Le destin contrasté des souris d’Ecublens

Le Conseil national s’est penché sur une grave question d’éthique par le truchement de sa commission Science Education Culture. En cause : le projet du centre suisse de compétence sur l’expérimentation animale. On le sait: des animaux par dizaine de milliers sont sacrifiés dans les laboratoires de biologie pour expérimenter des traitements médicaux destinés aux humains. Dès lors ce centre aurait eu vocation de Réduire le nombre d’animaux, de Restreindre leurs souffrances et de Remplacer les animaux vivants par des essais de biologie moléculaire, stratégie dite des trois R.

Ce projet suppose que les chercheurs sont incapables de développer spontanément une méthode qui prenne en compte ces trois R. Cela laisse entendre qu’ils sacrifient plus d’animaux que nécessaire par négligence et gaspillage, qu’ils leur infligent des souffrances disproportionnées par sadisme inné, qu’ils sont ignorants des possibilités de la biologie moléculaire. En un mot ce sont des incapables et la Confédération va y mettre bon ordre en créant un super organisme dictant leur conduite aux chercheurs ordinaires. Mais qui va-t-on mettre aux commandes de la biologie helvétique ? Quel chercheur en pleine productivité va-t-il abandonner son laboratoire pour se figer dans une bureaucratie ? La réponse à ces questions tombe sous le sens : on mettra dans ce centre de compétence des juristes, incompétents pas leur formation, et des biologistes qui ont raté leur carrière de chercheur. Si vous êtes capable de faire quoi que ce soit, faites-le ; sinon dites aux autres ce qu’il faut faire. Tel est le point de vue des humains et ce projet a été démoli dès son passage en commission. Il ne verra jamais le jour.

Mais quel est le point de vue des souris dans cette affaire, où elles sont les premières concernées et où elles n’ont pas le droit à la parole ? A Ecublens à moins d’un kilomètre de distance, il y a l’animalerie de l’EPFL et mon jardin. Les souris vivants dans le premier cadre sont assurées de recevoir chaque jour leur pitance, d’être logée dans des cages chauffées et sèches et de recevoir une mort pas anesthésie, sans souffrances. Les souris de mon jardin doivent batailler tous les jours pour trouver leur nourriture, se réfugier dans des terriers froids et humides et, surtout, finir leurs jours sous la dent des chats qui rodent dans ce terrain de chasse. Est-ce éthiquement acceptable ? Non, mille fois non ! Il faudrait donc que clôture mon jardin pour en écarter les chats, que je capture les souris vivantes et que je les euthanasie (comment ?). Cela me semble bien compliqué pour dire le moins.

Décidément la Nature semble mal faite. A vouloir la corriger sur un détail, on révèle sa cruauté. En fait les souris sont nécessaires aux chats, aux fouines, aux renards, aux blaireaux, etc. qui doivent bien manger quelque chose, tout autant que les chats sont nécessaires aux hommes dont ils protègent les récoltes. Non, la Nature n'est pas vraiment mal faite. Elle indispose seulement les écologistes. Ils ont de sérieux reproches à adresser au Créateur, dont ils soupçonnent qu'il appartient à l'extrême droite.

Mais pourquoi voter à l’extrème droite ?

Oui, pourquoi ? Ce n’est plus l’opposition classique droite gauche entre les pauvres et les riches car, manifestement, 44% des électeurs votant PLR et UDC n’appartiennent pas tous à cette dernière catégorie. On constate au contraire que la droite extrême, en Suisse ou ailleurs, mobilise les classes populaires, les électeurs les moins formés, les salariés les moins bien rémunérés. C’est comme si la droite et la gauche avaient inversé leurs rôles.

Le Parti socialiste, en Suisse, comme ailleurs, rassemble surtout les bobos, souvent fonctionnaires, bardés de diplômes, partisans de l’Etat qui les nourrit par des salaires convenables reposant sur des emplois à vie. Ce n’est pas la gauche caviar, comme on l’a dénommé par exagération, mais la gauche planplan, qui souhaite que rien ne change que ce qui est à son bénéfice. Plus la société se complique, plus la technique progresse, plus les mœurs changent, davantage en bénéficient les bobos.

