Confiance renouvelée au peuple

Cette fois-ci, le peuple a eu raison, car il a voté comme le Conseil fédéral, le parlement et la plupart des partis le souhaitaient. Les autorités renouvellent leur confiance au peuple et ne veulent pas en changer. Cela n’a pas toujours été le cas. Combien de fois la votation populaire a contredit les institutions au point d’ébranler celles-ci ! De les irriter et de les décourager ! Car ce n’est pas rien d’élaborer une politique, de la condenser dans des textes compliqués, ménageant la chèvre et le chou, de les faire voter par deux chambres soucieuses d’affirmer leur indépendance et leur autonomie et puis de se faire désavouer. A quoi sert-il de se faire élire, de remplir ses fonctions et de se voir ensuite publiquement censurer ?

L’art de la politique en Suisse consiste donc à anticiper la volonté du peuple, à prévenir ses caprices et à prendre en compte ses préjugés. C’est une situation analogue à celle d’une dictature où les ministres ne sont que les marionnettes d’un individu tout puissant, versatile, imprévisible. Sauf qu’ici cet individu est une foule, encore plus versatile et imprévisible qu’une seule personne. Le résultat d’une votation dépendra d’une foule de facteurs, les remous de l’actualité, l’investissement financier des initiants et celui des opposants, la verve des rédacteurs de slogan, le penchant des médias. En Suisse, il ne s’agit donc pas de définir la meilleure politique au sens de l’intérêt public, mais celle qui plaira le plus ou qui ne déplaira pas trop.

On peut donc louer le peuple de sa clairvoyance provisoire. On doit surtout admirer les conseillers fédéraux qui ont su deviner ses inclinations. Et on doit bien se garder de poursuivre les débats amorcés car certains étaient funestes : en particulier celui qui consistait à taxer plus ceux qui travaillent pour subventionner davantage ceux qui ne travaillent pas ; ou encore encourager la circulation routière au détriment des transports publics. En sens inverse, revenir sur le DPI est dangereux car des cinq objets, c’est celui qui a le pourcentage de vote le moins favorable. Même s’il est confortable, il reste que plus d’un tiers des votants s’opposent à une loi encore minimaliste dans ce domaine. Ils témoignent d’une ignorance radicale de la biologie et d’une méfiance maladive à l’égard de la médecine. Ils errent dans les ténèbres de l’animisme primitif où la procréation résulte d’un décret divin qu’il est téméraire de violer.

On ne gâchera pas davantage son plaisir en regrettant que le peuple ne soit pas unanime dans le sens des Lumières. Ce soir, félicitons le pour une majorité raisonnable. Nous renouvelons donc notre confiance au peuple et nous ne lui retirerons pas ce pouvoir absolu, qui a du charme lorsqu’il est le fait d’un despote éclairé.

Chassez le religieux, il revient au galop.

Chassez le religieux, il revient au galop. En positif ou en négatif. Le maître de la Turquie, l’aimable Erdogan, a tenu un discours, que le Vatican n’eût pas récusé, en enseignant qu’une famille musulmane devait s’abstenir de moyens contraceptifs. Le maître de la France, le gentil Valls, s’est insurgé contre la prétention de Tariq Ramadan de viser une naturalisation de Français, tant il redoute qu’un leader crédible de la communauté musulmane vienne compliquer le jeu infernal de la politique hexagonale. De même, le clairvoyant Addor, tête pensante de l’UDC valaisanne, s’est offusqué qu’un imam ait béni le tunnel du Gothard en compagnie d’un rabbin, d’un pasteur, d’un prêtre et d’un athée, parce que l’islam est une religion politique, ce que le christianisme n’a évidemment jamais été. Enfin, les assermentations d’autorités communales dans les lieux de culte soulèvent l’opposition de maints élus vaudois, dont on connait l’ouverture d’esprit.

La laïcité se décline donc sur des modes différents selon les religions. L’islam pose un problème dans la mesure, où les mosquées sont plus fréquentées que les temples ou les églises, où les fidèles acceptent de jeûner pendant un mois par an, où ils vont jusqu’à prier cinq fois par jour. Les musulmans auraient le seul tort de prendre leur religion plus au sérieux que les chrétiens, divisés entre des croyants non pratiquants, qui ne veulent plus s’ennuyer durant les offices, et des pratiquants incroyants, qui subissent encore la pression sociale et familiale. En un mot, la laïcité proclame qu’il n’y a plus de religion d’Etat pourvu qu’il y ait une religion de l’Etat, sacralisé, dispensateur de tous les bienfaits, origine de toutes les normes, supérieure en tant que religion à toutes les religions établies, qui peuvent être tolérées sans plus. A ce titre, l’Etat de Genève parmi d’autres n’accepte pas dans la fonction publique le foulard islamique car l’administration doit être neutre. Une religion est tolérable pourvu qu’elle ne se dévoile pas. Logiquement, il faudra donc interdire aux fonctionnaires genevoises le port d’un collier affichant une croix ou une étoile de David. On est curieux de voir si cela adviendra.

