Hygiénisme, prothèses technologiques ou chimiques, chirurgie, rêves de perfectibilité ou “cyborgisation” de l’espèce humaine à l’œuvre par exemple dans le “Cybathlon” (Zürich, 8 octobre 2016) : les techniques prônées par le transhumanisme sont au cœur de nos préoccupations et d’un imaginaire en partie influencé – est-ce si étonnant que cela ? – par les récits et les images de la science-fiction. On a mal à la tête ? On prend une aspirine. On a de la peine à se concentrer ? Pourquoi ne pas sauter sur une boîte de Ritaline ?! Baisse d’humeur ? Vive le Prozac ! Et demain… demain, tout ira mieux ! Je caricature, certes. Mais pas tant que ça – malheureusement. Pensons-y : médecine prédictive, chirurgie esthétique, bodybuilding, diagnostic pré-implantatoire, médicamentation de la vie humaine, intégration de plus en plus fréquente à des réseaux virtuels, greffes de puces sous-cutanées, techniques anti-âge, mort de la mort… Beauté, Performance, Vie : le transhumanisme ne redéfinit pas les valeurs centrales à notre société, il leur donne une nouvelle extension, il les pousse à leur paroxysme, il les exacerbe.
J’ai décidé d’écrire ce billet de blog pour vous présenter ce que l’on ne voit pas toujours dans une exposition muséale : son cœur, ses premiers pas, mais aussi ce qui en forme la chair, la substantifique moelle. Il y a trois ans, quand j’ai commencé à réfléchir à toutes ces nouvelles techniques – et même si certaines semblent a priori plus saugrenues que d’autres –, je ne pouvais rester aveugle à la tension qui se faisait palpable entre le corps magnifié et le corps détesté : jamais le corps n’a autant été sur le devant de la scène, mais il l’est essentiellement comme “objet” à améliorer ; en ce sens, il est omniprésent, mais sur le mode négatif, comme un poids que l’on porte et dont on voudrait se débarrasser (ici : en le modifiant). Autrement dit, l’homme occidental contemporain peut-il faire autre chose que de percevoir son corps comme un… brouillon, comme une prison dans laquelle il est enfermé, comme un donné naturel qu’il serait en son devoir (moral ?) de perfectionner ? Mais alors, qui suis-je, si je suis toujours tendu vers un état “achevé” – utopique – qui n’est pas encore là ? Oui, c’est évident : notre conception du corps a (et aura) des répercussions sur notre identité et, surtout, sur notre manière d’habiter ce que d’aucuns réduisent à un simple véhicule « mécanique » ou à un support modifiable à souhait. Ce choix peut se résumer à une question : le corps est-il un objet dissocié de l’individu (par essence in-dividu, donc indivisible) ? Si oui, alors la voie est toute tracée pour le corps-machine, le corps-physico-chimique, le corps-brouillon, le corps-marchandise ; sinon… la porte ouvre sur le domaine de la métaphysique. Et plus personne n’ose vraiment emprunter cette porte-ci. Oui, aujourd’hui, le corps semble bien être réduit à un concept – et le réductionnisme, lorsqu’il est pris comme vérité, ne peut s’empêcher de flirter avec le totalitarisme (de la pensée).
Vous voulez en savoir plus ? Approfondir ces questions – et en aborder de nombreuses autres ? Alors la prochaine exposition de la Maison d’Ailleurs, intitulée “Corps-concept” est faite pour vous : elle commence le dimanche 21 mai 2017, se termine le 19 novembre 2017 et son vernissage – gratuit – a lieu le samedi 20 mai 2017, dès 17h. L’objectif de cet événement est de réfléchir au rapport ambivalent que nous entretenons à notre corps dans une société postmoderne qui se définit entre autres à l’aune de concepts économiques et scientifiques. Symbole d’un universalisme utopique, d’une mondialisation positive et d’un degré d’hybridation de plus en plus grand avec les technologies, l’être humain est devenu l’Alpha et l’Oméga de la consommation, son origine mais aussi son stade ultime : il consume le monde en le consommant mais, selon l’anthropologue David Le Breton, il se consume aussi en se consommant. C’est pour réfléchir à cet état de fait, et voir comment il tend vers le transhumanisme, que l’exposition « Corps-concept » a été imaginée : elle cherche en effet à révéler l’essence d’une humanité en manque d’être qui, soumise à la globalisation, transforme tout individu en produit marchand ou en cyborg, alors qu’initialement elle avait pour but l’émancipation et le progrès moral des individus…
Quatre artistes, une centaines d’objets patrimoniaux rares, l’histoire de nos conceptions du corps racontée et exposée au regard de tous, un projet ambitieux pour réfléchir au transhumanisme mais, surtout, à ce qu’il oublie de dire : l’être humain peut être réduit à un concept, mais il n’est pas un concept. Son corps n’est pas sa chair, son identité n’est pas son patrimoine génétique, son intelligence n’est pas son efficacité neuronale, son destin n’est pas une utopie – je vous attends à la Maison d’Ailleurs et nous réfléchirons ensemble à ces questions. Il en va de notre dignité.
M.Marc ATALLAH nous organisons à l’Université de Carthage un colloque sur ”’l’utopie au présent”.Seriez-vous intéressé?
Bechir ben aissa
Bonjour,
Merci de votre intérêt et de cette proposition, intéressante ! Pouvez-vous m’envoyer toutes les informations concernant ce colloque à : [email protected] ?
Bien à vous,
MA
Bonjour M Attalah,
Notez qu’on peut reconnaître le bien fondé de la critique de David Le Breton (et de bien d’autres) sur le consumérisme tout en prônant un certain transhumanisme. On peut aussi reconnaître que la personne individuelle émerge bien d’un corps qui contribue très largement à son identité tout en réfutant toute métaphysique. Je vous invite donc à élargir encore votre réflexion sur le transhumanisme.
Bien cordialement
Marc Roux
(Association Française Transhumaniste – Technoprog)
Bonjour Monsieur Roux,
Tout d’abord, je vous remercie de votre commentaire et de vos suggestions d’approfondissement. J’aimerais néanmoins vous rappeler, d’une part, qu’un billet de blog n’est pas le lieu d’une rédaction doctorale et, d’autre part, que mes lignes cherchaient avant tout à évoquer – de manière certes un peu sibylline – une exposition muséale qui ouvrira ses portes le 20 mai.
J’aurais certes pu parler de la relecture problématique qui est souvent faite de la perfectibilité rousseauiste ou de sa réinterprétation par Auguste Comte et Karl Marx ; j’aurais également pu analyser avec force détails les composantes utopiques et science-fictionnelles des écrits transhumanistes – en commençant par l’avant-propos du rapport NBIC ou par les positions de Minsky, Moravec et autres Bostrom – ; j’aurais pu… Eh bien non ! Car je voulais aiguiser la curiosité de mes lecteurs et j’espère vous accueillir à la Maison d’Ailleurs pour débattre – que ce soit sur le transhumanisme ou sur les conceptions du corps qu’il présuppose sans forcément expliciter ces mêmes présupposés, par essence partiaux et, évidemment, métaphysiques.
Bien à vous,
Marc Atallah