Pas de prison pour les délinquants en col blanc

 

Le 3 mars prochain, le peuple sera amené à choisir entre l’initiative constitutionnelle Minder (déposée en 2008( !) avec 114.000 signatures) sur les rémunérations abusives et le contre-projet indirect élaboré par le parlement. Les deux textes vont dans le même sens, à savoir donner aux actionnaires, y compris nos caisses de pension, le droit de prendre ces décisions importantes que sont l’élection des membres du conseil d’administration ainsi que les rémunérations de celui-ci et de la direction.

Cette initiative constitue une réaction aux scandales récurrents créés par de grandes banques suisses. En se livrant à des opérations risquées ou carrément frauduleuses, elles réalisaient des bénéfices à court terme qui justifiaient les rémunérations abusives de la direction. Au moment de la débâcle, les responsables disparaissaient avec leur butin et laissaient l’entreprise quémander le sauvetage par la Confédération. En jouant au casino avec l’argent des actionnaires et des clients, ces personnages ont ruiné des épargnants, congédié des collaborateurs et impliqué les contribuables. Les  amendes imposées à l’étranger pour comportements délictueux ont encore alourdi la facture. En un mot le peuple suisse est pris en otage et doit assurer une garantie de déficit pour des entreprises dirigées par des individus incompétents et sans scrupules.

Aucun d’entre eux n’a été inquiété en Suisse car la législation existante est laxiste. D’où la votation du 3 mars. Mais le contre-projet est systématiquement en retrait par rapport à l’initiative. A titre de seul exemple : selon le contre-projet, l’assemblée générale se prononce sur la rémunération de la direction, tout comme l’initiative, mais les statuts de la société peuvent prévoir que cette décision n’est pas contraignante mais seulement consultative. On perçoit tout de suite l’inspiration qui consiste à vider l’initiative de ses mesures réellement efficaces. Le pire dans le contre-projet est la suppression des dispositions pénales prévues par Minder, jusqu’à 3 ans de prison. On ne peut mieux avouer quel est déjà le dessein caché d’une classe de dirigeants indignes : continuer à violer la loi sans subir de sanctions personnelles. Ce dernier élément suffit pour donner la préférence à l’initiative.

Le Conseil fédéral et le parlement, en trainant pendant cinq ans avant d’aller devant le peuple, ont de fait renforcé la détermination de celui-ci et accru encore le scandale. Il est temps de mettre fin au pouvoir occulte du lobby de l’argent, contraire à l’esprit de nos institutions démocratiques.

 

Jacques Neirynck

Conseiller national PDC Vaud.

L’armée des jours ouvrables

A force de rôder à Berne dans les assemblées, les corridors et de lire les rapports, les messages et les prises de position, on découvre des choses intéressantes dont on n’imaginait même pas qu’elles puissent exister. Ainsi dans la controverse interminable sur l’achat pour plus de trois milliards des avions Gripen, le département de la défense a publié une note de motivation.

On y apprend que les Forces aériennes assurent une mission de sauvegarde de l’espace aérien durant les seuls jours ouvrables par suite des ressources limitées en personnel et en finance. Les radars en revanche surveilleraient tout le temps. Mais d’abord on ne comprend pas à quoi cela sert puisqu’il n’y a pas de moyens d’intervention disponibles et ensuite, c’est faux. Une visite impromptue voici quelques années à la station radar militaire située sur la Plaine Morte nous apprit qu’effectivement il ne fonctionnait que durant les jours ouvrables. Mais au département de la défense on ignore ce détail, qui serait certainement connu de nos ennemis potentiels, s’ils existaient.

On apprend encore que de toute façon, en temps de paix, abattre un objet volant non coopératif n’est pas une option acceptable. Là aussi le ministre en charge, l’excellent Ueli Maurer, n’est pas au courant. La seule fois, où récemment des avions militaires violèrent notre espace aérien, se produisit pendant la guerre d’Irak : des avions américains, un peu pressés, traversèrent notre ciel sans demander la permission. Interrogé au parlement sur sa réaction au cas où cela se reproduirait, le ministre affirma froidement que ces avions seraient abattus. Cela procède donc de sa seule imagination et de la pose héroïque qu’il affecte dans le débat politique.

Enfin on peut se demander si un Gripen serait capable le cas échéant, les jours ouvrables, de remplir cette mission d’interception, sachant qu’un avion militaire de haute performance traverse le ciel suisse en huit minutes et que le Gripen n’est pas un avion parmi les plus rapides. Le Rafale atteint Mach1.8 et le Gripen Mach 1.2.

Si la gendarmerie autoroutière fonctionnait comme nos forces aériennes, cela signifierait ceci : les chauffards sont prévenus qu’il n’y a pas de patrouille le samedi et le dimanche. Les jours de semaine, la surveillance est effectués à bord de vélos avec lesquels les gendarmes se font forts de rattraper une Maserati. Le cas échéant, faute d’y réussir, ils établiront des barrages routiers, mais ils n’y feront pas usage de leurs armes.

Dans son infinie sagesse, le département de la défense a procédé à une analyse des dangers réels et a conclu qu’ils n’existent pas. En revanche la gendarmerie sait que les chauffards dangereux circulent tout le temps. Pourquoi allons-nous dépenser plus de trois milliards pour nos forces aériennes ? Personne à Berne ne le sait.

