Le « féminisme washing » des syndicats sur leur non à AVS 21

Lorsque les syndicats investissent toutes leurs forces féminines pour défendre une mesure spécifique sur laquelle il n’y a pas d’enjeu égalitaire homme – femme, lorsqu’ils nous font croire que le capitalisme sauvera l’AVS dans les années de crise à venir, on marche sur la tête, comme dirait l’autre.

Le titre un brin provocateur de mon papier fait écho à une première incompréhension de ma part, puis au malaise grandissant que j’ai dans le cadre de cette fin de campagne sur la prochaine votation liée au référendum contre le projet de AVS21 (informations sur la votation ici).

Après une première contribution ici en 2021, j’avais cédé aux injonctions de laisser le débat aux personnes concernées, appels qui sont devenus encore plus forts dernièrement, allant jusqu’à demander aux hommes de s’abstenir dans une votation qui ne les concernerait pas.

Je sais que ces lignes pourront engendrer de la colère, du mépris ou de la désillusion auprès de certaines pour qui j’ai du respect et de l’admiration, envers quelqu’un que l’on considérait peut-être parfois comme un allié de la cause féministe, et qui se permet de venir mansplainer à la dernière minute.

Mais c’est précisément par respect envers ce combat que je m’exprime ici, plutôt que de laisser se transformer ce malaise en une rancœur que je sens déjà trop souvent tant auprès d’hommes que de femmes ; et parce que je pense sincèrement que :

  • Le projet AVS21 est un sujet qui va bien au-delà du sujet du féminisme auquel on essaie de le limiter.
  • L’AVS est une institution sociale cruciale pour les prochaines années, qui seront marquées par des crises que nous pressentons mais que personne n’anticipe encore. Elle doit absolument être consolidée immédiatement. Cela nous concerne toutes et tous.
  • Les enjeux féministes sont immenses au niveau du 2ème et du 3ème pilier, nous devons cesser la trop confortable guerre des tranchées dans l’AVS pour attaquer les vraies batailles immédiatement.
  • Le combat des syndicats contre AVS21 n’a de féministe que la couleur des banderoles.

L’AVS, la plus sociale et égalitaire de nos institutions

L’AVS est l’institution qui est la plus sociale en suisse aujourd’hui. Chacune et chacun y contribue en fonction de son salaire et a droit à une rente dont le minimum et maximum sont indépendants des montants contribués ou de tout autre critère discriminatoire.

Le consensus politique est total sur l’importance de cette institution, et une baisse des rentes (ni une hausse d’ailleurs) n’est politiquement pas envisageable. En revanche, le débat fait rage sur l’âge de la retraite et sur son financement, et les consensus en la matière sont extrêmement difficiles à trouver (La rente AVS annuelle distribuée aux retraité·es est financée à plus de 70% par les salarié·es et employeurs actuels, à 20% par les caisses de la confédération, et à moins de 10 % par d’autres sources comme la TVA, les jeux d’argents ou autres).

Les seules inégalités intrinsèques de l’AVS sont aujourd’hui liées à la différence de l’âge de la retraite entre femmes et hommes (et aux rentes de veufs), et constituent le sujet polarisant dans la proposition sur laquelle nous votons cet automne.

L’AVS doit être renforcée sans la rendre encore plus dépendante du succès du modèle capitaliste de hier

Nous ne pouvons plus parler financement de l’AVS en nous basant sur des projections issues des vingt dernières années. Nous l’avons constaté cette année, personne ne peut prévoir les crises à venir. Nous avons soudainement pris conscience de la crise climatique (un peu), de la crise énergétique (beaucoup plus, mais trop tard), et les prochaines crises économiques (inflation, coûts de l’énergie et des matières premières, bulles économiques diverses et variées, dettes étatiques, politique financière européenne) sont probables et imprévisibles.

Dans un tel contexte, il est socialement irresponsable de prétendre que l’AVS est solide financièrement pour les prochaines années, alors que l’équilibre annuel se fait à l’échelle du pourcentage, et que nous savons que le financement de la génération baby-boomers n’est pas assuré.

Dire que des financements additionnels pourront être trouvés sur les marchés des actions ou auprès de la Banque nationale suisse est un réflexe capitaliste de l’ancien monde. Dans un monde où la croissance va ralentir, les rendements des actions vont également baisser. Une fois une crise économique et sociale arrivée, il sera impossible de négocier politiquement des hausses de contributions liées aux salaires. Il s’agit donc de poser des bases plus saines pour les prochaines années dès cet automne, et ne pas promettre des solutions alternatives d’ici quatre ans alors que notre monde est imprévisible. Je veux bien faire des paris sur l’inflation, la croissance du PIB suisse et sur les marchés boursiers pour le troisième pilier, mais jamais pour le premier.

On pourrait aussi ergoter sur la question du financement additionnel par la TVA ; en l’occurrence il s’agit de la seule proposition sur la table aujourd’hui, et qu’un peu de diversification du financement n’est pas une mauvaise chose en soi.

Les syndicats prétendent qu’en acceptant AVS 21, l’augmentation de la retraite à 67 ans est programmée… C’est probablement exactement le contraire. Sans autre solution qui permette de stabiliser le financement de l’AVS, avec une situation économique qui a bien des chances d’être plus mauvaise lors des votations à venir, les arguments simplistes pour un âge AVS à 67 ans feront d’autant plus mouche.

Le modèle de l’AVS renforcé par AVS 21 est un modèle qui soutient les femmes

L’AVS profite aux femmes (et c’est très bien ainsi)

Dans son fonctionnement de base, le modèle redistributif et égalitaire à la base de l’AVS est déterminant pour les femmes, ainsi que pour tous les autres groupes de population qui n’ont pas de revenus élevés.

Si les femmes contribuent à hauteur de 34% des contributions prises sur les revenus, elles bénéficient de 55% des rentes versées. Tous états civils confondus, elles bénéficient d’une rente annuelle égale voire très légèrement supérieure aux hommes, notamment grâce aux suppléments de veuvage, au splitting, aux bonifications pour tâches éducatives et d’assistance et à la formule des rentes (chiffres OFAS).

Étant donné leur espérance de vie plus longue et la retraite à 64 ans, le capital effectivement reçu en moyenne par une femme est de 4 années de plus qu’un homme.

Entrer dans des calculs prétendant montrer que les femmes sont perdantes en accédant à l’AVS une année plus tard se heurte avec la réalité des faits (en réalité elles ont « une année de plus en moins », et restent gagnantes), et sape l’idée si centrale et si sociale de l’AVS que la redistribution se fasse de manière totalement égalitaire. On touche là à des fondements que je ne souhaiterais jamais être remis en question.

L’injustice en matière de rentes ne se situe pas dans l’AVS

Le vrai problème à résoudre en matière de rentes, et qui lui est totalement inégalitaire, se situe au niveau du second et du troisième pilier. Une étude de 2016 sur l’écart entre les rentes des femmes et des hommes (gender pension gap) arrive aux conclusions suivantes : si l’écart est presque inexistant dans l’AVS, il atteint 63 % pour la prévoyance professionnelle (2ème pilier) ; c’est-à-dire qu’en moyenne, la rente prévoyance professionnelle d’une femme dépasse à peine le tiers de celle d’un homme. L’écart est très élevé également pour le 3e pilier, où il représente 54 %.

Cette injustice flagrante ne se résout pas par des compensations fantoches dans l’AVS qui ne sont pas à la hauteur du problème du tout, ni avec des modes de calculs de rentes différents, mais bien en permettant aux femmes de travailler davantage, à des postes plus élevés et pour des salaires équivalents à ceux des hommes, et aux hommes d’accéder de manière réelle aux temps partiels, afin que les charges familiales et les responsabilités professionnelles et sociétales soient réparties de manière plus équitable.

La flexibilisation du travail et les modèles de temps partiels doivent être promus

On sait aujourd’hui que l’égalité homme – femme se joue dans la répartition des tâches ménagères, de l’éducation, dans le congé parental et dans une plus grande flexibilité des taux d’emploi tant pour les femmes que les hommes, ainsi que dans l’égalité salariale.

Il n’est plus question que les hommes travaillent à 100% jusqu’à 65 ans et ensuite plus du tout ; il n’est plus question que les femmes s’occupent du ménage, des enfants et de leur mari en ne travaillant pas ou à temps partiel, et soient dédommagées pour cela par quelques années de retraite anticipée (NB : afin que les hommes entrant en retraite avant leur partenaire n’aient aucun risque de prendre une part de la charge du ménage durant leurs premières années de retraite…).

Bref, les nouveautés qu’amène AVS21 en matière de flexibilisation de la retraite, sont en phase avec le fait d’imaginer des parcours de vie beaucoup plus flexibles et égalitaires, de diminuer son temps de travail avant 65 ans, ou de garder une petite part salariée quelques années plus tard encore, en améliorant sa rente. Cette modernisation de l’AVS est une avancée importante, dont chacune et chacun pourra bénéficier selon ses possibilités, besoins et envies. Le changement sociétal se fait dans les têtes, et ceci est une mesure qui y contribuera.

Pour beaucoup de femmes, il sera bien plus intéressant de baisser le taux d’emploi de quelques pourcents sur quelques années, plutôt que de travailler à 100% une année de moins. C’est d’ailleurs la réalité pour beaucoup d’entre elles déjà, avec les désavantages actuellement liés à leur rente.

1 femmes sur 6 vit dans la pauvreté au moment de la retraite

Une femme sur six vit dans la pauvreté au moment de la retraite. Cette situation est effectivement intolérable, et est liée aux parcours de vie traditionnels qui les ont écartés du marché salarié, ainsi qu’aux différences salariales encore bien réelles.

Mais cela ne se règle ni en envoyant ces femmes une année plus tôt à la retraite, et donc plus tôt dans la précarité, ni en affaiblissant l’AVS. Ceci se règle dans une meilleure conciliation vie de famille et travail, dans une plus grande implication des hommes dans les charges ménagères, sociales et familiales, et dans le chantier des 2ème et 3èmes piliers !

Le « féminisme washing » des syndicats

Le faux combat

J’en viens maintenant au malaise qui a inspiré mon titre. Comment est-ce simplement possible que les syndicats mettent en danger le financement d’une institution sociale si essentielle ? Comment peuvent-ils promouvoir des solutions de financement alternatives qui dépendent des marchés boursiers et d’un accroissement du PIB similaire aux dernières vingt années, dans un esprit capitaliste du siècle passé ? Pourquoi mettent-ils toutes leurs forces depuis près de deux ans (pardon, une fois de plus, on a surtout vu des femmes mettre leur temps et leur énergie là-dedans, quelques hommes parfois à la télévision) dans la lutte contre des mesures sans vrai enjeu féministe ?

