Un chef d’œuvre de législation floue dans la ligne du génie helvétique

En Helvétie plus qu’ailleurs, la rhétorique politique vise la même obscurité que l’astrologie ou la voyance. Autant un chercheur, un journaliste ou un enseignant visent à s’exprimer, par écrit ou oralement, de façon à être le plus clair possible dans le but d’être compris, autant le parlementaire ne peut se permettre un tel luxe, individuellement ou collectivement. Il tranche une foule de questions auxquelles il n’entend rien et pour lesquelles il n’y a pas de solution, mais qu’il doit feindre de maîtriser : par métier, c’est un générateur de fumée.

La position de la Commission des institutions du Conseil national sur « l’immigration de masse » fait partie des chefs d’œuvres de l’enfumage helvétique D’une part, le peuple vote un article constitutionnel pour exiger « des plafonds pour les autorisations délivrées dans le domaine des étrangers et dans celui de l'asile ». D’autre part, les accords bilatéraux avec l’UE exigent la libre circulation des personnes, faute de quoi l’ensemble de ces accords devient caduc. Si les mots ont un sens, les deux propositions sont incompatibles. Or la perte des accords bilatéraux serait insupportable pour l’économie du pays. Il faut donc que le parlement réussisse le tour de force de rendre compatible ce qui ne l’est pas.

En gros cela se fit par le vague : rien n’est contraignant dans le compromis élaboré en commission. Rien non plus n’est clair. C’est le règne de l’insécurité du droit, qui n’est plus une exception, une lacune, une omission, mais une méthode, une recette, un secret de fabrication. Bruxelles se laissera-t-elle enfumer ? L’UDC viendra-t-elle à résipiscence ? Aucune des deux réactions n’est prévisible

Il n’est pas très gratifiant pour des politiciens de métier de mettre ainsi leur raison en veilleuse. Il n’est pas commode de construire une usine à gaz législative auquel ils ne croient qu’à moitié ou même pas du tout. La langue de bois est l’outil de cette non-communication, qui permet de dissimuler les contradictions. Le politicien énonce rarement le véritable mobile de son attitude, parce qu’il est peu avouable. Il utilise donc une foule de mauvaises raisons auxquelles il ne croît qu’à moitié. Plus l’orateur est éloquent, moins il est transparent. Plus il hausse la voix, plus il cherche à étouffer celle de sa conscience.

Faire de la politique, c’est ainsi apprendre le mentir-vrai, maîtriser l’art de farder la vérité sans énoncer des mensonges trop apparents à l’instar du concepteur de publicité. La différence se situe entre le professionnalisme du publicitaire, clair et incisif, et l’amateurisme du politique, compliqué et tortueux. A force de ne pouvoir dire ce qu’il pense, le politicien finit par ne plus savoir ce qu’il pense, s’il pense quelque chose ou même s’il est possible de penser. Les astrologues et les voyants en viennent aussi à discourir sans limite pour se convaincre eux-mêmes de leurs prédictions, auxquelles ils ne croyaient pas au départ. La commission des institutions du Conseil national s'est petit à petit persuadée que son travail relevait du génie politique.

Mais si ce coup fourré réussissait ? On ne peut l’exclure. Après tout l’UDC ne tenait pas du tout à ce que son initiative contre l’immigration de masse réussisse en 2014 : son but était d'agiter l'opinion publique pour recruter vite fait des électeurs futurs. Dans les quinze jours, l’UE a réagi en sabotant la collaboration scientifique avec la Suisse, ce qui eut mauvaise façon devant l’opinion publique suisse. L'UDC peut donc s'abstraire en prétendant qu'on lui force la main. Et Bruxelles, qui ne tient pas à rompre avec la Suisse, peut fermer les yeux.

Ainsi la Commission des institutions aura bien travaillé. Tout est vague, aléatoire, confus. Comme le chaos initial évoqué par la Genèse lorsque l’Esprit de Dieu se contentait de « planer sur les eaux ». Il y a tout de même eu ensuite une création assez réussie, qui fut gérée strictement par le hasard et la nécessité. La Nature crée n’importe quoi et ce qui est non viable est éliminé par la compétition pour la survie.

