Avant l’automne, un régime minceur pour ses propres convictions !

Conspirationnisme, complotisme et convictions

Dans le sillage de la pandémie actuelle, nous avons depuis ce printemps beaucoup parlé de conspirations, théories du complot et autres vérités cachées ou solutions miracles. Aux Illuminati et aux chemtrails (voir à ce sujet le dossier de cet été du Temps ) sont venus s’ajouter des histoires mêlant 5G et Chloroquine, et certains des autoproclamés rebelles anti-masques se réfèrent même sans gêne au mouvement d’extrême-droite américain QAnon (voir à ce propos la page Wikipedia QAnon).

Dans un podcast de Point J intitulé “Comment répondre à un complotiste ?“, Thomas Huchon, journaliste et réalisateur de documentaires, spécialiste des théories du complot, nous explique de manière simple qu’une « théorie du complot » n’est pas une argumentation basée sur des faits vérifiables ; il s’agit d’un récit, d’un mille-feuille argumentatif mélangeant tout un tas d’éléments très divers, sans vraiment faire de démonstration, mais qui donne une illusion de sens. C’est ainsi qu’il n’est pas possible de simplement « répondre » à un complotiste, et que la seule approche possible est une longue interrogation de chacun des faits, un dialogue nécessitant un temps important.

Or, si nous sommes nombreux à « résister » à l’attrait des théories du complot, nous agissons très régulièrement à travers le prisme de nos convictions, parfois même en les revendiquant avec fierté. Pour beaucoup, ces convictions fonctionnent alors de la même façon péremptoire qu’un récit du type théorie du complot, avec des gentils et des méchants bien identifiés, et des solutions agitées sous forme de mantra. Le risque est alors de ne plus se baser sur des faits et des analyses pour prendre des décisions fondées, mais d’appliquer avec assurance des réponses inadaptées sous forme de réflexes.

Les convictions, armes des faibles et des inquiets ?

Hôtel des deux mondes (1999), Éric-Emmanuel Schmitt

Le dictionnaire nous dit qu’une conviction est un état d’esprit de quelqu’un qui croit fermement à la vérité de ce qu’il pense, une certitude ; ou alors qu’il s’agit d’une idée qui a un caractère fondamental pour quelqu’un: «avoir des convictions politiques bien arrêtées ».

Ces convictions sont celles qui permettent par exemple de répondre avec assurance, que ce soit par oui ou par non, aux questions suivantes :

  • Faut-il développer les éoliennes ?
  • Faut-il rendre un vaccin obligatoire ?
  • Les places de parc en ville sont-elles bonnes pour le commerce local, et les interdictions pour les voitures mauvaises ?
  • Faut-il développer la 5G en Suisse ?
  • Pour relancer l’économie, faut-il baisser les impôts et les taxes ?
  • Pour relancer l’économie, faut-il augmenter les dépenses publiques et la dette ?
  • Faut-il interdire l’interruption volontaire de grossesse ?
  • Faut-il lutter en priorité contre le changement climatique ?
  • L’espèce humaine risque-t-elle de s’éteindre à cause du changement climatique?
  • Les immigrés nous prennent-ils des places de travail, et provoquent-ils la baisse de nos salaires ?
  • Est-ce grâce aux immigrés que notre économie fonctionne ?
  • Est-ce que limiter l’immigration c’est limiter la criminalité ?
  • Faut-il créer la richesse, avant de la distribuer ?
  • Est-ce que distribuer la richesse est le premier pas pour en créer ?
  • Le marché est-il la meilleure forme d’autorégulation ?

Ces convictions, lorsqu’elles s’expriment en communautés, mènent fréquemment à des préjugés vis-à-vis d’autres, ce qui rend la remise en question personnelle d’autant plus difficile:

  • Les membres du parti socialiste, ou du parti libéral radical, ou de l’UDC, sont des égoïstes.
  • Les jeunes, les vieux, sont des profiteurs.
  • Les féministes sont soumis et aggressives.
  • Les étrangers sont des criminels.
  • Les employés du service public, les fonctionnaires, sont des paresseux, voire des parasites.
  • Les entreprises privées ne pensent qu’à l’argent.
  • Les médias nous mentent et nous manipulent.
  • Les animaux sont bons, les humains mauvais.

