Bienheureux celui qui n’en est pas capable, car on lui donnera le pouvoir

L’article 161 de la Constitution fédérale est absolument clair : « Interdiction des mandats impératifs. Les membres de l’Assemblée fédérale votent sans instruction. ». Face à l’élection du Conseil fédéral, seul Robert Cramer eut le courage de proclamer à haute voix l’évidence : imposer des candidats à l’Assemblée fédérale, comme le fait l’UDC, est un « dynamitage des institutions », la dérive vers un régime de parti unique dirigé par un leader charismatique.

Tous les autres ont regardé ailleurs, ont fait comme si de rien n’était, comme s’il n’y avait pas d’autre choix et se sont ralliés à la solution minimale, Guy Parmelin. Puisqu’il n’est pas qualifié manifestement pour un exécutif (« j’ai tout de même été caporal ! »), il devient le moins mauvais. Cet très honnête homme en a entendu de belles de la part des médias : papy, malléable, pépé, mou, médiocre…On n'hésite pas à l'insulter en caricaturant ce qu'il est en réalité. On s'innocente de l'avoir élu, en le blamant d'être ce qu'il est, alors que c'est pour cela qu'on l'a choisi.

Or, ce qui s’est passé n’est pas de sa faute, mais de celle du parlement. D’abord des parlementaires UDC, asservis servilement aux consignes d’un parti qui n’est plus démocratique, qui ne feint plus de l’être et qui viole un petit peu la Constitution pour habituer le pays à en subir davantage. Ensuite des autres partis, de gauche et du centre, qui n’ont pas créé un front républicain, soit pour porter leur choix sur un candidat du centre, soit pour sortir du trio imposé par l’UDC. Ils sont objectivement complices du viol de la Constitution.

Ils n’ont même pas saisi qu’en élisant un candidat UDC hors du trio, ils mettraient l’UDC dans l’embarras. C’est une chose de proclamer que l’on exclura le délinquant, c’en est une autre de le faire. Cela a en tous cas mauvaise façon. Cela oblige à dévoiler des mœurs staliniennes.

Il y a quelque chose de pervers dans ce choix de candidats, parce qu’ils ne sont pas les plus évidents. Le PS avait déjà adopté la même tactique avec Karin Keller-Sutter à laquelle il a préféré Johan Schneider Amman, parce que sa carence éclatait face à l’excellence de sa concurrente. Ce n'étaient pas les diplômes qui lui manquaient, bien au contraire, mais l'intelligence d'en profiter.  Même jeu avec Ueli Maurer, excellent paysan, faible ministre. C’est dire que la composition du Conseil fédéral n’a d’importance que dans le dosage des partis et des régions et que la qualité propre des candidats est un défaut plutôt qu’une qualité. Malheur aux compétents, aux qualifiés, aux diplômés, aux polyglottes, ils seront rejetés dans les ténèbres extérieurs. A gouvernement faible, parlement fort et peuple tout-puissant.

Le droit à la désinformation s’achète

Si vous l’ignoriez encore, apprenez qu’il existe une Association pour l’Abolition des Expériences sur les Animaux (AAEA). Un grand nombre de ces confréries illuminées donnent bonne conscience à leurs adhérents et siphonnent leurs cotisations pour continuer d’exister. On vient d’en avoir confirmation par la publication spectaculaire de doubles pages dans plusieurs journaux romands au tarif de 75000 CHF pour une annonce.

L’argument utilisé est singulièrement vicieux. On représente la silhouette d’un patient claudicant avec deux béquilles. Le message en gras annonce que « malgré les recherches sur les animaux…les maladies génétiques sont toujours incurables » et que « la fixation sur l’expérimentation animale…garantit que les maladies génétiques restent incurables ». Pour le lecteur pressé, le message subliminal devient : les maladies génétiques proviennent de l’expérimentation animale.

