Morges

Droit à la déconnexion: le temps retrouvé

Grosse fatigue. En deux ans de pandémie, nous n’avons sans doute jamais passé autant de temps à la maison, jamais annulé autant de séance « en présentiel » et pourtant beaucoup se plaignent d’être épuisé. Comment l’expliquer? Les causes sont multiples, mais l’usage que nous faisons du télétravail (et non le télétravail en soi) est sans aucun doute un facteur d’explication.

Télétravail et déconnexion

Le télétravail implique une unité de lieu entre vie privée et vie professionnelle. Garde des enfants, tâches domestique et sollicitations professionnelles se confondent. Les horaires habituels peuvent rapidement se retrouver chamboulés. On peut être tenté d’aller chercher ses enfant plus tôt à la garderie, mais il faudra ensuite travailler jusqu’à tard dans la nuit. Le télétravail ne s’arrête pas avec la levée des mesures de restrictions de la pandémie entrées en force ce 17.02.2022. Pour rester attractif, tout employeur devra désormais proposer à ses salariés du télétravail. Les avantages sont nombreux: gain de temps du fait de l’absence de trajet, bienfait pour l’environnement et organisation facilitée, à condition justement … d’être très bien organisé.

Contre la dérégulation du temps de travail

Sous couvert d’autonomie, un discours très idéologique prend forme: celui d’un travailleur pleinement en phase avec les nouvelles technologies, disponible en tout temps, jamais vraiment complètement en vacances ou en week-end. L’initiative parlementaire du conseiller aux Etats Konrad Graber (Le Centre/LU) en fournit un bon exemple. Ce texte demande une réduction du temps de repos entre deux journée de travail à 8 heures, un déplafonnement par branche professionnelle du maximum de 45 heures de travail par semaine et des dérogations supplémentaires pour les cadres ou spécialistes à l’interdiction du travail du dimanche. Alors même que des négociations entre partenaires sociaux sont en cours sur les attentes et besoins des différentes branches professionnelles, la commission de l’économie du Conseil des Etats s’est prononcée dans la précipitation en faveur de l’initiative le 04.02.2022.

Le temps protégé

Les sollicitions en continu s’insinuent dans une zone grise susceptible de mettre les travailleurs en concurrence. Dois-je répondre à cet e-mail de mon supérieure reçu à 22h? Son e-mail ne pouvait-il pas attendre demain? Ces questions nous devons nous les poser et agir en conséquence. Notre apprentissage en accéléré du télétravail nous a fourni quelques enseignements: il est illusoire de pouvoir s’occuper d’enfants en bas âge en travaillant. Sans délimitation de ses horaires de travail, la charge mentale s’accroît et les atteintes à la santé, parfois jusqu’au burn-out, guettent. Nous avons besoin de temps pour nous vider l’esprit, faire autre chose que travailler et pour redémarrer ensuite à son bureau la tête reposée avec des idées neuves.

Comment m’y prendre

Le droit à la déconnexion, celui de ne pas recevoir de sollicitations professionnelles durant son temps libre, ses week-end ou ses vacances, est une contre-offensive à la dérégulation du temps de travail. Deux ans de télétravail ont souligné l’importance du droit à la déconnexion. Ce droit est encore à conquérir. Mais il peut déjà être une source d’inspiration dans notre rapport au travail. Il passe pas l’enregistrement quotidien de son temps de travail sur une plateforme à laquelle l’employeur a accès non seulement pour le porter à sa connaissance, mais aussi pour être conscient du temps consacré à son activité professionnelle. Dans nos vies trépidantes, le droit à la déconnexion prend la juste mesure de nos sollicitations continues pour se préoccuper de notre santé au travail.

