Thé au beurre et Rivella

 

A priori, rien ne prédestinait Rikon, modeste commune zurichoise, à accueillir un institut tibétain conjuguant communauté monacale, enseignement religieux et transmission de la culture tibétaine. Et pourtant. Au début des années 1960, alors que la Suisse accueille un contingent de réfugiés tibétains, deux entrepreneurs de Rikon, les frères Kuhn, vont leur offrir logement et travail. Si la cohabitation entre les nouve aux arrivants et la population locale se passe sans embûche, des tensions naissent entre générations et le besoin d’avoir un espace de transmission se fait ressentir. Les frères Kuhn s’engagent personnellement : ils fondent l’Institut du Tibet et mettent à disposition le terrain et les fonds pour lancer le projet.

 

Un havre tibétain au cœur de la forêt zurichoise

Depuis, un demi-siècle a passé et l’Institut trône dans une clairière, sur le flan de la montagne. Bordé par des allées de pins et mélèzes, dissimulé des regards par des arcades d’ormes et d’érables, le monastère abrite aujourd’hui une communauté permanente de huit moines. Vêtus de leurs parures traditionnelles ocre et carmin, le crâne rasé, ces hommes se dédient à l’étude des textes, les offrandes aux boddhisattva, la méditation et la prière. Mais pas seulement. En effet, ils sont appelés dans des familles tibétaines pour accomplir des rituels : naissance, unions maritales ou rites funéraires. Ils accueillent les visiteurs, les guides autour de leur résidence et leurs transmettent des bribes de leur sagesses. Exemple.

 

Parole de lama

Une verte prairie parée d’une seule espèce de fleurs est certes belle, mais elle serait encore plus belle encore si les fleurs étaient de formes, de couleurs et de senteurs différentes. La diversité pourtant n’existe qu’en surface : sous terre, une seule nature : des racines qui se ressemblent, qui se mêlent et qui s’assemblent. Voilà, dit le lama, ce que la nature nous enseigne : ce que le visible singularise et différencie, l’invisible l’unifie. A l’image des fleurs de la prairie, l’humain est d’expressions multiples : langue, culture, religion, faciès… En revanche, quelle que soit sa couleur, son dialecte, sa tradition ou sa spiritualité, l’être humain partage les mêmes racines biologiques et les mêmes besoins fondamentaux : respirer, boire et manger.

 

D’ici et de là-bas

Vendredi, j’ai donc passé l’après-midi à l’Institut tibétain de Rikon. Guirlandes de foulards multicolores au vent, stupa contenant objets ou textes sacrés, petits édifices de pierres en équilibres, moulins à prières, roues du dharma, écritures sacrées et le silence. L’espace de quelques heures, j’ai voyagé au pays des lama, écouter leur poésie, ressenti leur sagesse. Sur la terrasse du monastère nous attend maintenant une agape : sur la table, des bouchées végétariennes ou à la viande, des biscuits tissés en forme de feuilles et … du thé au beurre, boisson traditionnelle tibétaine associant thé noir, beurre, lait et sel (oui, sel !). Quelle n’est pas ma surprise quand aux côtés du thé au beurre, je vois se tenir fièrement une bouteille d’une autre boisson quelque peu lactée et tout aussi traditionnelle : du Rivella rouge ! Décidément, me voilà bien vite revenu de mon voyage au pied de l’Himalaya… Mais devinerez-vous laquelle de ces boissons m’a le mieux désaltérée ?

 

 

Ratha Yatra, un festival d’hier et aujourd’hui

 

C’était un samedi pas comme les autres. Le 1 juillet a eu lieu Ratha Yatra ou le festival des chars. Lors de cette fête hindoue, les divinités sortent des temples et sont promenées par les fidèles dans de grands chars en bois, richement ciselés et fleuris. Hommes et femmes réunis en une même procession les accompagnent en récitant des mantras et en chantant des hymnes.

 

Une zone industrielle revisitée

Glattbrugg, commune industrielle de l’agglomération zurichoise abrite depuis plus de vingt ans le Temple Shiva. En ce premier samedi de juillet, des familles hindoues de toute la Suisse, mais aussi des pays voisins, convergent vers le temple dédié à leur divinité. Aujourd’hui,  Shiva, sa femme Parvati et son fils Somaskanda prennent place au sommet et au centre d’un char apprêté de guirlandes de fleurs et de tresses de feuilles de bananes. Tirées par des hommes, protégées par des lions rugissant, les divinités « prennent l’air ». Elles veillent à l’harmonie de l’ordre cosmique et reçoivent les invocations des croyant-e-s.