Un Secrétaire d’Etat qui promet de ne pas faire de vagues

Ce 1er janvier, le Conseiller fédéral Schneider-Amman assumera la responsabilité politique de la formation et la recherche, avec toutes les circonspections que l’on connait. Mais, en plus, Mauro Dell’Ambrogio endossera l’habit neuf de Secrétaire d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation, habit qu’il veut aussi étriqué que possible. Contrairement à son patron, il s’agit d’un haut fonctionnaire certes compétent et intelligent, mais littéralement paralysé par un manque de vision, qui confine à l’autisme.

Dans une entrevue accordée à 24 Heures, il a livré le fond de sa pensée, qui a été vite atteint. «Il ne se passera rien», «L’Etat ne peut piloter le choix de la formation», «Le défi est un peu bureaucratique et ne va pas soulever l’enthousiasme», «Les drames du milieu académique et du milieu professionnel se neutralisent réciproquement». Bref, circulez, il n’y a surtout rien à voir.

Le Secrétaire d’Etat suit une ligne typiquement helvétique: il n’est ni pour, ni contre quoi que ce soit, bien au contraire. La formation et la recherche sont un vaste marché qui doit se réguler par la concurrence avec le moins d’intervention possible de l’Etat fédéral. Aux hautes écoles de faire preuve d’imagination. Dès lors, ce libre marché se régulera par l’argent: Dell’Ambrogio n’a pas d’objection à ce que les taxes d’études soient augmentées, voire atteigne les 8000 CHF annuels exigés par la haute école tessinoise. Bien entendu, les étudiants étrangers pourront payer davantage. Quant aux bourses il n’est pas possible de les harmoniser, voire de les augmenter car les cantons ne parviennent pas à se mettre d’accord. Et au fond, ce n’est pas l’affaire du pouvoir fédéral.

Cette absence de politique rassurera les notables. Leurs fistons et leurs fifilles jouiront d’une exclusivité d’accès à l’enseignement supérieur et ne subiront plus la concurrence des enfants de la classe moyenne, renvoyés aux places subalternes qu’ils occupent avec tellement de dévouement. Les étrangers seront sélectionnés sur la même base. La formation se divisera en deux branches divergentes: aux uns la science, le pouvoir et l’argent; aux autres lacorvée, la servitude et la disette. A chacun son métier et les vaches seront bien gardées.

L’éducation et la recherche dirigées par un adepte de l’ignorance

En 2013, l’éducation sera dirigée au niveau fédéral par un ministre qui n’y croit pas.

Johann Niklaus Schneider-Ammann sera responsable de la formation et de la recherche au premier janvier 2013. A sa carrière de gaffeur, déjà bien fournie, il a ajouté une déclaration étonnante pour un ministre de l’Education. Selon lui, le taux de chômage dans un canton serait lié au nombre de diplômés des gymnases. Exemple: Genève a une fois et demi plus de bacheliers que Zurich et «donc» deux fois plus de chômeurs. Ces jeunes gens ne consentiraient plus à se livrer aux saines et profitables activités professionnelles par suite d’un excès de formation.

Bien entendu, c’est faux. Fribourg et Zoug promeuvent davantage de bacheliers que Zurich et ont un taux de chômage plus faible. Le conseiller fédéral déduit une règle générale d’un cas particulier, ce qui ne plaide pas pour sa maîtrise de la méthode scientifique.

Si c’était vrai, ce serait intéressant: il suffirait de restreindre l’accès à l’enseignement gymnasial pour réduire le chômage. On ferait deux fois des économies. A la limite, ne pourrait-on pas supprimer le chômage, en fermant carrément les collèges et les universités? Une jeunesse dorée ne s’y prélasse-t-elle pas dans la seule vue d’occuper plus tard des prébendes parasites, financées par les contribuables? En poussant le principe de Schneider-Ammann dans ses derniers retranchements, moins la jeunesse en sait, mieux elle réussira dans sa vie professionnelle

Il y a un argument décisif en faveur de cette règle: Schneider-Amman est titulaire à la fois d’un diplôme d’ingénieur de l’ETHZ et d’un diplôme en gestion de l’INSEAD à Fontainebleau. Cet assemblage de deux diplômes prestigieux expliquerait ses mauvaises prestations actuelles. On peut déjà noter que malgré une année passée en France, il n’a pas réussi à maîtriser le français. Mais c’est dans l’exercice de ses fonctions ministérielles qu’il est le plus desservi par sa formation universitaire: il se contente de lire les notes rédigées par son administration. Il répond vaguement aux questions précises. Il erre comme un zombie dans le dédale de la politique. C’est le Gaston Lagaffe du Conseil fédéral.

Il faut se souvenir qu’il a été élu, en lieu et place de l’excellente Karin Keller-Suter, avec les voix de la gauche de l’Assemblée fédérale, qui tenait à ce que le PLR soit représenté par le moins bon possible des deux candidats. Il fallait miser sur un incapable: la gauche peut être sûre d’avoir réussi, au moins partiellement.

Car il reste Ueli Maurer, un ministre pire que Schneider-Ammann. Aurait-il encore plus de diplômes universitaires que les autres conseillers fédéraux, qui ont tous traîné sur les bancs des hautes écoles? Eh bien non: il n’a qu’un apprentissage commercial au compteur et un diplôme de comptable.

Et donc il y a du pour et du contre dans l’éducation. C’est comme le blé. Si on le sème sur des cailloux, il ne pousse pas.