La malédiction du génome

La semaine passée, j’ai subi au Conseil national un désaveu cinglant, portant comme d’habitude sur ma triste manie de proposer une utilisation des progrès de la génétique. Le mot génome est considéré au parlement comme malséant : toute évocation d’une analyse génétique est repoussée avec indignation.

Actuellement les nouveau-nés sont l’objet d’un dépistage de sept maladies héréditaires par des analyses du sang et de l’urine. Je suggérai modestement que l’on profite de l’occasion pour proposer, sans obligation, une analyse du génome, en la ciblant bien entendu sur d’autres maladies héréditaires. Le coût de ces recherches a bien diminué et l’argent que l’on y investirait pourrait être récupéré en prévenant certaines maladies avant que leurs symptômes se déclarent. A cette proposition marquée au coin du bon sens le plus épais, j’ai recueilli sept voix sur 200 en tout et pour tout.

Ce n’est pas la première déconvenue. J’avais proposé récemment que chaque citoyen puisse, moyennant paiement, obtenir une analyse de son propre génome sans devoir quémander une autorisation d’un médecin, ce qui est la règle actuellement. Cela fut refusé. Idem pour ma proposition d’autoriser le diagnostic préimplantatoire en procréation médicalement assistée : c’est autorisé dans la plupart des pays civilisés mais interdit en Suisse. Refus du Conseil fédéral de modifier l’article 119 de la Constitution en cause.

J’en viens à me demander si l’analyse génétique ne sème pas la terreur parce qu’elle permet de prévoir et, dans certain cas, de prévenir le destin biologique d’un individu, inscrit dans l’ADN de chaque cellule. On préfère ne pas savoir et attendre les yeux fermés que les maladies programmées se déclarent. En revanche, le citoyen lambda est friand de prédictions par l’horoscope. Notre société vit dans un déni de la réalité assorti d’une archaïque superstition. Elle cherche stupidement dans les astres ce qui est réellement inscrit dans le corps.

En politique l’impossible devient possible en un clin d’oeil

Le 15 mars le Conseil d'Etat du Canton de Vaud annonce qu'il compte doubler le nombre de médecins en formation pour pallier la pénurie à venir. Rappelons que celle-ci est artificielle : 3 400 candidats s'annoncent aux facultés de médecine qui n'en prennent qu'un tiers par différents mécanismes dont le Numerus Clausus de la Suisse alémanique.

A toute les interventions parlementaires demandant de lever cette politique de rationnement, le Conseil fédéral répondait qu'il était impossible d'augmenter le nombre de postes de stages dans les hôpitaux. En d'autres mots, il n'y avait pas assez de malades pour former les fururs médecins et trop peu de médecins pour soigner les futurs malades.

Cette position absurde est maintenant démentie par l'initiative vaudoise. Ce pays est bien évidemment capable de former tous les médecins dont il a besoin. Alain Berset a avoué voici deux semaines qu'en 2012 la Suisse a formé 845 médecins et importé trois fois plus. On va donc sortir d'une démarche stupide qui visait à limiter le nombre de médecin de peur de créer une pléthore. On a créé une pénurie. On l'a nié pendant longtemps. On passe enfin aux aveux : depuis 15 ans, les exécutifs se sont trompés et ont trompé les citoyens.

Sur l’art de tourner en rond au parlement

Ainsi les deux chambres ont accepté le principe de la clause du besoin. Les cantons pourront freiner l'ouverture de nouveaux cabinets médicaux sous le prétexte d'empêcher l'explosion des primes d'assurance maladie. Durant les dix années du précédent moratoire, cela n'a pas empêché cette "explosion". Comme cela n'a pas marché, on espère que cela marchera dans le futur.

Durant le débat, Alain Berset a énoncé un chiffre qu'il a utilisé comme argument pour le moratoire, mais qui en fait le démystifie. En 2012, la Suisse n'a diplômé que 845 médecins dans ses facultés. Mais simultanément elle a importé 2425 diplômés étrangers. En fait il y a eu durant cette année plus de médecins allemands que suisses à s'installer. Pourquoi? Parce que le besoin s'est fait sentir. Ces médecins n'émigreraient pas s'ils ne trouvaient pas en Suisse des patients à soigner.