En cette matinée ensoleillée, ce n’est pas moins de 1000 hindou-e-s qui défilent dans la localité. A quatre reprises, le char s’arrête. Le grand prêtre effectue des rituels et reçoit les offrandes, les prières et les dons des fidèles. A chaque étape, il convoque les éléments : le feu, par l’encens ou des noix de cocos en flamme ; la terre, par des lancés de riz ou de fleurs ; l’air, par des mouvements rapides des mains avec des baguettes et enfin, des projections d’eau.

Pendant quelques heures, le béton industriel résonne au son des percussions et des chants qu’entonnent les pèlerins d’un jour. La grisaille de la zone se transforme en un charivari de couleurs : sari safran, carmin, turquoise, émeraude pour les femmes ; dothi blancs, rouges ou verts pour les hommes. Tous les sens sont en émoi : la vue et l’ouïe bien sûr, mais l’odorat, le goût et le touché aussi. L’encens flotte dans les airs ; des offrandes de fruits et de riz sucré et aromatisé de bananes et noix de coco, des boissons (très) sucrées mais aussi salées et, ma foi, relevées. Et bien sûr la promiscuité des un-e-s et des autres.

 

 Une tradition vivante et en streaming

Alors que je me sens transportée en Inde ou au Sri Lanka, voilà qu’à un carrefour mon œil est attiré par deux hommes au torse nu et dothi orange qui manipulent des caméras high tech assorties de micros. Quelle n’est alors pas ma surprise lorsqu’une jeune Tamoule m’explique que la cérémonie est diffusée en streaming sur SivanTV, une chaîne de télévision online dédiée à Shiva, qui permet à toutes et à tous de participer virtuellement aux Ratha Yatra de par le monde. Ici, mais en même temps là-bas le temps d’une procession ; là-bas, mais en même temps ici grâce à la technologie. Décidément, les traditions savent vivre avec leur temps.

 

Controverses autour de la poignée de mains

Dans le vaste débat sur « l’islam en Suisse », s’il est une chose que l’on ne pourra pas faire, c’est bien d’accuser l’école secondaire de Therwil (BL) d’islamophobie. Rappel des faits : cet établissement scolaire a exempté deux adolescents de confession musulmane de serrer la main de leurs enseignantes. Motif : leur religion leur interdit de toucher des femmes qui ne seraient siennes. Une décision qui a le mérite de détonner, mais qui évidemment suscite débats et controverses.

 

La salutation comme mode de communication

Pourquoi se salue-t-on  au juste ? N’est-ce qu’une simple politesse ? Une coutume ? Non, c’est évidemment plus complexe. Saluer, c’est entrer en relation avec son vis-à-vis. C’est initier une communication avec celui ou celle que l’on rencontre. La salutation est la première forme de communication entre deux individus qui se rencontrent. Elle intervient parfois même avant l’échange des politesses usuelles (présentation nominative, question sur l’état de santé, etc.). Si la salutation est universelle, ses formes sont en revanche culturelles. En Suisse, on se sert la main ou on s’échange trois bises sur les joues. En France, ce sera deux bises, mais quatre à Paris. Dans certaines régions d’Amérique, on s’étreint à grands coups d’accolades. Au Moyen-Orient, on porte sa main droite vers son cœur et on s’incline légèrement vers l’avant. En Inde, c’est le namasté qui prédomine. Toutes ces salutations s’inscrivent dans un contexte, dans une histoire. Elles traduisent certains usages de l’espace et du corps.

 

La poignée de main : proximité et distance

La poignée de main imprime un contact physique. « Je te touche, tu es donc présent ici et maintenant pour entrer en discussion avec moi ». En même temps, l’écart entre les corps qu’impose le bras tendu définit à son tour la distance de confort entre les individus pour entrer en communication. Ni trop prêts, ni trop loin. Juste ce qu’il faut. La poignée de mains a aussi comme fonction de définir les limites physiques et spatiales entre lesquelles les interactions entre deux individus sont culturellement acceptées, quel que soit le degré de parenté ou de familiarité.