En revanche, les classes populaires sont réellement menacées par l’évolution de la société. Un métier durement appris dans la jeunesse par un apprentissage sérieux devient subitement obsolète. Chaque travailleur étranger mieux formé et moins payé fragilise leurs emplois. La famille n’est plus ce roc indestructible sur lequel se réfugier en cas de coup dur. Les assurances sociales se délitent sournoisement. Les études supérieures deviennent hors de portée pour une famille modeste. L’enseignement obligatoire, sous couvert d’intégration sociale, a démissionné de sa vocation traditionnelle. Aucun effort sérieux de formation continue n’est consenti pour aider au recyclage des travailleurs déqualifiés.

Face à ces menaces confuses, obscures, ténébreuses, la droite s’en prend à l’Etat et s’efforce de limiter son action, comme si l’évolution de la société était de son fait. Or, moins d’Etat signifie moins de protection pour les plus démunis. Confrontés à des problèmes angoissants, les couches populaires se précipitent dans les bras de ceux qui les aggravent ou qui les créent carrément. Le discours démagogique sur l’immigration massive a déterminé le résultat des élections de 2015. Mais la droite n’a pas de proposition concrète pour limiter réellement cet afflux. Les frontières de la Suisse sont une passoire. Personne ne propose de se barricader selon le modèle hongrois avec barrière de fil barbelé et armée en position de tir. Le discours de la droite s’insère dans la logique du nyaka, nyakapa, isuffide.

Il ne pouvait séduire que des illettrés. Il les a séduits. Pendant ce temps, la gauche, maîtresse de la formation, produit, sans le vouloir, sans même s’en rendre compte ces illettrés qui voteront contre elle.

Comment trier les chrétiens syriens?

Face à l’invasion des Syriens, dont on ne peut nier la qualité de réfugiés, certains bons esprits proposent de n’accepter que les chrétiens. Pour deux raisons : d’abord il y en aura moins ;  ensuite ce seront des gens mieux adaptés à l’intégration. Partageant les valeurs des Suisses, ils s’y fondront comme sucre dans un café chaud. On sait  que, parmi les chrétiens, il n’y a ni terroristes, ni criminels.

Demeure un vaste problème : comment s’assurer que ceux qui se réclament du christianisme en soient réellement ? Car il n’est pas question d’exiger un certificat de baptême provenant d’un pays en proie au chaos, avec des églises détruites et un clergé massacré. La preuve par les papiers, chère aux fonctionnaires, n’est pas réalisable. Alors comment faire ?

Quand il s’agit de discerner entre un grand nombre de cas douteux, la difficulté consiste à éviter aussi bien les faux positifs, des musulmans feignant le christianisme, que les faux négatifs, des chrétiens incertains. Si l’on s’avisait de trier les chrétiens sur la base de leur pratique, de leur connaissance des prières, de l’orthodoxie de leur foi, on risquerait ces nombreux faux négatifs. Le chrétien se distingue du musulman par son absence de pratique, par sa négligence de la prière et par la complexité de sa foi. Appliquer ces critères à des chrétiens orientaux, partagés en de multiples Eglises locales, s’exprimant en arabe, en grec ou même en araméen, ne mènerait qu’à exclure des baptisés authentiques.

En somme, le problème consiste moins à déceler les chrétiens dument baptisés, qu’à repérer les musulmans qui feindraient d’être chrétiens. Pour une intégration réussie dans la société suisse, un chrétien tiède est infiniment préférable à un musulman pieux. Une méfiance extrême est de rigueur. Les musulmans éduqués sont capables d’apprendre le Pater et l’Ave, même en latin si besoin. Bien évidemment, ils ne se présenteront pas munis de barbes ou de voiles, mais en jeans et en baskets. Le test de la circoncision n’est pas davantage significatif car il produirait des faux positifs, chrétiens ou juifs circoncis, parfois pour des raisons médicales.

Il faut donc revenir aux fondamentaux. Comme bien évidemment, il faut nourrir les réfugiés avant même de les enregistrer précisément, la méthode imparable consiste à leur proposer dès leur arrivée, sous couvert d’intégration à la gastronomie helvétique, uniquement des plats à base de porc arrosés de vins : jambon à l’os, saucisse aux choux, choucroute, rôti de porc, arrosés de nos crus de base, fendant, dôle, pinot, gamay. Tout cela avec une mine innocente, comme si cela allait de soi. Ceux et celles qui feront des difficultés, s’abstiendront de manger, ne se nourriront que des pommes de terre, doivent être renvoyés chez eux, vite fait bien fait.

