Qui s’excuse, s’accuse

La mésaventure actuelle de la conseillère nationale Margret Kiener Nellen met en lumière une vérité bien cachée : les riches peuvent payer moins d'impôts que les citoyens ordinaires. Les premiers sont notoirement mieux instruits et branchés que la moyenne : ils peuvent recourir au conseil de fiscalistes, qui localisent les failles de la législation. Plus lourde est l’imposition, plus élevé est le montant que l’on peut consacrer à ces calculs. Au-delà d’un certain niveau, trop d’impôt tue l’impôt. Il faut donc démultiplier des taxes modérées portant à la fois sur le revenu, la consommation, le logement, la circulation, la fortune, les successions, le luxe, en observant toujours une grande pondération. Tout excès est contreproductif et devient donc inique, par un paradoxe que l'on veut ignorer.

La redistribution des revenus et des fortunes, prônée par la gauche, est un mythe dévastateur. Il ne conforte que la bonne opinion que le bobo entretient de lui-même. Le but de la fiscalité ne peut être que de financer les activités requises de l’Etat et surtout pas de jouer au justicier ou au bienfaiteur.

Margret Kiener Nellen a commis une erreur politique en s’excusant d’avoir agi en conformité avec la loi. Elle ne peut pas à la fois légiférer par sa fonction au parlement fédéral et prêcher contre l’optimisation fiscale. Celle-ci n'est ni un délit, ni une faute morale. Chacun doit observer la loi, toute la loi, mais surtout rien que la loi. Au-delà, la bienfaisance et le mécénat sont possibles. Mais il n'y a pas d'obligation morale à remplir une déclaration d'impôts qui soit maladroite au point de ne pas mentionner les déductions prévues. Celles-ci ne sont pas arbitraires mais répondent à une logique globale, celle d'éviter une double imposition.

Selon les articles 11 et 12 de la Déclaration des Droits de l’homme : « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. » Stigmatiser des citoyens qui n'ont commis aucun délit constitue une régression à l'époque des souverains de droit divin, qui pouvaient embastiller un récalcitrant parce que tel était leur bon plaisir. En Suisse, il n'y pas de roi mais il y a un souverain populaire, prompt à condamner des innocents sur la requête d'un journalisme de combat.

Les révélations insidieuses de la Weltwoche sur Margret Kiener Nellen la prennent au piège du discours moralisateur socialiste et confortent le mythe populiste d'un parlement pourri. Plutôt que de s’excuser à contretemps, mieux vaudrait que la conseillère nationale entame une action contre la Weltwoche devant la Cour de Strasbourg. .

Christoph Blocher dans le rôle désopilant de l’arroseur arrosé

Au début de l’année, Christoph Blocher a vigoureusement soutenu l’initiative UDC contre l’immigration de masse selon laquelle : « Le nombre des autorisations délivrées pour le séjour des étrangers en Suisse est limité par des plafonds. Les plafonds doivent être fixés en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse et dans le respect du principe de la préférence nationale ». A la fin de l’année, dans un numéro hautement comique, il lutte maintenant tout aussi vigoureusement contre l’initiative Ecopop, parce que celle-ci est précise et fixe un plafond à 0,2% de la population actuelle, soit 16 000 immigrants par an.

Tout le problème est donc de fixer le plafond. S’il n’est pas précisé comme dans l’initiative UDC, c’est acceptable. Car, le but de celle-ci n’était bien évidemment pas d’être adoptée, au risque de détruire les relations bilatérales. Son seul objectif était d’agiter vaguement l’opinion publique, afin de recruter de nouveaux électeurs pour la prochaine échéance fédérale. C’était une initiative pour rire, mais le peuple suisse dans sa majorité ne possède pas le délicat sens de l’humour de l’UDC.

Maintenant que l’initiative UDC a été adoptée, Christoph Blocher est bien emprunté. Comment et où fixer un plafond ? Trop bas comme dans Ecopop, il déclenche une crise générale, à la fois de l’agriculture, du système de pensions, des chantiers de construction, de l’hôtellerie, de la médecine.

