L’irrationnelle et bénéfique dictature du peuple

Après le vote du 9 février des voix autorisées ont manifesté gravement leur contrariété. Le gouvernement, le parlement et les médias, étaient mécontents du peuple: au point que, s’ils l’avaient pu, ils auraient changé de peuple. En visite officielle, le président de la République fédérale d’Allemagne rajouta: «la démocratie directe est dangereuse». Certes en 1934 ce fut un plébiscite qui donna le pouvoir à Hitler par 89% (!) des voix. Mais le parlement allemand ne fut pas plus lucide.

Ni la démocratie directe, ni la démocratie représentative ne constituent la perfection des institutions et la fin de l’histoire. L’élection d’un parlement consent au peuple une fois tous les quatre ans le pouvoir d’approuver ou de sanctionner la politique. Cependant ce jugement global ne peut pénétrer dans le détail des décisions passées du pouvoir. C’est frustrant, s’il n’y a pas de soupape de sureté.

En revanche, la démocratie directe presse le peuple d’assumer chaque décision importante. Il a le dernier mot. Cela ne veut pas dire qu’il a toujours raison. Car, en politique, personne ne sait à l’avance si une décision est bonne: certaines lois votées par le parlement constituent des erreurs. Dès lors que le peuple est le souverain, il ne peut s’en prendre au pouvoir, en le contestant par des grèves, des émeutes, des violences. S’il s’exprime dans les urnes, il n’est pas réduit à le faire dans les rues. Mieux vaut un bulletin de vote que des cocktails Molotov. Tel est le plus grand avantage de la démocratie directe. Le peuple est souverain, à la façon d’un monarque absolu. Il décide parce que tel est son bon plaisir, sans devoir se justifier et argumenter. Parfois il se trompe, comme le firent ailleurs et jadis les rois ou comme aujourd’hui le font encore les dictateurs. Mais, puisqu’il est surhumain de reconnaitre ses propres erreurs, le peuple demeure perpétuellement content de lui-même, ce qui est l’essentiel.

Bien sûr la démocratie directe a aussi des inconvénients. Le gouvernement et le parlement ne peuvent prendre certaines décisions, qui sont certes nécessaires mais tellement impopulaires qu’ils seraient désavoués. Et la comparaison avec les voisins est invariablement positive pour la Suisse: moins de chômage, moins de dettes, un niveau de vie plus élevé, la plus longue espérance de vie, une monnaie stable, une généreuse qualité de vie. Pour les politologues, c’est fâcheux. A quoi bon élaborer savamment des lois, si le peuple fait aussi bien en s’abandonnant au hasard à ses passions les plus élémentaires. Il y a de quoi fermer les Facultés de Droit. Toutes ces considérations sont du reste académiques. Par définition, une fois que l’on s’est engagé en démocratie directe, il est impossible d’en sortir car il faudrait que le peuple abandonne le pouvoir. Le gouvernement ne peut se révolter contre le peuple. On put décapiter Louis XVI, on ne pourra trancher les têtes de tout un peuple.

L’optimisation de la recherche, façon Schneider-Ammann

On commence à mesurer exactement quelques conséquences de la votation du 9 février, au moins en matière de formation, de recherche et d’innovation (FRI). Si l’échange d’étudiants dans le cadre d’Erasmus+ pourra se poursuivre, il n’en sera pas de même de la collaboration avec l’Europe dans le programme Horizon 2020.

Selon le Conseil fédéral en réponse à une question: «la Suisse ne pourra plus obtenir un éventuel retour positif par rapport à sa contribution». D’après le Fonds national ce retour était de l’ordre de 300 millions par an. Pour permettre aux travaux en cours de se poursuivre, le budget fédéral FRI devrait donc augmenter de ces mêmes 300 millions: si la Suisse ne peut plus être subsidiée par l’UE comme elle fut, il faudrait qu’elle puise dans ses propres ressources. Mais le Conseil fédéral a pris une décision: «il n’est pas prévu d’augmenter le budget FRI». En clair, il y aura désormais 300 millions de moins pour la recherche chaque année.