Ainsi en est-il des institutions de la Suisse. En sept siècles de tâtonnements, on a eu le temps d’écarter les mauvaises solutions. Il reste ce qui marche, c’est-à-dire une machine à la Tinguely, (tiens, tiens un Suisse !). Née du chaos, elle engendre le chaos. Il n’y a pas de gouvernement, pas de chef, pas d’équipe, pas de programme et pas de majorité. C’est pour cela que cela marche. Nos institutions sont engendrées par le processus biologique de l’évolution et elles ont la même résilience que la vie elle-même. Elles méritrent le respect. Lorsque cela marche.

Mentir pour une juste cause?

 

 

Dans la campagne pour l’initiative AVSplus, les arguments sont d’autant plus spécieux que l’objectif lui ne l’est pas : assurer à tous les travailleurs une retraite digne, qui ne les réduise plus à se tourner vers l’assistance sociale pour payer leur loyer ou leurs assurances ; être réduit à mendier après une vie de travail. Personne ne peut nier qu’augmenter de 10% des pensions insuffisantes constitue une juste cause.

Mais qui paiera ? Selon la logique d’une pension par répartition, 10% de plus sur les pensions signifie mécaniquement 10% de plus sur les cotisations. Réponse contraire de l’UNIA : pour un employé gagnant 5000 CHF par mois, 20 CHF de cotisation mensuelle supplémentaire garantiraient 200 CHF de rente en plus. Au pied de la lettre, cela signifierait qu’il y aurait dix fois plus de travailleurs actifs que de pensionnés, ce qui est complètement faux. Ce grossier mensonge est illustré par la photo d’un billet de 20 se transformant en deux billets de 100, avec le commentaire insidieux : « l’AVS est la prévoyance la meilleure marché ». Par quel miracle un franc versé à l’AVS rapporterait-il plus que le même franc versé à la LPP ? Il y aurait donc plusieurs espèces de francs : les uns gonflant comme des outres et les autres se raplatissant.

Bien évidemment, l’AVS dispose déjà de ressources supplémentaires et elle en requerra encore davantage si ses prestations augmentent. Au fur et à mesure de l’élévation de l’espérance de vie, le rapport entre cotisants actifs et pensionnés s’est dégradé. On est alors sorti de la logique d’un système de répartition, pour combler le déficit par le recours à la caisse publique financée par les impôts et les taxes, en particulier la TVA.

La question honnête, qui aurait dû être posée aux électeurs, est donc : acceptez-vous de payer plus d’impôts aujourd’hui pour toucher davantage de pension plus tard ? Il n’y a pas de miracle, l’argent doit bien sortir de quelque part, un billet de 20 CHF ne se transforme pas en deux billets de 100 CHF par un tour de magie politique.

Une fois élucidé honnêtement le mystère du financement, il est possible d’envisager avec lucidité la réponse à la question inévitable : vais-je économiser plus durant ma vie active pour augmenter ma pension par n’importe lequel des trois piliers? Ou bien toucher ma pension améliorée, mais moins longtemps parce que j'aurai travaillé plus longtemps ? <Vais-je réduire mon niveau de vie durant toute mon existence pour bénéficier de longues années d'oisiveté? Tant que l’on considèrera que vingt ans d’inactivité languissante est la juste récompense de  quarante années d’une activité frénétique, on ne sortira pas de ce dilemme. Tout le reste est de la poudre aux yeux.

 

 

Une tête qui dépasse

Patrick Aebischer a tout fait pour susciter la jalousie, la méfiance et la hargne de la haute administration bernoise. Il a transformé en quinze ans une bonne école locale d’ingénieurs en une université de technologie de niveau international. Il a introduit la biologie, quasiment absente du curriculum de l’EPFL. Il a développé une école doctorale qui attire plus d’étrangers que de Suisses. Il a porté le nombre des étudiants bien au-delà de ce qu’il était. Il a bâti un quartier de l’innovation et un centre de congrès. Pour certains c’est trop, beaucoup trop. Un seul homme ne peut être à l’origine de cette mutation, sans constituer un reproche vivant pour tous ceux qui en ont été incapables et qui ne supportent pas la compétition académique. La méfiance est de rigueur. Il est trop fort. Il a exagéré. Jusqu'où ira-t-il? Ne risque-t-il pas de monter dans la hiérarchie scienfique, dont les étages supérieurs sont actuellement occupés par des incompétents notoires? Pour diriger la politique scientifique de ce pays, entre Schneider Amman et Aebischer il n'y a pas photo.