Les Etats contemporains assurent tous les besoins : ils nourrissent, soignent, enseignent, logent, organisent la mobilité et la sécurité. Le citoyen est chouchouté du berceau à la tombe. Il ne peut manquer de rien d’essentiel. Mais il se fait que l’être humain a, le plus souvent, besoin d’autre chose, difficilement définissable : de transcendance, de grâce, de sens, de bénédiction, d’explication de la vie et de la mort. Pour certaines personnes, ce besoin est essentiel et passe avant tous les autres. S’il n’est pas satisfait, s’il est entravé dans son expression, il engendre une frustration, périlleuse pour l’ordre public. La dernière guerre civile en Suisse fut une guerre de religion. En Orient, le conflit est triangulaire entre les trois religions monothéistes.

Pas de paix entre les peuples sans paix entre les religions. Pas de paix civile dans un pays sans véritable paix entre l’Etat et les religions. Toutes les religions.

Discours vertueux et budgets sordides

Ueli Maurer, qui bénéficie tout de même d’une formation de comptable, a joué son rôle de grand argentier en proposant de coupes sur les budgets à venir dans quatre secteurs : la formation et recherche, la coopération au développement, les transports et l’agriculture. Les autres postes ne sont pas compressibles car ils correspondent à des engagements sur le long terme comme l’AVS. Cela a suscité automatiquement de vertueuses protestations.

Les ONG insistent sur le maintien à 0.5% du revenu national du budget de la coopération au développement, qui est au contraire diminué de 151 millions. Elles n’ont pas tout à fait tort car l’asile coûtera 353 millions de plus l’année prochaine. En d’autres mots, faute de maintenir les immigrés sur place en améliorant leurs conditions de vie, on dépense deux fois plus pour les accueillir en Suisse, tout en nourrissant la grogne populiste. L’astucieux Ueli Maurer fait ainsi coup double : il propose une économie budgétaire, caractéristique de la droite, qui renforcera son parti aux prochaines élections en agitant la crainte d'une immigration incontrolée.

Entretemps, les morts par noyade dans la Méditerranée battent les plus sinistres records. Dès que l’on boucle une frontière avec des barbelés, le flux se dirige ailleurs. La guerre civile, la famine, la misère pousseront toujours plus de migrants ( politiques ou économiques quelle différence?) vers l’Europe. Jadis, elle a échoué à développer l'Afrique par la colonisation ; aujourd’hui notre continent est colonisé à son tour par une invasion invincible, qui ruine l’adhésion populaire aux valeurs fondatrices de notre civilisation. Selon le discours de l’UDC, la solution au flux migratoire est le développement sur place. Mais il décide concrètement qu'il faut que ce soit gratuit.

Il en est de même pour la formation et la recherche. L’UDC se méfie par nature des universités qui forment des esprits libres et critiques, recrues improbables pour un parti fondé sur une idéologie archaïque. En décriant la recherche, ce parti magnifie aussi le passé rural menacé par l’industrialisation et la mondialisation. Or, le budget de la science sera largement déficitaire par rapport aux besoins : d’une part la votation du 9 février 2014, qui a exclu immédiatement la Suisse des projets européens, engendre un manque à gagner énorme, difficile à chiffrer, mais que le FN a évalué à 450 millions annuels ; d’autre part la Suisse prétend se résoudre à former tous les médecins dont elle a besoin plutôt que de les recruter en majorité à l’étranger comme elle le fait actuellement. Il pourrait en coûter 700 millions par an en plus. L’administration n’en parle même pas dans ses projections. Si on l'interroge, elle afirme que l’on peut former deux fois plus de médecins dans les hôpitaux universitaires, en y sacrifiant la recherche.

Sur ce plan comme sur le précédent, Ueli Maurer est donc parfaitement cohérent avec sa ligne partisane. Les beaux projets devraient se concrétiser, mais sans qu’ils coûtent quoi que ce soit. Et si cela n’advient pas, c’est la faute des autres partis, de l'administration démesurée, des universités parasites, des intellectuels trop diplomés et, surtout, des migrants à la peau foncée, zélateurs de l'Islam, criminels par nature et terroristes potentiels.