Si je comprends que beaucoup de militantes soient désabusées et tellement en colère qu’elles ne sont plus prêtes à avaler une couleuvre de plus, je ne le comprends pas d’un syndicat, dont j’attends une vision stratégique et au bénéfice de la cause.

C’est un peu comme si les syndicats nous disaient en gagnant le référendum AVS 21: “Génial, nous n’engageons pas les réformes du deuxième et du troisième pilier dans les prochaines 5 années, et grâce à cela on vous offre une année de retraite de plus en attendant l’aboutissement de la prochaine révision AVS ” (NB: qui ne sera peut-être plus menée par un ministre de gauche).

Le Branding des manifestations féministes

Suite à la formidable émulation de la grève des femmes de 2019, où femmes et alliés de tous bords ont montré l’importance du sujet de l’égalité des sexes en suisse, on a vu les syndicats d’une part s’impliquer fortement dans le mouvement (ce que l’on ne peut pas leur reprocher), mais surtout pratiquer un branding extrêmement fort et en première ligne dans toutes les événements et manifestations. Les banderoles diverses et variées des militantes étaient concurrencées par le marketing professionnel des syndicats.

Le non à AVS21 peut être très facilement mis en scène grâce à une ultra simplification et une émotionnalisation du problème, les militantes ne coûtent pas cher et sont déjà mobilisées, et l’on s’assure en même temps une exclusivité politique, étant donné que seule une partie de la gauche proche des syndicats s’engagera vraiment dans un tel combat.

Ceci serait moins un problème si le sujet de l’AVS n’était pas un élément parmi les moins pertinents pour les femmes parmi tous les chantiers que nous devrions empoigner. Bref, les syndicats passent totalement à côté du sujet, tout en en valorisant les fruits marketing.

On pourrait également se demander comment ils ont expliqué à leurs camarades syndiqués masculins qu’il fallait mettre en danger le financement de l’AVS afin d’envoyer les camarades féminines une année plus tôt à la retraite ? Probablement en leur faisant croire que l’AVS était assurée… Alors qu’il n’est pas certain que parmi les personnes syndiquées, les hommes soient en meilleure santé que les femmes au moment de la retraite, cela risque d’alimenter des rancœurs envers la cause féminine. Peut-être que les syndicats gagneront-ils quelques nouvelles membres en échange ?

La fin de la sororité et de la cause commune ?

Un point particulièrement choquant ces dernières semaines, est le discours de plus en plus audible, que seule une femme de gauche est une vraie féministe. Les élans si importants autour de la sororité ne valent-ils plus rien dès qu’il s’agit du combat gauche droite ? Toute femme qui voterait oui à AVS21 ne serait-elle plus qu’un suppôt du capitalisme sans plus de statut politique de femme ?

La violence de ces attaques fait que beaucoup de femmes que je respecte notamment par leur engagement et leur action concrète pour l’égalité des sexes, ne s’expriment plus sur le sujet et qu’il faut leur demander explicitement leur avis pour entendre leur malaise avec la situation et qu’elles voteront, au moins pour moitié, oui à AVS21.

Et maintenant ?

Les syndicats nous ont fait perdre trop de temps et d’allié·es avec ce référendum ; ils auront peut-être gagné en visibilité, mais quels que ce soient les résultats de la votation, ils n’auront en rien fait avancer la cause des femmes en Suisse. Cela me met en colère et me rend triste.

Pourtant, j’espère bien qu’une fois la votation passée nous saurons empoigner ensemble les vrais dossiers que sont les deuxième et troisième piliers, et poursuivre le travail de déconstruction au quotidien afin de poursuivre sur la voie d’une meilleure égalité entre femmes et hommes. Ensemble, toutes et tous.

L’arnaque de la retraite des femmes à 64 ans

En matière d’égalité de fait, et non de droit, entre femmes et hommes, nous sommes encore loin du compte en Suisse. Dans ce chantier qui reste colossal, il y a aujourd’hui du mouvement, notamment grâce à toute l’énergie mobilisée lors de la grève des femmes de 2019.

Il s’agit maintenant de mettre l’énergie aux bons endroits pour obtenir un impact maximal et sans tarder.

Pourtant, avec la cristallisation de la lutte sur le maintien de l’âge de la retraite des femmes à 64 ans, nous faisons fausse route; gagner une nouvelle fois sur ce point serait un marché de dupes, et cela pour de multiples raisons.

La retraite à 64 ans : une perte financière sèche de plus pour les femmes

Premièrement, et c’est là où se cache la véritable arnaque, c’est qu’en prenant leur retraite une année avant les hommes, les femmes n’y gagnent absolument rien, elles y perdent même financièrement la plupart du temps.

Pour la majorité d’entre nous, nous gagnons plus l’année avant notre retraite que celle d’après. Et cela y compris pour les petits salaires, qui obtiennent peut-être une rente AVS autour des 1’300 CHF et arrivent avec peine à 2’500 francs au final si l’on inclut les prestations complémentaires.

Bref, en garantissant aux femmes une retraite à 64 ans, nous leur faisons perdre une année de salaire professionnel par rapport aux hommes, en général plus élevé que leur rente. Beaucoup de femmes entrent ainsi une année plus tôt dans la catégorie précaire des retraitées.

Quand certains syndicats annoncent (voir ici )que les femmes perdront environ 1’200 francs en moyenne par année sur leur rente AVS, (en considérant environ 2’000 francs mensuels d’AVS et de prestations complémentaires, multipliés par douze mois = 24’000 francs annuels, répartis sur les 20 ans d’espérance de vie moyennes (jusqu’à 84 ans) = 1’200 francs de perte annuelle), ils oublient que la plupart des femmes perdent aujourd’hui en réalité davantage en tant que retraitées que si elles touchaient encore un salaire l’année de leur 64 ans. Bref, avec une retraite anticipée institutionnalisée des femmes, tant les femmes que les caisses AVS y perdent financièrement!

La retraite à 64 ans : le collier de nouilles de la fête des mères

« Tant que l’égalité des droits ne sera pas vécue dans les faits, nous ne lâcherons pas la retraite à 64 ans » : ce qui à première vue semble être un élément légitime et fort d’une négociation, s’avère se dégonfler à la lumière de la réalité. Car en réalité, il n’y a plus rien à négocier : formellement, légalement, l’égalité est là. Par contre, les inégalités doivent encore se résoudre dans nos têtes, dans nos comportements, ainsi que dans les façons dont l’un et l’autre, hommes et femmes, gérons nos carrières et nos familles (temps partiels, congé parental, crèches,…). De tels changements ne se négocient pas, ne s’imposent pas, mais ils se font, ils se vivent dans la vie privée et publique de tous les jours, et nous pouvons les accélérer en offrant des possibilités (temps partiel) et des infrastructures (crèches), en expliquant et en informant (transparence salariale) et surtout en donnant envie de changement.

Les hommes dont les idées sont encore fortement ancrées dans le patriarcat, se fichent probablement que les femmes soient retraitées à 64 ans. Au contraire, de manière inconsciente pour certains, cela légitime leur vision du monde :

  • les femmes sont plus chétives et ont donc droit à une retraite anticipée (argument du Conseil fédéral en 1964, lorsqu’il avait abaissé l’âge à 62 ans)
  • les sacrifices des femmes pour la famille sont finalement compensés (déjà qu’elles ne sont pas astreintes au service militaire…), et il n’y a donc rien à changer dans notre société.
  • d’autres seront heureux de profiter du départ anticipé à la retraite de leur épouse plus jeune, ce qui leur permettra de continuer de se tenir avec bonne conscience à bonne distance des tâches ménagères

Ce qui est vendu comme une compensation pour inégalités de fait bien réelles, tient aujourd’hui davantage de la prime cumulus offerte aux femmes pour sacrifices accumulés au cours de toute une vie, ou du collier de nouille offert à la fête des mères pour les remercier de leur dévouement constant. Indirectement, cette compensation fantoche légitime ces inégalités, vu que c’est le jeu qui permet d’obtenir la prime, ou l’amour reconnaissant du patriarcat.

N’oublions pas que pour trop de femmes encore, prendre la retraite c’est devenir femme au foyer à plein temps. Et voulons nous vraiment, en insistant sur cette notion d’âge différencié selon le genre, renforcer les stéréotypes scandaleux du genre “un homme avec les cheveux gris est expérimenté, une femme avec les cheveux gris est usée” ?

Non, la retraite à 64 ans n’est pas non plus un complot misogyne

A l’époque où les chances de faire bouger le système patriarcal étaient encore minimes, cela avait du sens de négocier des « compensations » ; mais aujourd’hui, nous pouvons et nous devons changer réellement le système, même si ce changement de paradigme n’est pas si facile.

Les syndicats et beaucoup d’entre nous sont aujourd’hui victimes d’un biais cognitif bien connu, celui du coût irrécupérable. Tant a déjà été investi dans la lutte pour conserver cet âge de la retraite plus bas pour les femmes, que se dire que ce n’est plus là le bon combat semblerait un gâchis de forces et d’énergie inacceptables. Or, tout ce temps et cette énergie de campagne et de combat ont déjà été dépensés, et ne doivent plus être considérés ; la seule chose que nous devons nous demander aujourd’hui est : où est-ce que notre énergie et notre engagement aura le plus d’impact positif pour les femmes.

Dans ce long combat pour une égalité des genres, il faut aujourd’hui lâcher cet os qui a perdu de sa saveur, que l’on tient depuis si longtemps entre les mâchoires. Certains syndicats ont de la peine à se défaire de cela, et le prêt-à-penser dont ils nourrissent les messages du mouvement de la grève des femmes devient aujourd’hui problématique, pour ne pas dire, et c’est un comble, paternaliste.

L’injustice sur les rentes est ailleurs, et elle est massive

L’injustice dans les rentes est réelle, et ne peut en aucune mesure être compensée par une retraite à 64 ans.  Une étude de 2016 sur l’écart entre les rentes des femmes et des hommes (gender pension gap) arrive aux conclusions suivantes : si l’écart est presque inexistant dans l’AVS (seulement 2,7 %), il atteint 63 % pour la prévoyance professionnelle (2ème pilier), c’est-à-dire qu’en moyenne, la rente prévoyance professionnelle d’une femme dépasse à peine le tiers de celle d’un homme. L’écart est très élevé également pour le 3e pilier, où il représente 54 %.

