L’extrême droite recrute les masses populaires

Un chercheur futé s’est penché sur la qualification des parlementaires. De ce travail résulte une donnée qui est fabuleuse : la fraction UDC comporte le moins de diplômés universitaires et celle du PS le plus, et cela avec un écart considérable, 34,4% pour le premier et 77,4% pour le second, plus que du simple au double. En d’autres mots, le parti réputé de droite représente et rassemble des véritables déshérités de notre société, les sans-diplômes, tandis que la soi-disant gauche est le parti des privilégiés de la formation et de culture. Les prolétaires votent à droite, les universitaires à gauche.

Cela donne le tournis. Beaucoup de bouleversements apparents de la politique suisse et européenne deviennent plus clairs, quand on tient compte de ce chassé-croisé Ainsi l’UDC est viscéralement opposée à la formation continue, aux bourses universitaires, à la procréation médicalement assistée, aux cultures OGM, aux crédits pour la recherche, à la coopération au développement. En sens inverse, elle privilégie l’apprentissage par opposition à la formation universitaire. La culture, pour elle, c’est le cor des Alpes, le yodle, la danse folklorique, la lutte à la culotte, la désalpe, les cantiques dominicaux. L’agriculture, le sport et l’armée sont des postes budgétaires qui emportent son soutien inconditionnel. Bref, le peuple n’est plus dans les « masses populaires » invoquées rituellement par les gauches d’antan. Il vote le plus à droite possible.

On se trouve devant le dilemne classique de la poule et de l’œuf : est-ce que l’ignorance de beaucoup d’électeurs engendre l’UDC ainsi que tous les partis de même style en Europe ? Ou bien est-ce que ces partis prêchent l’ignorance pour fonder leur base électorale ? Les deux sans doute. La gauche a trahi l’attente des déshérités et l’extrême droite les a captés. En plaidant pour plus d’Etat, la gauche vise à créer des postes de fonctionnaires pour lesquels les diplômés des sciences humaines sont qualifiés. En proposant le numerus clausus pour ces formations universitaires, l’UDC vise au contraire l’employabilité des jeunes, entendons leur engagement dans des postes productifs. Selon elle, il y aurait trop de sociologues, de psychologues, de politologues et trop peu de plombiers, de maçons et de boulangers.

En ne formant pas assez de médecins, d’ingénieurs et d’informaticiens, la droite engrange un double bénéfice : ces spécialistes formés à l’étranger ne coutent rien au budget et sont attirés par les salaires suisses ; leur immigration « massive » indispose le peuple des malformés helvétiques et recrute de ce fait des électeurs inconditionnels de l’UDC. Sous l’apparente incohérence se cache une logique implacable, celle du capitalisme sauvage, du déni de la réalité et du fantasme collectif.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.