Il reste le cas délicat de ceux qui, n’ayant pas la vocation du martyre, feindront de se convertir sur le champ en se gavant de cochonnailles et acceptant de se cuiter. Il ne faudra pas en être dupe. Le sérieux de leur conversion doit être vérifié sur le champ en leur demandant de fouler au pied un Coran. Ceci fait, ils seront baptisés rondement par un prêtre ou un pasteur de garde sur les lieux. Ils ou elles devront signer l’engagement de se présenter à la messe ou au culte tous les dimanches et de faire attester leur assiduité par la signature du célébrant. L’adhésion comme membre à l’UDC consistera l’ultime épreuve.

Les turpitudes de l’AVS

Débat ce jeudi 1er octobre à Yverdon au sujet des pensions. Six personnes représentaient les partis à la table ronde. Dans la salle il devait bien y avoir une vingtaine de pensionnés, vaguement inquiets, voire mécontents de ce que les rentes ne soient pas indexées sur le coût de la vie. Les dames présentes ont fait impudemment remarquer que la réforme proposée par Alain Berset s’effectue une fois de plus en retardant l’âge de la pension pour les femmes, tout en ne faisant aucun effort pour aligner les salaires des deux sexes. Ce sont des remarques indispensables dans ce genre de discussion.

Au-delà de ces interventions prévisibles, le sujet véritable fut la pérennité de l’AVS. Avec les réformettes votées par le parlement en juin, l’AVS tiendra le coup jusqu’en 2030. Au-delà c’est l’inconnu et le déficit assuré. Face à ce défi, les représentants de la gauche se sont singularisés. Pour eux, il n’est pas question de prélever plus de cotisations, de diminuer les rentes ou d’allonger le temps de travail, les trois seuls paramètres sur lesquels un fonds par répartition peut vraiment jouer.

Une tentation gauchiste consiste à fusionner les deux premiers piliers. En effet les réserves du premier sont à peine de 43 milliards, l’équivalent d’une année de rentes. Les réserves du second sont un véritable capital à 712 milliards soit 14 années de rentes à 50 milliards. Cette différence est inscrite dans la logique des deux piliers puisque seul le second mise sur la capitalisation. En somme l’idée lumineuse est de mettre la main sur les économies de ceux qui ont épargnés pour en gratifier ceux qui n’en ont pas eu la possibilité, faute d’un revenu suffisant. L’argent se prend où il se trouve et ceux qui le possèdent ont fait preuve d’inconduite, en obtenant un bon salaire.

Que faire si on résiste à cette tentation sommaire? L’espérance de vie à 65 ans est passée de 12 à 20 ans depuis la création de l’AVS. En bonne mathématique, il faudrait soit augmenter les cotisations de 66%, soit diminuer les rentes d’autant, soit travailler 8 ans de plus, c’est-à-dire fixer l’âge de référence à 73 ans. Cette troisième démarche est au fond la seule possible. Elle a été évitée en finançant l’AVS sur le budget de la Confédération à hauteur de 20%, mais cette ressource n’est pas extensible à l’infini et elle viole le concept même de pensions financées par le travail. A la première plongée du budget, les pensions subiront une coupe linéaire comme les autres postes.

Or travailler plus longtemps est sacrilège aux yeux de la gauche. Car, dit-elle, un vieux qui travaille plus longtemps empêche un jeune d’accéder à un emploi. C’est l’intéressant concept de la limitation des places de travail. Par kilomètre carré il existe de toute éternité un certain nombre d’emplois. Il ne s’en crée pas, éventuellement certains disparaissent. Mais est infâme l’idée qu’un travailleur, mieux payé qu’un pensionné, dépense davantage et crée de ce fait des emplois. Ou encore il est inconcevable qu’une société où l’on travaille davantage dispose de plus de pouvoir d’achat qu’une société d’oisifs.

En somme la gauche, même social-démocrate ou écologiste, est toujours infectée par le virus marxiste : elle veut passer d’une société fondée sur le mérite à une société égalitaire. Le travail n’est qu’une corvée, à limiter dans le temps. L’objectif d’un jeune ne peut être que d’atteindre l’âge de la pension, le plus vite possible.