Le plafond Ecopop est tellement bas qu’il démontre paradoxalement qu’une large immigration est indispensable et que l’initiative UDC n’avait pas de sens. En effet, si le plafond est haut, il ne réduit en rien « l’immigration massive ». Le fixer en fonction « des intérêts économiques globaux de la Suisse », revient tout simplement à entériner la situation actuelle, 80 000 immigrants, soit 1% de la population. Ces travailleurs sont venus en Suisse parce qu’ils étaient demandés par les employeurs. Et ceux-ci agissent forcément en fonction des intérêts économiques. Donc tout se jouera sur un pourcentage entre 0,2% et 1 %.

On peut déjà parier que le parlement, quand il votera, sera mis en présence de huit propositions individuelles allant par échelon de 0,1% du bas vers le haut. Le curseur s’arrêtera lorsqu’une majorité d’occasion estimera au pifomètre que le plafond est à la bonne hauteur.

La véritable question ne serait-elle pas de savoir à quelle hauteur loger l’araignée dans le plafond des initiants, aussi bien d’Ecopop que de l’UDC ?

Il ne faut pas priver l’EPFL des moyens de se développer

On sait que l’EPFL connait une période de succès spectaculaire, due dans une large mesure à la présidence éclairée et dynamique de Patrick Aebischer. Comme il fallait s’y attendre, cette réussite attire 4992 étudiants venus du monde entier qui représentent maintenant la moitié des 9868 du total. On ne peut que s’en féliciter : la Suisse souffre en permanence d’une pénurie de personnel qualifié pour son industrie. Pour la pallier elle dispose de trois ressources : recruter davantage d’étudiants et surtout d’étudiantes suisses pour les EPF et les HES, engager du personnel formé à l’étranger ou laisser largement ouvertes ses universités à des étudiants venus de l’extérieur.

La première solution est limitée : en effet le bassin de recrutement d’étudiants suisses est limité par une démographie insuffisante et par la dispersion de l’enseignement secondaire entre 26 systèmes que le programme Harmos ne parvient pas à coordonner. A titre d’exemple, certains cantons abandonnent l’enseignement de la trigonométrie ce qui ne crée évidemment pas les meilleures conditions de recrutement pour des études scientifiques et techniques.

La seconde solution est précaire : la Suisse ne peut pas indéfiniment se reposer sur les pays voisins pour former ses spécialistes. Une industrie de pointe est obligée non seulement de recruter mais aussi de former ses spécialistes en provenance du monde entier. Sinon elle décline.

Et donc la troisième solution est la plus adéquate, former en Suisse des étudiants étrangers qui demeureront en Suisse dans une large mesure comme la loi les y autorise. D’une certaine façon la Suisse joue par rapport au continent européen le même rôle que la Californie pour les USA et doit donc en tenir compte : il faut recruter le plus large possible. Un étranger muni d’une maturité représente déjà un investissement de son pays d’origine et non une charge pour la Suisse.

Or l’EPFL est maintenant saturée. Pour maintenir la qualité de l’enseignement, strictement conditionnée par les moyens mis à disposition par le Conseil fédéral, elle demande de pouvoir appliquer un numerus clausus dès la première année de bachelor aux étudiants étrangers. D’une certaine façon, l’école applique déjà une sélection fondée sur les notes obtenues à la maturité étrangère, soit une note 16 pour un bac C français. Cette sélection crée un auditoire composé pour moitié d’étudiants étrangers de haut niveau et pour l’autre moitié d’étudiants suisses qui doivent seulement disposer d’une maturité, sans exigence de sélection. Or la réussite de ces études dépend de la formation antérieure et absolument pas de la couleur du passeport. On constate donc qu’au fil des examens la proportion des étudiants étrangers augmente automatiquement jusqu’à atteindre 75% pour le doctorat, ce qui est un signe d’excellence et pas du tout un échec ou un embarras.

Les facultés de médecine appliquent depuis 1998 un numerus clausus, de droit ou de fait, dont le résultat est désastreux : la Suisse manque de médecins, généralistes et spécialistes. L’année passée, elle a recruté plus de jeunes médecins étrangers qu’elle n’en a formé elle-même. Appliquée aux EPF, la même cause produira le même effet, une aggravation de la pénurie de personnel qualifié pour l’industrie. C’est une mesure contreproductive, due à un manque de vision politique au plus haut niveau.