Comment le disqualifier ? Sinon en laissant entendre que ce qu’il a fait n’est pas conforme aux règles. Tout en n’étant en rien illégal, s’empresse-t-on d’ajouter. Faute de moyens accordés par les finances fédérales, il s’est tourné vers les finances privées. Celles-ci sont entrées en matière sur base des conditions du marché. C’était à prendre ou à laisser. L’Epfl aurait dû, selon les conceptions des critiques bernois, continuer à vivre sans résidences d’étudiants et sans centre de congrès. Cela aurait satisfait les préjugés des médiocres qui font mine de nous gouverner en la matière. Cela aurait convenu à la modestie exigée des cantons romands qui n'ont pas à se hausser le col!

Le Contrôle fédéral des finances fut l’instrument approprié pour cette entreprise de subversion. Qu’il y ait des observations à transmettre dans une évaluation de la gestion, c'est évident, mais cela peut se faire sereinement dans un document interne. Fallait-il alerter l’opinion publique? Sinon pour discréditer la personne, en laissant entendre, tout en prétendant ne pas le dire, qu’il aurait commis des entorses à la loi ? Il n’y a même pas eu de dépassement des crédits. Difficile de le critiquer.

Sartre a dit que certaines personnes n’avaient pas de mains sales, parce qu’elles n’avaient pas de mains. Dans la société des manchots de la Berne fédérale, on ne reproche pas à Patrick Aebischer d’avoir les mains sales. On lui reproche d’avoir des mains.

Bigots de gauche et cagots de droite

La Suisse va-t-elle offrir un spectacle ridicule en légiférant sur le voile islamique dans sa constitution ? Tel est le débat absurde qui occupe la scène politique, comme si les pensions, la santé, la formation, le transport, le logement n’étaient pas les vrais sujets de préoccupation du citoyen ordinaire. Puisque tous ces problèmes sont ardus et ne possèdent pas de solutions commodes, la tentation est de générer des problèmes inexistants, auxquelles on apporte des remèdes dérisoires. Ce sont autant d’emplâtres sur une jambe de bois. Comme il n’y a pratiquement pas de burqas en circulation sauf dans les stations touristiques où on ne peut les interdire, légiférons dans le vide

Règlementer le vêtement féminin est la plus vaine des entreprises étatiques car les femmes trouveront toujours le moyen d’y échapper. On dit que les Iraniennes maîtrisent parfaitement les ruses qui transforment le voile en instrument de séduction. Interférer avec les signes extérieurs d’appartenance religieuse est une autre entreprise vouée à l’échec car en martyrisant une foi on la conforte. La sagesse des pères de la Confédération fut de confiner les relations avec les confessions au niveau cantonal. La bigoterie locale peut ainsi être comblée par quelque mesquinerie satisfaisant les mentalités arriérées. Mais cela n’implique pas l’Etat fédéral chargé des sujets sérieux.

Sous couvert de mode féminine, le véritable objectif, souvent avoué, est de lutter contre l’islamisation (imaginaire) de notre société, sous le prétexte hypocrite de défendre la culture dite judéo-chrétienne. Or les juifs ont été traditionnellement les grands exclus et les églises chrétiennes sont vides. Va-t-on annuler la Shoah et convertir les incroyants en empêchant une femme voilée de scandaliser les passants ? Cela n’a rien à voir, pas plus que l’interdiction constitutionnelle de construire des minarets ne va empêcher le terrorisme, d’ailleurs inexistant en Suisse. En revanche l’interdiction de la burqa en France n’a pas empêché le terrorisme.

En fin de compte, c’est affirmer que nos valeurs sont supérieures à celles des autres civilisations que nous avons le droit de juger et de réformer. Cela porte un vilain nom : le colonialisme.