Il y a trop peu de diplômés suisses parce que les cantons universitaires refusent de relever le numerus clausus. Et l'on va confier aux cantons le pouvoir de contrôler le nombre de cabinets! Ils agiront dans le sens d'un rationnement des soins qui effectivement réduira le coût global.

Il ne fallait pas nationaliser les soins médicaux. Maintenant c'est trop tard. On s'enfonce dans une gestion administrative, bureaucratique, politique de notre système de santé. Cela ne peut vraiment réussir que si l'espérance de vie diminue. C'est un objectif comme un autre. Pourquoi ne pas l'annoncer clairement?

Chicane autour des EPF

 

Le jeudi 7 mars la séance du Conseil national présentait un intérêt inhabituel. On débattait de la « Recherche énergétique suisse coordonnée », sujet austère qui normalement passe comme une lettre à la poste. Il s’agissait d’attribuer 60 millions sur quatre ans à ce programme. Le montant était raisonnable, mais qui allait payer ?

L’idée géniale du Conseil fédéral consistait à obliger les EPF à prélever ce montant sur leur budget ordinaire et à l’affecter obligatoirement à ce genre de recherche. Première entorse à une règle  bien établie : les EPF sont autonome pour leur enseignement et leur recherche, sinon ce ne sont plus des universités au sens plein du terme. Argument du Conseil fédéral : en 2012, lors de la discussion sur le plan quadriennal 2013-2016, le parlement à une large majorité avait augmenté le budget des EPF de façon à assurer une croissance constante de 3, 9% par an sur la période considérée. Cela avait suscité la mauvaise humeur du Conseil fédéral, anxieux de réaliser des économies sur cette période. Dès lors qu’une augmentation du budget ordinaire avait été imposée par le parlement en 2012, il n’était pas question de prévoir une autre augmentation de 60 millions en 2013, même si elle concernait une tâche supplémentaire. Les EPF n’avaient qu’à transformer des biologistes et des informaticiens en spécialistes de l’énergie par un coup de baguette magique.

Le PS est alors entré en dissidence et a menacé de ne pas voter le budget de l’énergie si les EPF ne renonçaient pas à une toute autre mesure, qui n’avait rien à voir avec l’énergie, à savoir la proposition de doubler les taxes d’inscription des étudiants. Cela pouvait faire du vilain car de toute façon l’UDC voterait contre le budget par réflexe machinal et haine viscérale de l’Etat. Mis au pied du mur les EPF ont abandonné leur projet d’augmentation générale des taxes et le PS a voté finalement le 7 mars les 60 millions pour l’énergie.

Ce n’est pas tout. Dans ce qu’il faut bien appeler un « deal », les EPF ont proposé d’entente avec le PS de tripler les taxes des étudiants dont les parents résident hors du pays (Suisses et étrangers) et ne payent donc pas d’impôts à la Confédération. Et donc ces braves gens, qui n’habitent pas le pays, financeront en partie notre programme énergétique à l’issue de cette partie de billard politico-fiscal à trois bandes.

Tout ceci est aussi sordide que stupide. Il nous faut recruter dans les EPF les meilleurs talents, d’où qu’ils viennent et quels que soient la fortune ou le statut fiscal de leurs parents, particularités qui n’ont strictement rien à voir avec nos programmes de recherche dans un domaine ou un autre.

Durant tout le débat, le Conseiller fédéral Schneider-Amman garda profil bas. Le Conseil fédéral n’a d’autre passion que l’équilibre des comptes. Le reste ne l’intéresse pas sinon au niveau des grandes déclarations rhétoriques. A quand un vrai ministre de l’Education nationale ?