 

La poignée de main comme vecteur de valeurs

En se saluant, on témoigne aussi de certaines valeurs. La poignée de main incriminée dans ce débat ne fait pas exception. Serrer la main des personnes que l’on côtoie témoigne d’un respect réciproque, ou tout au moins d’une acceptation de l’autre dans son intégrité. Elle est aussi synonyme de confiance et surtout d’égalité. Pas juste une égalité de genre, j’insiste. Mais d’une égalité quel que soit « son origine, sa race, son sexe, son âge, sa langue, sa situation sociale, son mode de vie, ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique » (Art. Cst. 8, alinéa 2). Et c’est bien là un problème de cette dispense. Elle autorise une discrimination envers une partie du corps enseignant.

 

Discrimination de genre ou atteinte à la liberté religieuse ?

Les relations hommes-femmes et la mixité de l’espace social peuvent être marquées, voire conditionnées, par des convictions religieuses. Ce que je respecte. Cependant, la cohésion sociale passe par un effort réciproque de compréhension des codes culturels. Si je peux, cognitivement, comprendre que le refus d’un homme de me serrer la main puisse témoigner de son respect envers moi, j’estime que je suis aussi en droit d’attendre de cet homme qu’il comprenne que son refus puisse pour moi signifier qu’il ne me considère pas en tant qu’individu et que je puisse y voir non pas une marque de son estime, mais bien une discrimination envers ma condition de femme.

 

L’école, le voile et la laïcité

La saga religio-vestimentaire qui opposait les autorités scolaires de la commune saint-galloise de Sankt Margrethen à une famille de confession musulmane a tiré sa révérence. Vendredi dernier, les juges du Tribunal fédéral ont rendu leur décision : l’adolescente aura le droit de porter le foulard sur les bancs d’école. Cette décision fera dès lors jurisprudence : elle pourra servir de référence législative à d’autres affaires similaires dans tout le pays.

Lorsqu’il est question de foulard à l’école, les débats sont vifs. Les arguments mobilisés par les partisans du « pour » comme du « contre » mélangent les registres. C’est ainsi que des notions d’intégration, de sécurité, de liberté de conscience et de croyance, de laïcité et de neutralité confessionnelle se trouvent entremêlées dans les discours.

La Suisse n’est pas un Etat laïc

A l’inverse d’une représentation communément admise, la Suisse n’est pas un Etat laïc. Pour rappel, le préambule de la Constitution fédérale débute par « Au nom de Dieu Tout-Puissant ! ». En revanche, la négociation des relations entre l’Etat et les communautés religieuses étant du ressort des cantons (art. cst. 72), la majorité des cantons helvétiques reconnaît constitutionnellement certaines communautés religieuses, alors que d’autres y affirment le principe de la laïcité (Genève et Neuchâtel). La question de savoir ce que désigne « laïcité » en Suisse est épineuse. Séparation des pouvoirs politiques et religieux, reconnaissance du rôle des traditions judéo-chrétiennes dans la construction historique de la Suisse, invisibilisation de tout signe religieux dans l’espace public ? Clarification.

Laïcité et neutralité confessionnelle

La laïcité est un principe participant à la régulation des rapports entre l’Etat et les communautés religieuses, un précepte aiguillant les conduites des individus en regard d’une autorité étatique. Elle n’est pas un état, mais un processus : la réponse d’une société géographiquement et temporellement ancrée aux questions (et aux défis) que lui pose la cohabitation d’une pluralité (croissante) de systèmes du croire sur son territoire. En Suisse, elle suppose la séparation des sphères d’influences de l’Etat de celles des individus et privilégie une neutralité confessionnelle de l’appareil étatique. Davantage qu’un principe, la neutralité confessionnelle est une attitude que l’on adopte. L’Etat, les espaces et les individus le représentant, se doit d’adopter une conduite neutre confessionnellement afin de garantir la liberté de conscience de ses utilisateurs (les résidents). A l’inverse, ceux-ci ne sont pas astreints aux mêmes devoirs et conservent leur droit de manifester leurs convictions religieuses, y compris dans les institutions étatiques.

