Bigots de gauche et cagots de droite

La Suisse va-t-elle offrir un spectacle ridicule en légiférant sur le voile islamique dans sa constitution ? Tel est le débat absurde qui occupe la scène politique, comme si les pensions, la santé, la formation, le transport, le logement n’étaient pas les vrais sujets de préoccupation du citoyen ordinaire. Puisque tous ces problèmes sont ardus et ne possèdent pas de solutions commodes, la tentation est de générer des problèmes inexistants, auxquelles on apporte des remèdes dérisoires. Ce sont autant d’emplâtres sur une jambe de bois. Comme il n’y a pratiquement pas de burqas en circulation sauf dans les stations touristiques où on ne peut les interdire, légiférons dans le vide

Règlementer le vêtement féminin est la plus vaine des entreprises étatiques car les femmes trouveront toujours le moyen d’y échapper. On dit que les Iraniennes maîtrisent parfaitement les ruses qui transforment le voile en instrument de séduction. Interférer avec les signes extérieurs d’appartenance religieuse est une autre entreprise vouée à l’échec car en martyrisant une foi on la conforte. La sagesse des pères de la Confédération fut de confiner les relations avec les confessions au niveau cantonal. La bigoterie locale peut ainsi être comblée par quelque mesquinerie satisfaisant les mentalités arriérées. Mais cela n’implique pas l’Etat fédéral chargé des sujets sérieux.

Sous couvert de mode féminine, le véritable objectif, souvent avoué, est de lutter contre l’islamisation (imaginaire) de notre société, sous le prétexte hypocrite de défendre la culture dite judéo-chrétienne. Or les juifs ont été traditionnellement les grands exclus et les églises chrétiennes sont vides. Va-t-on annuler la Shoah et convertir les incroyants en empêchant une femme voilée de scandaliser les passants ? Cela n’a rien à voir, pas plus que l’interdiction constitutionnelle de construire des minarets ne va empêcher le terrorisme, d’ailleurs inexistant en Suisse. En revanche l’interdiction de la burqa en France n’a pas empêché le terrorisme.

En fin de compte, c’est affirmer que nos valeurs sont supérieures à celles des autres civilisations que nous avons le droit de juger et de réformer. Cela porte un vilain nom : le colonialisme.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.