Philosopher en mouvement – un exemple de pratique anglo-saxonne

Article écrit par Anouchka Wyss, membre du comité de proPhilo

Philosopher ensemble n’est pas nécessairement synonyme d’une séance-atelier où l’on reste assis. Voici une affirmation qui devrait attirer l’attention de plus d’un enfant qui a de la peine à rester en place. La pratique de dialogues philosophiques peut également se dérouler en mouvement et dans l’espace. C’est notamment ce que pratiquent Tom Bigglestone et Jason Buckley, deux animateurs, praticiens et formateurs en philosophie pour enfants au Royaume-Uni.

Pourquoi le mouvement ?

Le pari de Tom et de Jason d’intégrer le mouvement au cœur de leurs séances, de manière structurée et ludique, se justifie ainsi. Selon eux, l’engagement physique permet de rendre chaque participant-e plus engagé-e dans la discussion philosophique, plus attentif-ve, plus à l’écoute. Être intégrés au cœur de dilemmes moraux, dans des jeux de rôle, devoir se déplacer pour montrer ce que l’on pense, voir ce que les autres pensent, les rend naturellement plus concernés et stimulés. En plus d’être un environnement plus naturel et confortable pour des enfants, engager son corps rend la réflexion active et non plus uniquement passive. Une part importante de notre machinerie mentale a en effet été sélectionnée pour prendre des décisions concrètes, tournées vers l’action. Mais avant tout, c’est ludique : quoi de mieux qu’une activité plaisante pour rendre l’esprit disponible à la réflexion, à l’apprentissage et à l’échange.

Quoi de mieux qu’une activité plaisante pour rendre l’esprit disponible à la réflexion, à l’apprentissage et à l’échange ?

Comment intégrer le mouvement ?

Selon eux, toute activité d’animation philosophique en mouvement (thinkers’ games)s’articule autour de quatre principes. En premier, l’élève pense à la question posée pour lui (think), puis s’engage physiquement pour montrer sa pensée (commit). Puis il-elle justifie (justify)et argumente pour sa prise de position, enfin réfléchit et se déplace si les discussions et différents arguments entendus le-a font changer d’avis (reflect).

Quelques exemples

Par exemple, on peut « voter avec ses pieds ». Ainsi, lorsqu’une nouvelle question ou hypothèse émerge, l’animateur-trice dispose les différentes hypothèses proposées par terre dans différents coins de la pièce – par exemple, à la question ” Comment organiser un système politique de la manière la plus juste ? “, quatre hypothèses sont évoquées et discutées : tirer au sort, élire le plus intelligent/capable, héritage et prendre la présidence chacun son tour. Après réflexion, chaque élève va se placer vers l’affirmation qu’il considère être la meilleure. On peut également montrer son opinion d’autres manières : mettre les mains sur / sous la table, sur la tête / croiser les bras, pieds en avant de la chaise / sous la chaise, etc. Cet engagement physique permet à chacun-e de réfléchir à sa position, de s’engager physiquement dans la réflexion, de rendre plus concrètes des idées abstraites afin de faciliter l’abstraction des discussions, de rendre visibles les différences d’opinion et de recentrer une discussion autour d’une construction commune.

Une autre activité que proposent souvent Tom et Jason est de construire des ” échelles philosophiques ” : par petits groupes, ou chacun individuellement, les élèves trient des images ou des affirmations. On peut soit ne pas donner de critères particuliers pour le classement, si on souhaite travailler la catégorisation et les distinctions conceptuelles par exemple, soit donner un critère, comme celui de la certitude si on souhaite animer une séance autour de l’épistémologie, soit celui de la beauté si la séance concerne l’esthétique. Les élèves sont nécessairement impliqués dans des discussions et questionnements pour décider d’un ordre de classement, et leur réflexion est rendue active et visible. De plus, cette activité est ludique. Pour finir, observer les différences entre les échelles philosophiques est un support de choix pour initier une discussion philosophique collective.

Enfin, intégrer les élèves dans une histoire, un conte ou un dilemme moral leur permet de plus facilement s’approprier des enjeux philosophiques. On peut par exemple jouer une petite scène, ou improviser ensemble une histoire, en s’appropriant l’espace.

Les avantages du mouvement et de la spatialisation en philosophie pour enfants

Si certain-e-s peuvent craindre qu’un tel dispositif excite les élèves ou accorde trop d’importance au jeu au détriment de la réflexion et de la rigueur philosophique des échanges, je pense au contraire que mettre en mouvement et spatialiser la discussion a de nombreux avantages. Comme mentionnés ci-avant, les élèves sont plus engagé-e-s et stimulé-e-s par la discussion : le mouvement et la spatialisation rend la réflexion active, facilite l’abstraction et la conceptualisation en rendant les idées plus concrètes, chacun-e peut se rendre compte de la diversité des opinions de chacun-e et enfin le processus centre et affûte la discussion de manière plus concise.

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Laetitia Bernardinelli

Laetitia Bernardinelli est secrétaire de l'association romande proPhilo qui développe et soutient la pratique du dialogue philosophique avec les enfants et les adolescents, mais aussi les adultes. A travers son métier d'enseignante, elle met tout en oeuvre afin que ses jeunes élèves pensent par et pour eux-mêmes.