Cette injustice flagrante ne se résout pas avec des modes de calculs de rentes différents, mais bien en permettant aux femmes de travailler davantage, à des postes plus élevés et pour des salaires équivalents à ceux des hommes, et aux hommes d’accéder de manière réelle aux temps partiels, afin que les charges familiales et les responsabilités professionnelles et sociétales soient réparties de manière plus équitable.

Briser les réflexes de l’ancien monde pour permettre une vraie société égalitaire

En s’accrochant au privilège de l’ancien monde qu’est la retraite à 64 ans pour les femmes, c’est ce dernier que nous faisons perdurer dans nos têtes. Se battre pour une compensation dans un système injuste, ne fait que renforcer le système injuste.

Afin de dépasser cette situation de perdantes perdants, femmes et hommes devons agir de concert, libérés des négociations stériles de « si tu ne me donnes pas cela, je ne te donnerai pas cela » et pour cela abolir toute inégalité de droits, dans un sens comme dans l’autre.

Nous devons faire vivre une nouvelle vision, partagée entre femmes et hommes, de société égalitaire. Nous devons imaginer ensemble cette vie, ces rôles, ces fonctionnements, y rêver, les expérimenter. Nous devons apprendre à nous faire confiance et construire ensemble. C’est en nous donnant à toutes et tous l’envie d’une vie meilleure, que les changements en profondeur se feront.

Afin de mettre notre énergie à réfléchir et concrétiser ces idées, il existe quelques pistes qui agissent de manière fondamentale sur nos rôles dans la famille et la société, et donc de manière forte sur nos rentes, notamment sur le 2ème pilier encore si inégalitaire.

Le travail réalisé par Alliance f est en ce sens très inspirant, et a déjà porté ses fruits de manière forte notamment en ce qui concerne la place des femmes en politique (pour la place des femmes dans l’économie, on y travaille encore…).

Une autre idée me paraît avoir un potentiel de transformation particulièrement fort, c’est celle du service citoyen. Celui-ci remplacerait l’obligation de servir actuelle purement masculine et militaire par un engagement de milice pour chaque citoyenne et chaque citoyen, dont les options seraient élargies à toutes les tâches d’intérêt public reconnues par la loi (armée, protection civile, conservation des biens culturels, revitalisation des cours d’eaux…). J’ai repris cette idée dans l’article Heidi News en lien (et qui a notamment été un déclencheur pour ce blog).

Une généralisation d’un tel service citoyen aiderait les familles à moins baser la tenue du ménage sur les femmes ; tout comme le congé parental, cela renforcerait le signal que oui, il n’y a pas de raison qu’un homme ne puisse pas assumer seul famille et emploi pendant que sa conjointe serait en « service citoyen ». Finalement, cela renforcerait les « réseaux informels » externes aussi pour les femmes. Cela donne clairement envie d’y réfléchir.

Un autre élément clé est celui du congé parental, qui poserait des bases solides pour une répartition ouverte des rôles parentaux dès la naissance.

Ces idées et beaucoup d’autres changeraient notre société de manière fondamentale, mais le chemin est encore long et il faut y mettre toutes nos énergies si nous voulons les réaliser.

Nous avons encore besoin d’une AVS forte

Pour revenir au sujet de la retraite, nous devrons encore trouver les moyens de considérer une retraite à des âges variables, en fonction de la « dureté » du métier. Mais cela n’a plus à voir avec le genre, car ces métiers sont pratiqués tant par des hommes que des femmes.

Nous devons pour cela faire table rase des modèles du passé, réaliser la transition vers une retraite commune à 65 ans, tout en mettant en place les compensations adéquates pour ces femmes qui devront changer leurs plans pour une retraite une année plus tard. Car si les femmes d’aujourd’hui ne gagnent rien à maintenir une retraite à 64 ans, les retraitées (et les retraités) de demain gagnent à une AVS saine et solide pour l’avenir, car l’AVS restera le pilier de rentes le plus égalitaire quelques années encore.

En prenant un peu de distance, et pour dire tout cela autrement: je me vois très mal raconter un jour à mes filles, et peut-être mes petites filles, que malheureusement leur monde reste inégalitaire, mais qu’au moins je suis fier de m’être engagé fortement et durant des années pour sauver l’âge de la retraite des femmes à 64 ans quelques années de plus (quitte à empêcher d’autres avancées sociales par la même occasion). Leurs priorités seront très probablement bien ailleurs.

XR

Climat : j’ai un problème avec la désobéissance civile

J’ai un problème avec la désobéissance civile : en Suisse, en 2019, lorsqu’elle est le fait d’adultes socialement établis, et d’autant plus sur la thématique du changement climatique.

Les actions récentes d’ Extinction Rebellion XR en Suisse, et en particulier la publication récente d’une déclaration de soutien par quelques membres de l’establishment scientifique et politique dans les pages du journal le Temps me font particulièrement réagir sur le sujet (notamment parce que j’en connais plusieurs dont je respecte les travaux scientifiques ou l’engagement).

Et ceci essentiellement pour trois raisons :

  • Une conviction personnelle intime ne suffit pas à rendre une cause juste
  • La désobéissance civile pour accélérer ou s’opposer à une politique gouvernementale n’a pas de légitimité dans la démocratie Suisse
  • En matière de climat en particulier, les effets de la désobéissance civile sont contreproductifs à long terme.

Permettez-moi d’avance d’anticiper une première critique : je partage totalement le constat sur l’importance des problèmes écologiques et environnementaux auxquels notre civilisation est confrontée aujourd’hui (nous consommons davantage de ressources que la terre n’en produit – nous avons modifié le climat à des degrés et une vitesse comme nous ne les avons jamais connus – la biodiversité est en chute libre). J’en ai régulièrement fait part sur ce blog, et pour ceux que cela intéresse, vous trouverez quelques pistes sur mon approche personnelle ici : « Transition écologique : Don’t panic – be happy ».

Une conviction personnelle intime ne suffit pas à rendre une cause juste

En matière de désobéissance civile, il est des exemples historiques et classiquement évoqués dont la pertinence et la légitimité paraissent aujourd’hui évidentes, comme par exemple la lutte anti-esclavagistes, anti-raciste ou anticoloniale (pensons à Henry-David Thoreau, Gandhi, …).

Les formules philosophiques inspirées de Thoreau comme « être homme avant que d’être sujet », « il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi que pour le bien », ou encore « la seule obligation qui nous incombe est de faire bien » raisonnent dans notre société libérale avec une très haute moralité ; elles mettent l’individu au cœur de l’action, à qui il incombe de définir lui-même sa notion du bien. La désobéissance civile est, à la base, un acte profondément libéral.

Or qu’en est-il de mouvements de désobéissance qui auraient pour objets une notion du « bien » que l’on ne partage pas. Par exemple, s’il s’agit de lutter contre l’avortement, ou encore comme dans le cas du mouvement de désobéissance lié à la « Manif pour tous » en France, dont la notion de bien ne s’accommode pas du mariage homosexuel. Un médecin refusant un avortement par conviction, une maire refusant un mariage entre individus de même sexe, pratiquent aussi la désobéissance civile.

Pour aller encore plus loin, est-ce que le groupement d’extrême droite qui a récemment fait scandale lors du carnaval de Schwyz en se déguisant en membres du Klu Klux Klan, pourrait se reconnaître sous l’étiquette de désobéissance civile ? Ses membres se réfèrent pour l’instant plutôt à la liberté d’expression (ou de bêtise). Mais à partir du moment où son action est mue par des convictions intimes (aussi méprisables soient-elles), qu’elle a été non violente, et où il accepte la sanction qui pourrait lui être administrée, on ne pourrait le contester.

Il faut également prendre conscience que l’on ne peut pas non plus comparer la Suisse actuelle avec l’Amérique des années 50 ou l’Inde de la première moitié du XXième siècle : aujourd’hui, la désobéissance civile est à la portée de tous, et le filtre du risque de sanction encouru est quasi inexistant.

Bref, la désobéissance civile est une méthode qui a fait ses preuves dans des contextes bien précis, mais que l’on ne peut reconnaître comme étant « bonne » intrinsèquement. Si on la reconnaît dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, on ne peut plus s’y opposer dans d’autres contextes. S’il suffit d’avoir une conviction intime pour avoir le droit de se réclamer de la désobéissance civile, la porte est ouverte à toutes les dérives.

La désobéissance civile n’est pas adaptée à une démocratie qui fonctionne

Lorsqu’un gouvernement n’agit plus selon la Constitution ou qu’une administration étatique s’affranchit de son propre cadre légal, je peux concevoir l’outil de la désobéissance civile comme étant légitime, dès lors que les mécanismes démocratiques ne permettent plus d’agir sur le système. La désobéissance peut alors être un moyen pour se sentir en cohérence.

Or lorsque l’on lit le texte publié par Extinction Rebellion et ses soutiens, on y trouve:

« Quels que soient nos domaines d’expertise, nous faisons tous le même constat: le gouvernement suisse, au même titre que d’autres gouvernements, a été incapable de mettre en place des actions fortes et rapides, sans équivalent, pour faire face à la crise climatique et environnementale dont l’urgence est relevée tous les jours. »

Or en Suisse, si le système démocratique est lent, il ne dysfonctionne pas. Il est aujourd’hui en train de prendre la mesure du changement climatique de manière très rapide à l’aune des évolutions politiques classique, et de s’y adapter. Excepté l’UDC pour qui la lutte contre le changement tout court est la priorité, tous les partis qui comptent en Suisse ont pris acte des faits scientifiques. Il reste maintenant à mettre en œuvre une vraie politique climatique, et le prochain parlement sera très probablement mieux armé pour le faire.

Si l’on souhaite accélérer les choses davantage que le système ne le permet, on remet en question le modèle démocratique, qui veut qu’un changement soit intégré par la majorité des votants ou des membres d’un parlement avant qu’il ne soit décidé; ceci une fois fait, le changement est alors robuste et n’est plus remis en question à chaque nouvelle législature. La démocratie n’est pas un modèle de pionniers, mais de suiveurs, qui sont précisément en train de se mettre en route depuis quelques mois. Elle est lente, mais une fois une direction prise, elle la tient.

