Le 13 février nous votons aussi sur la suppression du droit de timbre sur l’émission de capital propre. A qui profitera cette suppression ? Est-ce une étape de plus vers l’appauvrissement de l’Etat ? Les réponses diffèrent radicalement entre les partisans de l’abolition et la gauche. Qu’en est-il en 8 questions ?
Quelles sont les transactions taxées en 2020 ?
Le projet d’abolition du droit de timbre concerne uniquement les compagnies qui augmentent leurs fonds propres (levée de capital). En 2020, 250 millions d’impôts ont été récoltés par l’administration fédérale. Les investissements taxés à 1% dans les compagnies ont totalisé 25 milliards de francs pour 2’286 transactions. 2.4% des transactions ont concentré la moitié (50.5%) des investissements (12.9 milliards) avec une moyenne de 234 millions de francs pour chaque de ces 55 transactions. Cinq de ces grandes transactions (1 sur 10) a été le fait de start-ups comme en 2019 et en 2021 (moyenne de 228 millions en 2019 et 213 millions en 2021).
98% des transactions taxées (2’231 transactions) ont contribué à la 2e moitié (49.5%) des montants levés avec du droit de timbre. Dans ce groupe, les levées de fond pour les entreprises suisses concernées avaient une taille moyenne de 5.4 million de francs (43x plus petite que le top 55 !). 261 de ces transactions l’ont été pour les start-ups (98% des augmentations de capital pour start-ups) avec une taille moyenne de 4.4 millions. De manière surprenante, parmi les transactions soumises au droit de timbre, la répartition et la taille des levées de capital des starts-ups est très similaire à celles des compagnies usuelles.
En 2020 en Suisse, la médiane des toutes les levées de fond taxées ou non était de 2 millions et la médiane pour les levées de fonds des start-ups était de 2.9 millions pour le 1er et 2e tour (9 millions pour les tours 3 et plus). En conclusion, on note que la majorité des augmentations de capital en Suisse est taxée et qu’après le 1er tour de financement, la vaste majorité des tours de financement des starts-ups est aussi soumise au droit de timbre !
Quelle est la taille des entreprises soumises au droit d’émission sur capital propre ?
Les référendaires décrivent ces 55 transactions comme le fait de « grands groupes » (brochure de votation p40). L’identité de ces entreprises n’y est pas révélée. Si des entreprises connues comme les grandes capitalisations boursières comme celles de l’indice SMI en faisaient partie, les référendaires n’auraient manqué d’utiliser l’argument. Ces très grandes entreprises rachètent plutôt leurs propres actions plutôt que d’en émettre ; ainsi Novartis a annoncé le 1er février 2022 vouloir racheter pour 15 milliards de dollar ses propres actions. Cette somme équivaut à plus de la moitié des augmentations taxées de capital en Suisse en 2020 !
Selon le conseiller national valaisan socialiste Emmanuel Amoos « le droit de timbre n’est pas un impôt sur les PME » en citant l’exemple du canton de Zug. Ce canton contribue à hauteur de 55 millions pour cet impôt (22%) malgré le relatif petit nombre de PME. Cet argument est pour le moins contestable quand on remarque que Zug accueille une proportion importante des financements pour start-ups (11% en 2019).
Au contraire selon Vincent Simon (Economiesuisse), « les levées de fond concernent à 90% les PME » selon le fait que les 1706 grandes entreprises de Suisse ne lèvent pas des fonds propres chaque année (les grandes entreprises sont définies par une taille de 250 et plus employés). Cet argument est supporté par les chiffres bien publiés pour les levées de fond des start-ups. Parmi les 10 « mega-financements » de 2019 et 2021, 7 des 9 compagnies sont des petites et moyennes entreprises (PME soit moins de 250 employés) et seules deux compagnies (GetYourGuide et Nexthink, moins de 1000 employés chacune) sont de « grandes entreprises ».
Au final, le droit de timbre concerne à plus de 90% des augmentations de capital par des PME et environ un quart de l’impôt pourrait être le fait de financements de grandes entreprises de plus de 250 employés. Ces entreprises ne sont toutefois pas de grands groupes internationaux fleurons de la bourse suisse.
Quelles sont les entreprises non-concernées par cette réforme du droit d’émission sur capital propre ?
Les points suivants ne sont pas contestés ou ne font pas de doute :
– les personnes privées comme les actionnaires ne sont pas concernés car seules les personnes morales (entreprises) lèvent du capital.
– les commerces de titres et celui des primes d’assurance continueront à être soumis au droit de timbre. Ce droit de timbre continuera à être appliqué au secteur financier et des assurances.