PANEM ET CIRCENSES

Nous voterons sur le revenu de base inconditionnel (RBI) le 5 juin. L’initiative sera rejetée, mais il est de bon ton de se féliciter qu’elle ait été introduite car cela a « lancé le débat ». En d’autres mots, ce serait une lacune de notre législation, qui devrait ou sera tôt ou tard comblée. Le principe est simple : tout citoyen possède une créance sur l’Etat. Ou encore, même s’il refuse de travailler alors qu’il le pourrait, il a droit à un salaire.

Cela renforcerait la cohésion sociale, dit-on. Bien entendu les initiants se sont gardés de préciser la source de financement de ce pactole. Selon un spécialiste de l’Université de Fribourg, Sergio Rossi, cela impliquerait forcément la perception d’un impôt supplémentaire, qui selon la règle pèserait plus lourd sur les hauts revenus que sur les faibles. Cela donnerait ceci pour un RBI de 2500 CHF. Un revenu salarial de 5000 CHF sera augmenté à 5900 CHF puisqu’une contribution à la caisse RBI de 1600 CHF viendra grever son revenu. En revanche un salarié touchent 12 000 CHF devra verser 4000 CHF dans la caisse du RBI et verra son salaire diminuer à 10500 CHF. Seul toucheront intégralement les 2 500 CHF du RBI ceux qui n’ont pas d’autre ressource.

Il n’y a donc pas de miracles. Un RBI très modeste reviendra à augmenter les impôts de la classe moyenne et ne profitera guère aux salariés les plus modestes. On pourrait tout aussi bien aggraver la progressivité des impôts pour en arriver au même résultat. Est-ce politiquement possible en votation populaire ? On peut se permettre d’en douter. Est-ce économiquement profitable ? Oui, car les faibles revenus sont intégralement réinjectés dans le circuit de la consommation. Non, si les titulaires de revenus plus élevés votent avec leurs pieds et s’en vont vers des pays moins rapaces.

Le concept de RBI évoque deux précédents historiques. Dans la Rome antique, les plébéiens percevaient des allocations des notables et, surtout, étaient conviés à des jeux de cirque particulièrement répugnants par les candidats au pouvoir : le peuple attendait de l’Etat « panem et circenses » du pain et des jeux. On a vu ce que cela a donné. De même en Union soviétique tous les travailleurs percevaient pratiquement le même salaire quelle que soit leur qualification. On a aussi vu ce que cela a donné.

En supposant qu’il soit possible de collecter par un impôt à la source 32% des revenus pour le RBI, la question demeure de savoir s’il n’y a pas un meilleur usage pour cette masse financière. Par exemple en augmentant les allocations familiales, en payant un salaire pour le conjoint qui reste à domicile, en finançant la formation continue. Et surtout en donnant à ceux qui n’ont rien parce qu’ils ne sont ni citoyens, ni résidents munis de papiers, à savoir les réfugiés politiques ou économiques que la Suisse accueille à contre cœur, prétendument faute de moyens. Cela améliorerait vraiment la cohésion internationale.

Les non-dits de la procréation médicalement assistée

Nous voterons donc en juin pour approuver la loi LPMA déjà acceptée par le parlement à une large majorité, qui permettra enfin aux médecins suisses de pratiquer le diagnostic préimplantatoire. La loi actuelle interdit ce geste médical qui soulève un problème insoluble : quelle est la définition d’un être humain ? A partir de quand un embryon doit-il être protégé à ce titre ?

La législation actuelle comporte une contradiction évidente. Même si le risque de maladie génétique ou de stérilité est avéré, le diagnostic préimplantatoire est interdit. En revanche, le diagnostic prénatal est autorisé et l’avortement est légal jusqu’à la douzième semaine même sans indication médicale. La protection accordée à un embryon de quatre jours est donc supérieure à celle d’un fœtus de 12 semaines. Dans la situation actuelle et avant que la LPMA entre en vigueur, le médecin ne peut proposer aux parents en situation que quatre solutions bancales : ne jamais procréer d’enfant ; accepter d’élever un enfant gravement malade ; procéder à une grossesse à l’essai avec la possibilité d’un avortement si nécessaire ; se rendre à l’étranger pour bénéficier d’une législation moins obscurantiste. C’est la dernière solution qui est adoptée par les parents aisés ; en pratique pour la Suisse romande, le gynécologue helvétique, lié par la loi, interdit de pratique, adresse ses patients en Belgique francophone. En matière de procréation médicalement assistée, la médecine suisse est à deux vitesses définies par la loi: seuls les parents modestes n’auront pas d’enfant, accepteront le traumatisme d’un avortement ou courront le risque d’un enfant handicapé.

