Après la pénurie de médecins, organisons celle des ingénieurs

Le Conseil fédéral a ouvert le 11 septembre 2015 la consultation sur la révision partielle de la loi fédérale sur les écoles polytechniques fédérales. Les modifications prévues portent notamment sur, les finances d’inscription et de possibles restrictions d’admission. L’inspiration est originale : puisque nous manquons d’ingénieurs, formons en moins. Nous reproduirons ainsi la gaffe commise en 1998 pour la médecine : grâce au numerus clausus, la Suisse diplôme moitié moins de médecins que ce qu’il faudrait et en importe autant des pays voisins. Cela a le grand mérite de faire des économies pour la Suisse puisque nous bénéficions des investissements consentis par l’Allemagne ou l’Italie. Cela a l’air idiot, mais c’est bien réfléchi et totalement pervers.

Devant l'augmentation marquée du nombre d'étudiants étrangers parmi les nouveaux inscrits aux EPF, il est prévu d'étendre au premier semestre du cycle bachelor la possibilité, déjà existante, de limiter l'admission aux études. En effet, le domaine des EPF examine la possibilité de mettre en place une filière d'études bachelor qui permette d'accéder à des études de master en médecine dans une université cantonale. Si la Confédération accrédite une telle filière d'études, le Conseil des EPF doit avoir la possibilité de limiter l'admission au cycle bachelor du programme pour tous les étudiants. Il s'agit surtout d'empêcher le contournement du numerus clausus en vigueur dans les universités cantonale. La révision de la loi doit par ailleurs permettre d'exiger des étudiants étrangers des finances d'inscription jusqu'à trois fois supérieures à celles applicables aux étudiants domiciliés en Suisse.

Les résultats de la consultation déboucheront sur un projet de révision soumis aux Chambres fédérales au début de l'année prochaine, en même temps que le message sur l'encouragement de la formation, de la recherche et de l'innovation 2017-2020. Cela fera une moyenne bien tempérée : un discours sur l’encouragement et le découragement par la réduction des moyens. On aura ainsi le sentiment réconfortant de bien faire tout en s’autorisant à en faire de moins en moins.

Augmenter les finances d’inscription permettra de sélectionner les étudiants domiciliés à l’étranger, non pas sur leurs capacités, mais sur la fortune des parents. Ces gosses de riches louerons des appartements haut de gamme, roulerons en voiture de luxe, fréquenterons les meilleurs restaurants ainsi que nos boites de nuit. En un mot ils injecteront un pouvoir d’achat, stimuleront le commerce et créeront des emplois, ce que ne peut faire l’étudiant méritant mais démuni. Tous les hommes sont égaux, mais en Suisse il y en a qui sont plus égaux que d’autres. Tout même !

Cette généreuse idée a été proposée par le parti socialiste pour éviter que les finances d’inscription des étudiants domiciliés en Suisse subissent une augmentation. Celle-ci n’apportera du reste rien aux finances des EPF puisque leur apport au budget représente à peine un pourcent. Et donc la visée est claire : moins d’étrangers qu’ils soient étudiants ou travailleurs. C'est vrai pour tous les partis, même et surtout s'ils prétendent le contraire.

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.