– les entreprises qui n’augmentent pas leurs fonds propres ne sont pas soumises au droit d’émission sur capital propre. Ce sont 99% des 600’000 entreprises de Suisse.
– lors d’une création d’entreprise, la création de capital est rarement en dessus de 1 million et n’est pas taxé. Pour les start-ups, c’est aussi le cas comme le fait remarquer Samuel Bendahan dans le Temps. Cette affirmation est toutefois trompeuse au sujet des start-ups dont la très vaste majorité effectue de multiples augmentations de capital qui sont soumises au droit de timbre dès le 2e tour (voir plus haut).
Pourquoi les entreprises augmentent leurs fonds propres ?
Les entreprises qui dégagent du bénéfice depuis longtemps sont capables d’auto – financer leurs investissements pour leur croissance ou l’innovation. Ces entreprises établies n’ont donc guère besoin de financement extérieure par de la dette ou par augmentation de capital. Il est possible que ces entreprises décident d’un emprunt pour financer un projet pour des raisons financières et pourront obtenir un crédit vu leur situation bénéficiaire. Comme le financement par augmentation de fond propre est bien plus onéreux que par endettement, ces entreprises n’ont aucun besoin d’ augmentation de capital.
Dans le cas d’entreprises PME avec un modèle d’affaire usuel et sans innovation particulière, les financements se font souvent par endettement ou par ligne de crédit bancaire. Si la PME a un modèle d’affaire éprouvé, une bonne gestion et des conditions d’activité usuelles (le contraire donc de la situation de pandémie), une rentabilité minimale pourra être atteinte.
La situation des jeunes entreprises, d’entreprises innovantes, d’entreprises en forte croissance ou de start-ups* est encore différente. Ici, le risque est élevé et les besoins de financement sont élevés. Il n’y a aucune capacité d’auto – financement. Pour une partie, un financement par endettement sera possible (exemple : machine ou immobilier). Pour le cœur de métier, l’investissement dans l’innovation ou la croissance aura bien lieu par l’augmentation de capital malgré les coûts plus élevés.
Les start-ups se financent pour l’essentiel par des augmentations de capital en série. Ces investissements qui sont publiés fièrement permettent de voir la nature des efforts de développements de ces compagnies suisses : 52% dans la fintech, 35% dans le healthcare (biotech, medtech, IT)…et 2% dans les produits de consommation. 98% des investissements a lieu effectivement dans des secteurs hautement innovants.
Pour le dire simplement, la quasi-totalité des augmentations de capital taxées en Suisse a lieu pour financer l’innovation et la croissance des PME.
Concrètement que représentent ces 250 millions ?
Selon Samuel Bendahan dans le Temps, ces 250 millions équivalent à 300 lits de soins intensifs. Pour rester dans la santé, cette somme représente plus que le financement de deux fleurons vaudois de l’innovation en l’oncologie : en 2019 ADC Therapeutics et Sophia Genetics qui ont levé un total de 176 millions et emploient presqu’un total de 300 personnes.
Quel est l’importance de cette réforme du droit d’émission sur capital propre pour l’Etat ou pour les compagnies ?
250 millions représentent 0.3% du budget de l’Etat fédéral qui a un taux d’endettement extrêmement bas et qui est perçu comme un émetteur de toute première classe d’obligations. 250 millions est le même ordre de grandeur que les 178 millions d’aides supplémentaires pour les médias pourtant soutenues par la gauche pour la votation du 13 février (brochure de votation p52).
Pour les PME, 250 millions représentent 1% de leur budget pour l’innovation ou leurs projets de croissance. Ces compagnies –il faut le rappeler- n’ont pas l’assise et la sécurité financière des grands groupes internationaux encore moins celle de la Confédération Suisse. A l’évidence, le produit du droit d’émission sur capital propre représentent bien plus pour les PME que pour l’Etat fédéral.
Dans quel contexte de la durée s’inscrit cette réforme du droit d’émission sur capital propre ?
Selon Martine Doucourt, députée socialiste au Grand Conseil neuchâtelois, cette réforme s’inscrit dans la suite d’une série de baisses répétées des revenus de l’Etat orchestrées par la droite. Cette accusation mainte fois répétée par la gauche est toutefois totalement contredite par les chiffres de l’OCDE qui montre une stabilité de la taxation des compagnies et des personnes physiques depuis 20 ans en Suisse. Ces taxations sont par ailleurs dans le gros du peloton des pays de l’OCDE.