Le Conseil fédéral doit maintenant faire face au problème avec une solution réaliste et courageuse, la seule possible : augmenter les moyens mis à disposition de l’EPFL pour leur permettre d’accueillir un nombre croissant d’étudiants. Si l’ETHZ a les moyens d’accueillir aujourd’hui 15 000 étudiants, on ne voit pas quelle raison décisive empêcherait l’EPFL d’atteindre le même enrôlement dans l’avenir.

Par nature, une école francophone attire forcément plus d’étrangers qu’une école de langue allemande : dans le monde il y a 220 millions de francophones le double des germanophones. Il faut en profiter et non s’en priver. Ce n’est pas parce que les Suisses romands sont minoritaires dans leur pays que leur école d’ingénieur doit le demeurer indéfiniment. D’ailleurs à partir du master la langue d’enseignement qui dans les universités de technologie devient l’anglais. Et donc la compétition entre les deux écoles fédérales se déroulera surtout en matière de qualité. Il faut leur en donner les moyens.

Quand l’Eglise catholique commence à devenir une démocratie.

Il ne fallait tout de même pas s’imaginer qu’en deux semaines l’Eglise catholique abandonnerait des règles séculaires. Dès le IVe siècle,lorsque le christianisme devient religion d’Etat dans l’empire romain, l’homosexualité est réprimée avec violence par la peine capitale ou la castration, alors que dans l’Antiquité gréco-romaine elle était tolérée. Plus près de nous en 1952 encore en Angleterre, Alan Turing, un des fondateurs de l’informatique, est accusé d’homosexualité et a le choix entre la prison et la castration : il se suicide. Le sacrement du mariage religieux date de 1215.

Logiquement ces règles devaient encore recueillir lors du Synode d’octobre 2014 le soutien d’une  minorité d’évêques. Dans un an, un nouveau Synode apportera sans doute la majorité requise des deux tiers au changement sollicité par le pape François. Sinon, comme il est un monarque absolu, doté d’infaillibilité, il peut décider à lui seul. Et les traditionnalistes, disciplinés par nature, s’inclineront.

Cette inévitable péripétie d’octobre 2014 ne doit pas dissimuler la véritable révolution qu’a constitué l’enquête préliminaire au Synode. Les évêques suisses ont diffusé un sondage auprès des fidèles en Suisse, sur leurs expériences et critiques vis-à-vis de la pastorale de l'Eglise concernant la famille, le couple. Ce travail a été effectué de façon professionnelle par l’institut suisse de sociologie pastorale (SPI), un établissement de recherche soutenu par l’Eglise catholique de Suisse et localisé à St-Gall. Les résultats furent publiés le 4 février 2014. Ils sont clairement étayés par des données numériques et dégagent des majorités massives sur deux thèmes incontournables : tout d’abord, le vœu le plus instamment formulé envers l’Eglise en Suisse est celui d’abolir la pratique jugée discriminatoire et blessant la charité chrétienne à l’égard des divorcés remariés ; ensuite, les réponses relatives à l’homosexualité révèlent le désaccord connu de longue date entre la doctrine et les participants à la consultation.

Pour la première fois dans l’Eglise suisse, le peuple a été mis en position de s’exprimer sur des sujets sensibles, afin d’éclairer les évêques réunis au Synode d’octobre. Cette procédure reproduit la coutume politique en Suisse : ne légiférer qu’après avoir soigneusement consulté les intéressés, afin de ne pas risquer un désaveu ultérieur par une initiative populaire. En droit comme en morale, il ne sert à rien d’énoncer des règles réprouvées par le peuple, parce qu’elles resteront lettre morte et qu’elles affaibliront l’autorité de l’institution. Les Eglises devront bien finir par devenir, elles aussi, des démocraties, car ce mode de gouvernement a démontré sa pertinence.

Sommes-nous les meilleurs en formation?

Oui et non. Oui parce que toute la population est scolarisée dans de bonnes conditions et peut accéder, si elle le souhaite, à des hautes écoles qui sont parmi les meilleures du monde. Par ailleurs, les jeunes ne s’orientent pas tous vers les hautes écoles et ceux qui ne le font pas bénéficient d’un système d’apprentissage qui fait l’envie du monde entier. Non, parce que cet excellent système comporte des lacunes qu’il serait facile de combler mais qui demeurent béantes, faute d’une vision politique du Conseil fédéral, faute surtout d’un conseiller fédéral en charge de la formation et seulement de la formation.