L’école, espace de socialisation

La décision du Tribunal fédéral va dans le sens de cette neutralité confessionnelle. L’appareil professoral doit être neutre confessionnellement, mais l’espace scolaire peut être investi par les signes d’appartenance religieuse des écoliers. Dans le respect des convictions des uns comme des autres, cela va de soi. En ce sens, il est utile de rappeler que la neutralité confessionnelle garantit aussi l’incroyance. L’article sur la liberté de conscience (art.cst. 15, alinéa 4) rappelle à juste titre que nul ne peut être contraint d’adhérer à un message religieux.


Photo: devant le Tribunal administratif de St-Gall le 11 décembre 2015 lors du procès – Keystone

Plaidoyer pour une actualité religieuse réfléchie

L’actualité liée au fait religieux de la semaine a, une fois encore, été bien fournie.

Florilège :

  • Bruxelles en état de siège
  • Voyage du pape François en Afrique
  • Suspension d’un prêtre catholique ayant osé comparer les terroristes de vendredi 13 à leurs victimes pour adoration du diable
  • Attentats contre le bus de la sécurité présidentielle à Tunis
  • Adoption par le Parlement tessinois de la loi « anti-burqa »
  • Création d’un collectif « Valaisan-ne-s contre l’interdiction du port du voile à l’école »
  • Perquisition aux domiciles de deux imams de la mosquée de Genève
  • Attentat contre une procession chiite au Nigéria
  • Pressions sur l’association An’Nur de Winterthur soupçonnée de favoriser le départ vers le Sham de certains jeunes de la région
  • Tollé contre la décision du Conseil communal de Neuchâtel de ne pas placer de crèche de Noël devant l’hôtel de Ville au prétexte que la mairie appartient à tous les citoyens et non à une partie d’entre eux
  • Cérémonies d’hommages aux victimes des attentats de Paris

La liste pourrait bien sûr continuer. Et c’est dans ce contexte sociétal tendu, que la RTS a annoncé la suppression à partir de 2017 de tous les magazines de la rédaction consacrés au traitement réfléchi, critique et documenté du fait religieux. « Faut pas croire », « A vue d’esprit » et « Hautes Fréquences » ne se contentent pas d’évoquer des thématiques en lien avec le religieux, ni de surfer sur une vague sensationnaliste réduisant de complexes conflits à cette seule dimension. Non. S’il est aussi leur rôle de réagir à l’actualité, ce sont bien d’autres thématiques qu’ils contribuent à éclairer. Ainsi « Faut pas croire » traite indifféremment de migrations, de handicap, d’assistance au suicide, de chasse, de tourisme éthique ou encore de Star Wars ! Dans le contexte d’inculture générale par rapport à l’islam, notons que « A vue d’esprit » vient de consacrer deux séries de cinq émissions consacrées respectivement à la réforme de l’islam et à l’histoire plurielle du Coran. Quant aux auditeurs de « Hautes Fréquences », ils auront pu apprécier durant ce mois de novembre des éclairages avisés sur la mort et le culte des saints, la scientologie, les coptes au parlement égyptien, les religions et la laïcité face aux attentats et bien sûr Daech et la haine de l’Occident.

La RTS se veut rassurante : évidemment que le religieux continuera d’être traité professionnellement dans ses autres magasines. Et bien cela ne me rassure pas. L’abandon de plages horaires dédiées à l’actualité ‘religieuse’ aura pour conséquence la dissémination des sujets dans l’actualité immédiate et les magazines de société. Difficile ensuite d’avoir une information étoffée et absente d’émotion. Et quid des équipes rédactionnelles ? Le partenariat entre la RTS et les agences de presse des Églises historiques a produit un journalisme d’intérêt public professionnel et confessionnellement neutre dans le traitement de ses sujets. Cette décapitation de RTS Religion (terme utilisé par les intéressés eux-mêmes) tombe vraiment comme une poignée de cheveux dans la soupe. A l’heure où les relations entre Etats, communautés religieuses, sociétés et individus se tendent, où « la sainte ignorance » (O.Roy 2008) s’invite dans les débats (en sont pour preuves les commentaires à ces actualités sur les réseaux sociaux…), les auditeurs et téléspectateurs de la RTS ont plus que jamais besoin des compétences de RTS religion.

