La force du franc dépend du marché international des devises, sur lequel la Suisse n’a qu’une prise très limitée. Dès lors que nous sommes incapables d’affaiblir le franc ou de renforcer l’euro, il fallait tout de même en discuter pour donner aux élus l’illusion réconfortante de servir à quelque chose. Que serait un parlement qui ne parle, ni ne ment ?
Après avoir débattu ardemment de la réduction de la bureaucratie pendant une journée entière, cela a produit ceci : les firmes de moins de 50 collaborateurs doivent être libérées des enquêtes statistiques fédérales ; un organe indépendant analysera l’impact de la réglementation fédérale ; le PS propose et la Conseil national refuse de protéger les plus de 55 ans contre le licenciement ; les crédits de la Commission pour la technologie et l’innovation seront renforcés cette année et l’an prochain.
Qu’est-ce que ces mesures changeront à la force du franc ? Probablement rien, tant elles sont éloignées du sujet en cause. Si le gouvernement ne dispose plus de statistiques fiables, il gouvernera moins bien en méconnaissance de cause ; exiger un organe indépendant d’analyse de la bureaucratie revient à créer une bureaucratie supplémentaire ; en quoi la protection des travailleurs âgés en Suisse renforcerait-elle l’euro ? ; renforcer la CTI revient à créer des postes de fonctionnaires supplémentaires.
Bref la confusion des idées atteignit une acmé d’agitation législative. De même certains malades du système nerveux sont-ils affligés d’une agitation incontrôlée. Un excellent principe de politique dit que s’il n’est pas urgent de légiférer, il est urgent de ne pas légiférer. Car lutter contre la bureaucratie est un combat perdu d’avance. S’il était possible pour l’exécutif ou le législatif de contrôler l’administration, elle ne serait pas déjà devenue ce qu’elle est. Un parlementaire n’est à Berne que cent jours par an. Un conseiller fédéral n’est en fonction que pendant une décennie. Le fonctionnaire fédéral, toujours présent, inamovible pendant quarante ans, possède de ce fait tous les pouvoirs et en abandonne perversement les apparences aux élus de tout poil.
Voici un demi-siècle tout juste, Northcote Parkinson a énoncé les lois imprescriptibles qui gouvernent les bureaucraties publiques ou privées. La loi de base dit que le travail se dilate pour occuper le temps disponible. Le corollaire entraine que le fonctionnaire, désireux d’un avancement, crée de la paperasse pour engager des subordonnés. Au fur et à mesure que la Navy britannique a désarmé des vaisseaux et diminué les équipages, le nombre de fonctionnaires à l’Amirauté a augmenté de façon à maintenir inchangé le chiffre total. L’avenir ultime de l’Amirauté se situe dans la suppression totale de la Navy.
Il en sera de même en Suisse. Les trois minables mesures votées par le parlement créeront une inflation de fonctionnaires. Et les spéculateurs sur les devises ne s’en préoccuperont même pas. Mais à terme le franc pourrait faiblir grâce à une crise économique en Helvétie engendrée par ces mesures dérisoires qui se révéleront efficientes, mais pas comme on l’imaginait. C’est ainsi que la Suisse réussit : l’ordre est créé par le chaos, comme dans la Nature.