La NYAKA attitude

Boris Johnson, chef de file du Brexit, a procédé à une démystification aveuglante de la méthode politique NYAKA. Celle-ci consiste à saisir l’opinion publique d’une proposition –sortir de l’UE ou ne pas y entrer par exemple – en prétendant que cette simple manœuvre résoudra tous les problèmes pendants du pays. En réalité, dans le cadre de l’UE chaque pays réagit différemment et ses problèmes propres dépendent du gouvernement local et non de l’UE : la Suède n’est pas gérée de la même façon que la Grèce. Ce NYAKA n’a donc rien à voir avec la réalité.

Néanmoins, il se trouve toujours dans un corps électoral une majorité d’insatisfaits, pour des raisons différentes et souvent contradictoires. Il est impossible de les satisfaire tous à la fois dans le détail. C’est cependant la tâche de Sisyphe de la gouvernance ordinaire de n’importe quel pays. Le but du NYAKA n’est rien de plus que d’ébranler le gouvernement en place pour s’installer au pouvoir, mais certainement pas de mettre en œuvre l’initiative simpliste qui doit, spécule-t-on, échouer par sa seule outrance. On pourra ensuite tranquillement gérer les affaires courantes dans la plus complète continuité.

Cependant, de temps en temps une initiative NYAKA triomphe dans les urnes au grand désarroi des initiants. Ceux-ci font habituellement profil bas et attendent que le souvenir de leur démarche s’estompe. Mais dès le lendemain Boris Johnson a signifié qu’il ne gérerait pas sa victoire ingérable, car les effets négatifs de la sortie de l’UE se sont tout de suite manifestés, y compris une possibilité d’éclatement historique du Royaume Uni, totalement imprévue. La méthode NYAKA a conduit dans une impasse et Johnson le reconnait avec une honnêteté cynique que l’on ne rencontre guère qu’en Grande Bretagne, mère de toutes les démocraties.

A ma connaissance il n’y a pas de précédent historique de cette attitude singulièrement intègre. Pour conquérir le pouvoir en France en 1981, François Mitterrand a feint d’être converti au marxisme, afin de déstabiliser puis de détruire le parti communiste. Au bout de deux ans, après avoir démontré que le socialisme pur et dur ne pouvait tenir ses promesses NYAKA, il a viré bord pour bord et est redevenu ce qu’il était, un homme de droite, voire d’extrême droite, sans dessein politique autre que de se maintenir au pouvoir. Il n’est jamais passé aux aveux. Bien trop malin ou simplement malhonnête.

De même Georges Bush et Tony Blair n’ont jamais reconnu l’imposture de leur intervention en Irak sous prétexte d’éradiquer des armes de destruction massive, inexistantes en réalité. Une guerre NYAKA pour établir prétendument une fumeuse démocratie et prévenir une guerre, qui a réellement plongé le Proche Orient dans un conflit dont on ne sort toujours pas.

Il en est de même des initiatives récurrentes lancées par la gauche ou par l’extrême droite suisse. Ainsi, il n’est pas possible d’assurer un revenu inconditionnel de base pour tous sauf à taxer davantage ceux qui paient déjà le plus d’impôts : c’est le prototype du NYAKA de gauche, prendre l’argent à ceux qui en ont (un peu) pour le donner à ceux qui n’en ont pas du tout, comme si les premiers allaient se laisser faire et comme si les riches n’avaient pas tous les moyens de ne pas payer d’impôts du tout.

L’extrême droite soutient le NYAKA xénophobe : il suffirait de fermer les frontières pour assurer la prospérité du pays ou bien d’interdire la construction de minarets pour tenir les terroristes à distance. Non seulement de telles initiatives ne résoudront pas les problèmes qu’elles prétendent dénouer, mais elles les empireront et en créeront de nouveaux.

Il ne faut donc surtout pas qu’une initiative NYAKA réussisse car il n’y aura aucun initiant pour en gérer les suites. En revanche, le désordre, voire le chaos produit, seront mis au débit du pouvoir en place et au bénéfice du parti des initiants. Leur maxime est : périsse au besoin mon pays, pourvu qu’il entraine mes ennemis dans sa chute.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.