Pour être concret on peut se pencher sur deux lois récemment discutées au parlement.

La loi sur la formation continue repose sur un principe hautement discutable à savoir que celle-ci est de la responsabilité individuelle. Il n’a pas été possible en commission de noter que les entreprises et les pouvoirs publics sont tout autant intéressés à maintenir le niveau de qualification des travailleurs et, surtout, sont en position d’investir des moyens en temps libre et en finances qui sont hors de portée de l’individu. Le problème est devenu crucial parce que la votation du 9 février nous interdira de puiser dans la main d’œuvre étrangère et parce que le vieillissement de notre population imposera tôt ou tard de prolonger la période d’activité. Or déjà maintenant l’âge moyen de prise de la retraite est inférieur à l’âge de référence, 65 ans, parce que les travailleurs âgés peinent à retrouver un emploi en cas de chômage.

L’autre loi en question est celle sur les bourses d’étude, qui est le prototype d’une coquille vide. En ce sens qu’elle énonce pesamment les conditions formelles selon lesquelles un jeune doit se conformer s’il veut postuler. En sens inverse, il n’y a pas de contraintes pour aboutir à une harmonisation matérielle de la valeur de ces bourses, qui sont attribuées par les cantons dans une grande disparité. Et donc on peut en conclure que des jeunes soucieux de se former ne le peuvent parce que leurs familles n’en ont pas les moyens, c’est-à-dire un investissement de l’ordre de 20 000 CHF par an. D’où la nécessité pour beaucoup d’étudiants de travailler en parallèle à leurs études au détriment de celles-ci. Si on réfléchit à l’esprit qui anime ces deux lois, la Suisse privilégie toujours l’accès aux études et à la formation continue à une élite. Elle n’exploite toutes ces ressources en matière grise dont on répète à chaque discours que c’est sa seule ressource naturelle.

Par ailleurs lorsque des jeunes accèdent aux hautes écoles, ils proviennent de 26 systèmes différents de formation, ce qui pose des problèmes sérieux aux enseignants chargés de donner cours à un auditoire hétérogène. Comme il existe des cantons – Fribourg et Valais pour la Suisse romande – qui font de meilleurs résultats systématiquement que les autres lors de l’enquête PISA, on doit en déduire que ces autres ne font pas tout ce qu’ils pourraient.

Un effort est consenti pour harmoniser la formation obligatoire et post-obligatoire dans le cadre du projet Harmos. Mais celui-ci est géré par la CDIP composée des directeurs de l’instruction publique de tous les cantons. Il s’agit donc d’un gouvernement d’assemblée, enclin à s’aligner sur les cantons les moins exigeants. A titre d’exemple démonstratif, l’enseignement de la trigonométrie n’est pas obligatoire.

Au bilan, c’est donc oui et non ou plutôt ni oui, ni non, bien au contraire, Faute d’une direction nationale les efforts restent dispersés et inférieurs aux possibilités. D’une façon ou d’une autre, il faudra affaiblir le respect du fédéralisme dans un projet qui conditionne notre avenir tout autant que l’infrastructure des transports ou la fourniture d’énergie. En matière de formation et de recherche, le but n’est pas d’être simplement bon : il est d’être sinon le meilleur, ou du moins parmi les meilleurs. On attend donc un ou une leader charismatique qui sortira la Suisse de cette gestion par un gouvernement d'assemblée aligné sur le moins-disant.

La guerre des religions

De multiples guerres de religion ont déshonoré et ruiné jadis l’Europe jusqu’à celle qui vient à peine de se terminer en Irlande du Nord. Ce qui se passe constitue une radicalisation du phénomène.

L’origine se situe en Palestine. Deux peuples se disputent le même territoire dans un conflit, qui vise à l’élimination de l’un des deux. Il y a un peuple de trop ou un pays de trop peu. Les tentatives de pacification se heurtent à une fin de non-recevoir, tellement catégorique qu’elle ne peut prendre sa source que très profondément.