Vous voulez soutenir RTS Religions, signer la pétition en ligne http://soutenonsrtsreligion.info/ ou sur la page Facebook https://www.facebook.com/jeSoutiensRTSreligion

 

 

Vendredi 13

Vendredi 13. Une date chargée de superstitions trouvant notamment leurs origines dans la mythologie nordique ainsi que le Nouveau Testament, la Sainte Cène et la crucifixion du Christ. Vendredi 13 novembre 2015. Une date désormais historique qui témoigne d’une folie meurtrière telle que seule Hollywood pouvait jusque-là mettre en scène. Une préparation minutieuse en vue d’effectuer des actions barbares, injustifiables et incompréhensibles. Une violence aveugle et absurde que les auteurs cherchent à légitimer par des invocations religieuses.

« Allahu akbar » ont scandé les assaillants. Soit. Lâchement assassiner des citadins partageant des moments de convivialité, des amoureux du rock, des fans soutenant leurs équipes nationales n’est qu’un acte d’une grande « petitesse ». Leurs buts ? Propager l’horreur, diffuser l’insécurité, faire régner la terreur pour fragiliser physiquement et psychologiquement les populations, pour diviser les opinions politiques et susciter de nouvelles fractures sociales entre individus et communautés.

Ce n’est pas parce qu’un groupe déclame à tout vent des formules religieuses que leur idéologie est en elle-même religieuse. Cependant, il n’en demeure pas moins que militants et exécutants de Daech se saisissent de références religieuses pour justifier leur soif de pouvoir et de vengeance. Qu’on y adhère ou qu’on le condamne, l’argument religieux est bel et bien présent, même s’il n’est mobilisé que pour asseoir la thèse du clash des civilisations et de l’incompatibilité entre islam et Occident. Comme si une religion pouvait être réduite à une région du monde, ou réciproquement.

Dans ce contexte, on ne peut que comprendre le développement sans précédent au XXIème siècle du discours sécuritaire de la France et, dans une moindre mesure, de ses partenaires européens. Malgré tout, je redoute que les débats sur « l’ennemi intérieur » contribuent à amplifier le sentiment anti-musulman galopant sur tout le continent. C’est pourquoi dans ces quelques lignes, je salue les réactions et prises de position sans concession des autorités musulmanes de par le monde. J’applaudis en Suisse aussi, les associations, organisations et unions musulmanes nationales qui ont fermement condamné cette violence.

Pendant ce temps-là, à Rome…

La famille comme institution chrétienne

Depuis près de trois semaines, la curie romaine s’est réunie pour parler de la famille. Ce n’est pas de n’importe quelle famille dont ont débattu cardinaux et évêques du monde entier, mais bien de la famille telle qu’elle est pensée et conceptualisée dans le catholicisme romain. La famille, nous a-t-on rappelé, est la cellule de base de toute société. Elle se compose d’un homme et d’une femme unis devant Dieu par les liens indéfectibles du mariage. Un noyau auquel s’ajouteront – si Dieu le veut – des enfants. La famille est à la fois symbole et synonyme de fidélité, de solidarité et plus largement de stabilité. Mais la famille est aussi l’institution sociale créée pour légitimer la sexualité et garantir la filiation patriarcale des enfants.

Famille, sexualités et rôles de genre

Sociologiquement, la famille est complexe : elle peut évidemment reprendre la forme défendue dans le catholicisme, mais elle peut aussi être monoparentale, recomposée (donc avoir plus d’un homme et d’une femme comme figures de l’autorité) ou homosexuelle. Elle peut être une union libre, un pacs, un mariage civil ou religieux. Quelle que soit sa composition biologique, la famille témoigne aussi d’orientations et de pratiques sexuelles aussi bien que de (re)production de rôles de genre ! Des sujets sur lesquels évêques et cardinaux réfléchissent par deux fois avant de s’exprimer.

Où sont les femmes?

Les hommes d’Eglise se sont donc rencontrés pour parler de la famille. Des hommes et rien des hommes ont palabré sur des sujets touchant autant les femmes que les hommes. Certes des couples divorcés-remariés ont été écoutés. Est-ce à dire que la femme ne peut donc être entendue que si elle est accompagnée d’un homme ? Se questionner sur le statut et la position de la femme dans la famille, du respect de son corps et de sa sexualité seraient aussi des sujets sur lesquels l’Eglise (tant locale que mondiale) devrait porter son attention. Parler de la famille sans parler des femmes, parler de la famille en restant entre homme me dérange. Les églises se vident, les vocations sont en crise, les valeurs portées par l’Eglise s’effritent. Ne serait-il peut-être pas temps de réfléchir à la destinée de l’Eglise non plus qu’entre hommes, mais en incluant bien davantage les femmes?

