Thé au beurre et Rivella

 

A priori, rien ne prédestinait Rikon, modeste commune zurichoise, à accueillir un institut tibétain conjuguant communauté monacale, enseignement religieux et transmission de la culture tibétaine. Et pourtant. Au début des années 1960, alors que la Suisse accueille un contingent de réfugiés tibétains, deux entrepreneurs de Rikon, les frères Kuhn, vont leur offrir logement et travail. Si la cohabitation entre les nouve aux arrivants et la population locale se passe sans embûche, des tensions naissent entre générations et le besoin d’avoir un espace de transmission se fait ressentir. Les frères Kuhn s’engagent personnellement : ils fondent l’Institut du Tibet et mettent à disposition le terrain et les fonds pour lancer le projet.

 

Un havre tibétain au cœur de la forêt zurichoise

Depuis, un demi-siècle a passé et l’Institut trône dans une clairière, sur le flan de la montagne. Bordé par des allées de pins et mélèzes, dissimulé des regards par des arcades d’ormes et d’érables, le monastère abrite aujourd’hui une communauté permanente de huit moines. Vêtus de leurs parures traditionnelles ocre et carmin, le crâne rasé, ces hommes se dédient à l’étude des textes, les offrandes aux boddhisattva, la méditation et la prière. Mais pas seulement. En effet, ils sont appelés dans des familles tibétaines pour accomplir des rituels : naissance, unions maritales ou rites funéraires. Ils accueillent les visiteurs, les guides autour de leur résidence et leurs transmettent des bribes de leur sagesses. Exemple.

 

Parole de lama

Une verte prairie parée d’une seule espèce de fleurs est certes belle, mais elle serait encore plus belle encore si les fleurs étaient de formes, de couleurs et de senteurs différentes. La diversité pourtant n’existe qu’en surface : sous terre, une seule nature : des racines qui se ressemblent, qui se mêlent et qui s’assemblent. Voilà, dit le lama, ce que la nature nous enseigne : ce que le visible singularise et différencie, l’invisible l’unifie. A l’image des fleurs de la prairie, l’humain est d’expressions multiples : langue, culture, religion, faciès… En revanche, quelle que soit sa couleur, son dialecte, sa tradition ou sa spiritualité, l’être humain partage les mêmes racines biologiques et les mêmes besoins fondamentaux : respirer, boire et manger.

 

D’ici et de là-bas

Vendredi, j’ai donc passé l’après-midi à l’Institut tibétain de Rikon. Guirlandes de foulards multicolores au vent, stupa contenant objets ou textes sacrés, petits édifices de pierres en équilibres, moulins à prières, roues du dharma, écritures sacrées et le silence. L’espace de quelques heures, j’ai voyagé au pays des lama, écouter leur poésie, ressenti leur sagesse. Sur la terrasse du monastère nous attend maintenant une agape : sur la table, des bouchées végétariennes ou à la viande, des biscuits tissés en forme de feuilles et … du thé au beurre, boisson traditionnelle tibétaine associant thé noir, beurre, lait et sel (oui, sel !). Quelle n’est pas ma surprise quand aux côtés du thé au beurre, je vois se tenir fièrement une bouteille d’une autre boisson quelque peu lactée et tout aussi traditionnelle : du Rivella rouge ! Décidément, me voilà bien vite revenu de mon voyage au pied de l’Himalaya… Mais devinerez-vous laquelle de ces boissons m’a le mieux désaltérée ?

 

 

Ratha Yatra, un festival d’hier et aujourd’hui

 

C’était un samedi pas comme les autres. Le 1 juillet a eu lieu Ratha Yatra ou le festival des chars. Lors de cette fête hindoue, les divinités sortent des temples et sont promenées par les fidèles dans de grands chars en bois, richement ciselés et fleuris. Hommes et femmes réunis en une même procession les accompagnent en récitant des mantras et en chantant des hymnes.

