Les charmes empoisonnés du développement non durable

Le développement scientifique, technique et économique a permis d’élever le niveau de vie de la population de certains pays dans des proportions incroyables. Avant la révolution industrielle du XVIIIe siècle, un travailleur dépensait 70% de son revenu rien que pour se nourrir, mal vêtu, mal logé, non soigné, ni instruit. Aujourd’hui l’alimentation, riche et variée pèse moins de 10% du budget familial. L’espérance de vie est passée de 30 à 80 ans. Telle est la réussite mais tel est aussi le risque. Cela va-t-il continuer ou s’arrêter, suite à des grandes crises de l’environnement, des pénuries de matières premières, des conflits armés pour les ressources devenues rares, des invasions massives de réfugiés écologiques ou économiques? La réponse dépend de notre génération.

Aurons-nous la sagesse de limiter notre consommation, de récupérer les énergies renouvelables, de recycler nos déchets, de partager avec les nations défavorisées ? Il est évidemment impossible de refuser l’initiative constitutionnelle pour une économie durable, sans admettre que l’on est partisan d’une économie périssable. C’est cependant ce que le Conseil fédéral et le parlement viennent de proposer : prolonger un système économique précaire aussi longtemps qu’il ne s’écroule pas suite à ses contradictions.

Le but de l’initiative lui-même n’est pas combattu par le Conseil fédéral. Comment pourrait-on refuser un texte prescrivant aux pouvoirs publics d’encourager la préservation des ressources non renouvelables ? Ce qui ne se renouvelle pas finit par s’épuiser, par définition. Comment repousser des mesures législatives, fiscales, incitatives pour atteindre ce but ? C’est tout simplement impossible dans le contexte actuel de dégradation visible de la planète.

Cependant le terme fixé, 2050, est alors considéré comme irréaliste par l’appareil politique suisse. L’économie durable oui ! Mais le plus tard possible ! L’économie est déjà en trop mauvais état pour qu’on ne lui demande pas en plus de se réformer pour éviter son effondrement. Attendons l’effondrement. On sera bien forcé d’agir. Mais tant qu’on ne l’est pas, on peut tergiverser.

Depuis plus d’un quart de siècle, les instances politiques savent qu’il faudra un jour, tôt ou tard, cesser de produire du CO2 sauf à rendre la planète inhabitable pour sa population actuelle. En fait, malgré les beaux discours, on n’a rien fait. L’année passée la consommation planétaire de pétrole, au lieu de diminuer, a encore augmenté de 2%.

Si on ne se fixe pas une échéance, on la reportera sans cesse et on lèguera aux générations à venir un défi de plus en plus insurmontable. Notre confort d’aujourd’hui se paiera par leurs pénuries de demain. La Suisse n’est manifestement pas le pays le plus pollueur, mais son niveau de vie élevé repose sur l’importation de produits qui ont pollué ailleurs. C’est notre devoir de nation développée et civilisée de prendre nos responsabilités en appuyant massivement cette initiative.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.