En Syrie, nous avons les mains propres

Si vous vous trouvez à Beyrouth, il suffit de prendre l’avion pour arriver à Genève moyennant un transfert à Francfort ou Athènes. Avec un bon passeport aussi. Pas le passeport syrien, car il devrait être muni d’un visa que la délégation suisse au Liban a ordre de refuser.

Certes, la qualité de réfugié ne peut être mise en cause, l’accueil sera accordé en Suisse, pourvu que le candidat, y compris sa famille et ses enfants en bas âge courent le risque d’une équipée en Zodiac entre la Turquie et une île grecque et qu’ils poursuivent leur calvaire en bus, en train, voire à pied en se glissant sous les barbelés balkaniques. Pourquoi la Suisse refuse-t-elle de donner des visas ?

Le DFAE dispose d’une panoplie de réponses. Tout d’abord, ce serait une inégalité de traitement entre les réfugiés selon leur point de départ, puisque les services diplomatiques suisses ne sont plus assurés dans les zones d’instabilité, comme à Damas. Et puis une distribution de visas pour la Suisse à Beyrouth entrainerait un « appel d’air » selon l’image poétique de la Confédération. La Suisse ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Et donc elle en accueille le moins possible pour ne pas faire de jaloux. On peut parler de justice distributive.

En même temps, la Suisse souffre d’une pénurie de personnel hautement qualifié : des médecins, des ingénieurs, des informaticiens, des financiers. Ne pourrait-elle cyniquement combler ces vides en recrutant parmi les Syriens réfugiés au Liban, en Turquie, en Jordanie, c’est-à-dire en combinant sa tradition humanitaire avec son intérêt évident? Non, car ce serait contraire à l’éthique. Des privilégiés voyageraient en avion et d’autres continueraient à risquer leur vie aux mains des passeurs. La Suisse ne peut se souiller en opérant un tel tri : c’est aux passeurs d’effectuer le tri et de charger leur conscience. Ils sont payés pour cela.

Par ce sophisme, le DFAE fait coup double : il y a moins de réfugiés et nous gardons les mains propres. Comme l’a déjà dit Sartre, la meilleure façon de ne pas se salir les mains, c’est de ne pas avoir de mains du tout.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.