Le remède fait pour empirer le mal

 Pour sauver la saison de Noël en sus d'activités ludiques et culturelles, des stations de montagne mettent en route des batteries de canons à neige. Cela résoudra leur problème immédiat et local, cela sauvera les emplois de la saison dans la station, cela préservera le retour sur capital investi dans les remontées mécaniques et aussi dans les hôtels et les appartements de la station. Mais c’est la solution du désespoir, celle qui précipitera le cataclysme final.

Car qui dit canon à neige, signifie consommation d’énergie et celle-ci engendre, au moins partiellement, les gaz à effet de serre qui créent précisément le réchauffement climatique et celui-ci empêche la chute de neige. Plus on fabriquera de neige artificielle, plus il faudra en fabriquer jusqu’à ce que le sol en haute montagne devienne tellement chaud qu’aucune neige n’y tiendra. Ce sera la fin définitive du ski alpin, sauf en quelques endroits suffisamment élevés. Au fond, c’est la seule retombée négative qui affecte directement la Suisse. La fonte des glaciers n’est qu’un phénomène marginal pour l’instant, ne pénalisant personne. A terme, elle met en danger l’apport régulier d’eau dans les barrages, mais c’est un problème à venir, hors de portée des décisions politiques immédiates. Les victimes immédiates du réchauffement sont les peuples de Polynésie envahis par la montée de la mer et ceux du Sahel frappés par la sécheresse. Ils constituent ces migrants dont nous ne voulons pas.

Lors du débat sur la négociation climatique de Paris, qui vient de s’achever dans un contentement de façade, Doris Leuthard admit que la Suisse n’avait réduit depuis 1990 sa production de gaz de serre que de 2%. Le reste du bilan, satisfaisant nos obligations, provenaient de certificats achetés à des pays en développement. En d’autres mots, notre pays riche a acheté aux pays pauvres le droit de polluer. Et, en matière de neige artificielle, il s’est mis en position de continuer, sans remords, sans limite et même sans s’en rendre compte.

Car, dans une interview publiée aujourd’hui par Le Temps, Jean-René Fournier, hôtelier de Veysonnaz, se réjouissait d’avoir pallié la modification climatique. Sauf qu’il n’a pas conscience que ce réchauffement est dû à l’activité humaine, il le nie. Il en rend les « écolos » responsables. Ceux-ci sont des messagers de mauvais augure parce qu’ils proclament une vérité qui est bonne à taire. Il fait partie de ces dirigeants, si nombreux, qui nient l’origine des problèmes, auxquels ils opposent des solutions dérisoires, futiles et en l’occurrence contre productives. La réalité physique est absente de leur vision du monde : il n’y a que des complots politiques ourdis par des méchants et communiqués par les journalistes.

Quand la situation sera devenue sans issue, quand le capital investi dans les Alpes aura été réduit à néant, les promoteurs exigeront des compensations. Le contribuable moyen paiera davantage d’impôt et sera privé de ski. Le contribuable fortuné, qui ne paie pas d’impôts, indemnisé par l’Etat, ira en hélicoptère au-delà de 3000 mètres pour skier. Aux riches, les mains pleines. Bienheureux ceux qui ont déjà tout, car on lui donnera le peu de ceux qui sont démunis.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.