Il eût été logique d’en appeler au peuple. Puisqu’il ne soutient plus la collaboration avec l’UE et qu’il a décidé de la rompre, il doit en assumer les conséquences et acquitter en impôts supplémentaires le montant perdu de la sorte. Mais, le Conseil fédéral a aussitôt écarté la possibilité soit de s’endetter à cause du frein à l’endettement, soit d’augmenter la fiscalité, mesure trop impopulaire. Dès lors, ce seront seulement les chercheurs qui subiront le coup et le coût. Trois cent millions de moins chaque année, cela signifie moins d’équipements certes, mais aussi moins de personnel. Combien de centaines de chercheurs faudra-t-il licencier ou ne pas engager? Personne ne le sait. Ce que l’on peut imaginer par contre, c’est qu’ils iront travailler à l’étranger où leur apport sera apprécié. Car les scientifiques se déplacent en fonction des opportunités de travailler sérieusement. Ils n’ont que faire des aléas de la politique régionale. On peut d'ores et déjà leur donner le conseil de se préoccuper sérieusement de leur emploi futur. Mais le Conseil fédéral ne s’en soucie guère: «il faudra établir des priorités». Lesquelles, on ne le dit pas.

Le langage se veut rassurant et positif: on fera toujours de l'excellente recherche, on promouvra même son excellence. Si l’on renonce à la langue de bois, cela veut dire en clair que des programmes seront sacrifiés, selon des critères dont on ne sait rien. Cela veut dire que le Conseil fédéral est intimement persuadé que certaines recherches n’ont aucune importance, entendons n’ont pas de retombées économiques. C’est donc de l’argent investi pour la Science, majuscule, cette maladie de certains maniaques du savoir. On peut imaginer de ce fait que les coupes seront faites dans les sciences humaines, qui ont à peu près le statut de croqueuses de diamant entretenues pour leurs beaux yeux. Tout cela, le CF Johann Niklaus Schneider-Ammann l’a annoncé avec le bon sourire d’un grand-papa annonçant aux enfants qu’ils seront privés de dessert pour ne pas s’habituer à une vie de luxe. Il n’en a rien à faire de la recherche scientifique, sinon appliquée à des projets concrets et rentables à court terme. Si quelques besoins se font sentir, le marché tout-puissant et omniscient trouvera bien une solution. Tel est désormais l’impératif selon lequel est gérée l’université suisse. Expert en optimisation fiscale, le bon Schneider-Ammann se révèle un virtuose de l'optimisation universitaire

Les contradictions de la démocratie

Le scrutin de dimanche passé en Crimée démontre au moins que la population souhaite son annexion par la Russie. Certains clament que ce referendum est illégal. Sans doute. Mais ce qui compte ce n’est pas son statut juridique, c’est son résultat aveuglant.

On ne peut pas douter de la volonté du peuple. Mais on ne l’appliquera pas parce qu’elle contredit la cohérence du droit et qu’elle déséquilibre l’état de fait des frontières européennes, péniblement acquis voici 70 ans. La votation du 9 février de la Suisse va dans le même sens. Le peuple contredit des accords internationaux et fragilise les institutions, y compris d’ailleurs le principe de la démocratie directe. Si les Européens avaient voté en même temps que la Suisse sur le même sujet, l’Union Européenne s’effondrait.

Qu’est-ce donc que la démocratie en fin de compte? Le gouvernement du peuple par le peuple, comme en Suisse. Ou bien le droit du peuple tous les quatre ans de désapprouver le pouvoir en place pour le remplacer par l’opposition qui sera à son tour blâmée quatre ans plus tard. Faut-il filtrer les mouvements d’humeur du peuple par un écran d’assemblées représentatives? Faut-il les soumettre au carcan de principes constitutionnels intouchables?

Si on continue sur la voie de la Crimée, l’Europe mutera vers une confédération de régions. La Catalogne, l’Ecosse, la Vénétie, la Flandre sont candidates à cette indépendance accordée généreusement au Kosovo sans considération pour l’intégrité de la Serbie. Si le peuple a tous les droits, si ses décisions ne dépendent que de son bon plaisir, il est alors souverain. Mais au sens d’un monarque d’Ancien Régime. Or l’absolutisme d’un homme nous a laissé un mauvais souvenir.

L’absolutisme d’une foule est-il par nature moins dangereux? Il y a tout de même une différence. Le roi n’avait qu’un seul cou à couper. La multitude des cous populaires prohibe cette façon de changer de régime. Cela deviendrait un génocide. Mais il y a eu des génocides. En Arménie, au Rwanda, en Europe nazie, au Kosovo. Peut-être l’Europe des régions est-elle la seule issue. Réduire l’espace législatif à un peuple tellement unanime qu’il tombe spontanément d’accord.