Un rendez-vous décisif est manqué

Il était évidemment impossible de refuser l’initiative pour une économie durable sans admettre que l’on est partisan d’une économie instable. On ne peut pas vouloir quoi que ce soit et en même temps son contraire. C’est cependant ce que le Conseil fédéral et le parlement viennent de proposer : prolonger un système économique précaire aussi longtemps qu’il ne s’écroule pas de lui-même ; entraîner l'opinion publique dans un déni de la réalité

D’une part, le principe de l’initiative n’est pas combattu. Comment pourrait-on refuser un texte prescrivant aux pouvoirs publics d’encourager « la fermeture des cycles de vie des matériaux et veiller à ce que l’activité économique n’épuise pas les ressources naturelles ni, dans toute la mesure du possible, ne menace l’environnement ou lui cause des dommages. » ? Comment repousser des mesures législatives, fiscales, incitatives pour atteindre ce but ? C’est tout simplement impossible dans le contexte actuel de dégradation de la planète. Plus personne de sensé ne met en doute le réchauffement climatique, son origine technique et ses retombées négatives.

D’autre part, le terme fixé, 2050, est considéré comme irréaliste par l’appareil politique suisse. C'est l'échappatoire. L’économie durable oui ! Mais le plus tard possible. Encore un siècle de gaspillage, s’il vous plait. C’est un problème à résoudre par la progéniture à venir. Ce n’est en tous cas pas la corvée de la génération présente. Laissons-la savourer en paix les misérables délices qui précèdent l’effondrement. L’économie est déjà en trop mauvais état pour qu’on ne lui demande pas en plus de se réformer pour éviter son écroulement. En croyant ls'en protéger ne risque-t-on pas d'accélérer un processus incertain. On avisera quand et si une catastrophe se produit vraiment. Si on n’y pense pas, si on n'en parle pas, si on en nie lâ proximité, peut-être ne se produira-t-elle pas. Soyons optimistes!

Telle fut l’attitude des civilisations qui nous ont précédées et qui n'auraient pas toutes disparu si elles ne s'étaient pas obstinée dans un pareil aveuglement. Le phénomène est récurrent. Regarder lucidement les risques de sa propre décadence pour les prévenir est un exercice hors de portée de la démarche politique ordinaire. Les hommes de pouvoir sont prisonniers d'un déni de réalité qui prend une allure pathétique. Et ce seront alors les historiens du futur qui perçevront les premiers ce qu’il aurait fallu que l’on fasse, tout en se demandant naïvement pourquoi ces évidences ne furent pas perçues à temps.

Car les civilisations, comme les hommes, sont sujettes à une mort inévitable, pour faire place nette et permettre l’émergence d’une vie nouvelle. La Suisse, qui se croit immortelle, est soumise comme les autres pays à cette loi inexorable de l’évolution. C’est une consolation de réaliser ainsi que le Conseil fédéral ne se mue en artisan de sa propre disparition que pour ouvrir la possibilité d’un gentil nouveau monde.

L’esprit de Tintin n’est pas mort

Lorsque Auguste Picard monta le premier dans la stratosphère, Hergé s’en inspira pour créer le personne de Tournesol. Sous nos yeux dubitatifs, son fils Jacques Piccard devint à son tour l’homme le plus profond de la planète en descendant dans les abysses océaniques. Le petit-fils Bertrand fait le tour du monde sans consommer de carburant. On ne connait guère de famille pionnière qui ait poursuivi avec une telle constance sur trois générations le rêve pour le rêve, pas pour la gloire, pas pour le gain, pas pour le pouvoir. Même Jules Verne n’y a pas songé.

Les experts chagrins, qui constituent toujours une majorité, ont émis toutes sortes de réserves sur l’application économique de cet exploit, qui ne poursuivait absolument pas ce but. Puisque eux-mêmes n’en avait pas eu l’idée, il fallait que celle-ci soit erronée. Comment expliquer à ces esprits obtus que la gratuité d’une action porte en soi sa raison d’être ? Il n’y avait pas davantage d’intérêt à aller sur la Lune, à faire voler la première montgolfière, à aller aux deux pôles ou à grimper au sommet de l’Himalaya. La démonstration de Solar Impulse prouve que l’énergie solaire, la seule renouvelable, suffit à tous les besoins, y compris à l’approvisionnement d’un avion capable de faire le tour de la Terre. A fortiori, la Suisse pourrait cesser d’utiliser de combustibles fossiles ou nucléaires pour ses installations fixes, si le Conseil fédéral soutenu par le parlement et par le peuple en décidait ainsi. Mais ce ne fut pas le cas et cela risque de ne pas l’être avant longtemps. La Suisse vit dans l’insouciance, la manipulation et l’ignorance en ce qui concerne son alimentation en énergie.