Les ornières ordinaires de la politique fédérale

La session parlementaire dite de printemps s’ouvre à Berne. En fait elle se déroule en hiver et se termine le premier jour du printemps. Cela laisse entendre que le parlement est perpétuellement en avance sur le temps. En pratique, il est sans cesse décalé en arrière. On en épinglera quatre exemples.

Le plus grotesque est la remise en vigueur du moratoire sur l’établissement de cabinets médicaux. Ce moratoire de dix ans vient à peine d’être suspendu voici seize mois et, tout naturellement, les praticiens en attente se sont rués dans la brèche. Entretemps le moratoire a démontré son inefficacité puisque les cotisations d’assurance maladie n’ont pas cessé de croître durant les dix ans, bien plus que ce que les assurés étaient prêts à supporter. Donc un moratoire ne règle rien et mène à une sortie chaotique. Dès lors on va le remettre en vigueur et réfléchir à une autre solution. Comme on ne l’a pas trouvée en dix ans, on ne la trouvera pas davantage dans le futur. La réalité est évidente : la médecine fait des progrès, allonge la durée de la vie et entraîne pour ces deux raisons liées une augmentation inévitable des frais. Sauf à introduire un rationnement impopulaire. Il faut donc qu’il n’apparaisse pas à première vue. D’où la solution du désespoir du nouveau moratoire.

Autre exemple, la recherche énergétique. Pour apaiser sa conscience, le Conseil fédéral propose d’affecter soixante millions à la recherche dans le domaine. Mais c’est aux EPF de prendre cette somme sur leur budget ordinaire. Cela suppose que l’on puisse soit transformer des biologistes et des informaticiens en spécialistes de l’énergie par un coup de baguette magique, soit congédier ces chercheurs pour dégager des crédits. Et jeter aux orties les résultats des travaux qu’ils entreprennent pour l’instant.

La révision de la loi sur la nationalité vise à durcir les conditions de la naturalisation en allongeant les délais par exemple. Or la Suisse devient de plus en plus un pays d’immigration, soit 25% de la population résidente qui est née hors du territoire. Il n’y a que l’Australie pour atteindre un tel score. La différence tient en la prise de conscience. Les Australiens savant qu’ils dépendent de l’immigration et naturalisent le plus vite possible. Les Suisses s’imaginent qu’ils vivent dans une vallée coupée du reste du monde. Les immigrés ne l’atteignent que par erreur et doivent être tenus à l’écart de la vie politique.

Enfin le Conseil fédéral refuse d’établir une banque de données contenant une analyse génétique de tous les nouveau-nés. L’objectif serait de lancer des campagnes systématiques de prévention des maladies génétiquement  transmissibles. On s’en passera donc si le parlement suit le Conseil fédéral.

D’autres bêtises? Oui bien sûr. Mais le manque de place impose de les taire.

Copinage et chipotage sont les deux mamelles des conseils d’administration

Comment le parlement en est-il arrivé à élaborer un contreprojet à l’initiative Minder, qui soit aussi outrageusement faussé, au point que les deux tiers des électeurs s’en rendent compte, même s’ils n’ont pas la pratique de la gouvernance des affaires ? En particulier, la suppression de la clause pénale signifie à l’évidence que la nouvelle version de la loi sera violée comme le fut l’ancienne. Or, la plupart des parlementaires sont administrateurs. Et voilà pourquoi votre fille est muette : ils n’avaient vraiment pas envie de risquer la prison, tout juste bonne pour les petits délinquants.

Le contre-projet a été conçu pour que ses prescriptions puissent êtret tournées. On en a eu deux exemples extravagants durant la campagne électorale. Il n’a même pas fallu attendre le vote pour qu’UBS serve deux milliards et demi de bonus à ses cadres, correspondant exactement à ses pertes.  La direction de la banque a pour but visible d’en dévorer la substance au détriment des clients, des actionnaires et des employés. Même scénario avec les 72 millions de parachute doré offerts à Daniel Vasella : le conseil d’administration eut simplement la pudeur de le déguiser tantôt comme une clause de non-concurrence, tantôt comme un remerciement pour services rendus. Le renoncement à l’indemnité par l’intéressé a été le dernier clou du cercueil : personne de sensé ne renoncerait à un tel pactole s’il était réellement dû.