Le gouvernement, en Suisse, est exécutif. Et il reçoit son mandat du Parlement,  élu par le peuple. Si le gouvernement va plus vite, ou à l’encontre de la majorité démocratique, alors là, oui, le système dysfonctionne. Ce n’est pas le cas en Suisse, à moins de remettre en cause la démocratie.

Et c’est ici où le texte publié devient particulièrement malhabile, lorsqu’on y lit en conclusion : « Nous soutenons la demande de XR de déclarer un état d’urgence climatique et environnementale et d’établir une assemblée citoyenne pour travailler avec les scientifiques pour développer un plan crédible et juste pour une décarbonisation totale de nos sociétés et une préservation des écosystèmes. »

Il ne s’agit ni plus ni moins, de manière très probablement inconsciente, d’un appel à contourner les institutions démocratiques, en imaginant qu’une assemblée de citoyens (élue, désignée, tirée au sort ?) fera mieux et plus vite que le Parlement, qui devra alors simplement en mettre en œuvre les résultats.

Si l’on croit en la démocratie, qu’on en est un acteur, en tant que votant, en tant qu’élu, ou même dans le cadre de son travail, on ne peut en même temps jouer le jeu de la désobéissance civile dès qu’elle n’est pas (encore, ou plus) alignée sur nos propres convictions. Soit on joue selon les règles et on s’y tient, soit on ne joue pas du tout ; mais en aucun cas on joue, en se réservant le droit de ne pas respecter les règles si l’on perd.

S’il en est qui pourraient se réclamer de la désobéissance civile, ce sont les jeunes qui ne sont pas en âge de voter, voire les étrangers sans droit de vote.

Mais là aussi la pente est glissante. La désobéissance civile au sens de Thoreau ou d’autres, implique une haute maturité citoyenne et philosophique, afin de pouvoir garantir d’une part la non-violence et d’autre part l’acceptation des sanctions.
Des utilisateurs non avertis de désobéissance civile pourraient bien vite s’affranchir de ces garde-fous essentiels.

N’oublions pas non plus les utilisateurs avertis. Que se passera-t-il, lorsque les Blocher de demain se mettront à investir dans des mouvements de désobéissance civile, plutôt que dans des campagnes politiques et des journaux ? Appellerons-nous aussi les forces de l’ordre à davantage de tolérance, lorsque seront bloqués les transports publics?

Des rebelles on ferait rapidement des révolutionnaires, et les potentiels tyrans de demain, comme le disait Camus dans son essai « l’Homme révolté ».

En matière de climat en particulier, les effets de la désobéissance civile sont contreproductifs à long terme.

 On parle aujourd’hui beaucoup d’ « urgence climatique ». Et en effet, plus on attend, plus les mesures à prendre pour atteindre un objectif de neutralité carbone seront fortes. Mais ce terme occulte le fait que la lutte contre le changement climatique ne se fera pas en une seule déclaration ni une seule décision du parlement (et encore moins de l’exécutif = « gouvernement » dans le texte incriminé…).

Après une première décision de principe, la bataille se fera sur le très long terme. Durant de nombreuses législatures, il faudra être capable de mettre en place des plans d’actions pour améliorer constamment notre empreinte carbone, respecter nos objectifs, voir les renforcer. Il faudra investir fortement et régulièrement dans des infrastructures, des mesures d’accompagnement, qu’il s’agira de financer. Nous aurons parfois d’autres enjeux essentiels à traiter, et à chaque fois, il faudra ne pas céder sur la dimension climatique, tout en trouvant les bons compromis avec d’autres urgences (environnementales, sociales, économiques), alors que les conflits d’objectifs seront constants. Sans le temps de la discussion, de la négociation, nous ne trouverons pas les majorités pour des solutions acceptables pour tous, à la ville comme à la campagne, pour les jeunes comme les plus vieux, pour les aisés comme pour ceux qui ne possèdent que peu.

Pour cela, il est déterminant que les bases démocratiques qui paveront cette route soient solides. Et que personne n’ait l’impression que les décisions aient été prises sur un coup de tête, de manière peu démocratique, sous la pression de mouvements qui n’auraient pas respecté les règles du jeu. Et encore moins d’une élite qui aurait usé de ses titres de professeurs honoraires, de ses légions d’honneur, de ses prix Nobels ou de sa pureté morale comme de passe-droits. Désobéir pour que les autres obéissent mieux, quel dangereux paradoxe…

Prenons notre temps, à bras le corps

En matière d’incendie, la première règle que l’on apprend est : ne pas paniquer ; puis, agir calmement. Hurler au feu de plus en plus fort en menaçant de sauter par la fenêtre si l’évacuation ne se fait pas en bon ordre n’a jamais sauvé personne. On ne se prépare pas non plus en urgence à un marathon.

Plutôt que se rebeller, il s’agit de transformer le système de l’intérieur. Il ne s’agit pas de ridiculiser ni d’insulter ceux qui n’en auraient pas encore conscience, alors qu’il nous a fallu plus de trente ans pour collectiviser le problème. Il ne s’agit pas de trouver des coupables, il s’agit simplement de prendre son avenir en main.

Les manifestations de cet automne pour le climat ont été formidables d’énergie, et elles ont permis un changement majeur au sein non seulement de la composition partisane du Parlement, mais également dans les esprits de chacun. A nous de porter cet élan en avant, plutôt que de « désobéir » avec des techniques de chantage qui déshonorent la désobéissance civile de nos modèles du siècle passé.

Les études scientifiques montrent que la majorité ne se met pas en marche sous la pression d’une morale externe. Elle se met en marche lorsque les premiers avancent déjà. Pas à pas. Petit à petit. Avec de l’espoir et de l’envie.

En matière de climat aussi, rien ne sert de courir, il faut partir à temps. Nous voilà partis, et nos petits pas d’aujourd’hui, feront les grands de demain. Surtout, si c’est urgent.

 

Addenda 1 (23.10.2019)

Pour ceux que cela intéresse, l’émission RTS Tribu “La désobéissance civile et l’écologie” de ce mercredi 23 octobre a aussi traité le sujet, et reprend beaucoup des questions que je touchais plus haut (sur les réponses, nous ne sommes pas toujours d’accord).

 

Addenda 2 (26.10.2019)

Augustin Fragnière a répondu à ce papier de blog de manière extrêmement constructive, nuancée et réfléchie, en fournissant des éléments essentiels de compréhension.
Je vous mets ci-dessous la réponse que j’ai publiée ce matin sous son article, que je vous encourage à lire ici:

“Cher Augustin,
Je te remercie pour ta réponse extrêmement raisonnée à mon papier de blog, et à nous offrir un mode d’emploi de la désobéissance civile XR made ins switzerland.
Au vu de tes explication, je te suis sur la plusieurs de tes points.

Mon problème reste néanmoins sur trois points:
1. Le grand public, et surtout ceux à qui s’adressent ces actions, voyant les actions de désobéissance civile essentiellement à travers le miroir grossissant de la presse, sans le mode d’emploi, voit avant tout le coté de rupture et la critique directe (et parfois violente dans les mots). La subtilité de ta mécanique ne leur est pas consciente.

2. La critique trop directe (même non violente) ne favorise pas le dialogue.
J’en veux pour exemple l’anecdote cocasse qui m’est arrivée sur Twitter avec l’un des signataires, que tu connais bien vu qu’il préside la commission de la fondation scientifique dont tu fais partie chez Zoein.
Ayant publié mon texte, et interpellé les signataires, sa réponse fut: “n’importe quoi” accompagné sur un ton paternaliste d’une analogie historique déplacée. J’ai réagi en escaladant. Lui aussi. Il m’a bloqué. Fin du dialogue…
Bref, tout le monde n’a pas ta sagesse en matière de dialogue. Et surtout pas par médias et médis sociaux interposés, canaux pricipaux des actions de XR.

3. Je maintiens ma critique principale. Nous ouvrons la porte à d’autres formes de désobéissances civiles, qui ne respecteront par forcément le mode d’emploi de Thoreau et cie, sauront exploiter d’autres droits fondamentaux comme par exemple le droit à la vie, ou encore le droit à décider librement de ses projets de vie, et pourraient dorénavant facilement obtenir des soutiens financiers tiers importants, dont les intérêts ne seront pas toujours publics.

Tu dis toi-même que la notion d’activisme-non violent serait plus appropriée que le terme de “désobéissance civile”. Il ne serait pas seulement plus approprié, mais plus efficace.
En ce sens un activisme positif, visible et non violent, de manière physique mais aussi dans les mots serait plus efficace à long terme. Je ne sais pas non plus combien de temps le stress mental dégagé par les actions XR sauront maintenir le mouvement dans la non-violence (chose faite de manière exmplaire jusqu’à aujourd’hui, il faut aussi le dire).
La responsabilité de tous est d’accompagner ce mouvement, et non de donner un blanc seing à des activivités futures d’un mouvement dont on ne connaît par définition pas l’évolution.

Ma conclusion : les Manifs pour le climat: Oui; Extinction rebellion: non.

Mais surtout, et je te remercie chaleureusement pour cela: le dialogue avant tout!”

#SolidarityNail dans le contexte de la grève des femmes du #14Juin2019

Le 14 juin 2019, en Suisse, aura lieu une manifestation nationale majeure, en faveur de l’égalité des genres : la grève des femmes.

https://frauenstreik2019.ch

Or si (presque) plus personne ne défend l’inégalité entre les sexes, la réalité est encore loin de nos aspirations. Cette différence entre la théorie – en l’occurrence, l’article 8 de la Constitution suisse – et les faits s’explique en partie par la mauvaise volonté de quelques-uns, mais surtout par les habitudes et une robustesse du système en place, encore largement patriarcal.

Nombreux sont les hommes qui se défendent d’être sexistes ou machistes, mais qui se retrouvent à perpétrer des schémas ancestraux. En ce qui me concerne, c’est n’est qu’à la naissance de mes filles que j’ai réalisé à quel point, sans une lutte conjointe des deux membres du couple, une inégalité de fait se mettait en place, même entre deux individus partageant de fortes valeurs progressistes et d’équité. Je pense notamment au phénomène depuis lors bien connu de la charge mentale (pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore, lisez la BD éclairante de l’ingénieure informaticienne et dessinatrice Emma sur le sujet), au congé parental inexistant ou encore à la gestion des temps de travail partiel et la vision sociale sur le sujet.