Au Moyen-Orient, il s’agit maintenant d’une guerre de religion triangulaire opposant les trois monothéismes, à travers leurs fidèles intégristes. Chaque partie combat les autres au nom de Dieu, alors que ces religions confessent le même Dieu unique. Cela signifie : plutôt que de « croire en » Dieu, chaque partie « croit que » Dieu est de son côté. Si rien n’est fait, un Etat islamiste va se créer depuis la Mauritanie jusqu’à l’Indonésie et l’Occident sera confronté à un retour de bâton des croisades.

Prévenir cette dérive à coup de frappes aériennes en Irak revient à envenimer le conflit. Condamner individuellement les citoyens occidentaux de retour du djihad en fera autant de martyrs. Proposer de retirer la citoyenneté suisse aux doubles nationaux renoue avec la pratique de Vichy, privant les juifs français de leur nationalité pour les livrer aux nazis. Si l’on continue dans cette voie, on finira par interdire la pratique de l’Islam en votation populaire. Pas de paix entre les peuples sans paix entre les religions.

La Suisse n’en prit pas le chemin avec l’interdiction constitutionnelle des minarets, agression arbitraire à l’égard de la communauté musulmane suisse, pacifique et intégrée. Le peuple a beau avoir eu le dernier mot, il a divagué en créant une source de conflit potentiellement dangereuse. Il ne faut pas continuer dans cette voie. La préservation de la sécurité repose sur l’application des lois existantes qui respectent l’Etat de droit. Mais au-delà de la répression, pourrait-on proposer aux jeunes autre chose que la religion de la croissance par la surconsommation ? Que certains s’en détournent et cherchent l’accès à un paradis par le djihad et le martyre n’est pas surprenant.

La Nature a horreur du vide. L’apostasie croissante des Suisses va de pair avec de rustiques régressions : croyance dans l’horoscope ou la voyance, fascination pour les apparitions, adhésion à des sectes intégristes, engouement pour les rebouteux, méfiance à l’égard de la science. La responsabilité des Eglises chrétiennes est donc engagée. Si elles ne soutiennent pas les esprits par la prédication d’une foi répondant aux exigences de notre siècle, si elles se cantonnent à l’action sociale et à la protection de l’environnement, elles ne remplissent plus leur fonction essentielle qui est de proposer un sens à la vie ordinaire.

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?

Les pensions sont une source continue de préoccupation dans une Suisse en voie de déclin démographique, mal compensé par une immigration massive dont le peuple-qui-a-toujours-raison, vient de dire qu’il n’en veut plus.

C’est surtout un système parfaitement opaque auquel le travailleur, futur pensionné, ne comprend pas grand-chose. Et puis il coule faute de prévoyance. On propose donc de le modifier par un plan intitulé Prévoyance 2020. Soit la rente LPP : elle est égale au capital accumulé à la retraite multiplié par le taux de conversion. Actuellement il est fixé à 6,8% et on songe à le diminuer. Le taux de conversion minimum devait être ramené à 6,4% et réexaminé tous les 5 ans. Le Parlement a accepté le projet du Conseil fédéral le 19 décembre 2008. Un référendum a été lancé contre ce projet.

Lors de la votation populaire fédérale du 7 mars 2010, le projet a été rejeté par le peuple. Or ce taux de conversion n’est en rien un paramètre qui pourrait être fixé par une loi ou une votation : c’est une donnée du problème. L’espérance de survie à 65 ans est actuellement environ de 20 ans. Pour assurer en moyenne une pension jusqu’à la fin, le taux de conversion est donc égal à 100/20=5%. C’est un fait, ce n’est pas un choix. Parlons de l’autre donnée, le capital. Le capital à la retraite est égal au total des bonifications (cotisations) pendant la carrière plus le total des intérêts accumulés. Sur une carrière complète, les intérêts vont représenter entre 25% et 33% du capital total. Mais, les intérêts sont surtout dictés par les rendements des marchés financiers ; ils ne peuvent être influencés par une décision ou une règle politique. Le parlement erre lorsqu’il fixe un taux minimum de rendement. C’est un fait pas un choix.