A les lire comme cela, ces préjugés nous paraissent terriblement bêtes et simplistes. Or ils influencent quotidiennement le débat politique et sociétal, sans même que l’on n’y prenne plus garde. Si quelqu’un met le doigt sur la bêtise de ces préjugés, il est alors accusé d’interdire la liberté de pensée. Le paradoxe est souvent que ceux qui se revendiquent de la libre-pensée, (les Querdenker, les mavericks), sont souvent également enfermés dans leurs propres convictions. Ainsi, la Weltwoche s’auto-congratule régulièrement de publier des opinions tierces à la doxa UDC de son rédacteur en chef et de ses lieutenants, alors que ces opinions tierces ne servent qu’à renforcer les convictions de la communauté des lecteurs de ce journal, par effet épouvantail.

On dit souvent que les enfants croient au père Noël aussi longtemps qu’ils en ont envie, inventant des explications à chaque incohérence à laquelle ils sont confrontés. Nous faisons de même avec nos convictions, avec des conséquences plus graves que celles de croire au père Noël.

Les convictions sont néanmoins aussi utiles à la société ; elles permettent d’agir sans avoir besoin à chaque fois de refaire un raisonnement de A à Z et elles permettent de fédérer un groupe. Elles sont le résultat d’expériences faites par un groupe donné dans un contexte donné, qui en a développé, par l’expérience, une règle de pensée. Or, à la différence d’une théorie scientifique, une fois construites, ces convictions sont très difficiles à modifier (précisément parce qu’elles ne sont pas basées sur une construction logique), et elles s’auto-entretiennent. Dans notre monde actuel, si complexe et si changeant, elles deviennent dangereuses, car ce qui pouvait être une réponse adaptée il y a dix ans dans un groupe donné, ne l’est plus aujourd’hui ni dans un autre contexte.

Les convictions doivent donc constamment être remise en question, et si dans quelques cas les convictions sont l’arme des faibles et des inquiets, comme le prétend le Mage dans Hôtel des deux Mondes, les convictions sont surtout devenues des oreillers de paresse de la pensée, ainsi que des formes de reconnaissance communautaire, que ce soit au sein des affiliés QAnon ou de la jeunesse d’un parti politique.

Mettre ses convictions au régime, soigner ses principes et nourrir ses valeurs

Lorsque les convictions prennent le dessus, elles se transforment en fenêtre unique sur le monde, qui à mesure qu’elle grandit, devient de plus en plus étroite. Chaque nouvelle information n’est donc soit plus prise en considération, soit uniquement filtrée par cette lucarne. Il est donc essentiel de régulièrement mettre ses convictions au régime, ou encore mieux, d’ouvrir de nouvelles fenêtres, d’abattre des murs et de laisser sa pensée propre reprendre le dessus, même si les solutions sont moins évidentes.

Deux éléments essentiels nous servent alors. Les principes et les valeurs (à ne justement pas confondre avec les convictions).

Un principe est une règle simple, d’action, de comportement ou de pensée, s’appuyant sur des valeur, vers lesquelles nous essayons de tendre. Ils s’expriment parfois en proverbes et aphorismes.

On peut par exemple citer, parmi les classiques :

  • Ne pas mentir
  • Ne pas voler
  • Ne pas imposer de violence à autrui
  • « Tout travail mérite salaire »
  • « Aucune moisson ne vient sans un grand travail »
  • « Si l’on te frappe sur la joue droite, tends la joue gauche »
  • « Si l’homme a deux oreilles et une bouche, c’est pour écouter deux fois plus qu’il ne parle »

Ces principes donnent des directions, et ne donnent souvent pas de solution simple, car ils peuvent facilement se contredire entre eux dans une situation donnée. On se trouve alors dans des questionnements éthiques du genre : peut-on mentir à quelqu’un pour son propre bien ? Quand la violence est-elle légitime ?

Les principes nous guident à la manière d’une boussole sur la direction générale à prendre, mais le chemin adéquat n’est souvent pas la ligne droite ou la plus courte, pour atteindre l’objectif visé en évitant les obstacles.