Au début des années 2000, le recours aux énergies renouvelables était ridiculisé dans les débats parlementaires : on pourrait au mieux produire 2 ou 3% de l’énergie électrique nécessaire à la Suisse. En réalité, les énergies vertes ont couvert près d'un tiers de la consommation électrique allemande, à hauteur de 32,5% en 2015 contre 27,3% en 2014. Il est vrai que l’investissement initial a été en partie subsidié, mais il en fut de même pour le nucléaire. Le discours officiel de la Suisse blâme aussi l’Allemagne parce qu’elle compenserait la production du nucléaire arrêté par un recours accru aux centrales à charbon. En réalité de 1990 à 2014, la part de ces centrales a baissé de 25,6% à 17,8% dans le total de la production électrique. Le renouvelable a vraiment remplacé les combustibles fossiles et le nucléaire.

La performance de Solar Impulse a donc une portée symbolique : faire prendre conscience au peuple suisse qu’il est en son pouvoir de se priver des énergies non renouvelables, qui par tautologie cesseront un jour d’être disponibles. Insister sur la nécessité d’entreprendre des recherches dans ce domaine au lieu de restreindre les crédits comme le parlement vient de le faire. Soutenir les entreprises débutantes dans ce domaine au lieu de laisser péricliter notre production de cellules photovoltaïques. Pour cela il faudrait que le parlement et l’opinion publique cessent d’être manipulés par des lobbies. Le poids des sommes dépensées pour décrier les énergies renouvelables a créé un déni de réalité. Rappelons que la Confédération n’a subventionné Solar Impulse qu’à hauteur de 5 millions sur les 170 qui furent nécessaires. Se glorifier maintenant de son succès en le présentant comme une mutation de l’image de la Suisse est indécent.

Passer au renouvelable signifie créer un nouveau secteur économique avec des emplois à la clé. L’EPFL a servi de berceau au projet Solar Impulse à une époque où personne d’officiel n’y croyait. Ce fut une aventure technique qui mesure l’excellence de l’école. En effet, pour atteindre le seuil de faisabilité, il fallut maîtriser une foule de paramètres relevant de techniques diverses. Il ne suffit pas d’être bon, il faut être le meilleur pour réussir un projet à la marge du possible. C’est ce potentiel de haute technologie qu’il faut maintenant exploiter. C’est un autre destin pour la Suisse que le fromage, le chocolat et la banque. Piccard et Borschberg ne se satisfont pas d’être des pionniers d’une aventure extraordinaire : ils font une proposition concrète que la politique doit saisir.

Légende pour le premier août

 

Le troisième jour de la création selon la Genèse, le Seigneur répartit les continents et les océans. Le récit, condensé en quatre versets, est assez sommaire. La découverte d’un commentaire dans le Talmud permet d’y voir un peu plus clair.

La France constitua le prototype. Bel équilibre entre la plaine fertile et la montagne pittoresque, entre des fleuves puissants et des mers harmonieusement disposées alentours. Comme il y avait un peu trop de roches, le Seigneur les amassa sur ce coin de terrain voisin, qui allait devenir la Suisse.

Au soir de ce troisième jour, le Seigneur envoya l’archange Gabriel pour établir un état des lieux. Après avoir voleté de-ci delà, Gabriel revint, à la fois extatique et inquiet.

« Seigneur, dit-il, vous avez créé un pays splendide, la France, mais son voisin la Suisse est beaucoup trop encombrée de montagnes. Quand vous y placerez deux peuples, les pauvres habitants de la Suisse vont jalouser les Français et leur mener une guerre perpétuelle. »

« C’est vrai, accorda le Seigneur, je me suis trop investi sur le prototype au point d’être étourdi pour son voisinage. Mais ce qui est fait est fait et on ne peut y revenir. Il faudrait un miracle et je ne tiens pas à galvauder prématurément ce genre d’immixtions qui trahissent l’improvisation et exhalent des remords ultérieurs. »

