Le troisième jour de la création selon la Genèse, le Seigneur répartit les continents et les océans. Le récit, condensé en quatre versets, est assez sommaire. La découverte d’un commentaire dans le Talmud permet d’y voir un peu plus clair.
La France constitua le prototype. Bel équilibre entre la plaine fertile et la montagne pittoresque, entre des fleuves puissants et des mers harmonieusement disposées alentours. Comme il y avait un peu trop de roches, le Seigneur les amassa sur ce coin de terrain voisin, qui allait devenir la Suisse.
Au soir de ce troisième jour, le Seigneur envoya l’archange Gabriel pour établir un état des lieux. Après avoir voleté de-ci delà, Gabriel revint, à la fois extatique et inquiet.
« Seigneur, dit-il, vous avez créé un pays splendide, la France, mais son voisin la Suisse est beaucoup trop encombrée de montagnes. Quand vous y placerez deux peuples, les pauvres habitants de la Suisse vont jalouser les Français et leur mener une guerre perpétuelle. »
« C’est vrai, accorda le Seigneur, je me suis trop investi sur le prototype au point d’être étourdi pour son voisinage. Mais ce qui est fait est fait et on ne peut y revenir. Il faudrait un miracle et je ne tiens pas à galvauder prématurément ce genre d’immixtions qui trahissent l’improvisation et exhalent des remords ultérieurs. »
Gabriel réfléchit un moment, eut une inspiration sublime et l’exprima :
« Seigneur, il vous reste à créer les habitants. Nous savons déjà que le premier couple sera raté, mais que des peuples différents surgiront par la suite, le meilleur et le pire pour respecter une moyenne. Placez en France des mécontents perpétuels et en Suisse des gens béatement satisfaits. »
Ainsi fit le Seigneur. Depuis, les Français se plaignent d’être ce qu’ils sont, d’autant plus que la contemplation de leur pays de Cocagne constitue un démenti cinglant .à leur éternel mécontentement. En revanche les Suisses vivent une félicité d’autant plus méritée que le tiers de leur pays n’est même pas cultivable. Ils n’ont jamais envahi la France, qui elle ne s’est pas faute de franchir la frontière à deux ou trois reprises.
Le dimanche, le Seigneur se reposa dans le sentiment d’avoir créé le meilleur des mondes possibles par un juste équilibre entre les pays et les nations. Et néanmoins, en tendant l’oreille, chaque 14 juillet il entend un chant guerrier monter de la France et chaque 1er août un hymne à sa gloire en Suisse.