Pour en savoir plus

>24 heures, Alain Détraz « Avec le retour au bureau, le droit à la déconnexion revient sur la table » 15.02.2022
>Sur mon blog Le Temps Changement et politique. « Déconnexion: un droit à conquérir » 28.07.2019
>Sur mon site « Droit à la déconnexion : pourquoi et comment » 28.07.2019
>Débat RTS Forum « Déconnexion : faut-il une loi ? » 27.06.2019

Déconnexion : un droit à conquérir

Vous vous apprêtez peut-être à partir ou à rentrer de vacances. Vous êtes-vous senti.e obligé.e de relever vos courriels professionnels provoquant une soudaine montée de stress, alors que vous étiez tranquillement assis à siroter un café glacé sur une terrasse ombragée ? Avez-vous répondu au téléphone de votre chef.fe qui avait oublié que vous étiez en vacances ? Le temps de vacances est protégé par la loi. Il a pour but de se reposer, d’occuper son temps différemment afin de reprendre le travail.

Contre la semaine de 67 heures

Seulement voilà à l’ère de l’ultra-connexion, nous sommes passés d’une période où nous allions surinternet à une période où nous sommes dansinternet. La frontière entre vie professionnelle et vie privée s’estompe, d’où l’importance de protéger notre temps libre. Les tentatives d’affaiblir la loi sur le travail sont déjà bien avancées. En Suisse, la durée maximale du travail est déjà l’une des plus élevées en Europe, pouvant aller jusqu’à 45 heures, voire 50 heures/semaine. Tout récemment,pourtant,deux initiatives des partis bourgeois ont obtenu une nette majorité au sein de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des Etats. La première consiste à introduire l’annualisation du temps de travail, permettant d’augmenter le temps de travail jusqu’à 67 heures/semaine, en réduisant le temps de repos entre deux journées de travail de 11 heures à 9 heures plusieurs fois/semaine (terminer lundi à 22 heures, pour reprendre mardi matin à 7 heures). La seconde veut supprimer l’enregistrement du temps de travail, qui a précisément pour objectif d’éviter le cumul d’heures supplémentaires. Ces régressions affecteraient les travailleurs exerçant une fonction de supérieur.e.s ou les spécialistes disposant d’un pouvoir de décision important dans leur domaine, soit jusqu’à 38% des employé.e.s.Ces velléités de dérèglementation rendent d’autant plus nécessaire la reconnaissance d’un droit à la déconnexion garantissant à tout.e employé.e le droit de ne pas lire ses courriels professionnels ou de répondre au téléphone pendant ses vacances et son temps libre. Un droit qui souffre naturellement quelques exceptions pour certaines fonctions dirigeantes élevées, vu leur niveau de responsabilités.

Solutions techniques

Le droit à la déconnexion a été reconnu dans plusieurs pays. En Allemagne, à la demande du syndicat IG-Metall, certaines entreprises, comme Mercedes ou VW font en sorte que les courriels reçus en dehors des heures de travail ne soient pas déviés sur le portable de leurs employé.e.s. Un procédé utile pour éviter une concurrence malsaine orchestrée par des employeurs pas toujours bien intentionnés, visant à tester la réactivité des salarié.e.s jusque sur leur temps libre.

En attendant

En Suisse, malgré quelques tentatives, nos autorités ne souhaitent pas inscrire ce droit dans la loi. En attendant la conquête de cedroit, prenez bien soin d’activer vos notifications d’absence à votre départ en vacances, en précisant bien que vos courriels ne seront lus qu’à votre retour au travail et en orientant vos destinataires vers votre secrétariat ou vers un collègue disponible en votre absence.

-Pour en savoir plus, consultez le post publié le 28.07.2019 sur mon site internet « Droit à la déconnexion : pourquoi et comment »

-Voir aussi, le débat RTS Forum du 27.06.2019 – Déconnexion : faut-il une loi ?

Avec Jean Tschopp, candidat PS au Conseil national, député et juriste chez Unia,

Claudine Amstein, directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie,

Pierre Imhof, chef du Service du développement territorial du canton de Vaud, et

Catherine Vasey, psychologue du travail