Gabriel réfléchit un moment, eut une inspiration sublime et l’exprima :

« Seigneur, il vous reste à créer les habitants. Nous savons déjà que le premier couple sera raté, mais que des peuples différents surgiront par la suite, le meilleur et le pire pour respecter une moyenne. Placez en France des mécontents perpétuels et en Suisse des gens béatement satisfaits. »

Ainsi fit le Seigneur. Depuis, les Français se plaignent d’être ce qu’ils sont, d’autant plus que la contemplation de leur pays de Cocagne constitue un démenti cinglant .à leur éternel mécontentement. En revanche les Suisses vivent une félicité d’autant plus méritée que le tiers de leur pays n’est même pas cultivable. Ils n’ont jamais envahi la France, qui elle ne s’est pas faute de franchir la frontière à deux ou trois reprises.

Le dimanche, le Seigneur se reposa dans le sentiment d’avoir créé le meilleur des mondes possibles par un juste équilibre entre les pays et les nations. Et néanmoins, en tendant l’oreille, chaque 14 juillet il entend un chant guerrier monter de la France et chaque 1er août un hymne à sa gloire en Suisse.

La NYAKA attitude

Boris Johnson, chef de file du Brexit, a procédé à une démystification aveuglante de la méthode politique NYAKA. Celle-ci consiste à saisir l’opinion publique d’une proposition –sortir de l’UE ou ne pas y entrer par exemple – en prétendant que cette simple manœuvre résoudra tous les problèmes pendants du pays. En réalité, dans le cadre de l’UE chaque pays réagit différemment et ses problèmes propres dépendent du gouvernement local et non de l’UE : la Suède n’est pas gérée de la même façon que la Grèce. Ce NYAKA n’a donc rien à voir avec la réalité.

Néanmoins, il se trouve toujours dans un corps électoral une majorité d’insatisfaits, pour des raisons différentes et souvent contradictoires. Il est impossible de les satisfaire tous à la fois dans le détail. C’est cependant la tâche de Sisyphe de la gouvernance ordinaire de n’importe quel pays. Le but du NYAKA n’est rien de plus que d’ébranler le gouvernement en place pour s’installer au pouvoir, mais certainement pas de mettre en œuvre l’initiative simpliste qui doit, spécule-t-on, échouer par sa seule outrance. On pourra ensuite tranquillement gérer les affaires courantes dans la plus complète continuité.

Cependant, de temps en temps une initiative NYAKA triomphe dans les urnes au grand désarroi des initiants. Ceux-ci font habituellement profil bas et attendent que le souvenir de leur démarche s’estompe. Mais dès le lendemain Boris Johnson a signifié qu’il ne gérerait pas sa victoire ingérable, car les effets négatifs de la sortie de l’UE se sont tout de suite manifestés, y compris une possibilité d’éclatement historique du Royaume Uni, totalement imprévue. La méthode NYAKA a conduit dans une impasse et Johnson le reconnait avec une honnêteté cynique que l’on ne rencontre guère qu’en Grande Bretagne, mère de toutes les démocraties.

A ma connaissance il n’y a pas de précédent historique de cette attitude singulièrement intègre. Pour conquérir le pouvoir en France en 1981, François Mitterrand a feint d’être converti au marxisme, afin de déstabiliser puis de détruire le parti communiste. Au bout de deux ans, après avoir démontré que le socialisme pur et dur ne pouvait tenir ses promesses NYAKA, il a viré bord pour bord et est redevenu ce qu’il était, un homme de droite, voire d’extrême droite, sans dessein politique autre que de se maintenir au pouvoir. Il n’est jamais passé aux aveux. Bien trop malin ou simplement malhonnête.

De même Georges Bush et Tony Blair n’ont jamais reconnu l’imposture de leur intervention en Irak sous prétexte d’éradiquer des armes de destruction massive, inexistantes en réalité. Une guerre NYAKA pour établir prétendument une fumeuse démocratie et prévenir une guerre, qui a réellement plongé le Proche Orient dans un conflit dont on ne sort toujours pas.