Pour le futur, les revenus de l’Etat suisse vont très probablement augmenter avec la hausse décidée internationalement de la taxation minimale des entreprises à 15% en coopération avec l’OCDE. L’avantage compétitif suisse de la taxation réduite des bénéfices des entreprises serait diminué d’autant. Quant à l’absence de taxation sur les gains en capital, la Suisse n’est pas la seule à avoir cet avantage. La Belgique a cette même pratique et propose des conditions cadres aussi bonnes voir meilleures aux entreprises innovantes.
Quelle est la situation dans les autres pays pour les augmentations de fonds propres ?
Cette taxation sur l’augmentation de capital date d’une époque fiscale lointaine en Suisse et n’existe plus dans la plupart des pays. Il y a quelques exceptions comme la Grèce.
Pour d’autres pays qui soutiennent l’innovation, la situation est bien différente et plus favorable qu’en Suisse. Ainsi, dans l’Union Européenne, des centaines de millions sont affectés aux financements des start-ups. De manière directe ou indirecte, pour un euro investi par une entité privé, jusqu’à un euro publique est investi en parallèle. En Suisse, si un investisseur met un franc, l’entreprise privée reçoit 99 centimes ; en Europe, si un investisseur met un euro, l’entrerprise peut recevoir 2 euros.
En conclusion…
Le débat de cette réforme du droit d’émission sur capital propre s’inscrit dans un débat classique gauche-droite et de prime abord, il est difficile de démêler le vrai du faux. J’ose espérer que cette recherche des données économiques en particulier sur les start-ups est convaincante pour démontrer que ce sont bien les PME qui sont touchées par ce droit de timbre. C’est bien l’innovation et la croissance qui sont taxées à 1%. Il faut se demander pourquoi donc ?
Maintenir cet impôt, c’est ne pas voir que c’est chaque année l’opportunité perdue de permettre à une compagnie suisse de devenir une future actrice mondiale comme Logitech, Roche, Novartis ou Nestlé. Et c’est croire faussement que cela revient à taxer ces géants qui ne lèvent que très très rarement du capital.
Pour ma part, je crois en l’avenir de l’innovation en Suisse et je vais voter résolument OUI à la suppression du droit d’émission sur capital propre.
* en Suisse, les entreprises start-ups n’ont pas un statut légal défini. La définition usuelle est toutefois celle d’une jeune entreprise qui génère peu ou pas de revenus, qui a besoin d’investissements importants pour développer son modèle d’affaire et qui est à gros risque d’échec. Une partie des start-ups est « high tech » / « deep tech » et développe des technologies innovantes qui leur permettront d’avoir une croissance important et un impact clair dans leur secteur.
PS:
à lire l’article sur la même thématique dans le Temps du 10 février: “Les start-up, un casse-tête pour le fisc suisse” par Aline Bassin
https://www.letemps.ch/economie/startup-un-cassetete-fisc-suisse
Merci beaucoup pour ces chiffres qui faisaient malheureusement défaut jusqu’ici dans le couverture de ce sujet par Le Temps. La couverture de l’aide aux médias souffre malheureusement de la même absence d’intérêt pour les faits. Selon les uns les aides iraient aux gros groupes, selon les autres non, mais personne ne semble en mesure de donner les chiffres pertinents. J’en viens à me demander si l’initiative ne serait finalement pas surtout à une aide à la poste?
Merci, cher monsieur, pour cette très intéressante analyse basée sur des faits que tout un chacun ne peut voir. J’espère toutefois qu’elle n’arrive pas trop tard, les opinions, voire les votations étant, en gros, déjà faites.
J’aimerai encore jouter une petite remarque “philosophique”: pour payer ses impôts les entreprises vont les répercuter, au moins en partie, sur le prix des produits. Autrement dit l’impôt sur les sociétés agît, pour le simple citoyen, comme la TVA ! Alors expliquez-moi pourquoi certains sont contre la TVA mais pour l’imposition des sociétés !
Bonjour,
Certains sont contre la TVA car celle-ci n’a pas de progressivité au contraire de l’imposition des personnes voir de l’impôt des bénéfices des compagnies (exemple: en Valais, il y a deux taux selon la taille du bénéfice).
En total accord avec toi mon cher Luc.
Pour nos amis socialistes qui voient toujours le méchant capitaliste derrière ce système, tu aurais pu également préciser que 90% de ces augmentations débouchent à engager du personnel humain. Des employés qui sont indispensable à la croissance de la société. Tout centime additionnel peut permettre à l’augmentation du pouvoir d’achat.
… et vous n’avez pas convaincu !
Retour de manivelle contre les lobyyistes divers et variés …
@Manivelle: je ne suis pas mandaté par quiconque pour écrire ce blog que je rédige en toute indépendance.