Sous cette communication, surgit le fantasme du savant fou, cher aux bandes dessinées de bas niveau. Comme le génome humain est distinct du génome animal, il semble en effet insensé d’étudier les maladies humaines en utilisant des animaux. Le bon sens populaire devrait prévaloir urgemment dans la conduite des laboratoires, peuplées de pervers. Selon l’AAEA, il existerait des méthodes plus efficaces que l’expérimentation animale pour traiter les maladies génétiques. Dès lors si les chercheurs s’obstinent à ne pas les utiliser, c’est qu’ils sont non seulement fous, mais aussi incompétents. Seul subsiste un petit îlot de science authentique, restreint à cette association qui lutte désespérément contre la science officielle.

On rejoint ici un slogan cher à l’extrême-droite. Selon cette mouvance, les politiciens, les intellectuels, les universitaires, les artistes ont perdu le contact avec le peuple « qui a toujours raison» (même quand il a tort selon Marine Le Pen). Le progrès des sciences et des techniques est ressenti comme une menace pour l’ordre traditionnel.

C’est d’ailleurs par crainte de cette croyance populaire que la Confédération a édicté des lois très restrictives pour tout ce qui touche à la génétique : l’expérimentation humaine, l’analyse génétique humaine, la procréation médicalement assistée, le moratoire sur la culture des OGM. Le mot génétique semble, pour l’administration et le parlement, sinon comme franchement obscène, du moins susceptible de susciter en sens contraire des initiatives populaires qui bénéficieraient d’un soutien massif.

Aussi longtemps que l’on entravera la démarche des chercheurs, les maladies génétiques resteront effectivement incurables. Et l’AAEA collectera des millions pour financer des annonces ineptes. Pourquoi n'a-t-elle pas investi les 600 000 CHF de sa campagne de presse dans le soutien à ces recherches intelligentes qu’elle place au dessus de l’expérimentation animale ? Et surtout pourquoi la presse accepte-t-elle de publier une double page de désinformation massive ? A quand des doubles pages sur le rétablissement de la peine de mort, l'expulsion des musulmans et la construction d'un mur de barbelés sur les frontières?

L’extrême droite recrute les masses populaires

Un chercheur futé s’est penché sur la qualification des parlementaires. De ce travail résulte une donnée qui est fabuleuse : la fraction UDC comporte le moins de diplômés universitaires et celle du PS le plus, et cela avec un écart considérable, 34,4% pour le premier et 77,4% pour le second, plus que du simple au double. En d’autres mots, le parti réputé de droite représente et rassemble des véritables déshérités de notre société, les sans-diplômes, tandis que la soi-disant gauche est le parti des privilégiés de la formation et de culture. Les prolétaires votent à droite, les universitaires à gauche.

Cela donne le tournis. Beaucoup de bouleversements apparents de la politique suisse et européenne deviennent plus clairs, quand on tient compte de ce chassé-croisé Ainsi l’UDC est viscéralement opposée à la formation continue, aux bourses universitaires, à la procréation médicalement assistée, aux cultures OGM, aux crédits pour la recherche, à la coopération au développement. En sens inverse, elle privilégie l’apprentissage par opposition à la formation universitaire. La culture, pour elle, c’est le cor des Alpes, le yodle, la danse folklorique, la lutte à la culotte, la désalpe, les cantiques dominicaux. L’agriculture, le sport et l’armée sont des postes budgétaires qui emportent son soutien inconditionnel. Bref, le peuple n’est plus dans les « masses populaires » invoquées rituellement par les gauches d’antan. Il vote le plus à droite possible.

On se trouve devant le dilemne classique de la poule et de l’œuf : est-ce que l’ignorance de beaucoup d’électeurs engendre l’UDC ainsi que tous les partis de même style en Europe ? Ou bien est-ce que ces partis prêchent l’ignorance pour fonder leur base électorale ? Les deux sans doute. La gauche a trahi l’attente des déshérités et l’extrême droite les a captés. En plaidant pour plus d’Etat, la gauche vise à créer des postes de fonctionnaires pour lesquels les diplômés des sciences humaines sont qualifiés. En proposant le numerus clausus pour ces formations universitaires, l’UDC vise au contraire l’employabilité des jeunes, entendons leur engagement dans des postes productifs. Selon elle, il y aurait trop de sociologues, de psychologues, de politologues et trop peu de plombiers, de maçons et de boulangers.