Il en est de même des initiatives récurrentes lancées par la gauche ou par l’extrême droite suisse. Ainsi, il n’est pas possible d’assurer un revenu inconditionnel de base pour tous sauf à taxer davantage ceux qui paient déjà le plus d’impôts : c’est le prototype du NYAKA de gauche, prendre l’argent à ceux qui en ont (un peu) pour le donner à ceux qui n’en ont pas du tout, comme si les premiers allaient se laisser faire et comme si les riches n’avaient pas tous les moyens de ne pas payer d’impôts du tout.

L’extrême droite soutient le NYAKA xénophobe : il suffirait de fermer les frontières pour assurer la prospérité du pays ou bien d’interdire la construction de minarets pour tenir les terroristes à distance. Non seulement de telles initiatives ne résoudront pas les problèmes qu’elles prétendent dénouer, mais elles les empireront et en créeront de nouveaux.

Il ne faut donc surtout pas qu’une initiative NYAKA réussisse car il n’y aura aucun initiant pour en gérer les suites. En revanche, le désordre, voire le chaos produit, seront mis au débit du pouvoir en place et au bénéfice du parti des initiants. Leur maxime est : périsse au besoin mon pays, pourvu qu’il entraine mes ennemis dans sa chute.

L’Etat doit-il subsidier les Eglises?

Après 23 jours, le pasteur Daniel Fatzer vient d’interrompre sa grève de la faim, sans avoir obtenu la réintégration des pasteurs licenciés par le Conseil Synodal, à commencer par lui-même. Tout en se gardant de s’immiscer et de trancher dans un conflit interne à une Eglise, à laquelle je n’appartiens pas, on peut saisir cette occasion pour réfléchir aux rapports entre l’Etat de Vaud et les Eglises. Quelle est la raison qui justifie le subside accordé par le pouvoir politique à une organisation religieuse ? La coutume sans doute. Mais cette habitude tombe en déshérence. Eglises et temples sont de moins en moins fréquentés. Il suffirait de temporiser dans la situation actuelle pour entrevoir un temps où les fidèles constitueront une si petite minorité que l’Etat n’y prêtera même plus attention. Dans ce canton de Vaud, il y a plus de citoyens sans appartenance religieuse que de fidèles dans l'EERV.

L’Etat verse 60 millions de francs en 2014 aux Eglises réformée et catholique vaudoises, qui se les répartissent. Une somme qui représente moins de 0,7 % du budget de l’Etat. Avec 34,5 millions de francs, l’EERV couvre notamment les salaires des ministres et la formation. Le canton est propriétaire des cures. Et les communes entretiennent leurs églises. Ainsi, l’Etat assure la tradition de ces institutions, tout comme il maintient l’existence de théâtres, d’orchestres, de musées. Au regard de la loi, les Eglises remplissent une fonction sociale en perpétuant une tradition spirituelle, qui soutient maintes personnes dans les difficultés. Bien évidemment cette activité d’ordre culturel ne peut s’exercer sous le contrôle de l’Etat. Les ministres du culte, comme les écrivains, les journalistes, les enseignants, jouissent de la liberté de parole. Même si celle-ci n’est pas absolue, ses limites sont très larges.

Le conflit entre le Conseil Synodal et plusieurs pasteurs licenciés provient du mécanisme de subsidiation. Les pasteurs et les prêtres sont les employés de leurs Eglises et non de l’Etat. Jusqu’en 2007, les pasteurs dépendaient directement de l’Etat. Depuis, celui qui paie est devenu le maître. Autant l’Etat se gardait comme la peste d’intervenir dans la prise de parole des ministres du culte, autant les organes dirigeants des Eglises sont tentés de le faire. Il faut d’urgence revenir au statut d’avant 2007. Les subsides consentis aux Eglises n’ont pas pour but de permettre une censure interne.

Car la Réforme a surgi précisément comme refus du centralisme romain. La multiplicité des Eglises réformées et l’absence d’un double du pape permettent une diversité et une liberté, qui devraient caractériser les chrétiens. Ils ne vivent pas tous dans les mêmes conditions, ils n’ont pas tous les mêmes traditions, ils disposent de conceptions du monde différentes. La foi religieuse ne peut se transmettre qu’en s’adaptant à cette divergence culturelle. C’est bien la tâche que s’était attribuée les pasteurs de l’église Saint Laurent à Lausanne : aller à la rencontre des gens pour les rencontrer là où ils se trouvent et non pas là où l’on suppose qu’ils devraient être.