Le non-dit, tournure extrême de la langue de bois

Réussir en politique dépend du nombre de voix que l’on collecte. En sens inverse, cela dépend du nombre de ceux que l’on fâche. L’outil rhétorique pour draguer aussi large que possible consiste à utiliser la langue de bois, une formulation tellement abstraite qu’elle se prête à toutes les interprétations. En enveloppant une absence de pensée dans un discours opaque on le rend sinon attrayant, du moins non repoussant. Exemple : même si on a voté contre les crèches et contre la pérennité des pensions, rien n’empêche de se gargariser de la « solidarité intergénérationnelle »

Si on réussit en disant le moins possible, le plus simple est encore de ne rien dire du tout. La campagne électorale actuelle est particulièrement molle et inintéressante parce que le non-dit fait rage. Nous sommes confrontés à des défis redoutables pour lesquels il n’existe pas de solution simple sinon au sens du slogan simpliste utilisé par l’UDC qui convainc un bon quart de la population dans la mesure où elle est illettrée. Tous nos problèmes seraient évacués si nous étions seuls au monde, barricadés derrière des barbelés à la hongroise derrière lesquels notre armée de milice, la meilleure du monde, pourrait faire usage de ses armes pour dissuader ceux qui s’efforeceraient tout de même de passer.

Les autres partis sont bien empruntés. Ils ne peuvent parler ni d’une adhésion à l’Europe, ni d’une votation pour annuler celle sur la libre circulation, ni de l’accueil des réfugiés, ni du coût de l’assurance-maladie, ni du déficit de l’AVS, ni du franc fort. En revanche, la formation, la famille, la sécurité, les trains bondés, le coût du logement sont autant de plages à lieux communs, sur lesquels tout le monde abonde dans le même sens et ne fait rien en pratique. Comment espère-t-on intéresser l’électeur avec ce ronron ? On recrute le plus grand parti de Suisse, celui des abstentionnistes.

Ils sont indifférents à la réussite d’un parti plutôt qu’un autre pour la simple raison que tous les partis sont au gouvernement. Celui-ci n’a donc ni chef, ni programme, ni équipe soudée, ni majorité. Il est élu pour ne pas prendre d’initiative. La Suisse est une acratie, un pays où personne n’a le pouvoir. Et cela marche tout seul.

De l’impuissance du gouvernement à la gesticulation du parlement

La force du franc dépend du marché international des devises, sur lequel la Suisse n’a qu’une prise très limitée. Dès lors que nous sommes incapables d’affaiblir le franc ou de renforcer l’euro, il fallait tout de même en discuter pour donner aux élus l’illusion réconfortante de servir à quelque chose. Que serait un parlement qui ne parle, ni ne ment ?

Après avoir débattu ardemment de la réduction de la bureaucratie pendant une journée entière, cela a produit ceci : les firmes de moins de 50 collaborateurs doivent être libérées des enquêtes statistiques fédérales ; un organe indépendant analysera l’impact de la réglementation fédérale ; le PS propose et la Conseil national refuse de protéger les plus de 55 ans contre le licenciement ; les crédits de la Commission pour la technologie et l’innovation seront renforcés cette année et l’an prochain.

Qu’est-ce que ces mesures changeront à la force du franc ? Probablement rien, tant elles sont éloignées du sujet en cause. Si le gouvernement ne dispose plus de statistiques fiables, il gouvernera moins bien en méconnaissance de cause ; exiger un organe indépendant d’analyse de la bureaucratie revient à créer une bureaucratie supplémentaire ; en quoi la protection des travailleurs âgés en Suisse renforcerait-elle l’euro ? ; renforcer la CTI revient à créer des postes de fonctionnaires supplémentaires.

Bref la confusion des idées atteignit une acmé d’agitation législative. De même certains malades du système nerveux sont-ils affligés d’une agitation incontrôlée. Un excellent principe de politique dit que s’il n’est pas urgent de légiférer, il est urgent de ne pas légiférer. Car lutter contre la bureaucratie est un combat perdu d’avance. S’il était possible pour l’exécutif ou le législatif de contrôler l’administration, elle ne serait pas déjà devenue ce qu’elle est. Un parlementaire n’est à Berne que cent jours par an. Un conseiller fédéral n’est en fonction que pendant une décennie. Le fonctionnaire fédéral, toujours présent, inamovible pendant quarante ans, possède de ce fait tous les pouvoirs et en abandonne perversement les apparences aux élus de tout poil.