Bref, il y a pour nous, les hommes, encore un énorme travail à faire sur nos attitudes, rôles, dires, pensées, et sur ce que nous faisons et ne faisons pas. Pour cela, la volonté seule ne suffisant pas, il est essentiel de régulièrement thématiser le sujet, échanger, argumenter, essayer, et cela également entre hommes…

Dans ce contexte où la mobilisation du #14juin2019 s’annonce pour beaucoup avant tout comme le fait des femmes, il paraît utile d’utiliser dès maintenant un signe distinctif, engageant et solidaire pour les hommes: par exemple, se vernir l’ongle du pouce, pour en faire un #SolidarityNail :

  • En signe de solidarité
  • Pour mettre le sujet et notre engagement sur la table durant une semaine, 24 heures sur 24, jusqu’au 14 juin, jour de la grève des femmes.
  • Il faudra donc forcément en parler avec nos filles et fils, femmes et partenaires, nos familles, nos amiEs, nos collègues, nos voisinEs, des inconnUes dans la rue, des clientEs, nos supérieurEs, des partenaires professionnelLEs…
  • Cet acte pourtant infime nous forcera à réfléchir à de multiples reprises, sur le sexisme dans les contextes les plus divers ;
  • Nous recueillerons des commentaires qui ne nous plairont pas ; d’autres qui nous flatteront ; des idées brillantes ; et d’autres que nous ne comprendrons peut-être même pas, ou qui nous heurteront.

Quoiqu’il en soit, je documenterai ce #SolidarityNail et certaines réactions sur les réseaux sociaux.

Et si, d’ici vendredi, nous étions plusieurs hommes à nous engager dans cette petite expérience solidaire, ce serait une belle façon de contribuer à une remise en question, au-delà des soutiens moraux et logistiques, au delà des cercles convaincus, en nous mettant – un tout petit peu – en danger…

(et oui, mon vernis est mal posé ; mais en théorie, je savais comment faire… 😉 )

 

#14juin2019: Invitation à nos fils, amis, collègues, employés, patrons…

La grève des femmes du 14 juin est un magnifique projet de mobilisation pour les droits des femmes et pour l’égalité. Depuis quelques jours, la place des hommes dans ce projet fait débat. Et ce débat n’a pas bien démarré. Il y a un vrai risque que l’énergie très positive du 14 juin se perde dans une question que toutes et tous jugent contre-productive: les hommes sont-ils bienvenus ou non dans une grève féministe?
Nous souhaitons inviter tous les hommes à adopter l’approche la plus pragmatique possible : comment permettre aux hommes soucieux d’égalité de contribuer positivement à cette journée du 14 juin, et plus globalement au mouvement qui l’accompagne? Une partie non-négligeable de l’impact du 14 juin sur la société suisse dans toute sa diversité pourrait se jouer avec cette question.

Nous pensons que la grève du 14 juin sera utilisée à son maximum si les villes et régions du pays sont parcourues par les femmes et les hommes. La « grève » idéale serait une journée où l’entier de la population descend dans la rue pour démontrer son attachement à l’idéal d’égalité. Les deux conditions évoquées par les collectifs de femmes sont tout à fait légitimes. Premièrement, il est évident que les femmes occuperont les têtes de cortèges, les discours, les prises de parole. Il n’est pas question que les hommes prennent la place médiatique ou cherchent à s’accaparer le mouvement. Si certains ne se sentent pas à l’aise avec le fait de se fondre dans la masse, ce sera un bon entraînement. Deuxièmement, si le soutien d’un homme est nécessaire pour qu’une femme participe à l’événement, celle-ci doit avoir la priorité. Mais le scénario idéal reste qu’ils y participent tous les deux. Nous ne pouvons nous permettre de faire les choses “à moitié”, en espérant qu’une manifestation de même ampleur puisse mobiliser autant les hommes une prochaine fois. La mobilisation doit être massive. Le signal sera d’autant plus fort pour nos proches et, plus généralement, pour les responsables politiques ! La manifestation de septembre 2018 pour l’égalité salariale reste en ce sens une belle source d’inspiration.

Les hommes soucieux d’égalité ne doivent pas tenter de passer pour des héros du quotidien. Cela tombe bien, c’est exactement ce que nous défendons: reconnaître la normalité de l’engagement des hommes pour l’égalité dans la sphère privée, familiale, professionnelle, politique. Il existe de multiples façons d’être homme et/ou père, en dehors des sentiers battus de la masculinité toute puissante qui performe au quotidien, écrase les résistances et ramène l’argent au foyer. Il existe aussi de multiples façons d’influencer les conditions cadres pour obtenir plus d’égalité, et les hommes doivent en assumer leur part activement.

Ainsi, nous devons sortir d’une attitude d’assistant: « je sais que tu gères, n’hésite pas à me dire si je dois t’aider ». En matière de féminisme, il ne s’agit plus pour les hommes d’être en « soutien » des femmes, mais de prendre activement leur part de la charge de travail au foyer, tout en baissant eux-mêmes leur temps de travail, en jouant une part active en tant que modèle dans l’éducation et en favorisant l’augmentation de la présence politique des femmes.

Le 14 juin, les hommes qui ont parfois tendance à rester dans leur zone de confort et à profiter de leur position seront davantage remis en question s’ils voient leurs amis, collègues, employés et patrons se mobiliser de manière visible. De nombreux hommes ne demandent qu’à être inspirés vers plus d’égalité. Ensemble, nous pouvons transformer en profondeur la société suisse, chacune et chacun, l’un avec l’autre. L’égalité est l’affaire de toutes et tous. Invitation à tous les hommes de le montrer le 14 juin, aussi.

Ce texte est à disposition de tous; n’hésitez pas à le reprendre, le transmettre, le republier.

 

(et allez faire un petit tour sur le blog de Johan Rochel 🙂 )

Le #14juin2019, je ne ferai ni la grève, ni la femme; mais j’en serai.

Après 100 ans de luttes féministes, la société suisse n’est pas encore égalitaire entre les hommes et les femmes. Violences sexistes, représentation des femmes dans les instances dirigeantes, #MeToo, égalité salariale, partage de la charge mentale, harcèlement de rue, ou encore congé paternité, sont quelques exemples parmi les enjeux essentiels de notre société actuelle. Sur le fond, tout le monde est d’accord. En réalité, les inégalités sont encore criantes.

Cela fait trop longtemps que cela dure, et il est important d’accélérer le rythme des changements. Les outils sont là, les instruments sont connus, mais dans nos têtes et nos organisations le changement doit encore se faire.

En ce sens, un électrochoc sous la forme d’une mobilisation massive, visible, qui montre la force des idées féministes au-delà des barrières partisanes et des sexes pourra être décisive. Chacune et chacun doit voir qu’il est normal et légitime de faire sa part des choses à son échelle, que ce soit dans son couple, sa famille, son parti ou son travail. Cette visibilité doit nous donner à toutes et tous le courage de ne plus tolérer le sexisme, en aucun lieu, en aucun moment. Cela permettra à certaines d’oser davantage prendre la place qui leur est due et à s’y sentir légitimes. Une manifestation nationale secouera nos consciences, et montrera l’ampleur du mouvement.

Appel et manifeste pour le 14 juin 2019

Un appel a été lancé en 2018 à une grève féministe le 14 juin 2019, une mobilisation générale en faveur d’une égalité réelle entre les sexes.

Après de nombreuses discussions et rencontres, un collectif a lancé une page internet au début de cette année, avec un manifeste pour expliquer les raisons et enjeux de cette manifestation. Je m’en suis réjoui, y trouvant une liste de toutes les bonnes raisons qui font que personne ne peut se satisfaire de la situation actuelle.

Après lecture, je suis néanmoins resté sur un malaise, qui s’est cristallisé sur deux points.

  • l’appel ne s’adresse pas aux hommes, il les exclut même explicitement à travers une petite astérisque associée à toutes les occurrences du mot femme dans le texte : «*toute personne qui n’est pas un homme cisgenre (soit un homme qui se reconnaît dans le genre qui lui a été assigné à la naissance) ».
  • l’appel associe la lutte féministe à une lutte anticapitaliste

Si j’entends bien les arguments qui peuvent avoir poussé vers ces deux aspects, je les trouve extrêmement dommageables et maladroits. Le mouvement féministe, s’il veut avoir un impact fort et réel aujourd’hui, doit être inclusif, et ne peut se permettre d’être discriminant. Nous devons réussir à convaincre largement. Avec ce discours, au contraire, les initiantes resserrent les rangs de leurs troupes, mais on ne mobilisera pas l’ensemble des forces progressistes du pays : on ne mobilisera ni à droite, ni les timides, ni les femmes qui ont des responsabilités au sein de l’économie et qui jouent pourtant un rôle si important dans le changement ; et on ne mobilisera pas non plus les hommes (ce dont certains se satisferont certainement). Bref, non seulement ce texte ne prêche que les convaincues, mais en plus il ne prêche qu’une petite partie des convaincues.

La lutte féministe nous concerne nous aussi, les hommes, plus que jamais.

Il est essentiel que nous (hommes qui nous reconnaissons dans le genre qui nous a été assigné à la naissance…), agissions avec les femmes, à leurs côtés, là où nous avons une influence et une responsabilité. A l’heure de la lutte contre la charge mentale, du congé paternité, il serait totalement incohérent de laisser la charge de la lutte féministe aux femmes seules. Il est trop facile de dire « c’est un truc de femmes, mais je les soutiens », à la façon dont certains disent : « j’aimerais bien travailler à temps partiel, mais mon entreprise ne le permet pas ». La charge mentale ne se partage qu’en prenant sa part de responsabilité.

Comment pourrais-je être crédible face à mes filles en leur disant que j’irai travailler normalement le jour de la grève féministe, que c’est un truc de nanas et qu’elles peuvent y aller avec leur maman ? Non, nous, les hommes, devons avoir un rôle actif, et prendre nos responsabilités.

(NB : après relecture, je me vois désolé de ce flagrant délit de mansplaining de situation, uniquement dû au fait que ce manifeste a été rédigé par un collectif de femme. Plutôt que du « man-splaining », j’aimerais que mon billet soit compris comme un « man-ifeste »).

A quoi bon vouloir à tout prix mettre cette journée de mobilisation sous le couvert de la lutte anticapitaliste ?