L’Eglise catholique (dont je suis) a grand besoin d’Eglises réformées pour encourager sa rénovation. Ainsi, en instituant des femmes pasteurs, le protestantisme a démontré qu’il est concevable et souhaitable de consacrer des femmes prêtres. De même, en utilisant les langues vernaculaires plutôt que le latin, la Réforme a entrainé le même mouvement pour l’Eglise catholique.

A l’invitation des pasteurs de Saint Laurent, j’ai pu animer un culte dont j’avais choisi les lectures parmi l'oeuvre des écrivains de langue française, plus accessibles, plus parlants, plus proches de nous que le prophète Isaïe ou l’apôtre Paul. Cela ne m’avait jamais été proposé auparavant. Ce qui vient de se passer me fait craindre que cela ne se passera plus jamais. Et qu’un jour l’objet du litige lui-même, le salaire d’un pasteur transitant par une caisse synodale deviendra obsolète.

L’homosexualité fait partie de la Création

Le massacre à Orlando d’un club d’homosexuels par un fanatique religieux n’est pas étonnant. De longue date et dans toutes les cultures, la persécution des homosexuels a été liée à l’intégrisme religieux, transcrit dans des lois pénales. En France sous l’Ancien Régime, la sodomie était considérée comme un crime méritant la peine de mort et la détestation de l’homosexualité était même le fait d’un esprit aussi libéral que Voltaire. Sous le régime nazi, 75000 homosexuels allemands moururent dans les camps. En Angleterre, Oscar Wilde fut condamné à deux ans de travaux forcés pour une relation homosexuelle avec un adulte, en 1895 encore. Et plus proche de nous, en 1952, Alan Turing, mathématicien anglais de génie, précurseur de l’informatique, déchiffreur du code allemand durant la seconde guerre, fut castré chimiquement ; en conséquence il se suicida deux ans plus tard mais reçut, tout de même, soixante ans plus tard, une bien veillante réhabilitation de la part d’Elisabeth II.

Actuellement, l’Eglise catholique dans son catéchisme ne condamne plus la tendance homosexuelle, en reconnaissant enfin que ce n’est pas un choix, (ce qu’un François Hollande n’a pas encore compris !), mais l’expression d’une nature innée ou acquise par le milieu. En revanche, elle condamne toujours le passage à l’acte et invite les intéressés à vivre dans la chasteté de façon plutôt irréaliste. Les Eglises réformées et anglicane vont jusqu’à ordonner des ministres et bénir des unions homosexuelles. Il y a donc une évolution sensible mais lente. Et des intégristes de toute culture peuvent toujours passer au meurtre de masse en se croyant tenu de le faire dans un acte de piété.

Quelle est donc la relation entre la foi et l’homophobie ? Pourquoi cède-t-elle du terrain face à la laïcité ? Et surtout de quelle foi s’agit-il ? Passons sur les condamnations incluses dans les textes fondateurs, qui datent de plusieurs siècles, qui furent rédigés pour des sociétés totalement différentes mais qui sont encore parfois considérées comme l’expression d’une révélation divine, jusqu’à la moindre phrase. Dans une société traditionnelle, où pouvoir et religion sont intimement liés, l’homosexualité est considérée comme contre nature. Ce qui veut dire que la foi ne s’adresse pas à Dieu mais à une Nature déifiée.

Or, la nature d’un homme est inscrite dans son ADN. Celui-ci résulte de la fusion aléatoire de deux génomes. Dans cette loterie, il est déjà remarquable que la majorité des natures individuelles soient hétérosexuelles, parce que cela assure la perpétuation de l’espèce, et que l’homosexualité ne puisse donc pas se propager par hérédité. Mais dans ce tirage aléatoire certains individus font partie d’une minorité, sans l’avoir choisie, par le fait même du hasard de la fusion de deux ADN. Il en résulte inévitablement que, même pour un croyant, l’homosexualité doit faire partie de la création divine.

La persécution ancienne et contemporaine de l’homosexualité repose donc sur une ignorance totale des mécanismes de la reproduction et sur une image faussée de la foi religieuse. Cela invite à renforcer les cours de biologie dans l’enseignement obligatoire et dans les facultés de théologie.