Deux logiques incompatibles s’affrontent en présence d’une échappatoire.

1/ La logique médicale vise les meilleurs soins dans l’état actuel des connaissances. Si le DPI est plus efficace qu’une autre intervention, la déontologie médicale commande de le choisir. Il faut produire le nombre d’embryons nécessaires pour procéder à l’intervention dans les meilleures conditions, ni plus, ni moins. Dès lors les buts seront atteints dans la mesure du faisable : pallier la stérilité de certains couples, empêcher la transmission de maladies héréditaires, prévenir l’implantation d’embryons dont le génome est déficient (trisomie), sauver une enfant menacé de mort par l’apport des cellules d’un enfant à naitre. Sur ces quatre objectifs seul le dernier n’a pas été retenu par la LPMA proposée au suffrage du peuple.

2/ La logique politique, celle du Conseil fédéral, est tactique : il s’agit de concevoir un projet de loi qui ne suscite pas une initiative populaire en sens contraire. Le projet du CF était donc restrictif. A savoir que le DPI n’est autorisé que s’il n’y a pas moyen de faire autrement. Concrètement cela signifie produire en PMA le moins d’embryons possibles de façon à ne pas devoir « trop » en éliminer.

3/Face à ces deux logiques incompatibles, il existe une échappatoire : justifier la position du CF par une invocation rituelle à « l’éthique », sans savoir à laquelle se référer. Car la Commission Nationale d’éthique a pris position à la majorité en faveur de la logique médicale, qui est aussi celle des patients. L’éthique (variable selon les instances) fonctionne donc comme une variable d’ajustement entre deux logiques contradictoires et permet formellement de les faire coexister. La révision proposée se limite à l’élimination des contradictions les plus voyantes de la législation actuelle en interdisant les autres applications possibles du DPI pour éviter l’accusation d’eugénisme.

Il est remarquable que les législations les plus restrictives soient celles de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie. Le traumatisme historique du nazisme, de ses théories raciales et de son entreprise d’eugénisme induit cette singularité. Pourquoi la Suisse a-t-elle été entraînée dans cette coalition des culpabilités collectives ? Sinon par contamination culturelle entre l’Allemagne et la Suisse alémanique. En revanche la loi autorise le DPI, même pour la sélection du sexe, aux Etats-Unis et en Israël, ce qui est tout aussi significatif d’un héritage historique à l’opposé.

Il vaut donc la peine d’examiner sérieusement les objections toujours vivaces en Suisse contre une législation plus humaine, qui risquent de faire échouer même la modeste révision proposée. La commission d’éthique et les associations d'handicapés ont utilisé un  argument assez curieux : les premières personnes lésées par le DPI seraient à l’avenir les personnes handicapées. Comme le DPI permet d’en réduire le nombre, celles qui naîtraient néanmoins seraient stigmatisées et rejetées. Au bout de quelque temps, l’Etat poussé par l’opinion publique rendrait le DPI obligatoire afin d’éliminer complètement certains handicaps.

Bref, à cause du DPI facultatif on arriverait à l’eugénisme forcé : la société se fixerait pour but global de ne plus tolérer la naissance d’enfants avec certaines tares génétiques, ce qui est selon les opposants inadmissible pour des raisons éthiques. Cet argument est étonnant, car il revient à supposer que la nature ne commette pas des erreurs, que nous ne puissions ou que nous ne devions corriger. Si on avait admis ce sophisme jadis, on n’aurait pas rendu obligatoires certaines vaccinations comme celles contre la variole ou la polio qui ont fini avec le temps par éliminer ces maladies. De même l’application du DPI à une large échelle sur base de nos connaissances actuelles finirait par faire disparaître la mucoviscidose (un enfant sur 2000), la maladie de Huntington (un cas sur 15000 ) et la dystrophie myotonique (un sur 8000).

Serait-ce une faute morale ? Les dernières personnes atteintes de ces maladies seraient-elles pour autant abandonnées par le corps social, parce qu’elles seraient devenues moins nombreuses ? Faut-il multiplier les enfants malades pour qu’ils ne se sentent pas anormaux ? Etrange argument de philosophes en chambre et de gouvernants pusillanimes qui risque de polluer le débat parlementaire ou public à venir. Serons-nous capable de l’écarter au nom du bon sens, de la foi dans le progrès et du respect à l’égard des enfants à naître ? Ou bien le conservatisme de la droite, le conformisme écologiste de la gauche et l’intégrisme religieux l’emporteront-t-ils à nouveau ?