Au final, ce sont les valeurs que nous souhaitons porter et développer que nous devons connaître, et c’est à leur aune que nous saurons si le chemin que nous avons tracé, les décisions que nous avons prises, sont adéquats.

Nourrir ses valeurs de ses actes, et réciproquement

Solidarité, indépendance, liberté, respect, générosité, … . Si la liste peut être très longue, les valeurs ont pour caractéristiques qu’elles sont toutes fondamentalement positives. Dans l’absolu elles se complètent et sont en général compatibles, dans l’action elles vont s’exprimer de manière plus ou moins forte par rapport aux autres, et le risque est d’étouffer l’une avec les autres, ou de verser dans une forme extrême qui en deviendra négative. Quelqu’un de généreux pourra devenir dispendieux, et quelqu’un d’économe, devenir avare.

L’intérêt du travail sur ses propres valeurs est alors de trouver le bon équilibre entre économie et générosité (dans cet exemple), et de veiller à leur concrétisation adéquate dans les actions, plutôt que de s’enfermer dans des convictions du type « capitaliser » ou « dépenser » est bon ou mauvais en soi (voir les travaux sur le carré des valeurs de Schultz von Thun)

Il n’est pas rare que quelqu’un de très économe dans son contexte professionnel soit très généreux en famille ou lors de moments festifs, ou en exemple négatif, quelqu’un soit très généreux, mais uniquement avec l’argent qui n’est pas le sien… De même, on pourra se demander en ce qui concerne la valeur de la liberté, si souvent prônée, si elle est atteinte au moment où quelqu’un a le droit de faire quelque chose, ou au moment où il est en situation et en état de le faire. Ou au final, pour être libre de pouvoir dépenser, faut-il avoir capitalisé d’abord ?

Cet aller-retour critique et constant entre valeurs, principes et convictions est un travail fastidieux, qui exige du temps. Il demande de prendre le temps de la réflexion et de la distance, il demande de se confronter aux idées des autres, et davantage encore à ses propres idées.

En ce sens, le temps des vacances peut être idéal. Cet automne, le contexte tendu et incertain que nous vivrons aura tendance à faire prendre à nos convictions le dessus sur nos valeurs.

Les valeurs nourrissent et inspirent, elles sont notre motivation, et elles vivent à travers nos décisions et nos actes. Les principes nous guident, ils sont notre boussole.

Quant aux convictions, elles sont les cadres de nos fenêtres sur le monde. Ne les laissons pas se bouffir et rétrécir notre champ de vision, ne laissons pas nos paupières devenir lourdes ; dialoguons avec ceux que nous entendons uniquement, jusqu’à ce que nous les voyions une fois notre vision élargie. C’est ainsi que nous pourrons observer le monde, et pas uniquement ce que nous croyons qu’il est.

Train your Fall spirit : put your beliefs on a diet!

 

L’Oeil dit un jour : « je vois au-delà de ces vallées une montagne voilée de brume bleue. N’est-ce pas beau ? »

L’Oreille, ayant entendu cela, prêta l’oreille un moment et dit : « mais où est-elle donc cette montagne ? Je ne l’entends pas. »

Puis la main dit : « En vain j’essaie de la toucher, cette montagne, je ne la trouve pas. »

Le Nez dit à son tour : « Il n’y a pas de montagne ; car je ne peux la sentir. »

L’œil se détourna et les autres se mirent à critiquer cette étrange illusion de l’œil.

« Dans l’œil, dirent-ils, il y a certes quelque chose qui défaille.

Khalil Gibran (Le fou)

Marc Münster

ApaRtide féru de politique suisse et curieux de l’avenir de mes deux filles, arpenteur inlassable de la twittosphère (@Munsterma) et de ma planche à repasser, je poursuis la chimère de l’humanisme des Lumières. Suisse allemand de culture vaudoise ou inversement, je m’entraîne de longues heures au retourné de röstis dans ma cuisine bernoise. Passionné de passé – latiniste puis géologue - je consacre ma vie professionnelle au futur et à la société (formation et accompagnement stratégique en développement durable).