Un législatif pusillanime

Dans sa grande miséricorde lors de la séance du 12 mars, le Conseil des Etats a condescendu au diagnostic préimplantatoire (DPI), contre une minorité conservatrice limitée à trois sénateurs, dont la charité commande de ne pas révéler les noms. Ces traditionnalistes sont partisans de laisser agir la Nature, qui n’a pas produit les maladies héréditaires sans d’excellentes raisons. Lors d’une procréation médicalement assistée (fécondation in vitro), selon eux il faut implanter un embryon choisi au hasard, plutôt que sélectionné sur la base d’un diagnostic génétique.

Le refus du DPI entraine l’implantation d’embryons qui se révéleront ultérieurement pathologiques. La loi suisse autorise alors de pratiquer un avortement. Ainsi les conservateurs sont pris à contrepied dans un enchevêtrement législatif. Ceux qui refusent le DPI ouvrent la voie à davantage d’avortements.

En fin de compte le peuple décidera, puisqu’il faut modifier l’article 119 de la Constitution, qui entre dans une foule de détails visant à restreindre la procréation médicalement assistée. Plutôt que l’Académie de Médecine ou la FMH, dont l’incompétence est avérée, ce seront les électeurs éclairés qui définiront quelles pratiques médicales sont autorisées en Suisse. Car à l’étranger ces entraves à la médecine n’existent pas. Dès lors les couples qui en ont les moyens s’y font soigner. Honte à eux. Ils tiennent à avoir des enfants en bonne santé au lieu d’accepter les handicapés.

Toute consultation populaire est aléatoire. Aussi le Conseil fédéral et le Conseil des Etats se sont entourés du maximum de précaution. Le DPI ne sera pas autorisé pour déceler à temps les cas de trisomie, qui devront être réglé plus tard par avortement. Pas question pour des parents de procréer un bébé remède dont les cellules pourraient sauver un ainé en train de mourir à petit feu. Pas question d’éviter les maladies génétiques pour lesquelles existe un traitement. Selon la formule consacrée, il n’est pas question de charger le bateau jusqu’à ce qu’il coule. En restreignant le DPI au strict minimum, peut-être le peuple daignera-t-il se faire soigner.

Une mauvaise action

Dès novembre, c'était prévisible: le PS et l'UDC feraient alliance pour élever les taxes d'étude des étudiants provenant de l'étranger à trois fois ceux des étudiants suisses. Au conseil national, ce forfait a été consommé le jeudi 6 mars par 99 voix contre 78. Pour l'instant cela concerne les EPF. Mais l'avenir amènera les universités à adopter la même pratique. Et puis à augmenter toutes les taxes d'études pour renflouer les finances des universités car ni la Confédération, ni les Cantons ne parviennent à les augmenter suffisamment pour tenir compte du nombre croissant d'étudiants. En faisant payer davantage les étudiants étrangers et dans le contexte d'abandon d'Erasmus, la Suisse universitaire cessera d'être attractive et cela fera d'autant moins d'étudiants au total. PLus d'argent moins de charges. Le cercle semble vertueux..

Pour l'UDC xénophobe cela se comprend. Pour le PS c'est plus compliqué. L'idée originale est de Roger Nordmann. Le Conseil des EPF méditait de doubler les taxes pour tous les étudiants. Nordmann négocia l'abandon de cette mesure impopulaire, en la compensant par une taxe encore plus élevée pour les étrangers. Cette astuce fut reprise à son compte par la Commission Scence, Education, Culture du Conseil national et le plenum la confirma le 6 mars.

Il est intéressant de voir quelle fut la majorité: tous les UDC, soit 52, tous les Verts libéraux, soit 12, et 29 PS votant sans scrupule avec l'extrême droite. Ont résisté tous les PBD, tous les Verts, 12 socialistes et la grande majorité des PDC et des PLR. Il existe donc maintenant un front populiste s'étendant sur tout le parlement, qui recoupe la majorité populaire du 9 février sur le thème porteur de la fermeture à l'étranger. Car les électeurs UDC n'auraient pas suffit pour atteindre la majorité absolue en février. Il a bien fallu que des électeurs de gauche les rejoignent.