L’acratie suisse à la dérive

Le méchant procès fait à Guy Parmelin illustre un manque de perspective permanent de nos institutions. Plus le sujet d’une controverse est minuscule, vague, contestable, plus une certaine presse et certains politiciens s’en délectent et amplifient les reproches sans limites. Comme il n’y a rien de précis à critiquer, on peut fabuler à loisir.

On peut ne pas être d’accord avec la vision politique de Guy Parmelin et de son parti, mais ce n’est pas une raison de lui chercher des poux. Quoi ! Il aurait soutenu au Conseil fédéral une mesure qui avantage fiscalement les agriculteurs, dont il fut longtemps le représentant élu. (Au conditionnel car en principe les débats du gouvernement sont secrets.) Il n’en tirerait aucun bénéfice personnel puisqu’il a revendu son exploitation vinicole tout de suite après son élection. Oui, mais c’est à son frère ! Quel épouvantable scandale ! Il aurait au moins du prospecter parmi ses cousins sous-germains. La perversion suprême, c’est qu’il n’a rien fait d’illégal.

Mais un conseiller fédéral est soumis à des lois non écrites, que chacun peut consigner dans sa tête à sa fantaisie. Il est présumé coupable a priori. Car il exerce le pouvoir. Et cela c’est suspect en soi. La Suisse est une acratie, l’absence de tout pouvoir établi. Celui-ci doit être délayé au maximum pour que personne ne l’exerce vraiment.

Au même moment, on apprend que notre industrie d’armement, la RUAG est victime de piratage informatique et, par son truchement, toute l’informatique fédérale. On n’en connait pas encore les dégâts, mais ils pourraient être sans limites. Quand il n’est pas occupé à justifier ses relations familiales devant la presse, Guy Parmelin s’est hâté de prendre des mesures conservatoires pour pallier la négligence et l’inertie de ses prédécesseurs. Car la sécurité du pays n’est plus menacée par une invasion du territoire, contre laquelle il faudrait prévoir des brigades blindées et des flottilles de camions hors de prix. C’est plutôt l’attaque sournoise de nos infrastructures informatiques ou le surgissement dans une foule d’un kamikaze djihadiste qui se fait sauter.

Combien de fois le parlement a-t-il attiré l’attention du Conseil fédéral sur ces risques réels ! Sans réponse. Car le Conseil n’est pas un véritable gouvernement. Ce n’est pas une équipe choisie par un chef, il n’a pas de programme sur lequel il aurait été composé, il n’a pas de majorité pour le soutenir. C’est un non-gouvernement, piégé par des détails infimes, sur lesquels l’opinion publique se détermine. C’est une délégation parlementaire à l’exécutif qui représente tous les lobbies importants. Elle arbitre entre ceux-ci sur base de votes secrets qui sont divulgués à l’opinion publique dans la mesure des possibilités d’agiter celle-ci avant de s’en servir.

Les croyances peuvent être mortelles

Certes, l’économie dans lequel nous vivons est la principale responsable des attentats terroristes, parce qu’elle isole une couche de jeunes marginaux  hors du circuit et ne les intègre plus dans le tissus social. C’est une hypothèse défendable mais elle doit être complétée par une hypothèse complémentaire. Il est en effet possible et même normal de s’insurger contre l’oppression du système en place par des manifestations, des émeutes, voire des attentats sans nécessairement se suicider. On peut au contraire estimer qu’un militant se doit à sa cause et qu’il ne peut démissionner, fut-ce en entrainant dans sa mort quelques dizaines d’opposants.

Pour se suicider allègrement, il faut être muni de croyances, soit à une vision politique comme les communistes et les nazis du siècle dernier, soit à une vision religieuse comme les Kamikaze japonais et les terroristes islamistes. Dans la suite, le terme croyance sera utilisé selon une acception restreinte, pour bien marquer la distinction, aussi ténue que nécessaire, par rapport à la foi. La croyance est le fait de croire obstinément à une certaine formulation de la foi politique ou religieuse. La foi elle-même est une conviction irrésistible, inébranlable mais fragile, sans cesse remise en question, rationnelle et libre, qui engage toute la vie dans ce qu’elle a de plus authentique. La croyance, c’est « croire que » ;  la foi, c’est « croire en ».  