 

Une zone industrielle revisitée

Glattbrugg, commune industrielle de l’agglomération zurichoise abrite depuis plus de vingt ans le Temple Shiva. En ce premier samedi de juillet, des familles hindoues de toute la Suisse, mais aussi des pays voisins, convergent vers le temple dédié à leur divinité. Aujourd’hui,  Shiva, sa femme Parvati et son fils Somaskanda prennent place au sommet et au centre d’un char apprêté de guirlandes de fleurs et de tresses de feuilles de bananes. Tirées par des hommes, protégées par des lions rugissant, les divinités « prennent l’air ». Elles veillent à l’harmonie de l’ordre cosmique et reçoivent les invocations des croyant-e-s.

En cette matinée ensoleillée, ce n’est pas moins de 1000 hindou-e-s qui défilent dans la localité. A quatre reprises, le char s’arrête. Le grand prêtre effectue des rituels et reçoit les offrandes, les prières et les dons des fidèles. A chaque étape, il convoque les éléments : le feu, par l’encens ou des noix de cocos en flamme ; la terre, par des lancés de riz ou de fleurs ; l’air, par des mouvements rapides des mains avec des baguettes et enfin, des projections d’eau.

Pendant quelques heures, le béton industriel résonne au son des percussions et des chants qu’entonnent les pèlerins d’un jour. La grisaille de la zone se transforme en un charivari de couleurs : sari safran, carmin, turquoise, émeraude pour les femmes ; dothi blancs, rouges ou verts pour les hommes. Tous les sens sont en émoi : la vue et l’ouïe bien sûr, mais l’odorat, le goût et le touché aussi. L’encens flotte dans les airs ; des offrandes de fruits et de riz sucré et aromatisé de bananes et noix de coco, des boissons (très) sucrées mais aussi salées et, ma foi, relevées. Et bien sûr la promiscuité des un-e-s et des autres.

 

 Une tradition vivante et en streaming

Alors que je me sens transportée en Inde ou au Sri Lanka, voilà qu’à un carrefour mon œil est attiré par deux hommes au torse nu et dothi orange qui manipulent des caméras high tech assorties de micros. Quelle n’est alors pas ma surprise lorsqu’une jeune Tamoule m’explique que la cérémonie est diffusée en streaming sur SivanTV, une chaîne de télévision online dédiée à Shiva, qui permet à toutes et à tous de participer virtuellement aux Ratha Yatra de par le monde. Ici, mais en même temps là-bas le temps d’une procession ; là-bas, mais en même temps ici grâce à la technologie. Décidément, les traditions savent vivre avec leur temps.

 

Métier: “sociologue des religions”

Oui, sociologue des religions est un métier. Un métier peu connu, mais qui m’occupe depuis 15 ans déjà. A quoi ressemble la journée d’une sociologue ? Mon fils vous répondrait sans doute « Passer ta journée devant ton ordinateur et le nez dans tes bouquins ». C’en est une partie, j’en conviens. Mais être sociologue, c’est avant tout être « sur le terrain » comme l’exprime notre jargon. « Sur le terrain » ? Mais quel « terrain » ? Au cœur des villes simplement, dans ses espaces de rencontres, ses institutions. Places publiques, gares, rues, cafés, administrations, écoles, hôpitaux, prisons constituent autant d’espaces témoins de la (dé-)construction des liens sociaux, autant de lieux à partir desquels le sociologue questionne le social.

315

Être sociologue des religions, c’est en particulier passer du temps dans des associations et des communautés religieuses. Aller à la rencontre de ces acteurs sociaux qui (dé-)mobilisent « le facteur religieux » dans leur vie quotidienne. Être sociologue des religions, c’est échanger avec eux et partager quelques moments de sociabilité. En résumé, être sociologue des religions, c’est observer les pratiques religieuses et spirituelles des individus, décrire leurs croyances, attitudes et normes ; c’est analyser les relations réciproques entre individus, communautés et Etat.

« Facteur religieux », le titre d’un blog. Sur ces pages, mes coups de cœur et mes coups de gueules aussi. Mais surtout, les histoires d’hommes et de femmes (extra-)ordinaires dans leurs rapports au religieux, à l’Etat et à la société.