L’acratie suisse à la dérive

Le méchant procès fait à Guy Parmelin illustre un manque de perspective permanent de nos institutions. Plus le sujet d’une controverse est minuscule, vague, contestable, plus une certaine presse et certains politiciens s’en délectent et amplifient les reproches sans limites. Comme il n’y a rien de précis à critiquer, on peut fabuler à loisir.

On peut ne pas être d’accord avec la vision politique de Guy Parmelin et de son parti, mais ce n’est pas une raison de lui chercher des poux. Quoi ! Il aurait soutenu au Conseil fédéral une mesure qui avantage fiscalement les agriculteurs, dont il fut longtemps le représentant élu. (Au conditionnel car en principe les débats du gouvernement sont secrets.) Il n’en tirerait aucun bénéfice personnel puisqu’il a revendu son exploitation vinicole tout de suite après son élection. Oui, mais c’est à son frère ! Quel épouvantable scandale ! Il aurait au moins du prospecter parmi ses cousins sous-germains. La perversion suprême, c’est qu’il n’a rien fait d’illégal.

Mais un conseiller fédéral est soumis à des lois non écrites, que chacun peut consigner dans sa tête à sa fantaisie. Il est présumé coupable a priori. Car il exerce le pouvoir. Et cela c’est suspect en soi. La Suisse est une acratie, l’absence de tout pouvoir établi. Celui-ci doit être délayé au maximum pour que personne ne l’exerce vraiment.

Au même moment, on apprend que notre industrie d’armement, la RUAG est victime de piratage informatique et, par son truchement, toute l’informatique fédérale. On n’en connait pas encore les dégâts, mais ils pourraient être sans limites. Quand il n’est pas occupé à justifier ses relations familiales devant la presse, Guy Parmelin s’est hâté de prendre des mesures conservatoires pour pallier la négligence et l’inertie de ses prédécesseurs. Car la sécurité du pays n’est plus menacée par une invasion du territoire, contre laquelle il faudrait prévoir des brigades blindées et des flottilles de camions hors de prix. C’est plutôt l’attaque sournoise de nos infrastructures informatiques ou le surgissement dans une foule d’un kamikaze djihadiste qui se fait sauter.

Combien de fois le parlement a-t-il attiré l’attention du Conseil fédéral sur ces risques réels ! Sans réponse. Car le Conseil n’est pas un véritable gouvernement. Ce n’est pas une équipe choisie par un chef, il n’a pas de programme sur lequel il aurait été composé, il n’a pas de majorité pour le soutenir. C’est un non-gouvernement, piégé par des détails infimes, sur lesquels l’opinion publique se détermine. C’est une délégation parlementaire à l’exécutif qui représente tous les lobbies importants. Elle arbitre entre ceux-ci sur base de votes secrets qui sont divulgués à l’opinion publique dans la mesure des possibilités d’agiter celle-ci avant de s’en servir.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.