Les terroristes islamistes qui se font exploser entretiennent deux croyances superposées : la première en une vie après la mort qui est partagée par la plupart des religions ; la seconde en un accès à une sorte de paradis si la mort est le résultat d’un combat contre les infidèles où le suicide devient un acte positif. Cette seconde croyance est absolument rejetée par le christianisme pour lequel le suicide est une faute grave. Dès lors on n’a pas connu de canonisé qui se soit fait exploser.

Or, la vie sociale est tissée de croyances, même dans un pays développé en notre siècle. Il y a les croyances symétriques de la gauche et de la droite, en plus d’Etat contre moins d’Etat, en la vertu du marché libre contre celle de la planification, en l’internationalisme contre le nationalisme. Aussi longtemps que ces thèses contradictoires sont défendues par l’équivalent d’avocats devant le tribunal de la réalité, elles sont utiles pour élaborer un compromis pragmatique. Dès que l’une d’entre elles n’a plus de contrepoids, l’équilibre est rompu et l’on s’achemine vers des crises de la croyance droitière comme les krachs de 1929 ou de 2008 ou des crises de la pensée de gauche comme les famines soviétiques de 1921 à 1947.

Le but n’est pas de dénigrer les croyances, véhicules imparfaits, nécessaires et provisoires d’une analyse synthétique de la réalité, mais de constater qu’elles se périment avec le temps au point de caricaturer ce qu’elles sont censées transmettre. On ne peut ni écarter prématurément une croyance, ni surtout la figer lorsqu’elle devient inadéquate.

Une croyance hors sol devient mortifère. La Suisse a cru trop longtemps au secret bancaire. Son conseiller fédéral en charge de la Défense croyait que l’armée suisse était la meilleure du monde ou, pire, feignait de le croire. Les promoteurs des centrales nucléaires croient que les techniciens suisses sont tellement extraordinaires que Mühleberg ne peut certainement pas exploser. Les initiants  contre l’immigration massive croyaient que leur projet ne mettait pas en danger les relations bilatérales et le 9 février 2014 ils ont convaincu 50,3% des votants d’adhérer à cette croyance.

On ne peut se débarrasser d’une croyance nocive que par la prise de position des responsables, politiques ou religieux. Les autorités morales de l’Islam ne doivent pas seulement condamner en principe les attentats suicides mais aussi démentir clairement que les martyrs de la foi gagneraient ainsi leur paradis. Les leaders de l’UDC doivent reconnaître qu’ils ont sous-estimé la réaction de l’UE à leur initiative der 9 février 2014.

 

Le fantasme énergétique

En politique tout est permis : le non-dit, la langue de bois, l’omission délibérée, l’amalgame, le sophisme, le mensonge avéré. Un des lieux préférés de ce double discours a été et est encore notre approvisionnement en énergie. Quelques exemples :

Selon le Plan Energie 2050 du Conseil fédéral, les centrales nucléaires ne seront pas remplacées au terme de leur période d’exploitation. Pourquoi ? De deux choses l’une : ou bien elles ne présentent pas un danger inacceptable et alors pourquoi ne pas les remplacer ; ou bien elles présentent un risque inadmissible et alors il faut les arrêter toutes et tout de suite. Dans les années 70, lorsque ces centrales ont été construites un argument imparable a été utilisé durant les débats : le risque de fusion du cœur d’une centrale est d’une occurrence sur dix mille ans. En réalité dans un délai de trente ans, cinq cœurs ont fondus sur cinq cents en activité dans le monde. Les risque réel est donc d’un pourcent durant la vie du réacteur. L’estimation initiale à dix mille ans n’avait aucun support scientifique mais elle se parait de son apparence : le chiffre avancé faisait sérieux, mais il était faux et sans fondement.

Au début des années 2000, le recours aux énergies renouvelables était ridiculisé : on pourrait au mieux produire 2 ou 3% de l’énergie électrique nécessaire à la Suisse. En réalité, les énergies vertes ont couvert près d'un tiers de la consommation électrique allemande, à hauteur de 32,5% en 2015 contre 27,3% en 2014. Il est vrai que l’investissement initial a été en partie subsidié, mais il en fut de même pour le nucléaire. Le discours officiel de la Suisse blâme aussi l’Allemagne parce qu’elle compenserait la production du nucléaire arrêté par un recours accru aux centrales à charbon. En réalité de 1990 à 2014, la part de ces centrales a baissé de 25,6% à 17,8% dans le total de la production électrique. Le renouvelable a vraiment remplacé les combustibles fossiles.

