On peut exprimer les critiques les plus dures sur l’action de l’UDC, mais on ne peut pas lui reprocher de manquer d’une habileté professionnelle tout à fait impressionnante : l’objectif est détestable mais la méthode exemplaire. A bout portant avant la votation sur le renvoi forcé des criminels étrangers, Thomas Aeschi, jeune espoir du parti, presque conseiller fédéral, a réussi un coup de maître :embarquer trois collègues des autres partis pour une mission de blanchiment du régime érythréen.
La pratique actuelle de la Confédération est de considérer systématiquement les migrants de ce pays comme des réfugiés authentiques même s’il s’agit de déserteurs de l’armée. L’UDC attaque donc la politique de l’asile sur un point qui peut susciter la controverse. Car les réfugiés de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan fuient des pays manifestement ravagés par la guerre. Tandis qu’en Erythrée règne l’ordre, celui qui caractérise les dictatures.
Et donc il n’y a rien à voir en une semaine par définition. Bien entendu les parlementaires suisses n’ont pas été autorisés à visiter les prisons où sont enfermés les opposants politiques, y compris des journalistes et même des parlementaires. Revenus en Suisse, ils ont tenu le discours lénifiant que l’UDC attendait d’eux : les ONG ont exagéré, la mission de l’ONU a produit un rapport excessif, l’Erythrée ce n’est tout de même pas la Corée du Nord. C’est moins pire, donc c’est bon, on peut y renvoyer quelques réfugiés en choisissant ceux qui ont commis des délits pour voir ce que cela donne. Rien ne vaut la méthode expérimentale en politique.
Au terme de ce discours édulcorant diffusé dans la presse, certains électeurs soutiendront l’initiative UDC sur le renvoi des criminels étrangers. Or la décision se prendra à la marge. Il suffit d’un petit coup de pouce pour l’emporter. Ce mauvais coup a été perpétré avec une habileté diabolique. En passant, quatre parlementaires suisses accréditent le mythe UDC selon lequel l’administration fédérale est laxiste, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga complaisante, les ONG non crédibles et l’ONU non fiable. En un mot, renfermons nous un peu plus dans notre coquille pour assurer notre sécurité et notre bien-être.
En Sicile à Nota, j’ai eu l’occasion d’échanger en anglais quelques mots avec un jeune déserteur érythréen qui venait de réussir à atterrir en Italie. La fonction de l’armée érythréenne n’est pas de protéger le pays d’une attaque de l’extérieur. L’armée est postée sur la frontière pour abattre les habitants du pays qui tentent de s’échapper. Elle joue le même rôle que les Vopos de l’Allemagne de l’Est posté jadis sur le mur de Berlin pour tuer les évadés. Voilà ce qu’il m’a dit. En écoutant les parlementaires suisses de quatre partis, j’en arrive à me demander si ce garçon n’inventait pas cette histoire. Car, tout de même, entre la parole de quatre Suisses à la peau blanche et celle d’un seul Africain, qui peut hésiter ?