En ne formant pas assez de médecins, d’ingénieurs et d’informaticiens, la droite engrange un double bénéfice : ces spécialistes formés à l’étranger ne coutent rien au budget et sont attirés par les salaires suisses ; leur immigration « massive » indispose le peuple des malformés helvétiques et recrute de ce fait des électeurs inconditionnels de l’UDC. Sous l’apparente incohérence se cache une logique implacable, celle du capitalisme sauvage, du déni de la réalité et du fantasme collectif.

Publicité ou religion, il faut choisir

La RTS fâche en supprimant ses émissions religieuses. Mais qui ne peut ne peut. La SSR soutient sept chaînes de télévision et 17 radios avec le budget d’une chaîne de télévision française. Cela fait partie de l’équation multiculturelle de la Suisse. Une société privée reçoit une concession de service public, munie d’un budget insuffisant pour atteindre ses objectifs. Elle recourt donc à la publicité et, quand celle-ci se tarit, elle doit supprimer des émissions et licencier du personnel.

En d’autres mots, le service public est financé par la réclame commerciale. Que penserait-on d’un pareil expédient pour financer la santé, la formation ou la défense ? Pourquoi ne pas mettre les logos de sponsors sur les blouses des infirmières, les tableaux des auditoires et l’uniforme des soldats. On impose donc aux dirigeants de la RTS de résoudre une équation insoluble. Perverse de surcroit. Car qui veut de la publicité sur son antenne doit appâter les annonceurs. Et ceux-ci sont capables de faire leurs compte est de mesurer l’impact d’une série de spots.

Si leurs ventes n’augmentent pas en conséquence des frais engagés, ils arrêtent de gaspiller des frais publicitaires inefficaces. Or la publicité télévisuelle ne convainc pas tout le monde. Qui va acheter une lessive, un antidouleur ou une boite de chocolat parce qu’un spot racoleur s’efforce de les persuader que c’est le meilleur produit? Il faut être inculte, ignorant et même stupide pour le croire. Et donc si la télévision subsiste grâce à la publicité, elle doit impérativement recruter des téléspectateurs influençables. Ce n’est évidemment pas avec des émissions religieuses, littéraires ou musicales qu’elle va les attirer, puisqu’ils sont incultes par définition.

Dès lors la manne publicitaire encadrera des émissions crétines dont le prototype est constitué par la série américaine, achetée à bas prix, parce qu’elle a déjà été amortie aux Etats-Unis. Ce genre de série repose sur des valeurs propres à la couche la plus rustique de la société : violence, sexe, fantastique, horreur, xénophobie. On vend des produits en achetant des âmes. Une émission religieuse est donc, parmi toutes, la plus incompatible avec la gestion financière de la TSR. Il est donc injuste de crier haro sur Gilles Marchand. Il n’a pas le choix. Ou bien on lui donne les moyens d’une autre politique ou bien on le contraint à faire la politique de ses moyens.

En Syrie, nous avons les mains propres

Si vous vous trouvez à Beyrouth, il suffit de prendre l’avion pour arriver à Genève moyennant un transfert à Francfort ou Athènes. Avec un bon passeport aussi. Pas le passeport syrien, car il devrait être muni d’un visa que la délégation suisse au Liban a ordre de refuser.

Certes, la qualité de réfugié ne peut être mise en cause, l’accueil sera accordé en Suisse, pourvu que le candidat, y compris sa famille et ses enfants en bas âge courent le risque d’une équipée en Zodiac entre la Turquie et une île grecque et qu’ils poursuivent leur calvaire en bus, en train, voire à pied en se glissant sous les barbelés balkaniques. Pourquoi la Suisse refuse-t-elle de donner des visas ?

Le DFAE dispose d’une panoplie de réponses. Tout d’abord, ce serait une inégalité de traitement entre les réfugiés selon leur point de départ, puisque les services diplomatiques suisses ne sont plus assurés dans les zones d’instabilité, comme à Damas. Et puis une distribution de visas pour la Suisse à Beyrouth entrainerait un « appel d’air » selon l’image poétique de la Confédération. La Suisse ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Et donc elle en accueille le moins possible pour ne pas faire de jaloux. On peut parler de justice distributive.