A la même époque, on agitait le spectre d’une pénurie d’électricité et d’un renchérissement inévitable de celle-ci sur le marché international. En réalité, de 2008 à 2016 le prix du kWh sur le marché européen en surproduction a baissé de 14 à 2,4 centimes au point que les barrages suisses produisant à 6 centimes ne sont plus rentables pas davantage que les centrales nucléaires à 4 centimes. Ces producteurs suisses d’électricité ne doivent d’éviter la faillite qu’au monopole exercé sur les consommateurs individuels, qui n’ont pas le droit d’accéder au marché libre. Ils doivent acheter le courant produit en Suisse à son prix de revient tandis que l’accès au marché international est réservé aux entreprises. Dans le contexte de cette exploitation du bas peuple, la gauche unanime refuse une libéralisation totale du marché de l’électricité sous le prétexte absurde que cela ferait monter les prix. Et voilà pourquoi nous payons notre courant à 20 centimes.

Selon le protocole de Kyoto, la Suisse s’est engagée dans une croisade contre l’émission de CO2. Qu’en est-il de fait? L'objectif de réduction pour les carburants est de 8% pour la période 2008-2012. En réalité les émissions furent en 2011 11,7% au-dessus du niveau de 1990. L'achat de certificats à l'étranger par la Fondation centime climatique (pour quelque 2,8 à 3 millions de tonnes de CO2 par an) permet d'atteindre une « baisse » ( ?) comprise entre 6,5 et 7,8%. Mais celle-ci est purement comptable : ces chiffons de papier sont des droits juridiques de polluer. Cela ne change strictement rien au réchauffement climatique.

Malgré toutes ces prévisions qui se sont révélées fausses, le DETEC n’a pas perdu courage et il s’est lancé dans une vaste étude prospective Hypothèses et méthodes de diverses études portant sur les perspectives énergétiques. Dans ce document qui a demandé pas mal de travail, il y a une foule de tableaux chiffrés. Au hasard, on apprend par exemple que le prix du baril de pétrole en 2050 sera de 106,5$. Pas de 106,6 ni de 106,4. Exactement 106,5 avec quatre chiffres significatifs. Ce département fédéral, gérant notre système technique, ignore une règle élémentaire de mathématique : en réalité on peut interpoler entre deux points connus d’une courbe mais on ne peut jamais extrapoler une tendance. Les chiffres obtenus de la sorte n’ont aucune signification sauf pour ceux qui croient aux horoscopes, aux voyantes et aux révélations du Ciel.

Or notre devenir énergétique n’est pas un détail secondaire. Il conditionne notre prospérité économique et la stabilité de nos institutions. Il serait temps de retirer la gestion de ce domaine technique aux aléas de la politique, c’est-à-dire au parlement et à la démocratie directe. Le franc suisse est géré par la BNS, dont l’indépendance est totale, de façon que des décisions techniques soient prises par des gens compétents. Pour gouverner la difficile mutation de système énergétique, il faudrait de même confier les gouvernes à une institution indépendante dont la seule mission serait de garantir l’approvisionnement dans les meilleures conditions de sécurité et de coût, plutôt que de tenir un discours absurde proféré par des incompétents.

L’argument de la porte ouverte

 

Le peuple suisse a accepté le 14 juin 2015 la modification de l’art. 119 al. 2c de la Constitution fédérale. L’analyse des embryons avant leur implantation dans l’utérus (diagnostic préimplantatoire, DPI) est ainsi devenue possible. La loi d’application, la «loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA)», permet la recherche d’anomalies chromosomiques et a été acceptée par le parlement. Le peuple suisse devra se prononcer par referendum en juin pour s’opposer éventuellement à cette loi selon le vœu d’opposants irréductibles.

La LPMA permet enfin à la médecine suisse d’utiliser les techniques admises ailleurs pour éviter la naissance d’enfants affligés de maladies d’ordre génétique, soit transmises par hérédité, soit résultant d’une anomalie chromosomique comme dans le cas de la trisomie. Le but de la loi est donc clair : mettre au monde des enfants en bonne santé. En revanche, toute autre visée comme la sélection du sexe est interdite par la loi.

Quels sont les arguments des référendaires pour s’y opposer ?

Le plus courant et le plus hasardeux est celui de « la porte ouverte ». A savoir que si l’on accepte une loi, d’ailleurs raisonnable, visant un objectif positif, la santé, on « ouvre la porte » à une évolution de cette loi qui permettrait n’importe quoi, comme le choix du sexe, de la couleur des yeux ou des cheveux. La LPMA serait ainsi la « porte ouverte » à l’eugénisme. Le seul choix du mot est en soi redoutable, car il renvoie arbitrairement aux expérimentations nazies. Or cette loi LPMA interdit précisément de mener ce genre de manœuvres, aussi criminelles qu’insensées, visant à sélectionner une race aryenne idéale. Et donc les opposants ne prétendent pas refuser la loi telle qu’elle fut votée par le parlement, mais ce qu’elle pourrait devenir. Ils ne prétendent pas qu’elle est déraisonnable mais qu’elle pourrait le devenir. Ils préfèrent le statu quo, c’est-à-dire en pratique le refus du diagnostic préimplantatoire même quand il s’impose, parce qu’il y a un risque de maladie héréditaire ou parce que le couple est stérile.