Au-delà du terme même de « grève », très marqué politiquement, le texte contient des éléments qui positionnent le manifeste clairement à gauche, et associe explicitement le féminisme avec la lutte anticapitaliste.

Loin de moi l’idée de prétendre qu’il n’y a pas de sexisme dans le capitalisme ou le libéralisme. Mais le sexisme est partout. Il existait avant le capitalisme, de même qu’il existe aujourd’hui dans des organisations explicitement anticapitalistes. Prétendre que le sexisme est la faute du capitalisme me paraît trop réducteur par rapport à l’ampleur du phénomène, et surtout il sous-entends que rien ne sert de défendre le féminisme si on n’est pas anticapitaliste. Cela ne sert en rien la manifestation du 14 juin, tout au plus les élections fédérales de cet automne pour certains.

Une journaliste du Temps, Aïna Skjellaug, a évoqué cette forte couleur de gauche dans un édito, ce à quoi une « réponse » a été rapidement produite par un collectif de femmes coordonnant le mouvement actuel ; on pouvait y lire la confirmation que oui, pour « les femmes », le sexisme est lié au capitalisme. Punkt. Schluss.

Ayant alors demandé des précisions sur différentes plateformes de réseaux sociaux du mouvement, j’ai reçu plusieurs fois la même réponse, décevante: le vrai féminisme ne peut être que de gauche, mais tout le monde est invité à participer (écouter pour cela aussi le débat dans Forum du 30 janvier). C’est un peu la même attitude que lorsque des hommes sexagénaires d’un conseil d’administration unisexe déclarent que bien sûr, leur conseil d’administration est ouvert aux femmes (compétentes), qu’ils en ont même cherché, mais qu’aucune n’est prête à s’investir.

En terme d’ouverture, il faut bien se rendre compte que la formule des « collectifs » auto-organisés qui sont à la base de la rédaction du manifeste ne sont pas à la portée ni dans la culture de toutes les femmes. Une militante de gauche maîtrise et se sent à l’aise dans un telle formule, alors qu’une jeune cadre d’un parti de droite bien moins, même si elle a de fortes convictions féministes. Il faudrait un sacré courage pour s’inviter et s’imposer dans un groupe qui nous considère soit comme une nunuche victime, soit comme une traîtresse qui pactise avec l’ennemi.

Pour avoir réellement un impact, à court terme, nous avons besoin de toute la diversité des profils, sensibilités, compétences et fonctions des femmes. Toute femme est légitime pour défendre la lutte contre le sexisme.

S’il est important de défendre ses idées “politiques”, la cause des femmes a assez attendu pour ne pas attendre l’aboutissement de la révolution anticapitaliste. Sortons des guerres de clans et agissons sans plus tarder, avec toutes les forces progressistes en la matière.

Le mouvement va encore évoluer et s’étoffer

La journée du 14 juin est néanmoins encore loin, et beaucoup de choses vont encore se passer. Il y a assez de temps pour mobiliser large, rassembler les forces et les diversités. Il existe aussi de multiples formes de mobilisation autres que la “grève” au sens strict.

Des organisations clés en matière de féminisme comme Alliance F ou politiciennes.ch, n’ont à ma connaissance pas encore communiqué sur le sujet du 14 juin. Elles ont déjà montré par le passé qu’elles sont capables de rassembler au-delà des clivages politiques, et j’ai grand espoir qu’elles prendront leurs responsabilités.

Pour ce qui est des hommes, je suis plus dubitatif, et ne vois pas d’organisation à même de se mobiliser ; corollaire du sexisme actuel, il n’y a par exemple pas de groupes « hommes » dans les partis politiques, qui pourraient s’activer sur ce sujet. Cela ne doit pas nous empêcher de nous activer chacun, de manière individuelle.

Des réunions régulières sont agendées pour coordonner le(s) mouvement(s) et sont annoncées sur le site mère du mouvement. Il y a encore beaucoup de possibles. En ce sens, il serait aisé de faire évoluer deux ou trois phrases du manifeste pour le rendre plus inclusif et moins typé politiquement, sans rien y changer au niveau des revendications concrètes. On pourrait aussi imaginer que chaque « groupe » publie son propre texte, permettant ainsi une certaine diversité.

Et moi*, dans tout cela ?

(*homme cisgenre, père de deux filles, marié et chef d’entreprise)

La communication officielle actuelle me dit que je suis le bienvenu à Berne le 14 juin pour « soutenir » le mouvement: par exemple en faisant la cuisine ou en gardant les enfants ce jour-là. Or, je ne veux pas « soutenir » le mouvement, je veux « être » de ce mouvement. Et je n’ai pas besoin d’une manifestation nationale pour faire la cuisine ou garder les enfants en en faisant un « geste de soutien » exceptionnel.

De plus, la notion de grève a pour moi peu de sens. D’une part parce qu’elle polarise plutôt qu’elle rassemble, que je ne sais pas à quel client je facturerais mes heures de grève, qu’en tant que directeur, me mettre en grève serait paradoxal, et que plus fondamentalement je n’ai jamais défendu l’outil de la grève.
Par contre je conçois qu’en terme de marketing, le terme soit puissant, et je peux m’en accomoder.

Si je ne me reconnais pas dans la communication actuelle, je me reconnais totalement dans le contenu des revendications de la manifestation, et j’assumerai donc ma part tout autant que mes parties.

A défaut de faire grève, je prendrai donc congé le 14 juin, et je serai présent pour donner un signal fort que cette cause me concerne et m’engage (en cravate violette).

Le 14 juin 2019, je ne ferai ni la grève, ni la femme; mais j’en serai.

Aujourd’hui, je suis persuadé qu’il est possible d’atteindre une société égalitaire avec des changements qui sont à notre portée. Pour cela, nous devons toutes et tous nous y mettre. Femmes, hommes, de gauche comme de droite ou d’ailleurs, en privé, en public et au travail. Chacune et chacun à notre façon, faisons avancer le féminisme; changeons nos systèmes, nos attitudes, avançons, toutes et tous à notre manière. Ensemble.

Dites, les hommes, on s’y retrouve, le 14 juin ?

Où donc est passé le peuple ?

(Avec en fin de papier: petit test rapide pour identifier un « populiste)


Au commencement, le peuple créa les droits et les devoirs.
La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit des peuples se mouvait au-dessus des eaux.
Le peuple dit : Que les lumières soient ! Et les lumières furent.
Le peuple vit que les lumières étaient bonnes.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour.

Le peuple dit : qu’il y ait une étendue entre les pouvoirs, et qu’elle sépare les pouvoirs d’avec les pouvoirs. Et le peuple fit le pouvoir exécutif, et il sépara le pouvoir législatif du pouvoir judiciaire. Le peuple vit que cela était bon.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le second jour.

Le peuple dit : qu’il y ait des luminaires dans l’étendue du ciel, pour éclairer la terre. Le peuple fit la science pour présider au jour, et les médias pour présider à la nuit, et pour séparer les lumières d’avec les ténèbres.
Le peuple vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le troisième jour.

Le peuple acheva au quatrième jour son œuvre, qu’il avait faite : et il se reposa au quatrième jour de toute son œuvre, qu’il avait faite.


C’est ainsi que chacun put à sa juste mesure exercer le pouvoir qui lui était accordé, que le législatif posait les règles, que l’exécutif les mettait en œuvre, que le judiciaire tranchait lorsque les règles n’étaient point tenues, et que la science et les médias éclairaient le tout de leurs lumières. Chaque homme et chaque femme du peuple accédait à l’une ou l’autre fonction selon des règles connues, et en fonction du pouvoir qui seyait à ses envies et ses compétences.

Or parmi le peuple, il arriva que certains n’eussent pas les compétences à la mesure de leurs envies et de leurs ambitions. A défaut de compétences, ils tentèrent de s’élever en s’appuyant sur des groupes moins forts, ou minoritaires, espérant en faire des échelons plus faciles que ceux de leurs propres qualités. Ils usèrent ainsi avec succès des femmes, des étrangers, des pauvres, ou simplement des « autres ». Ils maniaient avec habileté de la peur et de la frustration. Ils firent de ces minorités des menaces pour le « peuple », et des politiques au pouvoir des ennemis du « peuple ». Beaucoup réussirent à petite échelle. Peu à grande échelle, mais ces quelques réussites mondiales ont marqué durablement l’histoire d’une pierre noire. On les qualifie aujourd’hui, bien à tort, de « populistes ».

Depuis, les succès réguliers dans les législatifs de ces avides de pouvoirs se sont heurtés régulièrement aux autres pouvoirs, lorsque ce n’était pas à leurs propres incompétences dans l’exécutif. Plutôt que de s’en prendre uniquement aux minorités pour arriver à leurs fins, ils ont donc commencé à saper les autres pouvoirs, avec systématique, au grand jour, et sans vergogne, avec 4 messages très simples :


Quatre messages sont martelés tous les jours, partout :

1. Les politiques (exécutif et législatif) sont incompétents et à la botte de leurs lobbies ; ils n’écoutent pas « le peuple ».

Rien de neuf sur ce point-là. Ce message est simple à faire passer, vu qu’il est relayé en boucle par l’ensemble des partis politiques. Et vu que chaque parti sape les autres, on assiste à une situation de pat, avec une perte de crédibilité pour l’ensemble du pouvoir législatif et exécutif. Cela fonctionne bien pour les partis populistes, tant qu’ils ne sont pas considérés comme étant au pouvoir.

Ainsi, à force de s’être auto-détruite, la politique française a laissé la porte ouverte à des mouvements de fond non organisés comme par exemple les « gilets jaunes » ce week-end dernier, répétant en boucle le message numéro 1, anti élites politiques.

2. Les juges sont partiaux et défendent des droits et des lois avant l’intérêt du « peuple ».

Les populistes ont une dent contre les juges, car ce sont eux qui tranchent en cas de plainte pour appel à la haine, racisme, homophobie (même si en Suisse elle n’est pas encore reconnue légalement), ce qui rend plus difficile l’accès au pouvoir en s’en prenant aux minorités. L’initiative populaire suisse « le droit suisse au lieu de juges étrangers » de l’UDC en est la dernière illustration, elle qui essaie de supprimer directement ces garde-fous.

De plus en plus souvent, on assiste à des attaques frontales contre le pouvoir judiciaire, dont Trump et Mélenchon ne sont que la pointe visible de l’iceberg. A noter que ces coups de butoir sont particulièrement nocifs, provenant de représentants directs des pouvoirs exécutifs ou législatifs.