Ainsi la votation du 3 mars atteindra le résultat contraire aux attentes des milieux d’affaires, qui n’ont même pas su restreindre leur rapacité le temps d’une campagne électorale. Le système est taré à la base. Les actionnaires, trop dispersés, n’ont et n’auront qu’une influence négligeable sur la rémunération des dirigeants. Le conseil d'administration est soigneusement recruté en fonction de l'inexpérience des administrateurs dans le domaine administré afin de livrer tout le pouvoir à la direction, comme les débacles de Swissair et d'UBS le démontrent de façon éclatante.

Dans un ou deux ans nous voterons donc sur l’initiative socialiste prévoyant une fourchette maximale de 12 sur les rémunérations. D’ici là, le parlement fédéral essaiera avec la plus grande maladresse de vider cette initiative-là de son contenu. A force raisonner à la petite semaine, on finira par déraisonner totalement. L’abominable Marx aurait-il eu raison ? Dans une république idéale, il n’y aurait pas de gauche réformiste, si la droite n’était pas aussi massivement stupide. Comment gouverner avec un parlement dont les deux ailes sont également incapables d’affronter la réalité, en fonction de deux logiques diamétralement opposées ?

Initiative Minder: le dossier de L'Hebdo

Pas d’appartements disponibles dans une nation de locataires

 

Une lamentation perpétuelle des médias ets la pénurie de logement. Et la mise en accusation des travailleurs étrangers, bien payés, qui font monter les loyers.

La Suisse est un pays de locataires. C’est aussi un pays riche gouverné par la démocratie directe. Et cependant un pays où la pénurie de logements est permanente. Quand on met tout cela ensemble, cela donne ceci : il y a assez d’argent pour construire, mais ceux qui n’ont pas de logement ne le possèdent pas, cet argent. Ils restent donc locataires. Mais comme ils sont les plus nombreux et qu’ils peuvent influencer la loi directement, ils se prononcent pour la protection des locataires. Cela signifie en clair que les loyers ne peuvent pas être « abusifs », c’est-à-dire aussi élevés qu’ils le seraient si le marché de la location était libre. Dès lors, les loyers sont trop bas pour rémunérer les investissements. Et ceux qui disposent des capitaux ne les investissent pas dans la construction de logements. En revanche, il y a pléthore de bureaux et de surfaces commerciales.

Comme les locataires n’ont aucun espoir d’accumuler suffisamment d’économies pour constituer un  apport personnel significatif, ils ne construisent jamais leur propre maison. Ils dépensent le petit peu qu’ils ont en biens de consommation, en matériel de ski ou d’informatique, en voyages et en restaurants. Tout cela est bénéfique pour le commerce de gaspillage. Economiesuisse est donc satisfaite de cette situation. La gauche est ravie de maintenir le citoyen dans son triste statut de locataire sans appartement, car dès qu’un citoyen est propriétaire il se met à voter à droite. Dès lors que tout le spectre politique se réjouit de cette situation, il n’y a aucune raison que cela change.

Le jour où les propriétaires constitueraient la majorité des Suisses,  comme  c’est le cas déjà dans les pays voisins, la défense aveugle des locataires cèderait le pas à un marché ouvert, où l’offre s’ajusterait à la demande. C’est de l’économie rudimentaire. Mais la politique politicienne a des raisons que l’économie ne connait pas. C’est tellement plus gratifiant pour le citoyen électeur de ne pas économiser et de ne pas se lancer dans le remboursement d’une lourde hypothèque. Et cela épargne même des impôts parce que les propriétaires sont taxés sur un revenu locatif fictif qu’ils ne touchent pas. Au fond, ils sont coupables de n’être pas comme la majorité du peuple. Ils sont punis parce qu’ils ont économisé et qu’ils n’ont pas dépensé. Cela s’appelle la relance par la consommation.