En même temps, la Suisse souffre d’une pénurie de personnel hautement qualifié : des médecins, des ingénieurs, des informaticiens, des financiers. Ne pourrait-elle cyniquement combler ces vides en recrutant parmi les Syriens réfugiés au Liban, en Turquie, en Jordanie, c’est-à-dire en combinant sa tradition humanitaire avec son intérêt évident? Non, car ce serait contraire à l’éthique. Des privilégiés voyageraient en avion et d’autres continueraient à risquer leur vie aux mains des passeurs. La Suisse ne peut se souiller en opérant un tel tri : c’est aux passeurs d’effectuer le tri et de charger leur conscience. Ils sont payés pour cela.

Par ce sophisme, le DFAE fait coup double : il y a moins de réfugiés et nous gardons les mains propres. Comme l’a déjà dit Sartre, la meilleure façon de ne pas se salir les mains, c’est de ne pas avoir de mains du tout.

L’insupportable fardeau des religions dévoyées

Face aux attentats de Paris, on doit affirmer sa solidarité, prononcer son horreur et se joindre au deuil. Mais au-delà de ces réactions immédiates, il faut tenter de comprendre, de déchiffrer, de prévoir ce qui se passe.

Certes, la France est attaquée d’abord parce qu’elle participe au conflit syrien en frappant Daech, ce fantôme de califat islamique qui a vocation de s’infiltrer dans tout le monde musulman. En répandant la terreur dans la métropole, le groupe islamiste vise à exercer une pression sur l’opinion publique et le gouvernement, afin d’obtenir le désengagement de la France. Pour cela il estime légitime, voire prescrit par sa croyance, de massacrer des civils sans distinction.Tous les Français et les touristes parisiens sont considérés comme complices et donc coupables de la guerre menée par l’Occident contre cet Orient, qui fut jadis baptisé "axe du mal" par la famille Bush, dynastie régnante d’un monde qui se prétend chrétien. Et donc on se retrouve aujourd’hui piégé dans une sinistre parodie des guerres de religion, qui n’est plus du tout menée comme jadis par deux partis de zélotes.

D’un côté, il y a un monde laïque, fondé sur l’incroyance ou sur le reliquat d’une foi vacillante, un monde dont la foi véritable est la mondialisation, la croissance, l’individualisme, le matérialisme. De l’autre, une caricature de religion prise en otage par sa frange intégriste, traditionnaliste, rétrograde. D’un côté, des individus pour lesquels la vie présente est le seul bien à préserver, la seule satisfaction à savourer dans un monde sans transcendance; de l’autre des fanatiques prêt à sacrifier leur vie terrestre jugée sans intérêt dans la perspective d’un paradis, qui serait le salaire du massacre des infidèles.

Pour commencer à comprendre, il faut se souvenir que l’Occident débile d’aujourd’hui fut, lui aussi, jadis un peuple de barbares conquérants, pires que les islamistes d’aujourd’hui. La prise de Jérusalem le 15 juillet 1099 par la première croisade sous le commandement de Godefroy de Bouillon se termina par le massacre systématique de la population civile, juifs et musulmans, tandis que la reprise de Jérusalem par l’armée de Saladin le 2 octobre 1187 se termina par un sauf conduit accordé aux chrétiens. On pourrait continuer à énumérer toutes les agressions, les colonisations, les humiliations de l’Islam par l’Occident. C’est cette histoire qui trouve aujourd’hui sa conclusion dans une revanche, certes aveugle mais aussi inévitable.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                Par principe il n'y a pas de paix entre les peuples sans paix entre les religions. Les responsables de ces institutions sont donc les mieux placés pour dénouer ce nœud de vipères. L’évolution historique leur demande de renoncer à leurs prétentions absurdes : chaque confession revendique le monopole d’une foi authentique, qui serait la seule véritable voie de communication avec Dieu. Or, toutes les religions partent d’une même aspiration à la transcendance, même si elles empruntent des chemins différents déterminés par l’environnement social, économique, culturel. Toutes témoignent également de l’essentiel, tout en le trahissant de manières différentes. Dans la mesure où l’une exclut les autres, elle s’exclut elle-même. L’imam pousse-au-crime est le décalque violent du cardinal romain, qui se prélasse dans un appartement de 500 mètres carrés.