La campagne ultra politisée de l’élection du juge Kavanaugh à la cour suprême des États-Unis est une autre pierre à l’édifice de ce message numéro 2, paradoxalement taillée par les deux camps.

3. Les médias sont des manipulateurs aveuglés par le politiquement correct, ou une mission politique qui leur est propre ; ils mentent et cachent la vérité au « peuple ».

L’image des médias et des journalistes peu scrupuleux et manipulateurs a la dent dure. En couvrant de manière journalistiquement adéquate les événements et les processus politiques, ils sont des obstacles aux campagnes populistes simplistes ; ils montrent un monde complexe où tous les problèmes ne peuvent pas être le fait de responsables uniques, idéalement étrangers, pauvres ou homosexuels. Ils mettent les disfonctionnements en lumière.

Ce qui doit alerter aujourd’hui, c’est que ce message est repris par des politiques de tous bords, dès le moment où ils sont attaqués ; les médias réagissent alors encore trop souvent maladroitement à ces attaques (invoquer uniquement la légitimité de la fonction de 4ème pouvoir sans ouvrir un vrai dialogue ne suffit pas à établir la confiance ; au contraire, il renforce le message numéro 3).

Pour prévenir ces attaques, les médias utilisent de manière répétée le droit à la parole pour tous et le débat contradictoire, relayant ainsi de manière totalement non proportionnelle les messages 1, 2 et 4.

4. Les scientifiques défendent leurs financements plutôt que la vérité, en trompant le « peuple »

Les scientifiques n’ont jamais été de grands communicateurs, mais depuis la mise en place du système des publications et des peer reviews internationales, les découvertes admises par la communauté scientifiques jouissaient d’une reconnaissance effective.

Plus que la communauté scientifique dans son ensemble, ce sont des théories scientifiques reconnues qui sont aujourd’hui attaquées frontalement. Ainsi, par exemple, la théorie biologique de l’évolution, ou encore la climatologie, sont aujourd’hui ouvertement remises en question; les acteurs qui profèrent ce genre d’attaque le font sans aucun fondement scientifique et sont relayés très facilement par les médias sociaux ; et, plus préoccupant, presque aussi facilement par les médias professionnels. L’UDC suisse est particulièrement performante dans ce domaine, si l’on pense aux prises de parole surréalistes des dernières années au sein du parlement fédéral, ou des piques constantes des Roger Köppel, Claudio Zanetti et autres climato-sceptiques fiers de l’être.


Le populiste dit : que l’on éteigne les luminaires dans l’étendue du ciel. Le populiste décrédibilisa la science pour présider au jour, et détruisit les médias qu’il ne contrôlait pas pour présider à la nuit, et pour mêler les lumières avec les ténèbres.
Le populiste vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon pour lui.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le cinquième jour.

Le populiste dit : qu’il n’y ait plus d’étendue entre les pouvoirs, et que les pouvoirs se mêlent avec les pouvoirs. Et le populiste prit le pouvoir exécutif, et il supprima le pouvoir législatif et soumit le pouvoir judiciaire. Le populiste vit que cela était bon pour lui.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le sixième jour.

Finalement, le populiste supprima les droits et les devoirs.
La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit des peuples se perdait au-dessous des eaux.
Le populiste dit : Que les lumières s’éteignent ! Et il souffla les lumières.
Le populiste vit que l’obscurité était bonne pour lui.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le dernier jour.

Le populiste vit tout ce qu’il avait fait et pour la première fois se posa une question, qui fut aussi sa dernière : mais où donc, est passé le peuple ?

 


Petit test rapide pour identifier un « populiste » :

Lesquels de ces messages sont-ils relayés par la personne, le groupe, le parti qui vous intéresse ?

  1. Les politiques (exécutif et législatif) sont incompétents et à la botte de leurs lobbies ; ils n’écoutent pas « le peuple ».
  2. Les juges sont partiaux et défendent des droits et des lois avant l’intérêt du « peuple ».
  3. Les médias sont des manipulateurs aveuglés par le politiquement correct, ou une mission politique qui leur est propre ; ils mentent et cachent la vérité au « peuple ».
  4. Les scientifiques défendent leurs financements plutôt que la vérité, en trompant le « peuple ».

Si un ou plus de ces messages sont répétés régulièrement, c’est que vous avez affaire à un populiste, ou une personne en passe de le devenir.

Peut-être que cette personne est incompétente, n’écoute pas, défend ses intérêts en premier, manipule ou est aveuglée par une mission qui lui est propre, ment et trompe le peuple.

 

Heureusement pour l’environnement, l’initiative pour des aliments équitables (Fairfood) n’est pas acceptée #CHVote

C’est un sentiment très désagréable que de voter contre une initiative dont on consacre une bonne partie de sa vie à atteindre les objectifs. C’est pourtant ce que j’ai fait ce matin. Paradoxalement, l’initiative risquait à long terme de saper les améliorations écologiques tant en Suisse qu’à l’étranger.

Ce 23 septembre 2018, le peuple suisse a voté sur l’initiative populaire « Pour des denrées alimentaires saines et produites dans des conditions équitables et écologiques (initiative pour des aliments équitables)», également appelée «initiative Fair Food».

Des objectifs qui vont dans le bon sens

Le site de la Confédération en résume bien les intentions :

« Le but de l’initiative est de développer l’offre en aliments produits dans le respect de l’environnement et des animaux, ainsi que dans des conditions de travail équitables. La Confédération devrait garantir le respect de ces conditions en ce qui concerne la production indigène. Des contrôles spécifiques devraient garantir que les aliments importés sont eux aussi produits en respectant ces conditions. L’initiative vise également à réduire l’impact du transport des denrées alimentaires sur l’environnement, à lutter contre le gaspillage alimentaire et à promouvoir les produits locaux et de saison. »

Là-dessus rien à redire ; il est essentiel que notre alimentation devienne plus écologique, plus respectueuse des animaux et plus respectueuse des conditions de travail.

Le dangereux couplage des standards suisses avec les exigences à l’importation

Le problème central figure à l’alinéa 2 du nouvel article 104 b proposé pour la Constitution :

La Constitution est modifiée comme suit:

Art. 104b Denrées alimentaires

1 La Confédération renforce l’offre de denrées alimentaires sûres, de bonne qualité et produites dans le respect de l’environnement, des ressources et des animaux, ainsi que dans des conditions de travail équitables. Elle fixe les exigences applicables à la production et à la transformation.

2 Elle fait en sorte que les produits agricoles importés utilisés comme denrées alimentaires répondent en règle générale au moins aux exigences de l’al.1; elle vise à atteindre cet objectif pour les denrées alimentaires ayant un degré de transformation plus élevé, les denrées alimentaires composées et les aliments pour animaux. Elle privilégie les produits importés issus du commerce équitable et d’exploitations paysannes cultivant le sol.

 

Beaucoup ont débattu sur la faisabilité d’imposer ces mêmes exigences à l’importation. Les initiants ont eux-mêmes argumenté qu’une certaine souplesse dans l’application serait nécessaire.

Le vrai problème est qu’en couplant les standards suisses et les exigences à l’importation dans la Constitution, nous aurions rendu les standards suisses encore plus difficiles à améliorer.

 

De nouvelles coalitions encore plus puissantes

Dans les dernières années, à chaque fois que les exigences environnementales dans la production devaient être augmentées, on se heurtait au front d’une partie des producteurs et de l’économie qui argumentait que cela renchérirait les produits, et que la concurrence étrangère en serait renforcée.

En exigeant des standards similaires pour les produits importés, nous aurions renforcé le front des opposants à toute amélioration des standards environnementaux avec la très puissante industrie de l’importation ; alors que ces derniers pouvaient voir d’un bon œil les produits suisses plus écologiques se positionner sur un autre segment de marché que leurs produits low cost , ils verront dorénavant chaque nouvelle exigence suisse comme une menace directe pour leur business. La façon dont ils ont contribué à faire capoter l’initiative dont il est question ici n’en est que le premier exemple.

Paradoxalement, en voulant améliorer les standards écologiques en Suisse et à l’étranger, cette initiative risquait de rendre toute amélioration en Suisse encore plus difficile, en alliant à long terme les opposants potentiels de l’industrie de l’import et de l’export.

Ce n’est pas le moment d’affaiblir la gouvernance internationale

Au niveau international, il n’existe aujourd’hui pas d’autre organisme que l’OMC où l’on puisse discuter du renforcement des questions environnementales dans le commerce. Ces discussions y ont d’ailleurs en cours aujourd’hui.

Or, sous les coups de boutoir de l’administration Trump et d’autres acteurs qui préfèrent imposer leurs vues plutôt que de soumettre le commerce à des règles multilatérales et auxquelles même les plus petits ont accès, l’OMC est aujourd’hui proche de la rupture.

Même si c’est pour une bonne cause (l’environnement), ce n’est pas le moment de saper aujourd’hui un système de régulation qui est le seul à même, à moyen terme, de soutenir les objectifs d’un commerce international plus équitable et plus respectueux de l’environnement. La Suisse ne peut pas unilatéralement imposer des critères à ses partenaires économiques, de la même manière que nous ne souhaitons pas que des états plus forts imposent leur propre conception de l’équité et de l’écologie dans le commerce alimentaire (quantité et OGMs).

D’un point de vue environnemental global, il me semble plus important que la Suisse contribue à mieux intégrer les enjeux écologiques dans le système de l’OMC, plutôt que de participer à affaiblir encore cette dernière en ancrant des restrictions unilatérales au commerce dans sa Constitution.

Nous pouvons aussi renforcer les exigences écologiques à l’importation au cas par cas, sans en faire un élément systématique ancré dans la Constitution.

Les leçons de tout cela

Le mérite de cette initiative a été de montrer à quel point la population suisse se préoccupe de la qualité écologique et sociale de ce qu’elle mange. Le plébiscite initial (78%) que l’on a pu voir à travers les premiers sondages du mois d’août montre bien que les objectifs des initiants sont partagés par la majorité de la population suisse. https://www.rts.ch/info/suisse/9778249-les-initiatives-sur-l-alimentation-seduisent-les-suisses-selon-un-sondage-ssr.html
Les opposants ont gagné sur les détails de la mise en oeuvre.