Certains appellent cela une exigence de l’économie, mais ce n’est pas la même économie que celle qui prône d’économiser vraiment : c’est l’économie du gaspillage, la coexistence des contraires.

Jacques Neirynck

La culpabilité quantifiée

 

Dans l'édition de dimanche de Forum sur RTS, je suis intervenu pour commenter la déclaration de Serge Klarsfeld selon laquelle le chiffre de Juifs refoulés durant la Seconde Guerre mondiale aurait été surestimé par la commission Bergier. Ce ne serait pas plus que 3000.

J'ai eu l'audace de dire au micro que le chiffre exact avait moins d'importance que le fait du refoulement lui-même.

Aussitôt j'ai reçu deux courriels indignés, m'accusant d'avoir critiqué la Suisse. Ces courriers m'inquiètent vraiment par la mentalité dominante dont ils témoignent. Ils aimeraient bien que rien ne se soit passé. Ou tellement peu. Presque rien du tout.

Mon propos est simple : il y a un certain nombre de juifs refoulés, mettons entre 3000 et 24000.

L'erreur a été d'en refouler. Elle ne dépend pas du chiffre de refoulés. Ceux-là ont été à la mort. Ce sont ceux-là qui comptent. Tant mieux pour ceux qui ont été sauvés.

Le danger de cette discussion, c'est que l'on finisse par croire que c'est moins grave parce que le chiffre serait plus bas. J'ai rappelé que les nazis ont apposé une lettre J sur les passeports des Juifs allemands, à la demande du gouvernement suisse. Il y a donc bien eu une décision prise par le politique pour refouler. Ce n'est pas un hasard, ce n'est pas une maladresse de quelques gardes frontières.

Les négationnistes utilisent toujours le même discours : "non, vous exagérez en disant qu'il y a eu six millions de morts, il n'y en a eu que quelques centaines de milliers. Donc, au fond c'est beaucoup moins grave. A la limite, il ne s'est rien passé ou rien que d'ordinaire dans une guerre."

La Suisse a sauvé des Juifs, tant mieux mais elle aurait pu faire encore mieux. Elle n'endosse pas la lourde culpabilité de tous les pays voisins qui ont vraiment mis des Juifs dans des camps. Mais elle n'a pas été parfaite. Elle n'était certainement pas obligée de réparer complètement les crimes commis par les autres. Elle aurait été grandie en le faisant. Elle l'a fait mais à 3000 ou à 24000 près. Dommage pour ceux-là.

En revanche, il n'y aura jamais d'excuses pour ceux qui ont commis le crime ou pour ceux qui n'ont pas porté secours à des gens en danger de mort. Ou pour ceux qui ont tué un Juif à Payerne uniquement parce qu'il était Juif.

Il y a eu aussi des héros, des justes parmi les justes. Un chef de police qui désobéissait aux ordres et qui a été lourdment sanctionné. Et réhabilité péniblement après sa mort.

Tout cela a vraiment existé. Et ceux, qui aimeraient l'oublier, sont aussi ceux qui sont prêts à recommencer. Pas avec les Juifs. Le sujet est en quelque sorte épuisé par l'obsession nazie. Mais ils ont envie de recommencer, avec les musulmans par exemple. Ou les Roms.

Ils disent volontiers que tous les hommes sont égaux. Mais eux, ils sont plus égaux que les autres.

 

Faut-il encore enseigner la trigonométrie?

 

Harmos est le projet de coordination, pour ne pas dire d’harmonisation de l’enseignement obligatoire pour les quelques trente systèmes d’enseignement qui divisent la Suisse en un confetti de programmes. Ce n’est évidemment pas acceptable pour les parents qui changent de canton au détriment de leurs enfants obligés de passer d’un système à un autre. Ce n’est pas non plus acceptable pour les hautes écoles qui reçoivent un assortiment d’étudiants aux formations disparates : il faut combler les lacunes des uns en faisant perdre leur temps à d’autres. C’est encore moins acceptable pour les jeunes en formation car les études internationales PISA démontrent des différences de qualité entre cantons. En résumé, il est plus que temps de s’aligner sur les meilleurs cantons.