Voici un demi-siècle tout juste, Northcote Parkinson a énoncé les lois imprescriptibles qui gouvernent les bureaucraties publiques ou privées. La loi de base dit que le travail se dilate pour occuper le temps disponible. Le corollaire entraine que le fonctionnaire, désireux d’un avancement, crée de la paperasse pour engager des subordonnés. Au fur et à mesure que la Navy britannique a désarmé des vaisseaux et diminué les équipages, le nombre de fonctionnaires à l’Amirauté a augmenté de façon à maintenir inchangé le chiffre total. L’avenir ultime de l’Amirauté se situe dans la suppression totale de la Navy.

Il en sera de même en Suisse. Les trois minables mesures votées par le parlement créeront une inflation de fonctionnaires. Et les spéculateurs sur les devises ne s’en préoccuperont même pas. Mais à terme le franc pourrait faiblir grâce à une crise économique en Helvétie engendrée par ces mesures dérisoires qui se révéleront efficientes, mais pas comme on l’imaginait. C’est ainsi que la Suisse réussit : l’ordre est créé par le chaos, comme dans la Nature.

A quoi peut bien servir un réfugié ?

Le doute n’est plus permis : le Moyen-Orient a vocation de se déverser dans l’Europe, en attendant que ce soit l’Afrique. Ce n’est pas la première fois. Voici trente ou quarante mille ans les premiers Homo Sapiens, venant d’Afrique, ont utilisé le pont oriental pour accéder à l’Europe et se mélanger aux Neandertals résidents, dont nous avons hérité le génome à dose homéopathique. Le résultat a été plutôt brillant : les langues, la science, l’art, la politique de notre continent ont envahi toute la planète.

Un réfugié constitue donc un apport plutôt qu’une charge. Angela Merkel l’a compris la première et elle accueille en Allemagne au moins dix fois plus de réfugiés qu’en France. En tenant compte de la population, le Liban en héberge 250 fois plus que toute l’Europe ensemble. Ce sont des dimensions auxquelles nous n’échapperons pas. L’ère des grandes invasions recommence. Nous ne l'arrêterons pas avec des barbelés ou de la paperasse. Puisque nous serons envahis de toute façon, comment en tirer le meilleur parti, pour ne pas dire le moins mauvais ?

La première solution est purement humanitaire : tout Syrien est un réfugié et nous devons l’accepter sans chercher de fausses excuses. Et donc accepter de délivrer des visas dans nos représentations diplomatiques pour éviter le mortel parcours du combattant en radeau pneumatique et en jogging. Bien entendu, si la Suisse est seule à faire son devoir, elle créera un appel d’air considérable. Le respect de la tradition humanitaire suppose une entente avec nos voisins européens, car nous sommes intégrés à l'Europe que nous le voulions ou non.

Si nous n’y parvenons pas, il reste la ressource de filtrer les arrivants, mais comment ? La Hongrie songe à la religion, comme si le christianisme, dont elle se réclame, autorisait ce genre de discrimination d’inspiration tribale. La Suisse penche pour les cas les plus urgents : malades, handicapés, femmes seules avec enfants. Tôt ou tard, quelqu’un imaginera de sélectionner sur base de la compétence professionnelle et de favoriser ingénieurs et médecins, plombiers et maçons.

Bref un réfugié, bien utilisé, peut servir de multiples projets : donner une bonne conscience inoxydable à des Allemands en manque historique; compenser le déficit démographique de toute l'Europe ; pallier la pénurie de main d’œuvre qualifiée en Suisse; recruter des chrétiens intégristes en Hongrie. Tout bien considéré, le réfugié est un homme ou une femme à tout faire. Il peut combler tout nos manques, il est un supplément d'âme.

Après la pénurie de médecins, organisons celle des ingénieurs

Le Conseil fédéral a ouvert le 11 septembre 2015 la consultation sur la révision partielle de la loi fédérale sur les écoles polytechniques fédérales. Les modifications prévues portent notamment sur, les finances d’inscription et de possibles restrictions d’admission. L’inspiration est originale : puisque nous manquons d’ingénieurs, formons en moins. Nous reproduirons ainsi la gaffe commise en 1998 pour la médecine : grâce au numerus clausus, la Suisse diplôme moitié moins de médecins que ce qu’il faudrait et en importe autant des pays voisins. Cela a le grand mérite de faire des économies pour la Suisse puisque nous bénéficions des investissements consentis par l’Allemagne ou l’Italie. Cela a l’air idiot, mais c’est bien réfléchi et totalement pervers.