Autre données du problème auxquelles on ne peut rien : la durée de vie augmente, donc le taux de conversion va diminuer inexorablement ; les rendements financiers sont tellement bas qu’il n’est même plus certain de conserver le capital. Ce sont deux faits que l’on s’efforce de dissimuler dans le discours politique. Comment ? En compliquant. La première idée est d’augmenter les bonifications ? La bonification LPP est égale au salaire coordonné LPP multiplié par le taux de bonification variable selon l’âge. Deux autres paramètres qui embrouillent la situation. Prévoyance 2020 propose d’agir sur les 2 composants (salaire et taux). Qu’est-ce que ce salaire coordonné LPP ? C’est le salaire AVS brut plafonné à 84’240 , puis réduit de la déduction de coordination de 24’570 avec enfin un montant minimum de 3'510. Dans le système actuel, comme la déduction est fixe, la proportion du salaire assuré dans la LPP diminue pour les bas, ce qui est chagrinant. C’est surtout un système effroyablement compliqué, qui dissimule les véritables enjeux évoqués plus haut, c’est-à-dire un système irréaliste qui ne tient pas compte du vieillissement de la population et de l’incertitude sur le rendement financier . Prévoyance 2020 propose d’augmenter globalement les taux de bonifications, mais de manière différenciée selon l’âge (+7% au total). Ces modifications augmenteront sur la carrière les bonifications pour les plus jeunes assurés actuels. Pour les assurés proches de la retraite, il y aura une légère diminution, que le Conseil fédéral propose de compenser par des versements uniques du Fonds de garantie.

Si le Conseil fédéral décide de supprimer la déduction de coordination, comme annoncé après la consultation, les taux de bonification seront vraisemblablement adaptés proportionnellement. Même si vous avez eu la patience de suivre jusqu’à présent, il vous est impossible de comprendre comment fonctionne le système actuel et comment on espère le sauver. Il y a deux faits dont il suffirait de tenir compte en oubliant tout le reste : plus tard un assuré prend sa retraite, plus élevée sera sa pension ; il sera jusqu’à la fin incertain du capital accumulé. Il faudrait donc encourager les travailleurs à rester en activité le plus longtemps possible. S’ils prennent leur retraite à 75 ans plutôt qu’à 65, ils doublent leur revenu. Tout le reste est brouillard artificiel, bricolage et poudre de perlimpinpin.

Une leçon de logique en politique extérieure

Si vous ne comprenez pas ce qui se passe au Moyen Orient, permettez à un membre de la commission des affaires extérieures du Conseil national de vous l’expliquer, sur base des éclaircissements données par le Département fédéral en charge de cette affaire.

Les faits. L’Occident soutient le gouvernement irakien contre le califat islamiste. L’Occident n’aime pas ce califat, qui est cependant soutenu par l’Arabie saoudite, allié de des Etats-Unis, leader de l’Occident. En Syrie, l’Occident n’aime pas Assad. Il soutient logiquement les rebelles syriens, mais le califat islamiste en fait partie. L’Occident n’aime pas l’Iran, mais l’Iran soutient l’Irak dans sa lutte contre le califat.

Un autre fait. La Suisse fait partie de l’Occident tout en prétendant contre toute évidence qu’elle est neutre. La Suisse ne devrait donc avoir que des amis dans cette affaire, mais elle adopte pratiquement la position des Etats-Unis, qu’elle n’ose contredire de peur que ses banques subissent des amendes monstrueuses. Les multiples ennemis des EU deviennent les nombreux ennemis de la Suisse.

En résumé, certains de nos amis soutiennent nos ennemis, certains ennemis habituels sont devenus nos fidèles amis et certains de nos ennemis luttent contre d’autres de nos ennemis. Nous souhaitons que ces derniers perdent, mais nous ne voulons tout de même pas que les premiers l’emportent. Si certains de nos ennemis, dont nous souhaitons la défaite, la subissaient vraiment, ils seraient remplacés par d’autres ennemis que nous aimerions encore moins. Et tout ça a commencé parce que les Etats-Unis ont envahi l’Irak pour en éradiquer des armes interdites qui ne s'y trouvaient pas. Les armes imaginaires ont été logiquement remplacées par des terroristes bien réels.

La question de fond devient donc : est-ce que les ennemis de nos ennemis sont forcément nos amis et les amis de nos ennemis sont-ils toujours nos ennemis? Puisqu’il n’est pas possible pour la Suisse de n’avoir que des amis, ne serait-il pas plus radical qu’elle n’ait plus que des ennemis? Ce serait une nouvelle définition de la neutralité, tellement plus simple à assumer.

De l’art de raisonner faux

Peut-on faire de la publicité pour le tabac ?