C'est comme cela que les choses ont mal tourné dans les années 1930. A la montée du nazisme et du facisme, la gauche n'a pas vraiment résisté, car elle était secrètement complice.

Le 6 mars, elle a utilisé des arguments tellement faibles qu'elle n'y croyait pas elle-même. Elle ne cesse de répéter que les études doivent être accessibles à tous indépendamment de l'état de fortune de la famille. En pratique elle a imaginé et accepté un schéma qui privilégie les étrangers fortunés. Et tant pis pour les autres, car ce ne sont pas des électeurs.

Il manque dans ce pays un véritable gouvernement avec un chef, une équipe, un programme et une majorité. Il n'aurait pas laissé passer cette mauvaise action d'un PS qui s'est renié par seul appat du gain électoral.

 

Le Conseil fédéral découvre l’insécurité du monde

Mercredi passé, le Conseil fédéral a subitement découvert que l'Egypte était un pays instable où la sécurité des Suisses est menacée. Dès lors, il a proposé qu'un conseiller en sécurité issu de notre armée soit affecté à notre ambassade. En civil et non armé pour donner uniquement des conseils. La plupart des autres pays protègent leurs diplomates par des militaires ou des policiers armés. Or, la Suisse doit se plier à son mythe de la neutralité. Ses soldats doivent rester sur son territoire ou n'en sortir, en veston cravate, que suite à une décision lourde de sens prise par le parlement et le gouvernement. A ce titre la Commission de Politique extérieure a été convoquée dans l'urgence aux aurores ce mardi pour soutenir cette décision risquée du Conseil fédéral: donner des conseils de sécurité à notre ambassade au Caire, risquer un de nos militaires déguisé en civil en dehors de nos frontières.

Un parlementaire, éveillé contre son gré pour entendre ce message anodin et le soutenir par un vote allant de soi, ne peut manquer de se faire une réflexion élémentaire. Protéger nos ressortissants, à commencer par nos diplomates, semble être tellement fondamental que cela devrait être une tâche normale, de routine, effectuée par l'exécutif sans demander chaque fois une permission au législatif. Or, dans le passé notre ambassade en Irak a été protégée par des mercenaires sud africains à un prix extravagant. Les bateaux passant au large de la Somalie l'étaient par des mercenaires isaraéliens. Si bien que l'on se demande pourquoi dépenser cinq milliards par an pour entretenir une armée confinée au territoire national où la sécurité n'est pas menacée dans l'immédiat. Comme elle se prépare depuis un demi-siècle à la précédente guerre, c'est-à-dire à empêcher l'invasion du territoire par les Autrichiens ou les Français, elle n'a pas les moyens de s'occuper de ce qui se passe aujourd'hui dans un monde dangereux. La guerre a pris d'autres formes. Le Conseil fédéral commence à s'en rendre compte. On ne peut que s'en réjouir.

Surgissement de l’écopopulisme

L’initiative Ecopop mérite le pompon de l’incohérence malfaisante. Elle préconise que l’immigration ne puisse représenter plus de 0.2% de l’accroissement de la population de la Suisse sur une moyenne de trois ans. Actuellement le solde migratoire est de l’ordre de 80 000 personnes, soit 1% des huit millions de résidants suisses. Il faudrait donc réduire l’immigration en la divisant par cinq, soit 18 000 personnes. Le Conseil fédéral s’oppose à cette mesure en évoquant à juste titre la nécessité d’un nombre plus élevés de migrants pour satisfaire les besoins de l’économie. Mais cet argument matérialistene porte guère dans une campagne de votations, comme on vient d’en faire l’amère expérience le 9 février.

Il y aurait plus simple, plus évident, plus contraignant : l’argument démographique. Au Parlement, dans les médias, on n’en parle jamais. Or, les données sont éloquentes : le taux de fécondité est à 1.4 enfants par femme au lieu des 2.1 nécessaires pour assurer le maintien de la population. Il y a 80 000 naissances par an, il en faudrait 120 000. Dès lors le déficit démographique de la Suisse doit être compensé par un solde migratoire d’au moins 40 000 personnes, soit 0.5% de la population résidante. Limiter cet apport à 18 000 selon Ecopop entraîne à terme une diminution de la population suisse, avec comme corollaire évident, un déséquilibre entre travailleurs actifs et pensionnés, qui prélude à la ruine du système de pensions.

