La science-fiction, c’est… (1/7)

Après vous avoir mis à contribution et vous avoir demandé ce qu'était, pour vous, la science-fiction, il est temps de commenter, à mon tour, vos avis.

D'après Jean-Pascal Cottier : "La science-fiction, une manière de penser élargie où toutes les thématiques peuvent être rebrassées"

Intéressant. "Manière de penser", "rebrassées" : ces deux points m'interpellent. La science-fiction est en effet bien une manière de penser ou, plutôt, un état d'esprit, comme l'affirmait Pierre Versins (le fondateur de la Maison d'Ailleurs en 1976). Je me dois de préciser. Prenons un exemple trivial : les téléphones portables ont un rapport capacité / taille qui tend vers l'infini – ils sont de plus en plus puissants pour une taille de moins en moins grande (extension de la loi de Moore). Donc, je peux sans autre conjecturer, c'est-à-dire faire l'hypothèse rationnelle, qu'un jour, le téléphone portable sera réduit à sa puce et que l'interface qui l'entoure sera, par exemple, mon cerveau, puisque ce dernier abrite des phénomènes ondulatoires, tout comme le téléphone portable. Or, si je fais cette hypothèse rationnelle, soit je fais de l'anticipation (et je pense sincèrement qu'un jour nous aurons nos téléphones dans nos têtes), soit je fais de la sciencefiction.

Dans ce dernier cas, je dispose d'un motif passionnant pour raconter une histoire, une fiction : je peux alors imaginer que nous, pauvres individus du XXIIe siècle (ne soyons pas trop optimistes), devenions fous ! En effet, si à chaque fois que je pense à quelqu'un, je l'appelle – ce qui est rendu possible par l'implémentation de la carte SIM dans mon néocortex -, alors je risque fort de passer ma journée au téléphone, voire d'appeler n'importe qui sans aucun espoir de pouvoir m'arrêter !

Suis-je en train d'inventer le futur ? Non. Mon histoire a pour prétention de raconter ce qui nous arrive déjà ! Je m'explique. Rappelez-vous les années 1980 (ou 1990) : pas (ou peu) de téléphones portables, donc le temps passé à téléphoner était réduit et la distance moyenne entre mon bras et le téléphone était grande. Aujourd'hui, des téléphones portables partout ; conséquence : on passe un temps fou… à téléphoner et la distance qui me sépare de cet appareil diminue comme peau de chagrin ! L'hypothèse évoquée plus haut n'a donc pas pour finalité d'esquisser les contours de l'avenir, mais d'exagérer, de déformer le présent, pour mettre en lumière un de ses aspects humains. L'équation : plus la capacité du téléphone est grande, plus la taille de ce dernier se réduit, possède un corollaire, en l'occurrence, le fait que le temps passé "en communication" augmente et que l'espace me séparant du combiné tend vers zéro (d'où la pertinence d'imaginer une puce dans mon cerveau : distance minimale, temps d'appel maximal). Ma conjecture a donc avant tout pour vertu de créer une image : réduire l'espace entre l'homme et les technologies de communication, c'est augmenter le temps dévolu à utiliser ces technologies (on peut penser à Facebook, Twitter, Internet, etc.).

En conséquence : la science-fiction est l'état d'esprit – celui de la conjecture – qui établit de nouveaux rapports, par le biais de l'image, entre l'être humain et la technologie. Autrement dit, la science-fiction est un miroir déformé de notre quotidien, un miroir qui nous renvoie le reflet de l'homme dans ce quotidien : un miroir qui nous permet de (nous) penser, en somme.

Une manière de rebrasser les thématiques qui nous sont familières, puisque ce sont… les nôtres.

Marc Atallah

Marc Atallah est le Directeur de la Maison d'Ailleurs, musée de la science-fiction, de l'utopie et des voyages extraordinaires à Yverdon-les-Bains, et Maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Il vient ici nous parler des frontières de plus en plus floues entre science et fiction.

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