Ce n’est la faute de la Suisse, mais c’est faute de Suisse.

Les chroniqueurs suisses et internationaux commencent à entamer le sujet qui fâche : est-ce que l’Union européenne va se disloquer ? Il y a des raisons de se faire du souci : la faillite de la Grèce menacée d’expulsion de l’Euros ; les velléités de la Grande.Bretagne de quitter l’UE pour de bon ; la montée en puissance de la Russie de Poutine ; l’incapacité de répartir les réfugiés syriens entre les différents pays de l’Union.

C’est sans doute ce dernier point qui est le plus révélateur. L’UE a été incapable d’arrêter le conflit syrien et il a fallu une entente entre USA et Russie pour arriver à un précaire cessez-le-feu. Voici moins d’un siècle, la France seule sur mandat de la Société des Nations réussissait à maintenir l’ordre et la paix dans ce pays. Aujourd’hui l’UE laisse par impuissance et apathie perdurer une guerre civile dans sa zone d’influence au risque de déclencher un conflit majeur. Dès lors les réfugiés surviennent sans que l’UE parvienne à maîtriser le flux : ou bien elle accepte sur son territoire des millions de réfugiés dont la présence exacerbe les partis nationalistes ; ou bien elle les refoule en faisant fi des valeurs qui la fondent. Face à la guerre syrienne, l’UE doit surmonter une de ces célèbres crises qui l’ont toujours fait progresser.

Il vaut donc la peine d’alerter sur les risques d’une implosion précisément pour l’éviter. Cette crise-ci est capitale : l’UE est-elle prête à évoluer dans le sens d’une confédération où les Etats membres acceptent de se dépouiller de certains de leurs pouvoirs régaliens : la politique étrangère, la garde des frontières, la défense militaire. Il suffit d’énoncer ces attributs pur comprendre que c’est la situation de la Suisse. Les cantons se sont démunis de ces attributions pour les confier au pouvoir fédéral, mieux placé pour les gérer. Le problème n’est donc pas de savoir comment la Suisse adhèrera ou non à l’UE mais de voir dans quelle mesure l’UE pourrait prendre modèle sur la Suisse.

Comment équilibrer les compétences entre l’UE et les Etats membres ? Comment régler les conflits entre ces compétences ? Comment gérer les crises ? Comment évoluer d’une zone de libre-échange vers un Etat supranational ? La Suisse a beaucoup d’expérience dans ce domaine délicat. Elle fait vivre ensemble des cultures différentes. Elle a créé une oasis garantissant la sécurité du droit, la paix sociale, la prospérité. Tout cela pourrait et devrait être transposé à l’échelle du continent.

La Suisse politique doit donc cesser de se demander ce que l’Europe peut lui apporter, mais se demander ce qu’elle peut apporter à l’Europe. Si l’UE se disloque, ce ne sera pas la faute de la Suisse qui n’en fait pas partie, mais faute de Suisse qui aurait pu la sauver et qui ne l’a pas voulu. L’UE a été créée à la fin de la seconde guerre mondiale pour éviter la résurgence de conflits armés sur le sol européen. Si elle se disloque, le continent retombera dans sa situation antérieure. Cela ne signifie pas qu’une guerre franco-allemande se répétera. Cela signifie que ce qui parait impossible aujourd’hui peut redevenir possible, si disparait ce qui l’a rendu impossible.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.