Une tête qui dépasse

Patrick Aebischer a tout fait pour susciter la jalousie, la méfiance et la hargne de la haute administration bernoise. Il a transformé en quinze ans une bonne école locale d’ingénieurs en une université de technologie de niveau international. Il a introduit la biologie, quasiment absente du curriculum de l’EPFL. Il a développé une école doctorale qui attire plus d’étrangers que de Suisses. Il a porté le nombre des étudiants bien au-delà de ce qu’il était. Il a bâti un quartier de l’innovation et un centre de congrès. Pour certains c’est trop, beaucoup trop. Un seul homme ne peut être à l’origine de cette mutation, sans constituer un reproche vivant pour tous ceux qui en ont été incapables et qui ne supportent pas la compétition académique. La méfiance est de rigueur. Il est trop fort. Il a exagéré. Jusqu'où ira-t-il? Ne risque-t-il pas de monter dans la hiérarchie scienfique, dont les étages supérieurs sont actuellement occupés par des incompétents notoires? Pour diriger la politique scientifique de ce pays, entre Schneider Amman et Aebischer il n'y a pas photo.

Comment le disqualifier ? Sinon en laissant entendre que ce qu’il a fait n’est pas conforme aux règles. Tout en n’étant en rien illégal, s’empresse-t-on d’ajouter. Faute de moyens accordés par les finances fédérales, il s’est tourné vers les finances privées. Celles-ci sont entrées en matière sur base des conditions du marché. C’était à prendre ou à laisser. L’Epfl aurait dû, selon les conceptions des critiques bernois, continuer à vivre sans résidences d’étudiants et sans centre de congrès. Cela aurait satisfait les préjugés des médiocres qui font mine de nous gouverner en la matière. Cela aurait convenu à la modestie exigée des cantons romands qui n'ont pas à se hausser le col!

Le Contrôle fédéral des finances fut l’instrument approprié pour cette entreprise de subversion. Qu’il y ait des observations à transmettre dans une évaluation de la gestion, c'est évident, mais cela peut se faire sereinement dans un document interne. Fallait-il alerter l’opinion publique? Sinon pour discréditer la personne, en laissant entendre, tout en prétendant ne pas le dire, qu’il aurait commis des entorses à la loi ? Il n’y a même pas eu de dépassement des crédits. Difficile de le critiquer.

Sartre a dit que certaines personnes n’avaient pas de mains sales, parce qu’elles n’avaient pas de mains. Dans la société des manchots de la Berne fédérale, on ne reproche pas à Patrick Aebischer d’avoir les mains sales. On lui reproche d’avoir des mains.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.