L’écopopulisme utilise un slogan ravageur : la préservation des ressources naturelles de la Suisse implique que sa population doive stagner tout d’abord, pour finir par décliner. Et c’est l’évidence même : si la population était la moitié, le quart, le dixième de ce qu’elle est maintenant, il ne serait pas nécessaire de bétonner le sol nourricier de la mère patrie. Les rares citoyens se promèneraient dans dans une Nature inviolée, les forêts foisonneraient, l’agriculture biologique accepterait des rendements décroissants, les poules picoreraient des vers de terre au lieu d’une nourriture frelatée, la Suisse redeviendrait une sorte de paradis terrestre.

En ne procréant pas assez d’enfants pour que la nation se reproduise et se maintienne, les Suisses cultivent le mythe d’un pays en voie de tarissement démographique. C’est leur secrète propension à repartir des siècles en arrière. C’est pour cela que la politique familiale est tellement chiche : elle exprime sans le dire trop haut la volonté du peuple. L’écopopulisme a de beaux jours devant lui, en flattant ce que l’on appelle la suissitude, un mot qui résonne comme suicide.

L’éthique comme cache misère du politiquement correct

Le 13 février la Commission Nationale d’Ethique (CNE) a présenté sa position sur la procréation médicalement assistée: elle admet le don d’ovule et d’embryon, le diagnostic préimplantatoire y compris pour détecter la trisomie, le don de sperme pour les femmes seules et les couples d’homosexuelles, les «bébés sauveurs», voire (oh panique!) les mères porteuses. Toutes ces interventions médicales sont interdites par la loi actuelle en Suisse et largement pratiquées à l’étranger.

En même temps, le Conseil fédéral est engagé dans une révision de la loi sur la procréation médicalement assistée datant de 1998, mais cette révision se situe bien deçà de ce que propose la CNE. Concurremment une initiative parlementaire de votre serviteur, autorisant le don d’ovule, a été largement soutenue en janvier 2014 par la commission compétente du Conseil national, après de multiples refus antérieurs à une toute aussi large majorité du Parlement. Bref, la ligne de front s’est mise en mouvement. Ce qui était rejeté avec horreur voici quinze ans comme «contraire à la Nature», devient d’un coup «éthiquement» recommandable. Il n’est plus tolérable de ne pas soigner les gens avec tous les moyens possibles pour se conformer à une éthique, considérée encore récemment comme un impératif catégorique.

Je me souviens des discussions débiles qui firent rage à l’époque, dans les commissions parlementaires, pour un bouquet de législations, sur la procréation médicalement assistée, sur l’analyse génétique et sur l’expérimentation humaine en médecine. Les parlementaires divisés firent appel à la CNE qui vint plusieurs fois s’exprimer en séance de commission. Il sautait aux yeux que la CNE était divisée et que se recommandations de l’époque reposait souvent sur quelque vote aléatoire à une faible majorité. Aujourd’hui la majorité est passée dans le camp de la liberté thérapeutique.

Et l’on est en droit de se poser la question existentielle: sur quoi repose un avis de la CNE? Quelle est la base de l’éthique, son fondement invariable? N’est-ce pas une illusion d’imaginer qu’une assemblée d’experts puisse dire la morale avant que les parlementaires disent le droit par imitation servile? N’est-ce pas une échappatoire pour des politiciens aussi perplexes qu’apeurés, incapables de prendre leurs responsabilités? Si l’éthique se retourne du jour au lendemain, n’est-elle pas soluble dans le politiquement correct? Ne se conforme-t-elle pas aux préjugés les plus courants dans la société? Ne vise-t-elle pas, comme la politique politicienne, à se fondre dans les visées de la population?

Sans fondement religieux, le discours éthique s’efforce encore de se raccrocher à l’une ou l’autre version de la Déclaration des Droits de l’Homme. Mais celle-ci ne fait pas l’unanimité des nations et elle oublie les femmes dans son énoncé même. Le Droit vise l’ordre dans la société bien plus que la justice ou la morale. Il soutient un Etat qui est le plus froid des monstres froids. Inutile de le parer des oripeaux d’une morale fluctuante au gré des préjugés en circulation courante.