Au fond, nous sommes confrontés à une trahison massive des clergés, qui ne trouvent rien à dire que des jérémiades face au résultat de leurs démarches historiques. S’ils persistent dans cette infidélité universelle, ils scient la branche sur laquelle ils sont assis, ils détruisent jusqu’au concept même de religion.

Les paradoxes fondateurs de l’acratie fédérale.

La Confédération helvétique est une machine de Tinguely dont le mouvement paraît à première vue n’avoir ni but, ni plan, ni résultat. A l’expérience, on réalise au contraire que c’est le plus efficace, le plus raffiné, le plus solide de tous les agencements politiques. A l’image de la Nature, créant la vie au hasard, la Suisse est une acratie, qui vise la dissolution du pouvoir en tellement d’atomes que l’on ne sait plus ni qui décide, ni ce que l’on a décidé, ni qui assume les inévitables échecs.

Au sommet, le « souverain », baptisé peuple, qui prend en dernier recours toute décision en fonction de son bon plaisir, est composé d’une minorité réduite de la population, recrutée au petit bonheur la chance des votations. Ces électeurs fluctuants attribuent les déboires de leurs propres prescriptions aux gouvernants et aux parlementaires, qu’ils ont contredit.

Un cran en dessous, le Conseil fédéral est un exécutif fantoche, sans chef, ni programme, ni majorité parlementaire. La légendaire concordance impliquerait que la Suisse soit gouvernée au centre, qui existe de moins en moins et qui est troqué contre un grand écart acrobatique entre extrêmes de plus en plus éloignés. Dès lors, les décisions controversées et bloquées sont prises dans l’urgence pendant les intervalles des sessions parlementaire. Bien que le pays se situe géographiquement au cœur de l’Europe, sa politique se conforme à celle d’une île du Pacifique. Quoique la population soit quadrilingue, les débats utilisent un baragouin intermédiaire entre l’allemand et les dialectes locaux, qui détermine un assentiment fragile sur l’incompréhension. L’armée, orgueil de la nation, qui se prétend la meilleure du monde, préserve jalousement cette réputation en se maintenant à l’intérieur des frontières et à l’écart des conflits.

Un étage plus bas, le parlement fédéral est imaginé selon le mythe de la milice, qui serait en prise directe avec le peuple parce qu’elle refuserait tout professionnalisme. Dès lors, l’assemblée est composée en majorité d’indépendants en écartant le peuple des salariés ; les femmes, les jeunes, les retraités y sont aussi sous représentés. Toute compétence particulière d’un parlementaire le disqualifie absolument pour les fonctions où il pourrait en faire usage.

Plus au ras des pâquerettes encore, la puissance des partis est proportionnelle au simplisme des arguments de campagne et à l’investissement financier dans la propagande. Des initiatives populaires servent à recruter de futurs électeurs en inventant des problèmes inexistants et donc insolubles par définition. Le résultat concret de la machine de Tinguely est la multiplication de lois, rédigées en trois langues nationales, qui font foi toutes les trois comme s’il était possible de réaliser des traductions parfaites. Ce flou linguistique permet de donner la priorité aux préjugés sur la réalité et aux émotions sur la raison. Plus ces lois sont longues et compliquées, moins elles sont précises et plus elles offrent d’opportunités de les contourner, ce qui est le véritable objectif du législatif.

Si la sagesse des nations affirme que le pouvoir corrompt et que le pouvoir absolu corrompt absolument, la réussite de la Suisse résulte de l’acratie, qui est la carence de tout pouvoir.