Dans la plupart des pays civilisés, sauf la Suisse, c’est interdit pour une raison évidente. La consommation de tabac engendre des maladies souvent mortelles, résumés par l’avis sur chaque paquet : Fumer tue. On ne conçoit pas que l’on puisse à la fois mettre en garde le fumeur et simultanément l’encourager à fumer davantage. Certes, faire et défaire c’est toujours travailler, mais c’est aussi le symbole de l’absurde. Les emplois consacrés d’une part à l’industrie cigarettière et d’autre part aux hôpitaux disparaitraient si la fumée cessait d’être une pratique.

Mais ces emplois méritent-ils qu’on les préserve en incitant quelques malheureux à un suicide lent ? Le Conseil fédéral propose de réduire la publicité. Des voix autorisées, c’est-à-dire subsidiées par les producteurs de cigarettes, se sont aussitôt élevée contre cette entrave à la liberté du commerce. Leur argument massue est que l’interdiction de publicité ne réduira en rien la consommation et même que certains pays, dont la France, libres de publicités, consomment davantage de tabac que la Suisse. Cela signifie que les fabricants de cigarettes paient la publicité à l’encontre de leur intérêt. Ils investissent 21 millions par an en Suisse pour rien du tout. Ils ont même parfois la pensée réconfortante que grâce à leur publicité, il y a moins de fumeurs.

Tels sont les raisonnements illogiques qu’affectionnent les politiciens en déroute, obligés de défendre une cause indéfendable. Ils se précipitent sur n’importe quel argument pourvu qu’ils puissent articuler deux ou trois phrases qui occupent le terrain de la controverse. Ils se gardent de réfléchir au point de découvrir eux-mêmes que leur raisonnement est autodestructeur. Ou bien ils méprisent les électeurs au point d’être prêts à leur faire avaler n’importe quoi. Entre la stupidité et le mépris on continuera d’encourager une pratique mortelle.

Conversation au bord du lac de Sempach

C’était fin août de cette année-ci, sur les lieux où Uri, Schwytz, Unterwald, Lucerne, Zurich, Zoug, Glaris et Berne signèrent le Convenant de Sempach le 10 juillet 1393, la première fois que les huit Confédérés apposèrent leurs sceaux sur un même document, fondant ainsi la Confédération des VIII Cantons.
Mon interlocuteur est un fonctionnaire fédéral. Nous sommes à l’écart de la foule. Il parle à mi-voix. « Nous sommes en présence d’un parti qui dérive vers le fascisme. Il entretient une fièvre obsidionale, comme si la Suisse était littéralement assiégée par l’Union Européenne, qui constituerait une menace pour notre indépendance. Il se comporte couramment comme un parti xénophobe, intolérant à l’égard des autres religions, voire carrément raciste. Il refuse les requérants d’asile. Il stigmatise les « criminels étrangers » plutôt que les « étrangers criminels ».

Il ne faisait pas beau. Les nuages bas étaient lourds de pluie. "Il critique les institutions, parlement, conseil fédéral, dans l’idée bien arrêtée de les réduire à peu de chose pour laisser seul le peuple souverain face au leader charismatique, qui lui montrera la voie et le guidera. En allemand cela se dit « führer », en italien « duce », en chinois « grand timonier », en espagnol « lider maximo », en roumain « conducatore ».

Le guide décide du calendrier politique auquel les autres partis n’ont plus qu’à se soumettre. Il s’attaque personnellement aux rares politiciens et fonctionnaires qui résistent encore, allant jusqu’à la menace. Même les universités qui avaient tout à perdre n’ont pas pris la parole avant le 9 février : elles ne voulaient pas s’occuper de politique, alors que la politique s’occupait d’elles. Tout est prêt pour une prise du pouvoir qui paraîtra normale, consensuelle, bénéfique. Et même prétendument conforme au génie de la Suisse, exprimant celui-ci sans aucune concession, alors qu’elle en constitue une négation absolue. Qui aurait cru voici quelques années qu’un jour quelqu’un se voudrait roi de Suisse ? » Quand je lui demandai d’expliciter sa dénonciation et d’émettre des noms. « C’est trop tard. Moi aussi j’ai peur. Vous devriez faire plus attention à ce que vous écrivez.»