Certes, l’économie dans lequel nous vivons est la principale responsable des attentats terroristes, parce qu’elle isole une couche de jeunes marginaux hors du circuit et ne les intègre plus dans le tissus social. C’est une hypothèse défendable mais elle doit être complétée par une hypothèse complémentaire. Il est en effet possible et même normal de s’insurger contre l’oppression du système en place par des manifestations, des émeutes, voire des attentats sans nécessairement se suicider. On peut au contraire estimer qu’un militant se doit à sa cause et qu’il ne peut démissionner, fut-ce en entrainant dans sa mort quelques dizaines d’opposants.
Pour se suicider allègrement, il faut être muni de croyances, soit à une vision politique comme les communistes et les nazis du siècle dernier, soit à une vision religieuse comme les Kamikaze japonais et les terroristes islamistes. Dans la suite, le terme croyance sera utilisé selon une acception restreinte, pour bien marquer la distinction, aussi ténue que nécessaire, par rapport à la foi. La croyance est le fait de croire obstinément à une certaine formulation de la foi politique ou religieuse. La foi elle-même est une conviction irrésistible, inébranlable mais fragile, sans cesse remise en question, rationnelle et libre, qui engage toute la vie dans ce qu’elle a de plus authentique. La croyance, c’est « croire que » ; la foi, c’est « croire en ».
Les terroristes islamistes qui se font exploser entretiennent deux croyances superposées : la première en une vie après la mort qui est partagée par la plupart des religions ; la seconde en un accès à une sorte de paradis si la mort est le résultat d’un combat contre les infidèles où le suicide devient un acte positif. Cette seconde croyance est absolument rejetée par le christianisme pour lequel le suicide est une faute grave. Dès lors on n’a pas connu de canonisé qui se soit fait exploser.
Or, la vie sociale est tissée de croyances, même dans un pays développé en notre siècle. Il y a les croyances symétriques de la gauche et de la droite, en plus d’Etat contre moins d’Etat, en la vertu du marché libre contre celle de la planification, en l’internationalisme contre le nationalisme. Aussi longtemps que ces thèses contradictoires sont défendues par l’équivalent d’avocats devant le tribunal de la réalité, elles sont utiles pour élaborer un compromis pragmatique. Dès que l’une d’entre elles n’a plus de contrepoids, l’équilibre est rompu et l’on s’achemine vers des crises de la croyance droitière comme les krachs de 1929 ou de 2008 ou des crises de la pensée de gauche comme les famines soviétiques de 1921 à 1947.
Le but n’est pas de dénigrer les croyances, véhicules imparfaits, nécessaires et provisoires d’une analyse synthétique de la réalité, mais de constater qu’elles se périment avec le temps au point de caricaturer ce qu’elles sont censées transmettre. On ne peut ni écarter prématurément une croyance, ni surtout la figer lorsqu’elle devient inadéquate.
Une croyance hors sol devient mortifère. La Suisse a cru trop longtemps au secret bancaire. Son conseiller fédéral en charge de la Défense croyait que l’armée suisse était la meilleure du monde ou, pire, feignait de le croire. Les promoteurs des centrales nucléaires croient que les techniciens suisses sont tellement extraordinaires que Mühleberg ne peut certainement pas exploser. Les initiants contre l’immigration massive croyaient que leur projet ne mettait pas en danger les relations bilatérales et le 9 février 2014 ils ont convaincu 50,3% des votants d’adhérer à cette croyance.
On ne peut se débarrasser d’une croyance nocive que par la prise de position des responsables, politiques ou religieux. Les autorités morales de l’Islam ne doivent pas seulement condamner en principe les attentats suicides mais aussi démentir clairement que les martyrs de la foi gagneraient ainsi leur paradis. Les leaders de l’UDC doivent reconnaître qu’ils ont sous-estimé la réaction de l’UE à leur initiative der 9 février 2014.