Une fois de plus, une initiative qui vise juste sur les objectifs, capote parce que les détails du texte ne sont pas aboutis. Si une discussion approfondie avait eu lieu dans un cadre plus large que celui des initiants avant de déposer le texte, des effets pervers involontaires auraient pu être décelé, des alliances possibles identifiées. Je reste convaincu de l’importance de séparer la phase d’étude préliminaire de la phase de décision pour une initiative (voir un vieux billet sur ce blog ).

 

Bref, Fairfood est morte, mais le message du mois d’août au législateur pour la politique agricole ainsi que pour renforcer les standards écologiques en Suisse est fort et clair. Au boulot !

Comment nous pouvons gagner le combat contre le changement climatique

Je suis de la génération « changement climatique »

Je suis de la génération X.
Je suis de la génération « changement climatique ».
Du moins, le croyais-je jusqu’à hier.

Durant mes études de géologie à la fin des années 90, j’ai compris le réchauffement climatique comme une évidence scientifique. Les règles de base de la physique ainsi que les avancées en matière de paléoclimatologie et de géochimie suffisaient déjà à ce que scientifiquement la théorie générale soit aussi solide que celle de la tectonique des plaques. Pour moi la question n’était plus que politique, sociologique et technique : comment sortir d’une civilisation basée sur la libération de carbone fossile ?

J’en ai fait en partie mon métier dès le début des années 2000, et suis aujourd’hui actif dans la formation continue et le conseil en environnement, en contact quotidien avec des acteurs de tous types qui travaillent à ce même objectif. Je me voyais jusqu’à hier dans un processus dont la dimension politique et institutionnelle se construisait patiemment, à mesure que la réalité du changement était de plus en plus visible et que le contexte et les moyens d’y faire face devenaient de plus en plus concrets : sensibilité de la population au sens large, développement des énergies renouvelables, programmes d’efficacité énergétique (paradoxalement, ce sont les limites du nucléaire, qui, après Fukushima, ont donné un coup d’accélérateur à la politique climatique, plutôt que les dangers liés à la consommation effrénée de carburants fossiles).

Bref, je participe à cette évolution, tout en regrettant que cela n’aille plus vite.

« Comment nous avons perdu le combat contre le changement climatique »

D’où ma surprise vendredi passé, lorsque je tombais sur l’excellent article de Catherine Frammery dans Le Temps : « Comment nous avons perdu le combat contre le changement climatique ».

Je découvrais la génération perdue d’avant 1989. Dans les années 80, scientifiques, politiques et industriels travaillaient de concert non pas pour débattre de la réalité du changement climatique, mais pour réfléchir aux mesures de lutte au niveau mondial. Jusqu’à cette réunion des ministres de l’environnement à Noordwijk en 1989, où le travail de sape conduit par Ronald Reagan et Georges Bush eut raison du processus politique. A partir de là, le changement climatique fut délégué aux scientifiques, en même temps que des moyens énormes furent mobilisés pour les décrédibiliser. L’incroyable déficit de connaissances sur le climat dans le Parlement suisse aujourd’hui montre à quel point cette désinformation est efficace encore aujourd’hui…

(Extrait) Donald Trump a des alliés en Suisse. En mars dernier, la ratification de l’Accord de Paris n’est pas allée de soi. Le Conseil national s’est longuement écharpé sur la question. Débat largement alimenté par les salves en provenance du camp UDC. A commencer par celles de Toni Brunner (SG), son ancien président, qui s’est demandé si on allait interdire aux vaches de «roter et de péter». Poursuivant sur cette lancée, Werner Salzmann (BE) a aussi interpellé les écologistes sur un éventuel remède pour modifier le système digestif des ruminants afin qu’ils émettent moins de méthane.

Andreas Glarner (AG) a rappelé la grande affaire des années 1980: la mort des forêts. «Une escroquerie! A cause de ça, on a limité la vitesse à 120 kilomètres sur nos autoroutes et on roule toujours à ce tempo!» Pour Christian Imark (SO), le dérèglement climatique n’est rien d’autre qu’un «fait alternatif». Raymond Clottu (NE) a lancé une autre idée: «Il faut aborder le problème là où il se trouve réellement, c’est-à-dire au niveau de l’accroissement de la population». Roger Köppel (ZH) a tenté de dédramatiser la situation: «Les températures étaient encore plus élevées au temps de l’Empire romain».

(Les climatosceptiques sont bien représentés au parlement suisse – Magalie Goumaz – Le Temps du 2 juin 2017)

(A noter que le terme malheureux de « climatosceptique » participe lui-même à cette désinformation. On n’est pas ici face à des climatosceptiques, mais bien face à des sceptiques face à la science.)

Comment nous pouvons gagner le combat contre le changement climatique

Une fois cet article lu (puis l’article “encyclopédique” initial publié par le “New York Times » : « Losing Earth: The Decade We Almost Stopped Climate Change »), ma première réaction était la déception face à cet échec à un moment où tout était encore possible. Puis vint l’étonnement que toute cette première partie de l’histoire ait été  effacé de la mémoire collective, et n’ait même jamais accédé à la mienne. Et puis, soudain, le sentiment qu’au contraire, le fait de connaître le début de cette histoire, rendait à nouveau tout possible: s’il y a quarante ans on avait été à deux doigts de mettre en place une vraie politique de lutte contre le changement climatique, c’est que c’était fondamentalement faisable ; aucune raison ne rend cela moins possible aujourd’hui qu’en 1989, bien au contraire. La lutte couronnée de succès contre le trou d’ozone en interdisant les chlorofluorocarbures (CFC) montre combien des actions internationales fortes et concertées peuvent avoir un impact.

Contrairement aux années 1980, nous disposons aujourd’hui d’une panoplie de moyens économiques, juridiques, technologiques et sociologiques pour mettre en oeuvre une politique de maîtrise de la libération de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et donc de limitation du réchauffement climatique (en effet nous avons perdu trop de temps pour pouvoir stopper complètement le changement climatique initié). Nous pouvons aussi augmenter les efforts pour nous adapter aux changements climatiques en cours. Des décideuses politiques réalistes, responsables et ambitieuses font  aujourd’hui déjà des pas clairs en ce sens, comme par exemple Jacqueline de Quattro avec la feuille de route du plan climat du canton de Vaud.

Que l’on ait été si près du but en 1989 est en soi une bonne nouvelle. Cela montre que l’objectif peut être atteint. La victoire ne sera fera plus aujourd’hui en empêchant le changement climatique, mais en cessant de l’alimenter d’une part, et en apprenant à vivre avec d’autre part. Ronald Reagan et Georges Bush ne sont plus au pouvoir ; la méthode Trump ne survivra pas indéfiniment.

Quant à la recherche, il ne s’agit plus de comprendre si il y a changement climatique ou non. Il s’agit aujourd’hui d’affiner cette compréhension pour comprendre les conséquences à toutes les échelles, et identifier les mesures d’adaptation pertinentes.

Nous pouvons aujourd’hui effacer ce triste héritage, et nous lancer avec le pragmatisme visionnaire de la génération des pionniers des années 1980, vers des actes politiques courageux à même de donner de nouvelles perspectives aux générations de demain.

Ici et maintenant, pour demain et pour tous.

Monsieur Cassis, un peu de courage, bon sang!

On a eu l’occasion d’entendre à plusieurs reprises ces dernières semaines notre ministre des affaires étrangères lâcher de petites phrases inatendues, comme des pétards à moineau (Gaza, Europe, etc). Les jeunes enfants adorent cela : cela fait beaucoup de bruit, cela effraie les plus petits et permet de faire acte de courage sans trop prendre de risques. Dans le fond cela n’est pas bien méchant – chacun son style – et le conseiller fédéral Cassis avait été élu en connaissance de cause (je laisse donc le soin au Parlement d’en gérer les conséquences).

Là où le problème est plus fondamental, c’est lorsque l’on fait de l’incapacité à être critique et à regarder la vérité en face une vertu politique. J’en veux pour preuve les coups de crayons appuyés qu’Ignazio Cassis a fait dans le dernier rapport sur l’Agenda 2030 pour le développement durable. Si vous n’avez pas suivi, Lise Bailat a très bien résumé l’histoire dans l’article suivant :

24 Heures – Lise Bailat – 20 juin 2018

Pour prendre un seul exemple, l’empreinte écologique est un calcul scientifique qui a ses approximations, mais dont les conclusions ne font aucun doute : la Suisse consomme bien plus de ressources qu’elle n’en a à disposition, et ceci sur le dos des pays en développement (importations) et des générations futures (consommation de ressources fossiles qui ne se régénèrent plus).

 

(Vous trouverez des informations détaillées sur le site de l’office fédéral de la statistique: https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/developpement-durable/empreinte-ecologique.html )

La carte ci-dessus montre bien que pour chaque pays rouge (qui consomme davantage que ce qu’il a à disposition sur son territoire), il faut un pays vert (qui ne consomme pas l’ensemble de ses ressources), car rappelons-le, la terre est ronde et non infinie.

La politique vient ensuite, sur la réponse à donner, ou non, à un tel état de fait:
Faut-il laisser les choses aller, sachant que les pays verts deviennent chaque année de plus en plus jaune/rouge ? Faut-il préparer la Suisse à être moins dépendante des ressources externes ? Faut-il soutenir les pays en développement pour se développer sans passer par la case rouge comme nous l’avons fait ? Faut-il maintenir les pays en développement dans le vert ?

On le constate, dans ce domaine, le courage n’est pas de refuser de publier un constat dans un rapport officiel, mais bien d’oser affronter la réalité en face, ou mieux encore, d’oser une réponse.

L’une des raisons que le conseiller fédéral Cassis a données pour justifier son exercice de traduction en langue de bois du rapport sur l’Agenda 2030 était que ce dernier était « trop de gauche ». C‘est bien la première fois que j’entends un membre du Parti libéral radical sous-entendre qu’être de droite, c’était pratiquer le déni de réalité.

J’en veux pour preuve que dans de nombreuses entreprises, communes ou cantons de Suisse (et dans le monde entier), de vrais décideurs, de gauche comme de droite (précision: surtout beaucoup de décideuses), n’ont pas attendu les tergiversations cassisiennes pour aller de l’avant, et travaillent non seulement sur un état des lieux en matière de développement durable ouvert et non politisé, mais surtout proposent des objectifs politiques et des actions pour aller de l’avant.

Ne vous “trumpez” pas Monsieur Cassis! Un peu de courage, bon sang! Faites de la politique, et non pas du déni de réalité!

L’avenir de la Suisse se fait en regardant le présent dans les yeux.