Le grand art du mouvement immobile

Nous avons tous admiré dans un spectacle de mime un mouvement classique qui consiste à marcher sur place tandis que le décor défile. L’artiste ne bouge pas mais tout son talent consiste à en donner l’illusion. C’est aussi un grand classique de toute administration, privée ou publique. Dépassée par les événements, elle feint de les organiser.

Ainsi, le Conseil fédéral s’est avisé qu’une société de l’information s’aménage en Suisse comme dans le vaste monde. Tout le monde en est convaincu depuis un quart de siècle. Le pouvoir s’en est aperçu. Il propose donc une stratégie pour la société de l’information tout comme un général qui subit une débâcle de son armée et qui continue à envoyer des ordres dont personne ne prendra connaissance. L’outil majeur pour la mise en œuvre de cette stratégie est un comité interdépartemental Société de l’Information (CISI). La mise au point d’un acronyme est le premier pas qui compte. Soit neuf fonctionnaires dont les connaissances réunies sur le sujet sont sans doute inférieures à celle d’un modeste bachelor en systèmes d’information, certifié EPFL. Leur objectif : rendre l’espace suisse innovant et compétitif ; profiter à tous et rendre l’espace de vie attrayant. Il serait difficile d’être plus vague et moins compromettant. Ce ne sont pas des objectifs dans le futur, mais de simples évidences dans le présent. Pour valider cette stratégie à reculons, il faudra néanmoins obtenir l’aval des sept départements et de la chancellerie, ce qui prendra jusque mars 2016. Et puis faire quoi ?

Pas possible d’obtenir d’autres précisions des responsables de cette machine à la Tinguely, destinée à brasser du vide. Car les propositions concrètes s’évaporent dans un brouillard diffus. Depuis un quart de siècle, la Suisse parle du dossier électronique du patient et du vote par Internet. On a lancé des expériences pilote mais on ne se résout toujours pas à imposer aux cantons rétrogrades de telles nouveautés. De même chaque parlementaire reçoit un ordinateur sur lequel il peut consulter les documents nécessaires qui sont tout de même envoyés sous forme papier, au rythme moyen de soixante pages par jour.

Lorsqu’un conseiller national s’avise de proposer quelque initiative tenant compte de l’existence des techniques de l’information, le Conseil fédéral s’y oppose fermement. Ainsi le signataire de ce billeti avait effrontément proposé qu’un fichier central recense toutes les radiographies des patients afin que le médecin puisse en être informé, les consulter sur son ordinateur et déceler les variations au cours du temps. Au nom de la protection de la sphère privée, ce fut refusé à la quasi-unanimité du parlement.

La CISI a donc de beaux jours devant elle. Elle pourra évoquer tout ce que l’on pourrait faire et inventorier les raisons de ne rien faire.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.