Le grand art du mouvement immobile

Nous avons tous admiré dans un spectacle de mime un mouvement classique qui consiste à marcher sur place tandis que le décor défile. L’artiste ne bouge pas mais tout son talent consiste à en donner l’illusion. C’est aussi un grand classique de toute administration, privée ou publique. Dépassée par les événements, elle feint de les organiser.

Ainsi, le Conseil fédéral s’est avisé qu’une société de l’information s’aménage en Suisse comme dans le vaste monde. Tout le monde en est convaincu depuis un quart de siècle. Le pouvoir s’en est aperçu. Il propose donc une stratégie pour la société de l’information tout comme un général qui subit une débâcle de son armée et qui continue à envoyer des ordres dont personne ne prendra connaissance. L’outil majeur pour la mise en œuvre de cette stratégie est un comité interdépartemental Société de l’Information (CISI). La mise au point d’un acronyme est le premier pas qui compte. Soit neuf fonctionnaires dont les connaissances réunies sur le sujet sont sans doute inférieures à celle d’un modeste bachelor en systèmes d’information, certifié EPFL. Leur objectif : rendre l’espace suisse innovant et compétitif ; profiter à tous et rendre l’espace de vie attrayant. Il serait difficile d’être plus vague et moins compromettant. Ce ne sont pas des objectifs dans le futur, mais de simples évidences dans le présent. Pour valider cette stratégie à reculons, il faudra néanmoins obtenir l’aval des sept départements et de la chancellerie, ce qui prendra jusque mars 2016. Et puis faire quoi ?

Pas possible d’obtenir d’autres précisions des responsables de cette machine à la Tinguely, destinée à brasser du vide. Car les propositions concrètes s’évaporent dans un brouillard diffus. Depuis un quart de siècle, la Suisse parle du dossier électronique du patient et du vote par Internet. On a lancé des expériences pilote mais on ne se résout toujours pas à imposer aux cantons rétrogrades de telles nouveautés. De même chaque parlementaire reçoit un ordinateur sur lequel il peut consulter les documents nécessaires qui sont tout de même envoyés sous forme papier, au rythme moyen de soixante pages par jour.

Lorsqu’un conseiller national s’avise de proposer quelque initiative tenant compte de l’existence des techniques de l’information, le Conseil fédéral s’y oppose fermement. Ainsi le signataire de ce billeti avait effrontément proposé qu’un fichier central recense toutes les radiographies des patients afin que le médecin puisse en être informé, les consulter sur son ordinateur et déceler les variations au cours du temps. Au nom de la protection de la sphère privée, ce fut refusé à la quasi-unanimité du parlement.

La CISI a donc de beaux jours devant elle. Elle pourra évoquer tout ce que l’on pourrait faire et inventorier les raisons de ne rien faire.

Détériorer le climat sans qu’il y paraisse

En décembre 2015 aura lieu à Paris une conférence de plus pour obtenir un accord international sur le climat. Toutes les conditions sont réunies pour qu’elle échoue. Des diplomates vont empoigner un problème technique, auquel ils ne comprennent pas grand-chose, pour l’escamoter derrière un rideau de paroles.

Dans toute sa crudité, le problème revient à arbitrer entre survie de l’espèce et développement économique. Ce dernier requiert de l’énergie, qui est la moins chère en acceptant de brûler des combustibles fossiles. Or ceux-ci sont de l’énergie solaire datant de 3,5 milliards d’années antérieures, stockée dans du plancton ou des plantes qui ont absorbé le CO2 de l’atmosphère en le transformant en oxygène. Enfouis sous terre, ces résidus d’êtres vivants sont devenus du pétrole et du charbon. En les brûlant, on rejette forcément du CO2 et on recrée le climat de la planète qui était en moyenne de 85° au précambrien. L’espèce humaine n’y survivra pas.

Cette évidence est régulièrement niée par les climato sceptiques qui tantôt prétendent que le climat ne change pas, tantôt que son changement est dû à des facteurs non humains. Cette thèse est évidemment subsidiée par tout le secteur économique des combustibles fossiles depuis l’extraction jusqu’à l’automobile. Le doute a été instillé au point que, pour certains esprits superficiels, le problème soit inexistant. Et pour la plupart des décideurs politiques, il s’agit du très long terme, celui auquel par définition ils ne s’intéressent pas.

