Des enfants philosophent ? Quelle idée !

Mardi, 14h30, dans une école primaire genevoise, atelier de philosophie

Des enfants de 8 ans sont assis en cercle. Avec l’aide de leur enseignante, ils ont élaboré une série de questions à propos de l’école, thématique qui les a occupés depuis plusieurs jours. Aujourd’hui, ils délibèrent à propos de la question suivante : Un adulte peut-il vivre sans avoir été à l’école ?

Extrait de dialogue :

Enfant 1 : Moi je dirais pas trop. A l’école, tu apprends et pour trouver du travail, c’est mieux quand même. Si tu vas pas à l’école, dans le futur ça sera difficile. On peut rien acheter, si on travaille pas, on n’a pas d’argent. On va mendier.

 Animateur : Si je résume ton idée c’est que si  on ne va pas à l’école, on n’aura pas de travail, donc on n’aura pas d’argent, donc on va mendier. Est-ce que tout le monde est d’accord avec cette suite d’idées ?

 Enfant 2 : Non, on peut apprendre à calculer tout seul. Par exemple, les petits enfants, avant d’aller à l’école, souvent ils savent déjà un peu les chiffres. Pourtant, ils sont pas encore à l’école.

Dans une autre classe, c’est un sujet différent qui passionne les élèves, l’égalité entre les filles et les garçons. Ils exercent leur raisonnement sur cette interrogation : Est-ce que les filles et les garçons ont les mêmes droits et les mêmes obligations ?

Extrait de dialogue :

 Enfant 1 : Moi, je ne suis pas d’accord, je trouve que les garçons et les filles, ils ont les mêmes droits, mais pas les mêmes obligations.

 Animateur : Pourquoi ?

 Enfant 1 : Car on est tous différents. Pour moi, on a les mêmes droits, si on est une fille ou si on est un garçon. Mais parfois, dans les pays pauvres, les filles ne peuvent pas aller à l’école et les garçons travaillent super dur.

Enfant 2 : Pour moi aussi, on a les mêmes droits. Mais pourtant moi, par exemple, j’ai pas le droit de me coucher plus tard que 22h30 (l’élève est une fille) alors que R (un garçon) oui.

 

Mais que se passe – t – il dans un atelier de philosophie ?

La pratique du dialogue philosophique en classe a pour but de favoriser la mobilisation et la maîtrise de certaines habiletés de pensée. Nous pourrions dire qu’il s’agit d’opérations de l’esprit pouvant servir la réflexion ou de ressources de l’intelligence permettant l’élaboration d’un jugement. Il y a quatre grandes catégories d’habiletés :

  • le raisonnement (par exemple : classifier, formuler des hypothèses, donner des raisons, définir, généraliser, …)
  • la conceptualisation (par exemple, définir, distinguer, comparer des concepts…)
  • la recherche (par exemple : questionner, formuler des hypothèses, la confirmer en donnant des exemples ou l’infirmer avec des contre-exemples, s’auto-corriger…)
  • la traduction (par exemple : reformuler, résumer, …)

Dans le premier extrait, nous pouvons voir à l’œuvre un raisonnement logique, alors que dans le deuxième, les enfants cherchent des raisons et donnent un contre-exemple.

 

Mais qui a donc eu l’idée de faire philosopher les enfants et pourquoi ?

A la fin des années soixante, un philosophe américain, Matthew Lipman, raconte dans un court roman La découverte de Harry,des enfants découvrant les règles de la logique à travers leur une recherche collaborative et une réflexion commune. Ce roman pose l’objectif de cette pratique avec les enfants: il ne s’agit pas de vulgariser les idées et théories philosophiques, mais de faire en sorte que les enfants explorent et construisent leur propre pensée, concrètement, tout en leurs donnant les outillant avec les habiletés ci-dessus mentionnées. Leur réflexion sera plus solide, cohérente et rigoureuse. Afin de construire une pensée plus cohérente, rigoureuse et solide, elle sera également enrichie par la multiplicité des points de vue partagés au sein du groupe, lequel fonctionne selon un cadre d’écoute et de respect, et où l’on s’entraîne à dialoguer,argumenter et gérer les conflits de façon pacifique.

Cette première expérience se révèle rapidement si probante que Matthew Lipman la développe avec Ann Margaret Sharp en créant de nouveaux romans ayant trait à l’éthique, l’esthétique, et la politique. L’objectif demeure le même : permettre aux enfants de participer à une réflexion animée selon les principes de la discussion philosophique.

Parce qu’elle développe la pensée critique, la pensée créatrice, l’estime de soi et la socialisation de l’enfant, la pratique de la philosophie avec les enfants connaît aujourd’hui un intérêt grandissant pour sa contribution à la formation de la personne en tant qu’individu autonome, libre et responsable.

« Chaque enfant devient un membre actif d’un processus de délibération qui le conduit peu à peu à nuancer son jugement, un jugement pratique dont il a besoin quotidiennement, et dont il aura toujours besoin de plus en plus dans une société démocratique » (Michel Sasseville)

Reconnue par l’UNESCOcomme étant une méthode favorisant une éducation à la démocratie, cette pratique se retrouve aujourd’hui dans des écoles d’une soixantaine de pays.

Laetitia Bernardinelli

Laetitia Bernardinelli est secrétaire de l'association romande proPhilo qui développe et soutient la pratique du dialogue philosophique avec les enfants et les adolescents, mais aussi les adultes. A travers son métier d'enseignante, elle met tout en oeuvre afin que ses jeunes élèves pensent par et pour eux-mêmes.

Une réponse à “Des enfants philosophent ? Quelle idée !

  1. Très intéressante cette méthode qui je crois savoir plait beaucoup aux enfants. Dans les pays francophones, le philosophe français Frédéric Lenoir a diffusé une méthode couplée avec la méditation. Il a aussi mis en place une formation validante et une organisation du nom de SĘVE ( Savoir Etre et Vivre Ensemble). Bravo.

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