C’est le contraire qui se passe. Le projet Harmos est piloté par la Conférence des directeurs de l’Instruction publique, soit un gouvernement d’assemblée comportant 26 membres. On peut redouter que le résultat soit la création d’un programme commun qui résulte de l’intersection des programmes existants, c’est-à-dire la solution minimaliste.

A titre d’exemple, les travaux d’Harmos s’orientent vers l’abandon de l’enseignement de la trigonométrie selon le manuel  proposé pour la neuvième au chapitre 11. Les cantons restent libres d’utiliser les 15% de marge qui leurs sont réservés pour néanmoins maintenir cet enseignement.

Cette situation est insatisfaisante. D’une part, la trigonométrie est un outil mathématique indispensable pour les formations techniques ou en sciences naturelles. D’autre part, l’accès aux hautes écoles dans ces branches suppose une formation minimale pour tous les étudiants, quel que soit leur canton d’origine : sinon les hautes écoles, estimant que la trigonométrie n’est pas nécessairement enseignée, seront obligées de porter à leur programme cette branche, qui est traditionnellement dans le cahier de charges de l’enseignement secondaire.

Interpellé le Conseil d’Etat de Vaud a confirmé qu’il maintiendrait l’enseignement de la trigonométrie dans sa marge de liberté. Le Conseil fédéral a répondu au contraire que c’était l’affaire des cantons et que la Confédération ne s’immiscerait pas dans ce débat. En fin de compte, on en restera à trente systèmes d’enseignement pour ne pas faire de peine à certains cantons. Est-ce intelligent ?

 

Jacques Neirynck

 

Les partis déchirés par l’initiative Minder

Le sondage de la SRG du 25 janvier donne 65% à l’initiative Minder contre 25% d’opposants. Il n’est donc pas impossible que le 3 mars, l’initiative l’emporte. Cependant le plus intéressant est le détail des adhérents de chaque parti. Au PLR partisans et opposants sont pratiquement à égalité. Mais dans tous les autres partis, la majorité de oui l’emporte largement sur celle des non. Or les assemblées de délégués des partis du centre et de la droite ont soutenu le non. Il y a donc distorsion entre ce que pensent les délégués et ce que veulent les électeurs. Cela dans une proportion considérable.

C’est peut-être l’enseignement essentiel de cette votation. Il y a moyen par voie interne d’influencer les militants : ils reçoivent des argumentaires détaillés, ils assistent à des débats au niveau du canton, ils se passionnent pour la lecture des journaux. Plus intéressante encore est la déchirure entre la direction des partis ou des groupes parlementaire et les électeurs de base. Elle est significative de quelques mystères  qui méritent d’être élucidés. On sait déjà que les millions d’économiesuisse ont été utilisés pour persuader les groupements de jeunes politiciens des partis de droite et du centre : il semblerait que pour chaque apparition sur un marché, ils toucheraient 200CHF, un véritable pactole pour eux. Les noms de sites que Minder pourrait utiliser pour défendre son projet ont été à l’avance bloqué par économiesuisse. Ce que l’on ne sait pas, c’est si des subventions ont été versées directement aux présidences des partis pour obtenir leur soutien. On ne le saura sans doute jamais.

C’est bien là l’enseignement de cette votation. Elle n’oppose pas les partis entre eux, elle oppose directement le patronat à travers économiesuisse au peuple. Est-il possible d’influencer les citoyens  en dépensant sans compter au point que l’on puisse renverser  l’opinion publique largement favorable au départ ? Réponse le 3 mars.

Si l’initiative Minder est refusée, il faudra alors créer la transparence une fois pour toute. Les transferts d’argent à l’occasion des élections et des votations en Suisse seraient sanctionnés pénalement dans maints pays étrangers, voire donneraient lieu à des annulations. En laissant l’argent influencer la démocratie à ce point, on fausse la démocratie qui n’a plus de directe que le nom.

 

Jacques Neirynck