Devant l'augmentation marquée du nombre d'étudiants étrangers parmi les nouveaux inscrits aux EPF, il est prévu d'étendre au premier semestre du cycle bachelor la possibilité, déjà existante, de limiter l'admission aux études. En effet, le domaine des EPF examine la possibilité de mettre en place une filière d'études bachelor qui permette d'accéder à des études de master en médecine dans une université cantonale. Si la Confédération accrédite une telle filière d'études, le Conseil des EPF doit avoir la possibilité de limiter l'admission au cycle bachelor du programme pour tous les étudiants. Il s'agit surtout d'empêcher le contournement du numerus clausus en vigueur dans les universités cantonale. La révision de la loi doit par ailleurs permettre d'exiger des étudiants étrangers des finances d'inscription jusqu'à trois fois supérieures à celles applicables aux étudiants domiciliés en Suisse.

Les résultats de la consultation déboucheront sur un projet de révision soumis aux Chambres fédérales au début de l'année prochaine, en même temps que le message sur l'encouragement de la formation, de la recherche et de l'innovation 2017-2020. Cela fera une moyenne bien tempérée : un discours sur l’encouragement et le découragement par la réduction des moyens. On aura ainsi le sentiment réconfortant de bien faire tout en s’autorisant à en faire de moins en moins.

Augmenter les finances d’inscription permettra de sélectionner les étudiants domiciliés à l’étranger, non pas sur leurs capacités, mais sur la fortune des parents. Ces gosses de riches louerons des appartements haut de gamme, roulerons en voiture de luxe, fréquenterons les meilleurs restaurants ainsi que nos boites de nuit. En un mot ils injecteront un pouvoir d’achat, stimuleront le commerce et créeront des emplois, ce que ne peut faire l’étudiant méritant mais démuni. Tous les hommes sont égaux, mais en Suisse il y en a qui sont plus égaux que d’autres. Tout même !

Cette généreuse idée a été proposée par le parti socialiste pour éviter que les finances d’inscription des étudiants domiciliés en Suisse subissent une augmentation. Celle-ci n’apportera du reste rien aux finances des EPF puisque leur apport au budget représente à peine un pourcent. Et donc la visée est claire : moins d’étrangers qu’ils soient étudiants ou travailleurs. C'est vrai pour tous les partis, même et surtout s'ils prétendent le contraire.

 

Les dividendes de la malveillance

Ce mercredi 9 septembre fut consacré à un débat marathon au Conseil national (Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire !) de 8h du matin à 8h30 du soir. Un aussi long débat mène inévitablement à la répétition en chapelet des mêmes arguments. Ce n'est pas ce qui est dit qui compte : c'est ce qui est tu qui est significatif

Pendant rien moins que dix heures a été discutée la seule loi sur l’asile, révisée par le Conseil fédéral et la commission compétente. Raison : 50 motions de minorité déposées par l’UDC dans un seul but : rendre plus difficile l’arrivée de réfugiés, leur faire la vie difficile, les priver du nécessaire, en un mot les traiter comme des pestiférés. Les priver d'aide sociale après 90 jours, créer des centres de rétention fermés, aimable euphémisme pour des camps de concentration

Il y a dans ce parti d’honnêtes personnes, qui ont sans doute éprouvé quelques scrupules de conscience. Mais la discipline de ce parti stalinien fit merveille : pas une seule voix ne s’égara lors de dizaines de votes opposant l’UDC au reste du parlement, tous partis confondus. Le sommet de l'ignominie fut atteint par une motion demandant un moratoire immédiat sur l’asile. La Suisse devrait fermer ses frontières durant une année à l’instar de la Hongrie. Cela signifiait-il monter une barrière de barbelés ? On n’en souffla mot. En revanche l'UDC requit l'aide de l'armée. Faudrait-il que celle-ci abatte les immigrants tentant de franchir la frontière comme le fait l'Erythrée pour ses citoyens fuyards?

