toute façon plus contrôler.

MCS: Si je te comprends bien, ces modes mentaux, automatique et adaptatif, sont à l’œuvre aussi bien dans les cerveaux des individus que dans l’esprit collectif. Cette distinction rend assez bien compte, je trouve, de l’espèce de hâte et de banalisation étonnantes qu’on voit à l’œuvre dans l’annonce des mesures de simplification, de suppression de l’évaluation qui tranchent si fort avec le cérémoniel collectif qui préside habituellement à la promotion dans un degré supérieur. Je parie que pas mal de décideurs, sous les prises de paroles qui se veulent apaisantes, sentent le caractère délicat de cette passe. Ils doivent jouer le rôle d’illusionnistes qui font disparaître un foulard pour faire réapparaître un lapin, devant un public qui aimerait quand même bien découvrir le truc ! Et pour faire un peu mieux passer la manœuvre, comme l’abracadabra du magicien qui trouble la vigilance du spectateur, ils emploient de manière récurrente l’adjectif “pragmatique”, pour justifier la solution ad hoc trouvée à la situation exceptionnelle, pour mettre en évidence son caractère à la fois inventif et terrien, pour lui redonner, malgré son caractère unique, une certaine “normalité”, permettant de banaliser le “manque” occasionné par la suppression des examens. Pour reprendre ta distinction : comme on ne peut plus être en mode automatique, alors, un bref instant, on se met en mode adaptatif tout en conservant le vocabulaire du mode automatique : «Ça va bien comme ça… Pour cette fois, ça ira très bien… Quelques semaines manquées dans un cursus scolaire, ce n’est pas grand-chose… On est déjà sûrs que nos élèves ont les compétences requises, etc.»

Assurer ou rassurer

Cela dit, est-ce qu’on aurait réellement pu attendre autre chose en situation de crise ? Les Départements de l’éducation, de l’instruction, quels que soient les noms qu’on leur donne, sont des institutions dont le mérite réside pour une bonne part dans la stabilité qu’elles assurent. Elles rassurent aussi, donc, comme si le mode automatique des institutions pouvait calmer nos inquiétudes. Il y a quelque chose d’un peu infantile dans notre rapport à l’institution, vu sous cet angle.

Est-ce que tu ne penses pas que, parce que nous venons de vivre collectivement cette espèce de désacralisation de l’évaluation (je laisse pour l’instant de côté la dimension de rite de passage liée aux examens finaux), nous savons aujourd’hui qu’il est peut-être possible de faire autrement ou, du moins, de réinterroger les raisons d’être de l’évaluation conçue comme un dispositif destiné à identifier les élèves en leur donnant une certaine valeur ? Et, nécessairement, si on touche à cette clé de voûte que sont les notes, c’est l’école elle-même qu’on requestionne. Est-ce que, puisque nous avons entrevu la lumière, un moment contraints de passer en mode adaptatif, nous n’allons pas avoir envie de chercher de ce côté-là ?

CVV: Oui effectivement, je pense qu’un chemin de réflexion est en cours chez de nombreuses personnes, dans leur for intérieur. Ce chemin pose la question du sens, du sens de l’école, et par extension, du sens que l’on souhaite donner à sa vie.

Plusieurs personnes me relatent actuellement le fait d’être soulagées : soulagées de ne plus être dans un rythme effréné, soulagées de pouvoir simplement être chez soi.

La mécanique du changement

Cette situation pose aussi la question du changement. Qu’est-ce que le changement, et comment change-t-on, comment se met-on en mouvement ? La partie automatique du cerveau est entre autres extrêmement sensible à l’image sociale : que va-t-on penser de moi si je fais telle ou telle chose ? Au centre de ce dispositif se trouve une peur viscérale de l’exclusion par rapport au groupe.

Et le changement est possible lorsque certaines personnes chan­gent leurs habitudes, et que, par mimétisme, d’autres suivent. Un mouvement individuel peut devenir collectif lorsque le Mode Mental Automatique ne se sent ni menacé, ni jugé.

Il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin, et il est certainement plus que temps de remettre en question fondamentalement ce système pour revenir au sens premier de tout enseignement : aider à grandir et à révéler les talents.

L’heure du Mode Mental Adaptatif a sonné, écoutons-le !

Foliosophy

Marie-Claude Sawerschel
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Detox&Grow!

Chantal Vander Vorst
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