Burqa, niqab et caetera

Ah… Le voile intégral… De quoi pourrait-on bien parler d’autre en période électorale que de voile intégral… Je me le demande. C’est un sujet brûlant d’actualité ! Un point central de la politique nationale suisse ! Un réel enjeu des relations de notre patrie avec ses partenaires économiques ! Oui, parlons de voile intégral. Ou plutôt polémiquons sur l’urgence pour « la cohésion nationale» et les « valeurs suisses » d’interdire constitutionnellement le voile intégral. Car la Constitution est le fondement de notre Etat de droit. Elle énonce et définit les droits fondamentaux des citoyens : la dignité humaine, l’égalité, le droit à la vie, à la protection, la liberté de conscience et de croyance, celle de s’associer, de se former et j’en passe. C’est sûr, interdire « la dissimulation du visage », soit-il celui d’une femme ou d’un hooligan, doit absolument figurer dans la Constitution.

Un voile qui dérange

Que l’on soit clair : je ne suis pas pour le port du voile intégral. C’est un usage vestimentaire qui suscite en moi gênes et interrogations : la femme sous ce voile est-elle vraiment ‘libre’ de le porter ? Est-ce vraiment son choix ? Ce voile intégral produit des interactions sociales qui m’inconfortent : ne pouvant lire les expressions du visage de celle avec qui je converse, j’essaie de décrypter les émotions dans son regard. La distance physique imprimée par sa tenue me suggère une distance symbolique à ne pas franchir. L’échange souffre ainsi d’un manque de proximité. Le lien social peine à se créer.

L’argument du respect

Oui, le voile intégral pose des questions. Notamment celles de la dignité de la femme qui le porte, du respect de ses droits fondamentaux. Mais soyons honnête : une interdiction du voile intégral permettra-t-elle vraiment un meilleur respect de celle-ci ? Une meilleure protection de ses droits ?

L’argument sécuritaireverhuellung-rechts-d

Des femmes sous le niqab, nous dit-on, aurait favorisé le trafic d’armes. D’autres auraient commis des attentats-suicides. Certes. Mais alors, en quoi la dissimulation de leur visage les empêchera-t-elle de camoufler sous leurs jupes cocktails molotofs et autres bombes à clous ? Interdisons alors aussi les soutanes, les kesas, les saris et tous les accessoires de mode amples et couvrant !

Une farce électorale 

Arrêtons de monter en épingle des problèmes qui n’en sont pas. Arrêtons de susciter l’insécurité en attisant les amalgames entre une femme intégralement voilée et la violence potentielle d’un hooligan. Et arrêtons de se moquer des électeurs surtout. En plus d’être malhonnêtes, ces stratégies électorales stigmatisent une partie de la population et font du tort à celles que les initiants prétendent vouloir défendre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le jihad dans la religion ou la religion du jihad ?

Dans les médias, comme au café du soin, il est devenu commun de parler et d’entendre parler de jihad. Le jihad… Un mot phonétiquement si bref, mais dont la sémantique est si complexe ! Jihad… Une notion essentiellement réduite à une dimension offensive et violente, alors que ses interprétations et mobilisations individuelles sont si diverses…

De multiples interprétations

En effet, certains savants apportent un supplément épistémologique à ce concept en développant son étymologie, en contextualisant les passages du Coran et de la Sunna qui s’y rapportent, en interprétant spirituellement la portée de son action. Simultanément, d’autres théoriciens érigent le jihad en dogme et l’appliquent en divisant strictement le monde entre celui des élus et celui des « mécréants ». Un compréhension moniste et intégrée de l’univers s’opposant à une vision dichotomique et antagoniste du monde et des rapports humains.