Cependant, la législation suisse autorise le diagnostic prénatal sur un fœtus de douze semaines et un avortement qui en résulterait. Il suffit même du vœu exprimé par la mère, sans raison médicale. Ainsi, sans que cela les gêne, les opposants refusent que le diagnostic préimplantatoire permette d’éviter des avortements, auxquels ils sont d’ailleurs tout aussi opposés. Ils préfèrent le statu quo incohérent et illogique à une avancée vers une médecine préventive.

Le conseiller national Christian Lohr, par ailleurs lourdement handicapé lui-même, emploie l’argument suivant : « Il incombe à notre société d’intégrer les personnes handicapées, non de les éliminer ». Or, rien dans la loi de vise à éliminer des handicapés existants. Elle ambitionne d’éviter que naissent des handicapés. Christian Lohr pratique donc l’amalgame. Les nazis ont effectivement eu le dessein d’éliminer physiquement les handicapés dans les asiles. Mais la loi suisse n’a rien à voir avec cette pratique et c’est un détournement d’en parler comme si elle visait cette abomination.

« La porte ouverte » est une ritournelle du débat politique en Suisse. Si on réduit l’armée, c’est en vue de la supprimer. Si on accepte quelques réfugiés, c’est en vue de les accepter tous. Si on attribue une partie des taxes routières aux voies ferrées, c’est en vue d’interdire le trafic automobile. Si on refuse la publicité pour le tabac, cela présage l’interdiction de sa vente. Et certes, si on accepte de marcher, on risque de trébucher; si on mange, on risque de s'étouffer; si on vit, on est même certain de mourir.

 

 

 

 

 

Retour à Beyrouth

J’ai atterri à Beyrouth pour la première fois en 1984. Lors de la descente vers l’aéroport, on avait tout le loisir d’admirer les impacts de bombes soulevant une fumée pareille à celle d’un barbecue et les tirs à balles traçantes des mitrailleuses comme autant de feux d’artifices. En sortant de l’aéroport, situé en zone musulmane, on traversait (en croisant les doigts) une zone sinistrée, en ruines, obscure, menaçante. Dès qu’elle était franchie on pénétrait dans la zone chrétienne éclairée a giorno, avec ses terrasses de restaurants et une belle jeunesse en goguette, au point que l’on aurait pu se croire à Nice.

La semaine passée je suis retourné pour la quatrième fois à Beyrouth revenue à la paix. L’aéroport a été rétabli dans l’absence de style de ses semblables. Les quartiers détruits ont été reconstruits, plus beaux, plus somptueux avec une prédominance de gratte-ciels. Toute la côte jusqu’à Jbeil n’est plus qu’un mur de béton. Les nouveaux appartements sont destinés aux Syriens aisés qui resteront probablement en fournissant au Liban un supplément de travailleurs hautement qualifiés. L’immigration n’est pas toujours une malédiction. Il n’y a de richesses que d’hommes et en intégrer certains n’est pas une perte. Les réfugiés pauvres ne sont pas visibles, cantonnés à l’intérieur du pays dans la plaine de la Bekaa.

Beyrouth est vivante, gracieuse et conviviale. Trente kilomètres à l’Est, c’est la guerre, mais ici on n’en voit rien. La circulation automobile est démentielle, comme si les réserves de pétrole de la planète étaient illimitées, comme si leur exploitation n’était pas le moteur secret des guerres du Moyen-Orient.

Un seul bémol. Après une génération, le français est en train de disparaître comme langue véhiculaire dans la partie chrétienne. Les enseignes commerciales et les publicités sont maintenant en anglais et le jeune génération ignore complètement le français. Les mangeoires à hamburgers se multiplient. Au restaurant de l’hôtel, on m’a proposé un Wiener Schnitzel, c’est-à-dire peu de viande et beaucoup de panure grasse. Falafel, mezzé, taboulé, caviar d'aubergine, hummus, ne sont plus que des noms et des saveurs qui font rêver. Il reste le vin, l’excellent Château Kefraya. Pour combien de temps ? La barbarie gagne du terrain.