La poussière sous le tapis

Le Conseil des Etats va entreprendre l’examen des modifications au régime des pensions, aussi bien l’AVS que la LPP. Le sujet est passionnel au point que la réforme précédente a été refusée en 2010 par la votation populaire. Dès lors le texte proposé par le Conseil fédéral se caractérise par une pusillanimité administrative, qui dissimule les vrais problèmes, les décisions indispensables et les dangers courus. Il met en scène un fantasme : il est possible de distribuer de l’argent inexistant en puisant dans les caisses publiques qui en sont une source perpétuellement renouvelable.

L’AVS fut conçue jadis comme une pension par répartition où l’on distribue aux retraités les cotisations actuelles des actifs. Pour que ce système soit stable, il faut que la proportion entre les deux catégories ne varie pas. Or la longévité a augmenté dans une proportion considérable : l’espérance de vie à 65 ans est passée de 12 à 21 ans depuis 1948, date de création du système. On ne peut que s’en réjouir et féliciter le corps médical, mais on doit raisonnablement faire passer l’âge de référence de 65 à 74 ans, si on veut maintenir la stabilité du système. Cela n’a bien évidemment pas été le cas et dès lors le problème réel a été dissimulé sous une solution factice : le subventionnement par la Confédération à hauteur de 20% des rentes. Comme l’argent public est collecté sous forme d’impôts qui touchent aussi les bénéficiaires des rentes, celles-ci ont donc été diminuées sans qu’il y paraisse.

Par ailleurs la natalité est déficiente en Suisse : il manque à chaque génération un tiers de naissances pour maintenir la population à son niveau. Heureusement ce déficit est compensé et au-delà par l’immigration sans laquelle l’AVS se serait déjà écroulée. Dès lors, la votation sur l’immigration de février 2014 remet en cause cette compensation spontanée. Le projet n’en tient pas compte.

La LPP consiste à distribuer sous forme de pensions un capital accumulé par le travailleur au long de sa carrière. Le taux de conversion définit la fraction du capital versé chaque année. Actuellement il est fixé par une décision législative arbitraire à 6,8% et le projet propose de le rabaisser à 6%. Mais ce taux n’est pas une variable d’ajustement, c’est une donnée du problème : si l’espérance de vie est à 10 ans, le taux est à 10 %, si elle atteint 20 ans, il tombe mathématiquement à 5%.

Les pensions, quel que soit le système, sont une forme d’assurance. Il existe un calcul actuariel qui permet de déterminer le rapport entre les cotisations et les prestations. Le système actuel et celui proposé font fi de cette réalité : un système d’assurances qui dispense plus qu’il ne perçoit est voué à la ruine. Combler les déficits avec le budget de la Confédération met en péril l’avenir. Tôt ou tard les fluctuations des recettes fiscale obligeront à faire des coupes linéaires partout, y compris dans les pensions. C’est ce qui est arrivé en Grèce et c’est ce qui arrivera en Suisse.

Alain Berset est un politicien habile : il ne propose que ce que le peuple est prêt à accepter. Il l’entretient de la sorte dans de douces illusions. Or les faits sont têtus : on ne conçoit pas une assurance selon les demandes des bénéficiaires mais selon des lois mathématiques. Les assureurs privés les connaissent. L’administration fait mine de les ignorer. On joue à la roulette avec nos pensions

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.