Se dédouaner du jihad

Objet de débats émotionnels, de querelles idéologiques et théologiques, qu’on le veuille ou non, le concept de jihad est au centre des représentations que l’on se fait aujourd’hui de l’islam et des musulmans. Dans leurs interactions avec les ‘autres’, il n’est pas rare que les citoyens de confession musulmane doivent de positionner sur le terme-même, et plus généralement sur les exactions commises par les idéologues et les combattants qui se sont arrogés le monopole de l’interprétation du jihad.

Que l’on soit musulman ou non, se pose dès lors beaucoup de questions, à commencer par celle de savoir comment parler de parler d’islam quand il est question de jihad ? Comment communiquer au sujet du jihad afin de ne pas tomber dans la réduction des discours de propagande de ceux que l’on appelle les « jihadistes » ? Mais aussi, ce « jihadisme contemporain » est-il seulement religieux ? Et qu’est-ce qui séduit de jeunes européens dans « les discours jihadistes » ?

En débattre?

Ce sont là quelques unes des questions que nous traiterons le mardi 29 septembre 2015 à 18.15 à l’Université de Fribourg en compagnie de Samir Amghar, spécialiste du salafisme, et de David Thomson, journaliste à RFI spécialisé sur les départs et les retours des jihadistes français et de Géraldine Casutt, doctorante en science des religions qui rédige une thèse sur le rôle de femmes dans le jihad contemporain.

 

Plus d’informations : L’islam, le musulman et le jihad contemporain http://www.unifr.ch/sr/fr/evenements/conferences-et-media/jihad-religion

Embrigadée

Tel est le titre de l’ouvrage de Valérie de Boisrolin. Ce livre, c’est un témoignage. Celui d’une mère dont la fille a quitté le domicile familial pour partir vivre en Syrie. Valérie de Boisrolin y raconte sa fille : son enfance, son insouciance, ses premières amours. Elle parle de leur complicité, de leur foyer, des décès qui ont les affectés. Elle retrace la « rencontre décisive » de Léa avec B., son « prince charmant », l’homme qui deviendra son mari et avec lequel elle partira s’établir en Syrie alors qu’elle n’a encore que 16 ans.

Mais quels signes avant-coureurs?

Embrigadee_CoverAu fil des pages, cette maman entraine le lecteur dans son désarroi : elle le confesse, elle n’a pas su lire les éventuels signes avant-coureurs du départ de Léa. Aurait-elle dû s’inquiéter lorsque sa fille a cessé de se maquiller ? Aurait-elle dû s’alarmer lorsque l’adolescente ne voulait plus que sa mère l’accompagne sur son lieu de travail ? Valérie de Boisrolin le regrette : elle aurait peut-être dû accorder plus de crédit au chemin spirituel que Léa avait adopté. Inversement, elle n’aurait peut-être pas due s’opposer si sévèrement à la relation amoureuse de sa fille, mais plutôt l’accompagner dans cette liaison et lui permettre de réaliser par elle-même la rupture familiale que lui proposait son prétendant.

Un périple à double facette

Sans colère, mais avec une pointe d’amertume, Valérie de Boisrolin raconte le périple biographique et judiciaire que traverse sa famille ; la culpabilité qu’elle ressent dans ses relations avec les autorités ; la solitude qui l’habite jusqu’au jour où elle réalise que leur histoire n’est pas unique : d’autres familles, de tout milieu social, de toute origine, de toute région sont aussi happées dans la tourmente par le départ d’un enfant, d’une sœur ou d’un frère.

Dans son récit, Valérie de Boisrolin ne condamne personne. Elle ne s’atermoie pas non plus sur son sort. Par son témoignage, elle met en revanche en lumière comment la juxtaposition de rencontres fortuites, d’expériences inopinées et de blessures émotionnelles peuvent faire basculer une personne et sa famille dans un univers parallèle.

Et en Suisse?

Une lecture sans concession qui interpelle sur le regard porté sur et le soutien apporté aux familles victimes d’un départ en Syrie. Un témoignage sincère qui devrait interroger en Suisse aussi les acteurs institutionnels et religieux sur leurs modalités d’accompagnements de ces familles victimes je le répète, et non coupables, du départ de l’un des leurs. Valérie de Boisrolin a elle choisi de se “battre pour sa fille” et de fonder une association d’entre-aide pour les parents “Malgré eux”.

 

Valérie de Boisrolin (2015) Embrigadée. Paris, L’Express, Presse de la Cité.