Pendant ce temps-là, à Rome…

La famille comme institution chrétienne

Depuis près de trois semaines, la curie romaine s’est réunie pour parler de la famille. Ce n’est pas de n’importe quelle famille dont ont débattu cardinaux et évêques du monde entier, mais bien de la famille telle qu’elle est pensée et conceptualisée dans le catholicisme romain. La famille, nous a-t-on rappelé, est la cellule de base de toute société. Elle se compose d’un homme et d’une femme unis devant Dieu par les liens indéfectibles du mariage. Un noyau auquel s’ajouteront – si Dieu le veut – des enfants. La famille est à la fois symbole et synonyme de fidélité, de solidarité et plus largement de stabilité. Mais la famille est aussi l’institution sociale créée pour légitimer la sexualité et garantir la filiation patriarcale des enfants.

Famille, sexualités et rôles de genre

Sociologiquement, la famille est complexe : elle peut évidemment reprendre la forme défendue dans le catholicisme, mais elle peut aussi être monoparentale, recomposée (donc avoir plus d’un homme et d’une femme comme figures de l’autorité) ou homosexuelle. Elle peut être une union libre, un pacs, un mariage civil ou religieux. Quelle que soit sa composition biologique, la famille témoigne aussi d’orientations et de pratiques sexuelles aussi bien que de (re)production de rôles de genre ! Des sujets sur lesquels évêques et cardinaux réfléchissent par deux fois avant de s’exprimer.

Où sont les femmes?

Les hommes d’Eglise se sont donc rencontrés pour parler de la famille. Des hommes et rien des hommes ont palabré sur des sujets touchant autant les femmes que les hommes. Certes des couples divorcés-remariés ont été écoutés. Est-ce à dire que la femme ne peut donc être entendue que si elle est accompagnée d’un homme ? Se questionner sur le statut et la position de la femme dans la famille, du respect de son corps et de sa sexualité seraient aussi des sujets sur lesquels l’Eglise (tant locale que mondiale) devrait porter son attention. Parler de la famille sans parler des femmes, parler de la famille en restant entre homme me dérange. Les églises se vident, les vocations sont en crise, les valeurs portées par l’Eglise s’effritent. Ne serait-il peut-être pas temps de réfléchir à la destinée de l’Eglise non plus qu’entre hommes, mais en incluant bien davantage les femmes?

Burqa, niqab et caetera

Ah… Le voile intégral… De quoi pourrait-on bien parler d’autre en période électorale que de voile intégral… Je me le demande. C’est un sujet brûlant d’actualité ! Un point central de la politique nationale suisse ! Un réel enjeu des relations de notre patrie avec ses partenaires économiques ! Oui, parlons de voile intégral. Ou plutôt polémiquons sur l’urgence pour « la cohésion nationale» et les « valeurs suisses » d’interdire constitutionnellement le voile intégral. Car la Constitution est le fondement de notre Etat de droit. Elle énonce et définit les droits fondamentaux des citoyens : la dignité humaine, l’égalité, le droit à la vie, à la protection, la liberté de conscience et de croyance, celle de s’associer, de se former et j’en passe. C’est sûr, interdire « la dissimulation du visage », soit-il celui d’une femme ou d’un hooligan, doit absolument figurer dans la Constitution.

Un voile qui dérange

Que l’on soit clair : je ne suis pas pour le port du voile intégral. C’est un usage vestimentaire qui suscite en moi gênes et interrogations : la femme sous ce voile est-elle vraiment ‘libre’ de le porter ? Est-ce vraiment son choix ? Ce voile intégral produit des interactions sociales qui m’inconfortent : ne pouvant lire les expressions du visage de celle avec qui je converse, j’essaie de décrypter les émotions dans son regard. La distance physique imprimée par sa tenue me suggère une distance symbolique à ne pas franchir. L’échange souffre ainsi d’un manque de proximité. Le lien social peine à se créer.

L’argument du respect

Oui, le voile intégral pose des questions. Notamment celles de la dignité de la femme qui le porte, du respect de ses droits fondamentaux. Mais soyons honnête : une interdiction du voile intégral permettra-t-elle vraiment un meilleur respect de celle-ci ? Une meilleure protection de ses droits ?

L’argument sécuritaireverhuellung-rechts-d

Des femmes sous le niqab, nous dit-on, aurait favorisé le trafic d’armes. D’autres auraient commis des attentats-suicides. Certes. Mais alors, en quoi la dissimulation de leur visage les empêchera-t-elle de camoufler sous leurs jupes cocktails molotofs et autres bombes à clous ? Interdisons alors aussi les soutanes, les kesas, les saris et tous les accessoires de mode amples et couvrant !

Une farce électorale 

Arrêtons de monter en épingle des problèmes qui n’en sont pas. Arrêtons de susciter l’insécurité en attisant les amalgames entre une femme intégralement voilée et la violence potentielle d’un hooligan. Et arrêtons de se moquer des électeurs surtout. En plus d’être malhonnêtes, ces stratégies électorales stigmatisent une partie de la population et font du tort à celles que les initiants prétendent vouloir défendre.