Comment le peuple dit oui en disant non

Le peuple n’a pas toujours raison, mais il a toujours le dernier mot. Cela signifie qu’il assume les résultats de ses votes. Comment en tenir compte après l’acceptation de l’initiative de l’UDC contre l’immigration massive ?

1/ La moindre des choses est de prier l’UDC de déléguer certains de ses membres éminents, Blocher pour commencer, à la négociation avec l’UE pour éviter la clause guillotine qui annulerait les accords bilatéraux. Si c’est si facile, que ne le font-ils ?

2/ Quand un gouvernement est désavoué par la rue, le réflexe normal est de démissionner et de transmettre le pouvoir au vainqueurs. Le Conseil fédéral pourrait donc démissionner en bloc et le Parlement élire un Conseil fédéral homogène UDC, chargé de la suite des opérations.

3/ La Suisse de l’Ouest pourrait faire sécession et demander son adhésion à l’UE.

4/ Pour aller jusqu’au bout de la volonté populaire on pourrait expulser tous les étrangers, soit 22% de la population. Cela libèrerait des logements dont les loyers s’effondreraient et des places dans les trains.

5/ Réciproquement l’UE pourrait expulser un demi-million de Suisses qui occuperaient ces places de travail, ces appartements vides. Nous serions enfin entre nous, la criminalité et le chômage baisseraient drastiquement, les pistes de ski seraient moins encombrées.

6/ Comme le quart des médecins et la moitié des infirmières se seraient volatilisés, les soins seraient rationnés au bénéfice des plus jeunes. Puisque les retraités mourraient plus tôt, les problèmes de l’AVS seraient résolus automatiquement.

7/ Comme les accords bilatéraux seront annulés malgré les efforts des négociateurs UDC, il ne restera plus que l’adhésion massive de la Suisse à l’UE. Et tout est bien qui finira bien. Le peuple a toujours raison. Il voulait au fond l'adhésion à l'UE, mais il n'osait pas se déjuger de ses refus antérieurs. Il a donc choisi d'accepter en feignant de refuser. Quel génie cette démocratie directe!

 

La morale des jeunes socialistes est au dessus de la loi

L'entreprise Amman, dont le président était jusqu'à son élection le conseiller fédéral Johann Schneider-Amman, a optimisé ses impôts en déposant une partie de sa fortune au Luxembourg et à Jersey. Pour la jeunesse socialiste, cette pratique est inacceptable pour un conseiller fédéral. La JS considère qu'il n'est plus acceptable qu'il soit membre du gouvernement fédéral. «Que ses agissements soient juridiquement corrects ou non est une question de second ordre. Ces pratiques sont moralement répréhensibles. »

Il n'y a plus de vie possible en société, si les citoyens risquent d'être condamnés au nom de la morale personnelle d'autres citoyens. Un chef d'entreprise peut légitimement s'imaginer qu'il a pour devoir d'assurer la perennité de celle-ci, c'est-à-dire de garantir les emplois des salarisé. Aucune loi ne lui interdit de placer le capital sur les places financières les plus avantageuses. On pourrait même lui reprocher de ne pas le faire. Cela choque les jeunes socialistes. Mais leur condamnation publique est encore plus choquante que la pratique qu'ils stigmatisent. Car si une morale devient la norme au dessus de la loi, certains peuvent s'en prendre –  et s'en prennent  – aux musulmans, aux étrangers, aux mendiants, aux homosexuels, aux femmes avortées etc…

La Gauche s'irrite de ce qu'il existe des failles dans le dispositif fiscal. Elle entretient l'illusion qu'il est possible de redistribuer les revenus par une pression fiscale aussi élevée que nécessaire. Or, de fait les riches et les entreprises peuvent se payer les services d'agences d'ingénièrie fiscale et échapper aux poids des barèmes qui ne pèsent réellement que sur les salariés. Les riches sont riches parce qu'ils sont riches au point de payer moins d'impôts que les classes moyennes. Si un pays essaie de les taxer, ils le quittent, ce que le salarié ordinaire ne peut faire. Et donc la justice fiscale impose de prélever le moins d'impôts possible, juste ce qu'il faut pour assurer les services publics. La redistribution agit à fins contraires. Les faits sont têtus. Seuls les idéologues, dans leur extrème jeunesse, les ignorent.