Ces considérations expliquent la position de la Suisse concernant l’accord international. L’achat par la Fondation centime climatique (pour quelque 2,8 à 3 millions de tonnes de CO2 par an) de certificats d’émission a permis d'atteindre une baisse purement comptable, comprise entre 6,5 et 7,8% pour les comburants, dont la consommation réelle n’atteint pas les objectifs promis mais a augmenté au contraire. En d’autres mots, la Suisse, riche, achète le droit de polluer plutôt que d’imposer à ses citoyens-consommateurs-électeurs de pénibles mesures de restriction qui seraient vite annulées en votation populaire.

Le document résumant la position de la Suisse dans cette négociation de Paris est donc un chef d’œuvre d’ambiguïté farci de phrases comme : « La Suisse soutient un aménagement dynamique du nouvel accord sur le climat afin d’accroître l’ambition mondiale ». Cela n’engage strictement à rien de précis. Car ce document s’abstient de citer des chiffres et se cantonne à des périphrases. Entretemps, la planète a vu sa température augmenter de 0,85° depuis le début de l’ère industrielle. L’objectif de limiter le réchauffement à 2° parait déjà hors de portée. La conférence de Paris sera un échec technique et une réussite diplomatique.

Il faut sauver le soldat Widmer Schlumpf

Tout d’abord le sauver parce que c’est un brave petit soldat, parce que c’est une excellente conseillère fédérale, compétente, engagée, collégiale. En sus de ces éminentes qualités, une modestie souriante, un abord aisé, un charisme naturel. Sa famille la prédestinait à sa fonction en s’attachant plus au service qu’au pouvoir. Face aux menaces de son propre parti, elle a tenu bon en 2007 comme c’était son devoir : élue du parlement elle ne pouvait céder ä son parti. Parfois elle se retrouvait au banc du gouvernement avec Doris Leuthard et Simonetta Sommaruga pour traiter un dossier complexe. C’était merveille de les voir communiquer entre elles, comme le font trois femmes participant d’une complicité naturelle à leur sexe, au-delà de ces appartenances partisanes qui déterminent les mâles. On a vu s’incarner une autre forme de politique, plus maternelle que paternelle, plus bienveillante que compétitive.

Ce n’est pas tout. Si elle devait céder son siège à un UDC bon teint, de deux choses l’une. Ou bien ce candidat est celui présenté par le parti pour son adhésion aveugle à la ligne et la gouvernance de la Suisse en pâtira. Ou bien ce sera un UDC modéré et collégial, repêché par les autres partis et il sera aussitôt, comme Eveline Widmer-Schlumpf, exclu du parti pour délit de lèse-Blocher. L’assemblée fédérale n’aura le choix qu’entre un laquais avéré et un prétendu traître. En d’autres mots c’est le parti UDC  qui veut désigner le conseiller fédéral en violation de la Constitution.

Dès lors que l’enjeu de cette élection dépasse de loin la personne de l’actuelle conseillère fédérale, les positions du PLR et du PDC sont révélatrices. En annonçant qu’il votera pour le candidat UDC, le PLR Olivier Français se range dans un camp où il n’est plus possible de le rejoindre, quelles que soient ses qualités personnelles. En sollicitant les suffrages de l’extrême-droite pour être élu au Conseil des Etats, il se prive de ceux du centre, allergique ä tous les extrêmes. Face au populisme envahissant toute l’Europe comme dans les années 30, à la montée de la xénophobie, ä l’intolérance ä l’égard de l’Islam, le front républicain doit être intransigeant. Sinon on met en péril la démocratie dans son essence même, le principe de l’égale dignité de tous.

Les parlementaires PDC qui voteraient contre Eveline Widmer-Schlumpf renieraient et leur choix antérieur en 2007, et les valeurs de leur parti. La bonne réputation d'un parti comme d'une personne, c’est comme les allumettes, cela ne sert qu’une seule fois.