Un rendez-vous décisif est manqué

Il était évidemment impossible de refuser l’initiative pour une économie durable sans admettre que l’on est partisan d’une économie instable. On ne peut pas vouloir quoi que ce soit et en même temps son contraire. C’est cependant ce que le Conseil fédéral et le parlement viennent de proposer : prolonger un système économique précaire aussi longtemps qu’il ne s’écroule pas de lui-même ; entraîner l'opinion publique dans un déni de la réalité

D’une part, le principe de l’initiative n’est pas combattu. Comment pourrait-on refuser un texte prescrivant aux pouvoirs publics d’encourager « la fermeture des cycles de vie des matériaux et veiller à ce que l’activité économique n’épuise pas les ressources naturelles ni, dans toute la mesure du possible, ne menace l’environnement ou lui cause des dommages. » ? Comment repousser des mesures législatives, fiscales, incitatives pour atteindre ce but ? C’est tout simplement impossible dans le contexte actuel de dégradation de la planète. Plus personne de sensé ne met en doute le réchauffement climatique, son origine technique et ses retombées négatives.

D’autre part, le terme fixé, 2050, est considéré comme irréaliste par l’appareil politique suisse. C'est l'échappatoire. L’économie durable oui ! Mais le plus tard possible. Encore un siècle de gaspillage, s’il vous plait. C’est un problème à résoudre par la progéniture à venir. Ce n’est en tous cas pas la corvée de la génération présente. Laissons-la savourer en paix les misérables délices qui précèdent l’effondrement. L’économie est déjà en trop mauvais état pour qu’on ne lui demande pas en plus de se réformer pour éviter son écroulement. En croyant ls'en protéger ne risque-t-on pas d'accélérer un processus incertain. On avisera quand et si une catastrophe se produit vraiment. Si on n’y pense pas, si on n'en parle pas, si on en nie lâ proximité, peut-être ne se produira-t-elle pas. Soyons optimistes!

Telle fut l’attitude des civilisations qui nous ont précédées et qui n'auraient pas toutes disparu si elles ne s'étaient pas obstinée dans un pareil aveuglement. Le phénomène est récurrent. Regarder lucidement les risques de sa propre décadence pour les prévenir est un exercice hors de portée de la démarche politique ordinaire. Les hommes de pouvoir sont prisonniers d'un déni de réalité qui prend une allure pathétique. Et ce seront alors les historiens du futur qui perçevront les premiers ce qu’il aurait fallu que l’on fasse, tout en se demandant naïvement pourquoi ces évidences ne furent pas perçues à temps.

Car les civilisations, comme les hommes, sont sujettes à une mort inévitable, pour faire place nette et permettre l’émergence d’une vie nouvelle. La Suisse, qui se croit immortelle, est soumise comme les autres pays à cette loi inexorable de l’évolution. C’est une consolation de réaliser ainsi que le Conseil fédéral ne se mue en artisan de sa propre disparition que pour ouvrir la possibilité d’un gentil nouveau monde.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.