Bilan de la journée : la loi, telle que voulue par le Conseil fédéral, a finalement été votée. Elle permettra de mieux gérer une situation qui va devenir de plus en plus difficile. La durée de la procédure sera réduite et une assistance juridique gratuite sera assurée. En revanche une proposition de Christian van Singer permettant au réfugiés d'obtenir un visa dans nos représentations diplomatiques ne fut pas retenue. Or c'est la seule façon de mettre un terme à ces errances dangereuses sur la mer, à ces marches forcées, à ces franchissements clandestins de barrières  de barbelés.

Et l’UDC a été battue sur toute la ligne. Au parlement. Car le même jour paraissait le baromètre des intentions de vote avec la victoire prédite de l’UDC à 28% des suffrages. Le débat de ce jour fera les titres de journaux demain matin et drainera davantage de voix pour l'extrême-droite.

Le peuple suisse va-t-il démontrer en octobre que la xénophobie est le meilleur des arguments électoraux ? Hitler a conquis en 1932 le pouvoir absolu avec 42% des voix lors de la dernière libre élection. Le peuple suisse en accordera-t-il autant un jour à l'UDC au bénéfice de ses positions extrêmes?

La poussière sous le tapis

Le Conseil des Etats va entreprendre l’examen des modifications au régime des pensions, aussi bien l’AVS que la LPP. Le sujet est passionnel au point que la réforme précédente a été refusée en 2010 par la votation populaire. Dès lors le texte proposé par le Conseil fédéral se caractérise par une pusillanimité administrative, qui dissimule les vrais problèmes, les décisions indispensables et les dangers courus. Il met en scène un fantasme : il est possible de distribuer de l’argent inexistant en puisant dans les caisses publiques qui en sont une source perpétuellement renouvelable.

L’AVS fut conçue jadis comme une pension par répartition où l’on distribue aux retraités les cotisations actuelles des actifs. Pour que ce système soit stable, il faut que la proportion entre les deux catégories ne varie pas. Or la longévité a augmenté dans une proportion considérable : l’espérance de vie à 65 ans est passée de 12 à 21 ans depuis 1948, date de création du système. On ne peut que s’en réjouir et féliciter le corps médical, mais on doit raisonnablement faire passer l’âge de référence de 65 à 74 ans, si on veut maintenir la stabilité du système. Cela n’a bien évidemment pas été le cas et dès lors le problème réel a été dissimulé sous une solution factice : le subventionnement par la Confédération à hauteur de 20% des rentes. Comme l’argent public est collecté sous forme d’impôts qui touchent aussi les bénéficiaires des rentes, celles-ci ont donc été diminuées sans qu’il y paraisse.

Par ailleurs la natalité est déficiente en Suisse : il manque à chaque génération un tiers de naissances pour maintenir la population à son niveau. Heureusement ce déficit est compensé et au-delà par l’immigration sans laquelle l’AVS se serait déjà écroulée. Dès lors, la votation sur l’immigration de février 2014 remet en cause cette compensation spontanée. Le projet n’en tient pas compte.

La LPP consiste à distribuer sous forme de pensions un capital accumulé par le travailleur au long de sa carrière. Le taux de conversion définit la fraction du capital versé chaque année. Actuellement il est fixé par une décision législative arbitraire à 6,8% et le projet propose de le rabaisser à 6%. Mais ce taux n’est pas une variable d’ajustement, c’est une donnée du problème : si l’espérance de vie est à 10 ans, le taux est à 10 %, si elle atteint 20 ans, il tombe mathématiquement à 5%.

Les pensions, quel que soit le système, sont une forme d’assurance. Il existe un calcul actuariel qui permet de déterminer le rapport entre les cotisations et les prestations. Le système actuel et celui proposé font fi de cette réalité : un système d’assurances qui dispense plus qu’il ne perçoit est voué à la ruine. Combler les déficits avec le budget de la Confédération met en péril l’avenir. Tôt ou tard les fluctuations des recettes fiscale obligeront à faire des coupes linéaires partout, y compris dans les pensions. C’est ce qui est arrivé en Grèce et c’est ce qui arrivera en Suisse.

Alain Berset est un politicien habile : il ne propose que ce que le peuple est prêt à accepter. Il l’entretient de la sorte dans de douces illusions. Or les faits sont têtus : on ne conçoit pas une assurance selon les demandes des bénéficiaires mais selon des lois mathématiques. Les assureurs privés les connaissent. L’administration fait mine de les ignorer. On joue à la roulette avec nos pensions